La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 15Comment l’ambassadeur de M. le duc d’Anjou arriva à Paris, et laréception qui lui fut faite.

Cependant on ne voyait reparaître au Louvre niCatherine ni le duc d’Anjou, et la nouvelle d’une dissension entreles deux frères prenait de jour en jour plus d’accroissement etplus d’importance.

Le roi n’avait reçu aucun message de sa mère,et, au lieu de conclure selon le Proverbe : « Pas denouvelles, bonnes nouvelles, » il se disait, au contraire, ensecouant la tête :

– Pas de nouvelles, mauvaisesnouvelles !

Les mignons ajoutaient :

– François, mal conseillé, auraretenu votre mère.

François, mal conseillé ; eneffet, toute la politique de ce règne singulier et des trois règnesprécédents se réduisait là.

Mal conseillé avait été le roi Charles IX,lorsqu’il avait, sinon ordonné, du moins autorisé laSaint-Barthélemy ; mal conseillé avait été François II,lorsqu’il ordonna le massacre d’Amboise ; mal conseillé avaitété Henri II, le père de cette race perverse, lorsqu’il fit brûlertant d’hérétiques et de conspirateurs avant d’être tué parMontgomery, qui, lui-même, avait été mal conseillé, disait-on,lorsque le bois de sa lance avait si malencontreusement pénétrédans la visière du casque de son roi.

On n’ose pas dire à un roi :

« Votre frère a du mauvais sang dans lesveines ; il cherche, comme c’est l’usage dans votre famille, àvous détrôner, à vous tondre ou à vous empoisonner ; il veutvous faire à vous ce que vous avez fait à votre frère aîné, ce quevotre frère aîné a fait au sien, ce que votre mère vous a tousinstruits à vous faire les uns aux autres. »

Non, un roi de ce temps-là surtout, un roi duseizième siècle eût pris ces observations pour des injures, car unroi était, en ce temps-là, un homme, et la civilisation seule en apu faire un fac-similé de Dieu, comme Louis XIV, ou unmythe non responsable, comme un roi constitutionnel.

Les mignons disaient donc à HenriIII :

– Sire, votre frère est malconseillé.

Et, comme une seule personne avait à la foisle pouvoir et l’esprit de conseiller François, c’était contre Bussyque se soulevait la tempête, chaque jour plus furieuse et plus prèsd’éclater.

On en était, dans les conseils publics, àtrouver des moyens d’intimidation, et, dans les conseils privés, àchercher des moyens d’extermination, lorsque la nouvelle arriva quemonseigneur le duc d’Anjou envoyait un ambassadeur.

Comment vint cette nouvelle ? par quivint-elle ? qui l’apporta ? qui la répandit ?

Il serait aussi facile de dire comment sesoulèvent les tourbillons de vent dans l’air, les tourbillons depoussière dans la campagne, les tourbillons de bruit dans lesvilles.

Il y a un démon qui met des ailes à certainesnouvelles et qui les lâche comme des aigles dans l’espace.

Lorsque celle que nous venons de dire arrivaau Louvre, ce fut une conflagration générale. Le roi en devint pâlede colère, et les courtisans, outrant, comme d’habitude, la passiondu maître, se firent livides.

On jura. Il serait difficile de dire tout ceque l’on jura, mais on jura entre autres choses :

Que, si c’était un vieillard, cet ambassadeurserait bafoué, berné, embastillé ;

Que, si c’était un jeune homme, il seraitpourfendu, troué à jour, déchiqueté en petits morceaux, lesquelsseraient envoyés à toutes les provinces de France comme unéchantillon de la royale colère.

Et les mignons, selon leur habitude, defourbir leurs rapières, de prendre des leçons d’escrime, et dejouer de la dague contre les murailles.

Chicot laissa son épée au fourreau, laissa sadague dans sa gaîne, et se mit à réfléchir profondément.

Le roi, voyant Chicot réfléchir, se souvintque Chicot avait, un jour, dans un point difficile, qui s’étaitéclairci depuis, été de l’avis de la reine mère, laquelle avait euraison.

Il comprit donc que, dans Chicot, était lasagesse du royaume, et il interrogea Chicot.

– Sire, répliqua celui-ci après avoirmûrement réfléchi, ou monseigneur le duc d’Anjou vous envoie unambassadeur, ou il ne vous en envoie pas.

– Pardieu, dit le roi, c’était bien lapeine de te creuser la joue avec le poing pour trouver ce beaudilemme.

– Patience, patience, comme dit, dans lalangue de maître Machiavelli, votre auguste mère, que Dieuconserve ; patience !

– Tu vois que j’en ai, dit le roi,puisque je t’écoute.

– S’il vous envoie un ambassadeur, c’estqu’il croit pouvoir le faire ; s’il croit pouvoir le faire,lui qui est la prudence en personne, c’est qu’il se sentfort ; s’il se sent fort, il faut le ménager. Respectons lespuissances ; trompons-les, mais ne jouons pas avecelles ; recevons leur ambassadeur, et témoignons-lui toutessortes de plaisir de le voir. Cela n’engage à rien. Vousrappelez-vous comment votre frère a embrassé ce bon amiral Colignyqui venait en ambassadeur de la part des huguenots, qui, eux aussi,se croyaient une puissance ?

– Alors tu approuves la politique de monfrère Charles IX ?

– Non pas, entendons-nous, je cite unfait, et j’ajoute : si plus tard nous trouvons moyen, non pasde nuire à un pauvre diable de héraut d’armes, d’envoyé, de commisou d’ambassadeur, si plus tard nous trouvons moyen de saisir aucollet le maître, le moteur, le chef, le très grand et très honoréprince, monseigneur le duc d’Anjou, vrai, seul et unique coupable,avec les trois Guise, bien entendu, et de les claquemurer dans unfort plus sûr que le Louvre, oh ! sire, faisons-le.

– J’aime assez ce prélude, dit HenriIII.

– Peste, tu n’es pas dégoûté, mon fils,dit Chicot. Je continue donc.

– Va !

– Mais, s’il n’envoie pas d’ambassadeur,pourquoi laisser beugler tous tes amis ?

– Beugler !

– Tu comprends ; je dirais rugirs’il y avait moyen de les prendre pour des lions. Je dis beugler…parce que… Tiens, Henri, cela fait, en vérité, mal au cœur de voirdes gaillards plus barbus que les singes de ta ménagerie jouer,comme des petits garçons, au fantôme, et essayer de faire peur àdes hommes en criant : « Hou ! hou !…. »Sans compter que, si le duc d’Anjou n’envoie personne, ilss’imagineront que c’est à cause d’eux, et ils se croiront despersonnages.

– Chicot, tu oublies que les gens dont tuparles sont mes amis, mes seuls amis.

– Veux-tu que je te gagne mille écus, ômon roi, dit Chicot.

– Parle.

– Gage avec moi que ces gens-là resterontfidèles à toute épreuve, et moi je gagerai en avoir trois surquatre, bien à moi, corps et âme, d’ici à demain soir.

L’aplomb avec lequel parlait Chicot fit à sontour réfléchir Henri. Il ne répondit point.

– Ah ! dit Chicot, voilà que turêves aussi ; voilà que tu enfonces ton joli poing dans tacharmante mâchoire. Tu es plus fort que je ne croyais, mon fils,car voilà que tu flaires la vérité.

– Alors que me conseilles-tu ?

– Je te conseille d’attendre, mon roi. Lamoitié de la sagesse du roi Salomon est dans ce mot-là. S’ilt’arrive un ambassadeur, fais bonne mine ; s’il ne vientpersonne, fais ce que tu voudras ; mais saches– en gré aumoins à ton frère, qu’il ne faut pas, crois-moi, sacrifier à tesdrôles. Cordieu ! c’est un grand gueux, je le sais bien, maisil est Valois. Tue-le, si cela te convient ; mais, pourl’honneur du nom, ne le dégrade pas : c’est un soin dont ils’occupe assez avantageusement lui-même.

– C’est vrai, Chicot.

– Encore une nouvelle leçon que tu medois ; heureusement que nous ne comptons plus. Maintenantlaisse-moi dormir, Henri ; il y a huit jours que je me suis vudans la nécessité de soûler un moine, et, quand je fais de cestours de force-là, j’en ai pour une semaine à être gris.

– Un moine ! Est-ce ce bonGénovéfain dont tu m’as parlé ?

– Justement. Tu lui as promis uneabbaye.

– Moi ?

– Pardieu ! c’est bien le moins quetu fasses cela pour lui après ce qu’il a fait pour toi.

– Il m’est donc toujoursdévoué ?

– Il t’adore. À propos, mon fils….

– Quoi ?

– C’est dans trois semaines laFête-Dieu.

– Après ?

– J’espère bien que tu nous mitonnesquelque jolie petite procession.

– Je suis le roi très chrétien, et c’estde mon devoir de donner à mon peuple l’exemple de la religion.

– Et tu feras, comme d’habitude, lesstations dans les quatre grands couvents de Paris ?….

– Comme d’habitude.

– L’abbaye Sainte-Geneviève en est,n’est-ce pas ?….

– Sans doute ; c’est le second où jecompte me rendre.

– Bon.

– Pourquoi me demandes-tu cela ?

– Pour rien. Je suis curieux, moi.Maintenant je sais ce que je voulais savoir. Bonsoir, Henri.

En ce moment, et comme Chicot prenait toutesses aises pour faire un somme, on entendit une grande rumeur dansle Louvre.

– Quel est ce bruit ? dit leroi.

– Allons, dit Chicot, il est écrit que jene dormirai pas, Henri.

– Eh bien ?

– Mon fils, loue-moi une chambre enville, ou je quitte ton service. Ma parole d’honneur, le Louvredevient inhabitable.

En ce moment le capitaine des gardes entra. Ilavait l’air fort effaré.

– Qu’y a-t-il ? demanda le roi.

– Sire, répondit le capitaine, c’estl’envoyé de M. le duc d’Anjou qui descend au Louvre.

– Avec une suite ? demanda leroi.

– Non, tout seul.

– Alors il faut doublement bien lerecevoir, Henri, car c’est un brave.

– Allons, dit Henri en essayant deprendre un air calme que démentait sa froide pâleur, allons, qu’onréunisse toute ma cour dans la grande salle et que l’on m’habillede noir ; il faut être lugubrement vêtu quand on a le malheurde traiter par ambassadeur avec un frère !

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