Emma

Chapitre 54

 

Emma conservait malgré tout une légère anxiétéconcernant la possibilité pour Henriette d’envisager un autremariage sans arrière-pensée ; mais son incertitude ne fut pasde longue durée. Les John Knightley et Henriette arrivèrent àHartfield. Dès qu’elle put trouver l’occasion de rester une heureen tête-à-tête avec son amie, elle put se rendre compte que RobertMartin avait réellement supplanté M. Knightley et que la jeunefille plaçait désormais de ce côté tout son espoir de bonheur.

Au début, Henriette était un peu gênée ;mais, lorsqu’elle eut reconnu avoir été présomptueuse et s’êtreimaginé des attentions qui n’existaient pas, sa confusion sedissipa et elle parut avoir oublié le passé pour se consacrer auprésent et à l’avenir. Emma avait eu soin d’accueillir Henrietteavec les plus chaudes félicitations afin de dissiper toute crainterelative à son approbation : celle-ci fut en conséquence trèsheureuse de donner tous les détails touchant leur soirée à Astleyet le dîner du lendemain ; elle s’étendait sur ce sujet avecla plus évidente complaisance. Cette transformation rapideplongeait Emma dans l’étonnement ; il fallait admettre pourl’expliquer qu’Henriette avait toujours conservé du goût pourRobert Martin.

Le mystère de la parenté d’Henriette futdévoilé : elle était la fille d’un commerçant assez riche pouravoir pu lui assurer la pension relativement importante dont elledisposait, et assez respectueux des usages et de la morale pouravoir désiré éviter un scandale. Aucune objection au mariage ne futsoulevée du côté du père ; il se montra généreux dans cettecirconstance, comme il l’avait toujours été.

Quand Emma eut fait la connaissance de RobertMartin, elle se rendit compte que le bon sens et la rectitude dejugement du jeune homme étaient précisément les qualités propres àassurer le bonheur de son amie ; celle-ci serait guidée etsoutenue et, au contact de femmes intelligentes, ses bonnesdispositions naturelles se développeraient certainement. Henriette,absorbée par les préparatifs de son mariage et accaparée par lesdemoiselles Martin, était de moins en moins à Hartfield. Latransformation qui s’imposait semblait s’accomplir de la façon laplus graduelle et la plus naturelle du monde. Par la force deschoses, leur intimité toute artificielle était appelée àdisparaître.

Avant la fin de septembre, Emma accompagnaHenriette à l’église et assista au mariage de son amie avec unesatisfaction que même la présence de M. Elton ne parvint pas àtroubler. Du reste, à ce moment elle ne voyait en celui-ci que leclergyman dont la bénédiction devait bientôt tomber sur elle.

Jane Fairfax avait déjà quitté Highbury pouraller rejoindre les Campbell ; auprès de ceux-ci, elle sesentait véritablement chez elle. M. Churchill et son neveuétaient également à Londres, où ils attendaient la fin dudeuil.

Le mois d’octobre était celui choisi parM. Knightley et par Emma. Ils désiraient que leur mariage fûtcélébré pendant le séjour de John et d’Isabelle à Hartfield afin depouvoir faire un voyage d’une quinzaine de jours au bord de la mer.John et Isabelle approuvaient ce plan, mais comment pourrait-onobtenir le consentement de M. Woodhouse ? Celui-ci neparlait jamais du mariage que comme d’un événement très lointain.Néanmoins il commençait à se rendre compte que l’échéance étaitinévitable : première étape vers la résignation. Il n’en futpas moins vivement affecté en entendant parler d’une date ferme.Emma, qui ne pouvait supporter voir souffrir son père, n’insistapas. Les messieurs Knightley pour l’encourager, assuraient qu’unefois l’événement accompli, la détresse de M. Woodhousedisparaîtrait, mais tout en reconnaissant la justesse de leursprévisions elle hésitait à causer une nouvelle émotion à sonpère.

La situation se dénoua de la façon la plusinattendue, à la suite d’un incident vulgaire : la basse-courde Mme Weston fut une nuit dépouillée de tous sesdindons. D’autres poulaillers eurent le même sort. PourM. Woodhouse, cette rapine constituait un vol avec effraction,et s’il ne s’était senti sous la protection de son gendre, il eutété en proie aux terreurs dès le coucher du soleil. La force, larésolution, la présence d’esprit des messieurs Knightley luiinspiraient une confiance illimitée. Il appréhendait le moment oùM. John Knightley serait forcé de rentrer à Londres. Cettecrainte salutaire fut pour M. Woodhouse le commencement de lasagesse, et quand Emma proposa de fixer le mariage au moisd’octobre, et de revenir s’installer à Hartfield avec son mariavant le départ de M. John Knightley, elle rencontra la pleineapprobation de son père.

Vers le milieu d’octobre, M. Elton futappelé à célébrer dans l’intimité le mariage de M. Knightleyet de Mlle Woodhouse. La cérémonie fut des plussimples, comme il convient à des gens qui n’ont de goût ni pour lefaste ni pour la parade.

Mme Elton écouta avec surprisela description que lui fit son mari du cortège et destoilettes.

– Rien de plus mesquin, d’après ce que jecomprends. Célina ne voudra pas croire à une pareille pénurie dedentelles… Je ne pensais pas que ce mariage dût égaler le nôtre,mais je m’attendais à mieux !

Cependant la malveillance s’arrêta au seuil dutemple. Les souhaits affectueux du petit noyau de vrais amis quiassistaient à la bénédiction nuptiale se réalisèrent en touspoints : les époux furent parfaitement heureux.

FIN

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