La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 16Lequel n’est autre chose que la suite du précédent, écourté parl’auteur pour cause de fin d’année.

Le trône de Henri III s’élevait dans la grandesalle.

Autour de ce trône se pressait une foulefrémissante et tumultueuse.

Le roi vint s’y asseoir, triste et le frontplissé.

Tous les yeux étaient tournés vers la galeriepar laquelle le capitaine des gardes devait introduirel’envoyé.

– Sire, dit Quélus en se penchant àl’oreille du roi, savez-vous le nom de cet ambassadeur ?

– Non ; mais quem’importe ?

– Sire, c’est M. de Bussy.L’insulte n’est-elle pas triple ?

– Je ne vois pas en quoi il peut y avoirinsulte, dit Henri s’efforçant de garder son sang-froid.

– Peut-être Votre Majesté ne le voit-ellepas, dit Schomberg ; mais nous le voyons bien, nous.

Henri ne répliqua rien. Il sentait fermenterla colère et la haine autour de son trône, et s’applaudissaitintérieurement de jeter deux remparts de cette force entre lui etses ennemis.

Quélus, pâlissant et rougissant tour à tour,appuya les deux mains sur la garde de ton épée.

Schomberg ôta ses gants et tira à moitié sonpoignard hors du fourreau.

Maugiron prit son épée des mains d’un page etl’agrafa à sa ceinture.

D’Épernon se troussa les moustaches jusqu’auxyeux et se rangea derrière ses compagnons.

Quant à Henri, semblable au chasseur quientend rugir ses chiens contre le sanglier, il laissait faire sesfavoris et souriait.

– Faites entrer, dit-il.

À ces paroles, un silence de mort s’établitdans la salle, et, du fond de ce silence, on eût dit qu’onentendait gronder sourdement la colère du roi.

Alors un pas sec, alors un pied dont l’éperonsonnait avec orgueil sur la dalle, retentit dans la galerie.

Bussy entra le front haut, l’œil calme et lechapeau à la main.

Aucun de ceux qui entouraient le roi n’attirale regard hautain du jeune homme. Il s’avança droit à Henri, saluaprofondément, et attendit qu’on l’interrogeât, fièrement posédevant le trône, mais avec une fierté toute personnelle, fierté degentilhomme qui n’avait rien d’insultant pour la majestéroyale.

– Vous ici, monsieur de Bussy ? jevous croyais au fond de l’Anjou.

– Sire, dit Bussy, j’y étaiseffectivement ; mais, comme vous le voyez, je l’ai quitté.

– Et qui vous amène dans notrecapitale ?

– Le désir de présenter mes bien humblesrespects à Votre Majesté.

Le roi et les mignons se regardèrent. Il étaitévident qu’ils attendaient autre chose de l’impétueux jeunehomme.

– Et… rien de plus ? dit assezsuperbement le roi.

– J’y ajouterai, sire, l’ordre que j’aireçu de Son Altesse monseigneur le duc d’Anjou, mon maître, dejoindre ses respects aux miens.

– Et le duc ne vous a rien dit autrechose ?

– Il m’a dit qu’étant sur le point derevenir avec la reine mère il désirait que Votre Majesté sût leretour d’un de ses plus fidèles sujets.

Le roi, presque suffoqué de surprise, ne putcontinuer son interrogatoire.

Chicot profita de l’interruption pours’approcher de l’ambassadeur.

– Bonjour, monsieur de Bussy, dit-il.

Bussy se retourna, étonné d’avoir un ami danstoute l’assemblée.

– Ah ! monsieur Chicot, salut, et detout mon cœur, répliqua Bussy. Comment se porteM. de Saint-Luc ?

– Mais, fort bien. Il se promène en cemoment avec sa femme du côté des volières.

– Et voilà tout ce que vous aviez à medire, monsieur de Bussy ? demanda le roi.

– Oui, sire ; s’il reste quelqueautre nouvelle importante, monseigneur le duc d’Anjou aural’honneur de vous l’annoncer lui-même.

– Très bien ! dit le roi.

Et, se levant tout silencieux de son trône, ildescendit les deux degrés.

L’audience était finie, les groupes serompirent.

Bussy remarqua du coin de l’œil qu’il étaitentouré par les quatre mignons, et comme enfermé dans un cerclevivant plein de frémissement et de menaces.

À l’extrémité de la salle, le roi causait basavec son chancelier.

Bussy fit semblant de ne rien voir et continuade s’entretenir avec Chicot.

Alors, comme s’il fût entré dans le complot etqu’il eût résolu d’isoler Bussy, le roi appela.

– Venez çà, Chicot, on a quelque chose àvous dire par ici.

Chicot salua Bussy avec une courtoisie quisentait son gentilhomme d’une lieue.

Bussy lui rendit son salut avec non moinsd’élégance, et demeura seul dans le cercle.

Alors il changea de contenance et de visage.De calme qu’il avait été avec le roi, il était devenu poli avecChicot ; de poli il se fit gracieux.

Voyant Quélus s’approcher de lui :

– Eh ! bonjour, monsieur de Quélus,lui dit-il ; puis-je avoir l’honneur de vous demander commentva votre maison ?

– Mais assez mal, monsieur, répliquaQuélus.

– Oh ! mon Dieu, s’écria Bussy,comme s’il eût souci de cette réponse ; et qu’est-il doncarrivé ?

– Il y a quelque chose qui nous gêneinfiniment, répondit Quélus.

– Quelque chose ? fit Bussy avecétonnement ; eh ! n’êtes-vous pas assez puissants, vouset les autres, et surtout vous, monsieur de Quélus, pour renverserce quelque chose ?

– Pardon, monsieur, dit Maugiron enécartant Schomberg qui s’avançait pour placer son mot dans cetteconversation qui promettait d’être intéressante, ce n’est pasquelque chose, c’est quelqu’un que voulait direM. de Quélus.

– Mais, si ce quelqu’un gèneM. de Quélus, dit Bussy, qu’il le pousse comme vous venezde faire.

– C’est aussi le conseil que je lui aidonné, monsieur de Bussy, dit Schomberg, et je crois que Quélus estdécidé à le suivre.

– Ah ! c’est vous, monsieur deSchomberg, dit Bussy, je n’avais pas l’honneur de vousreconnaître.

– Peut-être, dit Schomberg, ai-je encoredu bleu sur la figure ?

– Non pas, vous êtes fort pâle, aucontraire. Sériez-vous indisposé, monsieur ?

– Monsieur, dit Schomberg, si je suispâle, c’est de colère.

– Ah çà ! mais vous êtes donc commeM. de Quélus, gêné par quelque chose ou parquelqu’un ?

– Oui, monsieur.

– C’est comme moi, dit Maugiron, moiaussi, j’ai quelqu’un qui me gêne.

– Toujours spirituel, mon cher monsieurde Maugiron, dit Bussy ; mais, en vérité, messieurs, plus jevous regarde, plus vos figures renversées me préoccupent.

– Vous m’oubliez, monsieur, dit d’Épernonen se campant fièrement devant Bussy.

– Pardon, monsieur d’Épernon, vous étiezderrière les autres, selon votre habitude, et j’ai si peu leplaisir de vous connaître, que ce n’était point à moi de vousparler le premier.

C’était un spectacle curieux que le sourire etla désinvolture de Bussy, placé entre ces quatre furieux, dont lesyeux parlaient avec une éloquence terrible. Pour ne pas comprendreoù ils en voulaient venir, il eût fallu être aveugle oustupide.

Pour avoir l’air de ne pas comprendre, ilfallait être Bussy.

Il garda le silence, et le même souriredemeura imprimé sur ses lèvres.

– Enfin ! dit avec un éclat de voixet en frappant de sa botte sur la dalle, Quélus, qui s’impatientale premier.

– Monsieur, dit-il, remarquez-vous commeil y a de l’écho dans cette salle ? Rien ne renvoie le soncomme les murs de marbre, et les voix sont doublement sonores sousles voûtes de stuc ; bien au contraire, quand on est en rasecampagne, les sons se divisent, et je crois, sur mon honneur, queles nuées en prennent leur part. J’avance cette proposition d’aprèsAristophane. Avez-vous lu Aristophane, messieurs ?

Maugiron crut avoir compris l’invitation deBussy, et il s’approcha du jeune homme pour lui parler àl’oreille.

Bussy l’arrêta,

– Pas de confidence ici, monsieur, jevous en supplie, lui dit-il ; vous savez combien Sa Majestéest jalouse ; elle croirait que nous médisons.

Maugiron s’éloigna, plus furieux quejamais.

Schomberg prit sa place, et, d’un tonempesé :

– Moi, dit-il, je suis un Allemand trèslourd, très obtus, mais très franc ; je parle haut pour donnerà ceux qui m’écoutent toutes facilités de m’entendre ; mais,quand ma parole, que j’essaye de rendre la plus claire possible,n’est pas entendue parce que celui à qui je m’adresse est sourd, oun’est pas comprise parce que celui à qui je m’adresse ne veut pascomprendre, alors je….

– Vous ?…. dit Bussy en fixant surle jeune homme, dont la main agitée s’écartait du centre, un de cesregards comme les tigres seuls en font jaillir de leursincommensurables prunelles, regards qui semblent sourdre d’un abîmeet verser incessamment des torrents de feu ; vous ?

Schomberg s’arrêta.

Bussy haussa les épaules, pirouetta sur letalon et lui tourna le dos.

Il se trouva en face de d’Épernon.

D’Épernon était lancé, il ne lui était paspossible de reculer.

– Voyez, messieurs, dit-il, commeM. de Bussy est devenu provincial dans la fugue qu’ilvient de faire avec M. le duc d’Anjou ; il a de la barbeet il n’a pas de nœud à l’épée ; il a des bottes noires et unfeutre gris.

– C’est l’observation que j’étais entrain de me faire à moi-même, mon cher monsieur d’Épernon. En vousvoyant si bien mis, je me demandais où quelques jours d’absencepeuvent conduire un homme. Me voilà forcé, moi, Louis de Bussy,seigneur de Clermont, de prendre modèle de goût sur un petitgentilhomme gascon. Mais laissez-moi passer, je vous prie ;vous êtes si près de moi, que vous m’avez marché sur le pied, etM. de Quélus aussi, ce que j’ai senti malgré mes bottes,ajouta-t-il avec un sourire charmant.

En ce moment, Bussy, passant entre d’Épernonet Quélus, tendit la main à Saint-Luc, qui venait d’entrer.

Saint-Luc trouva cette main ruisselante desueur. Il comprit qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire,et il entraîna Bussy hors du groupe d’abord, puis hors de lasalle.

Un murmure étrange circulait parmi les mignonset gagnait les autres groupes de courtisans.

– C’est incroyable ! disait Quélus,je l’ai insulté, et il n’a pas répondu.

– Moi, dit Maugiron, je l’ai provoqué, etil na pas répondu.

– Moi, dit Schomberg, ma main s’est levéeà la hauteur de son visage, et il n’a pas répondu.

– Moi, je lui ai marché sur le pied,criait d’Épernon, marché sur le pied, et il n’a pas répondu.

Et il semblait se grandir de toute l’épaisseurdu pied de Bussy.

– Il est clair qu’il n’a pas vouluentendre, dit Quélus. Il y a quelque chose là-dessous.

– Ce qu’il y a, dit Schomberg, je lesais, moi.

– Et qu’y a-t-il ?

– Il y a qu’il sent qu’à nous quatre nousle tuerons, et qu’il ne veut pas qu’on le tue.

En ce moment, le roi vint aux jeunes gens.Chicot lui parlait à l’oreille.

– Eh bien ! disait le roi, quedisait donc M. de Bussy ? Il m’a semblé entendreparler haut de ce côté.

– Vous voulez savoir ce que disaitM. de Bussy, sire ? demanda d’Épernon.

– Oui, vous savez que je suis curieux,répliqua Henri en souriant.

– Ma foi, rien de bon, sire, ditQuélus ; il n’est plus Parisien.

– Et qu’est-il donc ?

– Il est campagnard ; il serange.

– Oh ! oh ! fit le roi,qu’est-ce à dire ?

– C’est-à-dire que je vais dresser unchien à lui mordre les mollets, dit Quélus ; et encore quisait si, à travers ses bottes, il s’en apercevra.

– Et moi, dit Schomberg, j’ai unequintaine dans ma maison, je l’appellerai Bussy.

– Moi, dit d’Épernon, j’irai plus droitet plus loin. Aujourd’hui je lui ai marché sur le pied, demain jele soufflèterai. C’est un faux brave, un brave d’amour-propre. Ilse dit : « Je me suis assez battu pour l’honneur, je veuxêtre prudent pour la vie. »

– Eh quoi ! messieurs, dit Henriavec une feinte colère, vous avez osé maltraiter chez moi, dans leLouvre, un gentilhomme qui est à mon frère ?

– Hélas ! oui, dit Maugiron,répondant à la feinte colère du roi par une feinte humilité, et,quoique nous l’avons fort maltraité, sire, je vous jure qu’il n’arien répondu.

Le roi regarda Chicot en souriant, et, sepenchant à son oreille :

– Trouves-tu toujours qu’ils beuglent,Chicot ? demanda-t-il. Je crois qu’ils ont rugi,hein !

– Eh ! dit Chicot, peut-être ont-ilsmiaulé. Je connais des gens à qui le cri du chat fait horriblementmal aux nerfs. Peut-être M. de Bussy est-il de cesgens-là. Voilà pourquoi il sera sorti sans répondre.

– Tu crois ? dit le roi.

– Qui vivra verra, réponditsentencieusement Chicot.

– Laisse donc, dit Henri, tel maître, telvalet.

– Voulez-vous dire par ces mots, sire,que Bussy soit le valet de votre frère ? Vous vous tromperiezfort.

– Messieurs, dit Henri, je vais chez lareine, avec qui je dîne. À tantôt ! Les Gelosi[2] viennent nous jouer une farce ; jevous invite à les venir voir.

L’assemblée s’inclina respectueusement, et leroi sortit par la grande porte.

Précisément alors M. de Saint-Lucentra par la petite.

Il arrêta du geste les quatre gentilshommesqui allaient sortir.

– Pardon, monsieur de Quélus, dit-il ensaluant, demeurez-vous toujours rue Saint-Honoré ?

– Oui, cher ami. Pourquoi cela ?demanda Quélus.

– J’ai deux mots à vous dire.

– Ah ! ah !

– Et vous, monsieur de Schomberg,oserais-je m’enquérir de votre adresse ?

– Moi, je demeure rue Béthisy, ditSchomberg étonné.

– D’Épernon, je sais la vôtre.

– Rue de Grenelle.

– Vous êtes mon voisin. Et vous,Maugiron ?

– Moi, je suis du quartier du Louvre.

– Je commencerai donc par vous, si vousle permettez ; ou plutôt, non, par vous, Quélus….

– À merveille ! Je croiscomprendre ; vous venez de la part deM. de Bussy ?

– Je ne dis pas de quelle part je viens,messieurs. J’ai à vous parler, voilà tout.

– À tous quatre ?

– Oui.

– Eh bien ! mais, si vous ne voulezpas parler au Louvre, comme je le présume, parce que le lieu estmauvais, nous pouvons nous rendre chez l’un de nous. Nous pouvonstous entendre ce que vous avez à nous dire à chacun enparticulier.

– Parfaitement.

– Allons chez Schomberg alors, rueBéthisy ; c’est à deux pas.

– Oui, allons chez moi, dit le jeunehomme.

– Soit, messieurs, dit Saint-Luc.

Et il salua encore.

– Montrez-nous le chemin, monsieur deSchomberg.

– Très volontiers.

Les cinq gentilshommes sortirent du Louvre ense tenant par-dessous le bras et en occupant toute la largeur de larue.

Derrière eux marchaient leurs laquais, armésjusqu’aux dents.

On arriva ainsi rue de Béthisy, et Schombergfit préparer le grand salon de l’hôtel.

Saint-Luc s’arrêta dans l’antichambre.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer