La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 7Où l’on voit la reine mère entrer peu triomphalement dans la bonneville d’Angers.

L’heure même où M. de Monsoreautombait sous l’épée de Saint-Luc, une grande fanfare de quatretrompettes retentissait aux portes d’Angers, fermées, comme onsait, avec le plus grand soin.

Les gardes, prévenus, levèrent un étendard, etrépondirent par des symphonies semblables.

C’était Catherine de Médicis qui venait faireson entrée à Angers, avec une suite assez imposante.

On prévint aussitôt Bussy, qui se leva de sonlit, et Bussy alla trouver le prince, qui se mit dans le sien.

Certes, les airs joués par les trompettesangevines étaient de fort beaux airs ; mais ils n’avaient pasla vertu de ceux qui firent tomber les murs de Jéricho ; lesportes d’Angers ne s’ouvrirent pas.

Catherine se pencha hors de sa litière pour semontrer aux gardes avancées, espérant que la majesté d’un visageroyal ferait plus d’effet que le son des trompettes. Les miliciensd’Angers virent la reine, la saluèrent même avec courtoisie, maisles portes demeurèrent fermées.

Catherine envoya un gentilhomme aux barrières.On fit force politesses à ce gentilhomme ; mais, comme ildemandait l’entrée pour la reine mère, en insistant pour que SaMajesté fût reçue avec honneur, on lui répondit qu’Angers, étantplace de guerre, ne s’ouvrait pas sans quelques formalitésindispensables.

Le gentilhomme revint très mortifié vers samaîtresse, et Catherine laissa échapper alors dans toute l’amertumede sa réalité, dans toute la plénitude de son acception, ce mot queLouis XIV modifia plus tard selon les proportions qu’avait prisesl’autorité royale :

– J’attends ! murmura-t-elle.

Et ses gentilshommes frémissaient à sescôtés.

Enfin Bussy, qui avait employé près d’unedemi-heure à sermonner le duc et à lui forger cent raisons d’État,toutes plus péremptoires les unes que les autres, Bussy se décida.Il fit seller son cheval avec force caparaçons, choisit cinqgentilshommes des plus désagréables à la reine mère, et, se plaçantà leur tête, alla, d’un pas de recteur, au-devant de SaMajesté.

Catherine commençait à se fatiguer, non pasd’attendre, mais de méditer des vengeances contre ceux qui luijouaient ce tour.

Elle se rappelait le conte arabe dans lequelil est dit qu’un génie rebelle, prisonnier dans un vase de cuivre,promet d’enrichir quiconque le délivrerait dans les dix premierssiècles de sa captivité ; puis, furieux d’attendre, jure lamort de l’imprudent qui briserait le couvercle du vase.

Catherine en était là. Elle s’était promisd’abord de gracieuser les gentilshommes qui s’empresseraient devenir à sa rencontre. Ensuite elle fit vœu d’accabler de sa colèrecelui qui se présenterait le premier.

Bussy parut tout empanaché à la barrière, etregarda vaguement, comme un factionnaire nocturne qui écoute plutôtqu’il ne voit.

– Qui vive ? cria-t-il.

Catherine s’attendait au moins à desgénuflexions ; son gentilhomme la regarda pour connaître sesvolontés.

– Allez, dit-elle, allez encore à labarrière ; on crie : « Qui vive ! »Répondez, monsieur, c’est une formalité….

Le gentilhomme vint aux pointes de laherse.

– C’est madame la reine mère, dit-il, quivient visiter la bonne ville d’Angers.

– Fort bien, monsieur, répliquaBussy ; veuillez tourner à gauche, à quatre-vingts pas d’icienviron, vous allez rencontrer la poterne.

– La poterne ! s’écria legentilhomme, la poterne ! Une porte basse pour SaMajesté !

Bussy n’était plus là pour entendre. Avec sesamis, qui riaient sous cape, il s’était dirigé vers l’endroit où,d’après ses instructions, devait descendre Sa Majesté la reinemère.

– Votre Majesté a-t-elle entendu ?demanda le gentilhomme… La poterne !

– Eh ! oui, monsieur, j’aientendu ; entrons par là, puisque c’est par là qu’onentre.

Et l’éclair de son regard fit pâlir lemaladroit qui venait de s’appesantir ainsi sur l’humiliationimposée à sa souveraine.

Le cortège tourna vers la gauche, et lapoterne s’ouvrit.

Bussy, à pied, l’épée nue à la main, s’avançaau dehors de la petite porte, et s’inclina respectueusement devantCatherine ; autour de lui les plumes des chapeaux balayaientla terre.

– Soit, Votre Majesté, la bienvenue dansAngers, dit-il.

Il avait à ses côtés des tambours qui nebattirent pas, et des hallebardiers qui ne quittèrent pas le portd’armes.

La reine descendit de litière, et, s’appuyantsur le bras d’un gentilhomme de sa suite, marcha vers la petiteporte, après avoir répondu ce seul mot :

– Merci, monsieur de Bussy.

C’était toute la conclusion des méditationsqu’on lui avait laissé le temps de faire.

Elle avançait, la tête haute. Bussy la prévinttout à coup et l’arrêta même par le bras.

– Ah ! prenez garde, madame, laporte est bien basse ; Votre Majesté se heurterait.

– Il faut donc se baisser ? dit lareine ; comment faire ?… C’est la première fois quej’entre ainsi dans une ville.

Ces paroles, prononcées avec un naturelparfait, avaient pour les courtisans habiles un sens, uneprofondeur et une portée qui firent réfléchir plus d’un assistant,et Bussy lui-même se tordit la moustache en regardant de côté.

– Tu as été trop loin, lui dit Livarot àl’oreille.

– Bah ! laisse donc, répliqua Bussy,il faut qu’elle en voie bien d’autres.

On hissa la litière de Sa Majesté par-dessusle mur avec un palan, et elle put s’y installer de nouveau pouraller au palais. Bussy et ses amis remontèrent à cheval escortantdes deux côtés la litière.

– Mon fils ! dit tout à coupCatherine ; je ne vois pas mon fils d’Anjou !

Ces mots, qu’elle voulait retenir, lui étaientarrachés par une irrésistible colère. L’absence de François en unpareil moment était le comble de l’insulte.

– Monseigneur est malade, au lit,madame ; sans quoi Votre Majesté ne peut douter que SonAltesse ne se fût empressée de faire elle-même les honneurs desa ville.

Ici Catherine fut sublime d’hypocrisie.

– Malade ! mon pauvre enfant,malade ! s’écria-t-elle. Ah ! messieurs, hâtons-nous…est-il bien soigné, au moins ?

– Nous faisons de notre mieux, dit Bussyen la regardant avec surprise comme pour savoir si réellement danscette femme il y avait une mère.

– Sait-il que je suis ici ? repritCatherine après une pause qu’elle employa utilement à passer larevue de tous les gentilshommes.

– Oui, certes, madame, oui.

Les lèvres de Catherine se pincèrent.

– Il doit bien souffrir alors,ajouta-t-elle du ton de la compassion.

– Horriblement, dit Bussy. Son Altesseest sujette à ces indispositions subites.

– C’est une indisposition subite,monsieur de Bussy ?

– Mon Dieu, oui, madame.

On arriva ainsi au palais. Une grande foulefaisait la haie sur le passage de la litière.

Bussy courut devant par les montées, et,entrant tout essoufflé chez le duc :

– La voici, dit-il… Gare !

– Est-elle furieuse ?

– Exaspérée.

– Elle se plaint ?

– Oh ! non ; c’est bien pis,elle sourit.

– Qu’a dit le peuple ?

– Le peuple n’a pas sourcillé ; ilregarde cette femme avec une muette frayeur : s’il ne laconnaît pas, il la devine.

– Et elle ?

– Elle envoie des baisers, et se mord lebout des doigts.

– Diable !

– C’est ce que j’ai pensé, oui,monseigneur. Diable, jouez serré !

– Nous nous maintenons à la guerre,n’est-ce pas ?

– Pardieu ! demandez cent pour avoirdix, et, avec elle, vous n’aurez encore que cinq.

– Bah ! tu me crois donc bienfaible ?… Êtes-vous tous là ? Pourquoi Monsoreau n’est-ilpas revenu ? fit le duc.

– Je le crois à Méridor… Oh ! nousnous passerons bien de lui.

– Sa Majesté la reine mère ! crial’huissier au seuil de la chambre.

Et aussitôt Catherine parut, blême et vêtue denoir, selon sa coutume.

Le duc d’Anjou fit un mouvement pour se lever.Mais Catherine, avec une agilité qu’on n’aurait pas soupçonnée ence corps usé par l’âge, Catherine se jeta dans les bras de sonfils, et le couvrit de baisers.

– Elle va l’étouffer, pensa Bussy, cesont de vrais baisers, mordieu !

Elle fit plus, elle pleura.

– Méfions-nous, dit Antraguet à Ribérac,chaque larme sera payée un muid de sang.

Catherine, ayant fini ses accolades, s’assitau chevet du duc ; Bussy fit un signe, et les assistantss’éloignèrent. Lui, comme s’il était chez lui, s’adossa auxpilastres du lit, et attendit tranquillement.

– Est-ce que vous ne voudriez pas prendresoin de mes pauvres gens, mon cher monsieur de Bussy ? dittout à coup Catherine. Après mon fils, c’est vous qui êtes notreami le plus cher, et maître du logis, n’est-ce pas ? je vousdemande cette grâce.

Il n’y avait pas à hésiter.

– Je suis pris, pensa Bussy.

– Madame, dit-il, trop heureux de pouvoirplaire à Votre Majesté, je m’en y vais.

– Attends, murmura-t-il. Tu ne connaispas les portes ici comme au Louvre, je vais revenir.

Et il sortit, sans avoir pu adresser même unsigne au duc. Catherine s’en défiait ; elle ne le perdit pasde vue une seconde.

Catherine chercha tout d’abord à savoir si sonfils était malade ou feignait seulement la maladie. Ce devait êtretoute la base de ses opérations diplomatiques.

Mais François, en digne fils d’une pareillemère, joua miraculeusement son rôle. Elle avait pleuré, il eut lafièvre.

Catherine, abusée, le crût malade ; elleespéra donc avoir plus d’influence sur un esprit affaibli par lessouffrances du corps. Elle combla le duc de tendresse, l’embrassade nouveau, pleura encore, et à tel point, qu’il s’en étonna et endemanda la raison.

– Vous avez couru un si grand danger,répliqua-t-elle, mon enfant !

– En me sauvant du Louvre, mamère ?

– Oh ! non pas, après vous êtresauvé.

– Comment cela ?

– Ceux qui vous aidaient dans cettemalheureuse évasion….

– Eh bien ?….

– Étaient vos plus cruels ennemis….

– Elle ne sait rien, pensa-t-il, maiselle voudrait savoir.

– Le roi de Navarre ! dit-elle toutbrutalement, l’éternel fléau de nôtre race… Je le reconnaisbien.

– Ah ! ah ! s’écria François,elle le sait.

– Croiriez-vous qu’il s’en vante,dit-elle, et qu’il pense avoir tout gagné ?

– C’est impossible, répliqua-t-il, onvous trompe, ma mère.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il n’est pour rien dans monévasion, et qu’y fût-il pour quelque chose, je suis sauf comme vousvoyez… Il y a deux ans que je n’ai vu le roi de Navarre.

– Ce n’est pas de ce danger seulement queje vous parle, mon fils, dit Catherine sentant que le coup n’avaitpas porté.

– Quoi encore, ma mère ?répliqua-t-il en regardant souvent dans son alcôve la tapisseriequi s’agitait derrière la reine.

Catherine s’approcha de François, et d’unevoix qu’elle s’efforçait de rendre épouvantée :

– La colère du roi ! fit-elle, cettefurieuse colère qui vous menace !

– Il en est de ce danger comme del’autre, madame ; le roi mon frère est dans une furieusecolère, je le crois ; mais je suis sauf.

– Vous croyez ? fit-elle avec unaccent capable d’intimider les plus audacieux.

La tapisserie trembla.

– J’en suis sûr, répondit le duc ;et c’est tellement vrai, ma bonne mère, que vous êtes venuevous-même me l’annoncer.

– Comment cela ? dit Catherineinquiète de ce calme.

– Parce que, continua-t-il après unnouveau regard à la cloison, si vous n’aviez été chargée que dem’apporter ces menaces, vous ne fussiez pas venue, et qu’en pareilcas le roi aurait hésité à me fournir un otage tel que VotreMajesté.

Catherine effrayée leva la tête.

– Un otage, moi ! dit-elle.

– Le plus saint et le plus vénérable detous, répliqua-t-il en souriant et en baisant la main de Catherine,non sans un autre coup d’œil triomphant adressé à la boiserie.

Catherine laissa tomber ses bras, commeécrasée ; elle ne pouvait deviner que Bussy, par une portesecrète, surveillait son maître et le tenait en échec sous sonregard, depuis le commencement de l’entretien, lui envoyant ducourage et de l’esprit à chaque hésitation.

– Mon fils, dit-elle enfin, ce sonttoutes paroles de paix que je vous apporte, vous avez parfaitementraison.

– J’écoute, ma mère, dit François, voussavez avec quel respect ; je crois que nous commençons à nousentendre.

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