La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 6Comment M. de Saint-Luc montra à M. de Monsoreau le coup que le roilui avait montré.

Monsieur de Monsoreau attendait Saint-Lucl’épée à la main, et en faisant des appels furieux avec lepied.

– Y es-tu ? dit le comte.

– Tiens ! fit Saint-Luc, vous n’avezpas pris la plus mauvaise place, le dos au soleil ; ne vousgênez pas.

Monsoreau fit un quart de conversion.

– À la bonne heure ! dit Saint-Luc,de cette façon je verrai clair à ce que je fais.

– Ne me ménages pas, dit Monsoreau, carj’irai franchement.

– Ah çà ! dit Saint-Luc, vous voulezdonc me tuer absolument ?

– Si je le veux !… oh ! oui… jele veux !

– L’homme propose et Dieu dispose !dit Saint-Luc en tirant son épée à son tour.

– Tu dis….

– Je dis… Regardez bien cette touffe decoquelicots et de pissenlits.

– Eh bien ?

– Eh bien, je dis que je vais vouscoucher dessus.

Et il se mit en garde, toujours riant.

Monsoreau engagea le fer avec rage, et portaavec une incroyable agilité à Saint-Luc deux ou trois coups quecelui-ci para avec une agilité égale.

– Pardieu ! monsieur de Monsoreau,dit-il tout en jouant avec le fer de son ennemi, vous tirez fortagréablement l’épée, et tout autre que moi ou Bussy eût été tué parvotre dernier dégagement.

Monsoreau pâlit, voyant à quel homme il avaitaffaire.

– Vous êtes peut-être étonné, ditSaint-Luc, de me trouver si convenablement l’épée dans lamain ; c’est que le roi, qui m’aime beaucoup, comme voussavez, a pris la peine de me donner des leçons, et m’a montré,entre autres choses, un coup que je vous montrerai tout à l’heure.Je vous dis cela, parce que, s’il arrive que je vous tue de cecoup, vous aurez le plaisir de savoir que vous êtes tué d’un coupenseigné par le roi, ce qui sera excessivement flatteur pourvous.

– Vous avez infiniment d’esprit,monsieur, dit Monsoreau exaspéré en se fendant à fond pour porterun coup droit qui eût traversé une muraille.

– Dame ! on fait ce qu’on peut,répliqua modestement Saint-Luc en se jetant de côté, forçant, parce mouvement, son adversaire de faire une demi-volte qui lui mit enplein le soleil dans les yeux.

– Ah ! ah ! dit-il, voilà où jevoulais vous voir, en attendant que je vous voie où je veux vousmettre. N’est-ce pas que j’ai assez bien conduit ce coup-là,hein ? Aussi, je suis content, vrai, très content ! Vousaviez tout à l’heure cinquante chances seulement sur cent d’êtretué ; maintenant vous en avez quatre-vingt-dix-neuf.

Et, avec une souplesse, une vigueur et unerage que Monsoreau ne lui connaissait pas, et que personne n’eûtsoupçonnées dans ce jeune homme efféminé, Saint-Luc porta de suite,et sans interruption, cinq coups au grand veneur, qui les para,tout étourdi de cet ouragan mêlé de sifflements et d’éclairs ;le sixième fut un coup de prime composé d’une double feinte, d’uneparade et d’une riposte dont le soleil l’empêcha de voir lapremière moitié, et dont il ne put voir la seconde, attendu quel’épée de Saint-Luc disparut tout entière dans sa poitrine.

Monsoreau resta encore un instant debout, maiscomme un chêne déraciné qui n’attend qu’un souffle pour savoir dequel côté tomber.

– Là ! maintenant, dit Saint-Luc,vous avez les cent chances complètes ; et, remarquez ceci,monsieur, c’est que vous allez tomber juste sur la touffe que jevous ai indiquée.

Les forces manquèrent au comte ; sesmains s’ouvrirent, son œil se voila ; il plia les genoux ettomba sur les coquelicots, à la pourpre desquels il mêla sonsang.

Saint-Luc essuya tranquillement son épée etregarda cette dégradation de nuances qui, peu à peu, change en unmasque de cadavre le visage de l’homme qui agonise.

– Ah ! vous m’avez tué, monsieur,dit Monsoreau.

– J’y tâchais, dit Saint-Luc ; maismaintenant que je vous vois couché là, près de mourir, le diablem’emporte si je ne suis pas fâché de ce que j’ai fait ! Vousm’êtes sacré à présent, monsieur ; vous êtes horriblementjaloux, c’est vrai, mais vous étiez brave.

Et, tout satisfait de cette oraison funèbre,Saint-Luc mit un genou en terre près de Monsoreau, et luidit :

– Avez-vous quelque volonté dernière àdéclarer, monsieur ? et, foi de gentilhomme, elle seraexécutée. Ordinairement, je sais cela, moi, quand on est blessé, ona soif : avez-vous soif ? J’irai vous chercher àboire.

Monsoreau ne répondit pas. Il s’était retournéla face contre terre, mordant le gazon et se débattant dans sonsang.

– Pauvre diable ! fit Saint-Luc ense relevant. Oh ! amitié, amitié, tu es une divinité bienexigeante !

Monsoreau ouvrit un œil alourdi, essaya delever la tête et retomba avec un lugubre gémissement.

– Allons ! il est mort ! ditSaint-Luc ; ne pensons plus à lui… C’est bien aisé àdire : ne pensons plus à lui… Voilà que j’ai tué un homme,moi, avec tout cela ! On ne dira pas que j’ai perdu mon tempsà la campagne.

Et aussitôt, enjambant le mur, il prit sacourse à travers le parc et arriva au château.

La première personne qu’il aperçut futDiane ; elle causait avec son amie.

– Comme le noir lui ira bien ! ditSaint-Luc.

Puis, s’approchant du groupe charmant formépar les deux femmes :

– Pardon, chère dame, fit-il àDiane ; mais j’aurais vraiment bien besoin de dire deux mots àmadame de Saint-Luc.

– Faites, cher hôte, faîtes, répliquamadame de Monsoreau ; je vais retrouver mon père à labibliothèque. Quand tu auras fini avec M. de Saint-Luc,ajouta-t-elle en s’adressant à son amie, tu viendras me reprendre,je serai là.

– Oui, sans faute, dit Jeanne.

Et Diane s’éloigna en les saluant de la mainet du sourire.

Les deux époux demeurèrent seuls.

– Qu’y a-t-il donc ? demanda Jeanneavec la plus riante figure ; vous paraissez sinistre, cherépoux.

– Mais oui, mais oui, réponditSaint-Luc.

– Qu’est-il donc arrivé ?

– Eh ! mon Dieu ! unaccident !

– À vous ? dit Jeanne effrayée.

– Pas précisément à moi, mais à unepersonne qui était près de moi.

– À quelle personne donc ?

– À celle avec laquelle je mepromenais.

– À monsieur de Monsoreau ?

– Hélas ! oui. Pauvre cherhomme !

– Que lui est-il donc arrivé ?

– Je crois qu’il est mort !….

– Mort ! s’écria Jeanne avec uneagitation bien naturelle à concevoir, mort !

– C’est comme cela.

– Lui qui, tout à l’heure, était là,parlant, regardant !….

– Eh ! justement, voilà la cause desa mort ; il a trop regardé et surtout trop parlé.

– Saint-Luc, mon ami ! dit la jeunefemme en saisissant les deux bras de son mari.

– Quoi ?

– Vous me cachez quelque chose.

– Moi ! absolument rien, je vousjure, pas même l’endroit où il est mort.

– Et où est-il mort ?

– Là-bas, derrière le mur, à l’endroitmême où notre ami Bussy avait l’habitude d’attacher son cheval.

– C’est vous qui l’avez tué,Saint-Luc ?

– Parbleu ! qui voulez-vous que cesoit ? Nous n’étions que nous deux, je reviens vivant, et jevous dis qu’il est mort : il n’est pas difficile de devinerlequel des deux a tué l’autre.

– Malheureux que vous êtes !

– Ah ! chère amie, dit Saint-Luc, ilm’a provoqué, insulté ; il a tiré l’épée du fourreau.

– C’est affreux !… c’estaffreux !… ce pauvre homme !

– Bon ! dit Saint-Luc, j’en étaissûr ! Vous verrez qu’avant huit jours on dira saintMonsoreau.

– Mais vous ne pouvez rester ici !s’écria Jeanne ; vous ne pouvez habiter plus longtemps sous letoit de l’homme que vous avez tué.

– C’est ce que je me suis dit tout desuite ; et voilà pourquoi je suis accouru pour vous prier,chère amie, de faire vos apprêts de départ.

– Il ne vous a pas blessé, aumoins ?

– À la bonne heure ! quoiqu’ellevienne un peu tard, voilà une question qui me raccommode avec vous.Non, je suis parfaitement intact.

– Alors nous partirons.

– Le plus vite possible, car vouscomprenez que, d’un moment à l’autre, on peut découvrirl’accident.

– Quel accident ? s’écria madame deSaint-Luc en revenant sur sa pensée comme quelquefois on revientsur ses pas.

– Ah ! fit Saint-Luc.

– Mais, j’y pense, dit Jeanne, voilàmadame de Monsoreau veuve.

– Voilà justement ce que je me disaistout à l’heure.

– Après l’avoir tué ?

– Non, auparavant.

– Allons, tandis que je vais laprévenir….

– Prenez bien des ménagements, chèreamie !

– Mauvaise nature ! pendant que jevais la prévenir, sellez les chevaux vous-même, comme pour unepromenade.

– Excellente idée. Vous ferez bien d’enavoir comme cela plusieurs, chère amie ; car, pour moi, jel’avoue, ma tête commence un peu à s’embarrasser.

– Mais où allons-nous ?

– À Paris.

– À Paris ! Et le roi ?

– Le roi aura tout oublié ; il s’estpassé tant de choses depuis que nous ne nous sommes vus ;puis, s’il y a la guerre, ce qui est probable, ma place est à sescôtés.

– C’est bien ; nous partons pourParis alors.

– Oui, seulement je voudrais une plume etde l’encre.

– Pour écrire à qui ?

– À Bussy ; vous comprenez que je nepuis pas quitter comme cela l’Anjou sans lui dire pourquoi je lequitte.

– C’est juste, vous trouverez tout cequ’il vous faut pour écrire dans ma chambre.

Saint-Luc y monta aussitôt, et, d’une mainqui, quoi qu’il en eût, tremblait quelque peu, il traça à la hâteles lignes suivantes :

« Cher ami,

« Vous apprendrez, par la voie de laRenommée, l’accident arrivé à M. de Monsoreau ; nousavons eu ensemble, du côté du vieux taillis, une discussion sur leseffets et les causes de la dégradation des murs et l’inconvénientdes chevaux qui vont tout seuls. Dans le fort de cette discussion,M. de Monsoreau est tombé sur une touffe de coquelicotset de pissenlits, et cela si malheureusement, qu’il s’est tuéroide.

« Votre ami pour la vie,« SAINT-LUC.

« P.S. Comme cela pourrait, au premiermoment, vous paraître un peu invraisemblable, j’ajouterai que,lorsque cet accident lui est arrivé, nous avions tous deux l’épée àla main.

« Je pars à l’instant même pour Paris,dans l’intention de faire ma cour au roi, l’Anjou ne me paraissantpas très sûr après ce qui vient de se passer. »

Dix minutes après, un serviteur du baroncourait à Angers porter cette lettre, tandis que, par une portebasse donnant sur un chemin de traverse, M. et madame deSaint-Luc partaient seuls, laissant Diane éplorée, et surtout fortembarrassée pour raconter au baron la triste histoire de cetterencontre.

Elle avait détourné les yeux quand Saint-Lucavait passé.

– Servez donc vos amis ! avait ditcelui-ci à sa femme ; décidément tous les hommes sont ingrats,il n’y a que moi qui suis reconnaissant.

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