La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 35Le matin du combat.

Un beau jour se levait sur Paris ; aucunbourgeois ne savait la nouvelle ; mais les gentilshommesroyalistes et ceux du parti de Guise, ces derniers encore dans lastupeur, s’attendaient à l’événement, et prenaient des mesures deprudence pour complimenter à temps le vainqueur.

Ainsi qu’on l’a vu dans le chapitre précédent,le roi ne dormit point de toute la nuit : il pria etpleura ; et, comme, après tout, c’était un homme brave etexpérimenté, surtout en matière de duel, il sortit vers troisheures du matin avec Chicot, pour aller rendre à ses amis le seuloffice qu’il fût en son pouvoir de leur rendre.

Il alla visiter le terrain où devait avoirlieu le combat.

Ce fut une scène bien remarquable, et,disons-le sans raillerie, bien peu remarquée.

Le roi, vêtu d’habits de couleur sombre,enveloppé d’un large manteau, l’épée au côté, les cheveux et lesyeux cachés sous les bords de son chapeau, suivit la rueSaint-Antoine jusqu’à trois cents pas en avant de laBastille ; mais, arrivés là, voyant un grand rassemblement demonde un peu au-dessus de la rue Saint-Paul, il ne voulut point sehasarder dans cette foule, prit la rue Sainte-Catherine, et gagnapar derrière l’enclos des Tournelles.

Cette foule, on devine ce qu’elle faisaitlà : elle comptait les morts de la nuit.

Le roi l’évita, et, en conséquence, ne sutrien de ce qui s’était passé.

Chicot, qui avait assisté à la querelle ouplutôt à l’accord qui avait eu lieu huit jours auparavant,expliquait au roi, sur l’emplacement même où l’affaire allait sepasser, la place que devaient occuper les combattants, et lesconditions du combat.

À peine renseigné, Henri se mit à mesurerl’espace, regarda entre les arbres, calcula la réflexion du soleil,et dit :

– Quélus se trouvera bien exposé :il aura le soleil à droite, juste dans l’œil qui luireste,[3] tandis que Maugiron aura toute l’ombre.Quélus aurait dû prendre la place de Maugiron, et Maugiron, qui ades yeux excellents, celle de Quélus. Voilà qui est bien mal régléjusqu’à présent. Quant à Schomberg, qui a le jarret faible, il a unarbre pour lui servir de retraite en cas de besoin ; voilà quime rassure pour lui. Mais Quélus, mon pauvre Quélus !

Et il secoua tristement la tête.

– Tu me fais peine, mon roi, dit Chicot.Voyons, ne te tourmente pas ainsi, que diable ! ils auront cequ’ils auront.

Le roi leva les yeux au ciel et soupira.

– Voyez, mon Dieu ! comme ilblasphème, murmura-t-il ; mais heureusement vous savez quec’est un fou.

Chicot leva les épaules.

– Et d’Épernon, reprit le roi ; jesuis, par ma foi, injuste, je ne pensais pas à lui ;d’Épernon, qui aura affaire à Bussy, comme il va êtreexposé !… Regarde la disposition du terrain, mon braveChicot : à gauche, une barrière ; à droite, unarbre ; derrière, un fossé ; d’Épernon, qui aura besoinde rompre à tout moment, car Bussy, c’est un tigre, un lion, unserpent ; Bussy, c’est une épée vivante, qui bondit, qui sedéveloppe, qui se replie.

– Bah ! dit Chicot, je ne suis pasinquiet de d’Épernon, moi.

– Tu as tort, il se fera tuer.

– Lui ! pas si bête ; il aurapris ses précautions, va !

– Comment l’entends-tu ?

– J’entends qu’il ne se battra pas,mordieu !

– Allons donc ! ne l’as-tu pasentendu tout à l’heure ?

– Justement.

– Eh bien ?

– Eh bien, c’est pour cela que je terépète qu’il ne se battra point.

– Homme incrédule et méprisant !

– Je connais mon Gascon, Henri ;mais, si tu m’en crois, retirons-nous, cher sire ; voilà legrand jour venu, retournons au Louvre.

– Peux-tu, croire que je resterai auLouvre pendant le combat ?

– Ventre de biche ! tu yresteras ; car, si l’on te voyait ici, chacun dirait, au casoù tes amis seraient vainqueurs, que tu as forcé la victoire parquelque sortilège, et, au cas où ils seraient vaincus, que tu leuras porté malheur.

– Eh ! que me font les bruits et lesinterprétations ? Je les aimerai jusqu’au bout.

– Je veux bien que tu sois esprit fort,Henri, je te fais même mon compliment d’aimer tes amis ; c’estune vertu rare chez les princes ; mais je ne veux pas que tulaisses M. d’Anjou seul au Louvre.

– Crillon n’est-il pas là ?

– Eh ! Crillon n’est qu’un buffle,un rhinocéros, un sanglier, tout ce que tu voudras de brave etd’indomptable, tandis que ton frère, c’est la vipère, c’est leserpent à sonnettes, c’est tout animal dont la puissance est moinsdans sa force que dans son venin.

– Tu as raison, j’aurais dû le fairejeter à la Bastille.

– Je t’avais bien dit que tu avais tortde le voir.

– Oui, j’ai été vaincu par son assurance,par son aplomb, par ce service qu’il prétend m’avoir rendu.

– Raison de plus pour que tu t’en défies.Rentrons, mon fils, crois-moi.

Henri suivit le conseil de Chicot et repritavec lui le chemin du Louvre, après avoir jeté un dernier regardsur le futur champ du combat.

Déjà tout le monde était sur pied dans leLouvre, lorsque le roi et Chicot y entrèrent. Les jeunes gens s’yétaient éveillés des premiers et se faisaient habiller par leurslaquais.

Le roi demanda à quelle chose ilss’occupaient.

Schomberg faisait des pliés, Quélus sebassinait les yeux avec de l’eau de vigne, Maugiron buvait un verrede vin d’Espagne, d’Épernon aiguisait son épée sur une pierre.

On pouvait le voir d’ailleurs, car il s’était,pour cette opération, fait apporter un grès à la porte de lachambre commune.

– Et tu dis que cet homme n’est pas unBayard ? fit Henri en le regardant avec amour.

– Non, je dis que c’est un rémouleur,voilà tout, reprit Chicot.

D’Épernon le vit et cria :

– Le roi !

Alors, malgré la résolution qu’il avait prise,et que même, sans cette circonstance, il n’eût pas eu la force demaintenir, Henri entra dans leur chambre.

Nous l’avons déjà dit, c’était un roi plein demajesté et qui avait une grande puissance sur lui-même.

Son visage, tranquille et presque souriant, netrahissait donc aucun sentiment de son cœur.

– Bonjour, messieurs, dit-il ; jevous trouve en excellentes dispositions, ce me semble.

– Dieu merci ! oui, sire, répliquaQuélus.

– Vous avez l’air sombre, Maugiron.

– Sire, je suis très superstitieux, commele sait Votre Majesté ; et, comme j’ai fait de mauvais rêves,je me remets le cœur avec un doigt de vin d’Espagne.

– Mon ami, dit le roi, il faut serappeler, et je parle d’après Miron, qui est un grand docteur, ilfaut se rappeler, dis-je, que les rêves dépendent des impressionsde la veille, mais n’influent jamais sur les actions du lendemain,sauf toutefois la volonté de Dieu.

– Aussi, sire, dit d’Épernon, mevoyez-vous aguerri. J’ai aussi fort mal songé cette nuit ;mais, malgré le songe, le bras est bon et le coup d’œilperçant.

Et il se fendit contre le mur, auquel il fitune entaille avec son épée fraîche émoulue.

– Oui, dit Chicot, vous avez rêvé quevous aviez du sang à vos bottes ; ce rêve-là n’est pasmauvais : il signifie que l’on sera un jour un triomphateurdans le genre d’Alexandre et de César.

– Mes braves, dit Henri, vous savez quel’honneur de votre prince est en question, puisque c’est sa cause,en quelque sorte, que vous défendez ; mais l’honneurseulement, entendez-vous bien ? Ne vous préoccupez donc pas dela sécurité de ma personne. Cette nuit, j’ai assis mon trône demanière que, d’ici à quelque temps du moins, aucune secousse ne lepuisse ébranler. Battez-vous donc pour l’honneur.

– Sire, soyez tranquille ; nousperdrons peut-être la vie, dit Quélus ; mais, en tout cas,l’honneur sera sauf.

– Messieurs, continua le roi, je vousaime tendrement, et je vous estime aussi. Laissez-moi donc vousdonner un conseil : pas de fausse bravoure ; ce n’est pasen mourant que vous me donnerez raison, mais en tuant vosennemis.

– Oh ! quant à moi, dit d’Épernon,je ne fais pas de quartier.

– Moi, dit Quélus, je ne réponds derien ; je ferai ce que je pourrai, voilà tout.

– Et moi, dit Maugiron, je réponds à SaMajesté que, si je meurs, je tuerai mon homme coup pour coup.

– Vous vous battez à l’épéeseule ?

– À l’épée et à la dague, ditSchomberg.

Le roi tenait sa main sur sa poitrine.

Peut-être cette main et ce cœur, qui setouchaient, se parlaient-ils l’un à l’autre de leurs craintes parleurs frémissements et leurs pulsations ; mais, à l’extérieur,fier, l’œil sec, la lèvre hautaine, il était bien le roi,c’est-à-dire qu’il envoyait bien des soldats au combat, et non desamis à la mort.

– En vérité, mon roi, lui dit Chicot, tues vraiment beau eu ce moment.

Les gentilshommes étaient prêts, il ne leurrestait plus qu’à faire la révérence à leur maître.

– Allez-vous à cheval ? ditHenri.

– Non pas, sire, dit Quélus, nousmarcherons ; c’est un salutaire exercice, il dégage la tête,et Votre Majesté l’a dit mille fois, c’est la tête plus que le brasqui dirige l’épée.

– Vous avez raison, mon fils. Votremain.

Quélus s’inclina et baisa la main duroi : les autres l’imitèrent.

D’Épernon s’agenouilla en disant :

– Sire, bénissez mon épée.

– Non pas, d’Épernon, fit le roi ;rendez votre épée à votre page. Je vous réserve des épéesmeilleures que les vôtres. Apporte les épées, Chicot.

– Non pas, dit le Gascon ; donnecette commission au capitaine des gardes, mon fils ; je nesuis qu’un fou, moi, qu’un païen même ; et les bénédictions duciel pourraient se changer en sortilèges funestes, si le diable,mon ami, s’avisait de regarder à mes mains et s’apercevait de ceque je porte.

– Quelles sont donc ces épées,sire ? demanda Schomberg en jetant un coup d’œil sur la caissequ’un officier venait d’apporter.

– Des épées d’Italie, mon fils, des épéesforgées à Milan : les coquilles en sont bonnes, vous levoyez ; et comme, à l’exception de Schomberg, vous avez tousles mains délicates, le premier coup de fouet vous désarmerait, sivos mains n’étaient bien emboîtées.

– Merci, merci, Majesté, dirent ensembleet d’une seule voix les quatre jeunes gens.

– Allez, il est temps, dit le roi, qui nepouvait dominer plus longtemps son émotion.

– Sire, demanda Quélus, n’aurons-nouspoint, pour nous encourager, les regards de VotreMajesté ?

– Non, cela ne serait pasconvenable ; vous vous battrez sans qu’on le sache, vous vousbattrez sans mon autorisation. Ne donnons pas de solennité aucombat ; qu’on le croie surtout le résultat d’une querelleparticulière.

Et il les congédia d’un geste vraimentmajestueux.

Lorsqu’ils furent hors de sa présence, que lesderniers valets eurent franchi le seuil du Louvre, et qu’onn’entendit plus le bruit ni des éperons ni des cuirasses queportaient les écuyers armés en guerre :

– Ah ! je me meurs ! dit le roien tombant sur une estrade.

– Et moi, dit Chicot, je veux voir ceduel ; j’ai l’idée, je ne sais pourquoi, mais je l’ai, qu’ils’y passera quelque chose de curieux à l’endroit de d’Épernon.

– Tu me quittes, Chicot ? dit le roid’une voix lamentable.

– Oui, dit Chicot, car, si quelqu’und’entre eux faisait mal son devoir, je serais là pour le remplaceret soutenir l’honneur de mon roi.

– Va donc, dit Henri.

À peine le Gascon eut-il congé, qu’il partit,rapide comme l’éclair.

Le roi alors rentra dans sa chambre, en fitfermer les volets, défendit à qui que ce fût, dans le Louvre, depousser un cri ou de proférer une parole, et dit seulement àCrillon, qui savait tout ce qui allait se passer :

– Si nous sommes vainqueurs, Crillon, tume le diras ; si, au contraire, nous sommes vaincus, tufrapperas trois coups à ma porte.

– Oui, sire, répondit Crillon en secouantla tête.

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