Emma

Chapitre 39

 

Sa conversation avec M. Knightley demeurapour Emma un des souvenirs les plus agréables du bal. Elle étaitcontente que leurs opinions sur le ménage Elton fussentconcordantes ; de plus, les éloges décernés à Henriette luiétaient particulièrement sensibles. En fin de compte,l’impertinence de M. Elton, au lieu de gâter sa soirée, luiavait procuré des satisfactions imprévues ; elle prévoyaitaussi un autre résultat heureux : la guérisond’Henriette ; d’après les quelques mots que cette dernière luiavait dits à ce propos, avant de quitter la salle de bal, il étaitpermis d’espérer : les yeux de la jeune fille s’étaientouverts tout à coup ; elle avait eu la révélation de lavéritable nature de M. Elton ; la fièvre d’admirationétait tombée !

En se promenant le lendemain dans le parc,après le déjeuner, Emma songeait avec complaisance combien, à lasuite de la transformation d’Henriette, sa propre tranquillité setrouverait consolidée : l’horizon s’éclaircissait de touscôtés ; Henriette devenait raisonnable, Frank Churchill étaitmoins amoureux et M. Knightley paraissait disposé à laconciliation.

Au détour d’une allée, Henriette apparutsoudain ; elle portait un petit paquet à la main ; aprèsdiverses allusions émues aux plaisirs de la veille, elle prit unair sérieux et dit avec un peu d’hésitation :

– Mademoiselle Woodhouse, si vous avez letemps, je désire vous entretenir en particulier ; j’ai unesorte de confession à vous faire.

Emma fut assez surprise et pria son amie des’expliquer sans retard.

– C’est mon devoir assurément, repritHenriette, de ne pas vous cacher le sentiment que j’éprouveaujourd’hui. Vous avez subi bien souvent le contre-coup de mestourments et il est juste que vous ayez la satisfaction de mesavoir guérie. Je ne veux pas m’étendre inutilement sur ce sujet,car j’ai honte de m’être laissée allercomme je l’ai fait. Vous me comprenez, j’en suis sûre !

– Oui, reprit Emma, je l’espère.

– Comment ai-je pu m’abuser silongtemps ? Mon aveuglement me semble de la folie. Je ne voisrien d’extraordinaire en lui, maintenant. Il m’est parfaitementindifférent de le rencontrer ou non ; toutefois je préfère nepas le voir. Je n’envie plus sa femme le moins du monde ; jene l’admire plus comme je l’ai fait : elle est charmante, jen’en doute pas, mais je la trouve très désagréable ; jen’oublierai jamais le regard qu’elle m’a lancé ! Néanmoins, jevous assure, Mademoiselle Woodhouse, je ne lui souhaite aucun mal.Je n’éprouve plus aucune émotion à la pensée de leur bonheur. Pourvous convaincre de la sincérité de mes assertions, je vais détruireen votre présence ce que je n’aurais jamais dû conserver. Nedevinez-vous pas le contenu de ce paquet ?

– Pas le moins du monde. Vous a-t-iljamais fait un présent ?

– Non ; mais ce sont des souvenirsauxquels je tenais beaucoup.

Henriette dénoua la faveur, déplial’enveloppe : sous une épaisse couche de papier d’argent,était placée une jolie petite boîte, en bois, dont l’intérieurétait doublé d’ouate ; à l’intérieur il y avait un petitmorceau de taffetas d’Angleterre.

– Maintenant, dit Henriette, vous devezvous rappeler ?

– Mais non !

– Est-ce possible ! La scène s’estpourtant passée dans ce salon quelques jours avant ma maladie,précisément la veille de l’arrivée de M. John Knightley :M. Elton se coupa le doigt avec votre canif ; n’ayant pasde sparadrap, vous m’aviez priée de donner le mien : j’encoupai un morceau, mais il ne put utiliser le tout et me rendit lepetit bout que vous voyez là : je l’ai conservé comme unerelique.

– Ma chère Henriette, dit Emma en secachant la figure avec ses mains, combien je me senshonteuse ! Hélas ! je ne me rappelle que tropmaintenant ! J’avais pendant ce temps mon étui dans mapoche !

– Vraiment ! Vous aviez du taffetasà portée ? Je ne l’aurais jamais soupçonné ; vous vousêtes exprimée avec tant de naturel ! Voici, ajouta Henrietteen prenant la boîte, un objet qui avait encore plus de valeur à mesyeux ; c’est un crayon lui ayant appartenu ; un matin,environ huit jours avant le dîner chez les Weston, M. Eltonvoulut inscrire une adresse sur son calepin et eut recours à votreporte-mine, après avoir constaté que son crayon était usé ; ilposa ce dernier sur la table et l’y laissa ; je ne le perdispas des yeux et, sitôt que j’en eus l’occasion, je m’enemparai.

– J’ai, en effet, gardé le souvenir d’unrenseignement consigné par écrit. Continuez.

– C’est tout. Je n’ai plus rien à vousmontrer ou à vous dire, et je vais jeter tout cela dans le feu. Jesais combien j’ai eu tort de conserver des souvenirs de lui aprèsson mariage, mais je n’avais pas le courage de m’en séparer.

– Est-il nécessaire, Henriette, de brûlerle sparadrap ? Je ne désire pas prendre la défense du vieuxcrayon, mais le sparadrap pourrait encore être utile !

– Je préfère me débarrasser de tout, ditHenriette, ce sont de désagréables témoins… C’est fait, grâce auciel il ne reste plus rien de M. Elton.

– Il me reste le remords d’avoir été lacause de votre déception. Cette expérience me servira deleçon ; je me suis trompée grossièrement, je ne veux pas m’yexposer dorénavant. J’espère Henriette que vous ferez un bonmariage…

– Non, répondit Henriette, je ne memarierai jamais !

– Voici une nouvelle résolution ! Letemps sans doute vous apportera l’oubli et l’espérance. Mais jetiens à vous faire connaître, dès à présent, les limites que j’aifixées à mon amitié : je suis résolue à n’intervenir d’aucunefaçon dans ces questions. Si votre cœur parle, que ce soit ensecret. Tenez-vous sur vos gardes ; observez attentivement laconduite de l’homme que vous aimerez et réglez votre attituded’après la sienne. Ne me faites part de vos sentiments que si vousavez de sérieuses raisons de les croire partagés.

Henriette après avoir écouté son amie avecdéférence, se défendit tout d’abord de pouvoir même imaginerl’hypothèse du mariage ; cependant au bout d’une demi-heure deconversation elle avait repris confiance dans l’avenir.

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