La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 8Les petites causes et les grands effets.

Catherine avait eu, dans cette première partiede l’entretien, un désavantage visible. Ce genre d’échecs était sipeu prévu, et surtout si inaccoutumé, qu’elle se demandait si sonfils était aussi décidé dans ses refus qu’il le paraissait, quandun tout petit événement changea tout à coup la face des choses.

On a vu des batailles aux trois quarts perduesêtre gagnées par un changement de vent, et viceversa ; Marengo et Waterloo en sont un double exemple. Ungrain de sable change l’allure des plus puissantes machines.

Bussy était, comme nous l’avons vu, dans uncouloir secret, aboutissant à l’alcôve de M. le duc d’Anjou,placé de façon à n’être vu que du prince ; de sa cachette, ilpassait la tête par une fente de la tapisserie aux moments qu’ilcroyait les plus dangereux pour sa cause.

Sa cause, comme on le comprend, était laguerre à tout prix : il fallait se maintenir en Anjou tant queMonsoreau y serait, surveiller ainsi le mari et visiter lafemme.

Cette politique, extrêmement simple,compliquait cependant au plus haut degré toute la politique deFrance ; aux grands effets les petites causes.

Voilà pourquoi, avec force clins d’yeux, avecdes mines furibondes, avec des gestes de tranche-montagne, avec desjeux de sourcils effrayants enfin, Bussy poussait son maître à laférocité. Le duc, qui avait peur de Bussy, se laissait pousser, eton l’a vu effectivement on ne peut plus féroce.

Catherine était donc battue sur tous lespoints et ne songeait plus qu’à faire, une retraite honorable,lorsqu’un petit événement, presque aussi inattendu que l’entêtementde M. le duc d’Anjou, vint à sa rescousse.

Tout à coup, au plus vif de la conversation dela mère et du fils, au plus fort de la résistance de M. le ducd’Anjou, Bussy se sentit tirer par le bas de son manteau. Curieuxde ne rien perdre de la conversation, il porta, sans se retourner,la main à l’endroit sollicité, et trouva un poignet ; enremontant le long de ce poignet, il trouva un bras, et après lebras une épaule, et après l’épaule un homme.

Voyant alors que la chose en valait la peine,il se retourna.

L’homme était Remy.

Bussy voulait parler, mais Remy posa un doigtsur sa bouche, puis il attira doucement son maître dans la chambrevoisine.

– Qu’y a-t-il donc, Remy ? demandale comte très impatient, et pourquoi me dérange-t-on dans un pareilmoment ?

– Une lettre, dit tout bas Remy.

– Que le diable t’emporte ! pour unelettre, tu me tires d’une conversation aussi importante que celleque je faisais avec monseigneur le duc d’Anjou !

Remy ne parut aucunement désarçonné par cetteboutade.

– Il y a lettre et lettre, dit-il.

– Sans doute, pensa Bussy ; d’oùvient cela ?

– De Méridor.

– Oh ! fit vivement Bussy, deMéridor ! Merci, mon bon Remy, merci !

– Je n’ai donc plus tort ?

– Est-ce que tu peux jamais avoirtort ? Où est cette lettre ?

– Ah ! voilà ce qui m’a fait jugerqu’elle était de la plus haute importance, c’est que le messager neveut la remettre qu’à vous seul.

– Il a raison. Est-il là ?

– Oui.

– Amène-le.

Remy ouvrit une porte et fit signe à uneespèce de palefrenier de venir à lui.

– Voici M. de Bussy, dit-il enmontrant le comte.

– Donne ; je suis celui que tudemandes, dit Bussy.

Et il lui mit une demi-pistole dans lamain.

– Oh ! je vous connais bien, dit lepalefrenier en lui tendant la lettre.

– Et c’est elle qui te l’aremise !

– Non, pas elle, lui.

– Qui, lui ? demanda vivement Bussyen regardant l’écriture.

– M. de Saint-Luc !

– Ah ! ah !

Bussy avait pâli légèrement ; car, à cemot : lui, il avait cru qu’il était question du mariet non de la femme, et M. de Monsoreau avait le privilègede faire pâlir Bussy chaque fois que Bussy pensait à lui.

Bussy se retourna pour lire, et, pour cacheren lisant cette émotion que tout individu doit craindre demanifester quand il reçoit une lettre importante, et qu’il n’estpas César Borgia, Machiavel, Catherine de Médicis ou le diable.

Il avait eu raison de se retourner, le pauvreBussy, car à peine eût-il parcouru la lettre que nous connaissons,que le sang lui monta au cerveau et battit ses yeux en furie :de sorte que, de pâle qu’il était, il devint pourpre, resta uninstant étourdi, et, sentant qu’il allait tomber, fut forcé de selaisser aller sur un fauteuil près de la fenêtre.

– Va-t’en, dit Remy au palefrenierabasourdi de l’effet qu’avait produit la lettre qu’ilapportait.

Et il le poussa par les épaules.

Le palefrenier s’enfuit vivement ; ilcroyait la nouvelle mauvaise, et il avait peur qu’on ne lui reprîtsa demi-pistole.

Remy revint au comte, et le secouant par lebras :

– Mordieu ! s’écria-t-il,répondez-moi à l’instant même ; ou, par saint Esculape, jevous saigne des quatre membres.

Bussy se releva ; il n’était plus rouge,il n’était plus étourdi, il était sombre.

– Vois, dit-il, ce que Saint-Luc a faitpour moi.

Et il tendit la lettre à Remy. Remy lutavidement.

– Eh bien, dit-il, il me semble que toutceci est fort beau, et M. de Saint-Luc est un galanthomme. Vivent les gens d’esprit pour expédier une âme enpurgatoire ; ils ne s’y reprennent pas à deux fois.

– C’est incroyable ! balbutiaBussy.

– Certainement, c’est incroyable ;mais cela n’y fait rien. Voici notre position changée du tout autout. J’aurai, dans neuf mois, une comtesse de Bussy pour cliente.Mordieu ! ne craignez rien, j’accouche comme AmbroiseParé.

– Oui, dit Bussy, elle sera ma femme.

– Il me semble, répondit Remy, qu’il n’yaura pas grand’chose à faire pour cela, et qu’elle l’était déjàplus qu’elle n’était celle de son mari.

– Monsoreau mort !

– Mort ! répéta le Baudoin, c’estécrit.

– Oh ! il me semble que je fais unrêve, Remy. Quoi ! je ne verrai plus cette espèce de spectre,toujours prêt à se dresser entre moi et le bonheur ? Remy,nous nous trompons,

– Nous ne nous trompons pas le moins dumonde. Relisez, mordieu ! tombé sur des coquelicots, voyez, etcela si rudement, qu’il en est mort ! J’avais déjà remarquéqu’il était très dangereux de tomber sur des coquelicots ;mais j’avais cru que le danger n’existait que pour les femmes.

– Mais alors, dit Bussy, sans écoutertoutes les facéties de Remy, et suivant seulement les détours de sapensée, qui se tordait en tous sens dans son esprit ; maisDiane ne va pas pouvoir rester à Méridor. Je ne le veux pas… Ilfaut qu’elle aille autre part, quelque part où elle puisseoublier.

– Je crois que Paris serait assez bonpour cela, dit le Haudoin ; on oublie assez bien à Paris.

– Tu as raison, elle reprendra sa petitemaison de la rue des Tournelles, et les dix mois de veuvage, nousles passerons obscurément, si toutefois le bonheur peut resterobscur, et le mariage pour nous ne sera que le lendemain desfélicités de la veille.

– C’est vrai, dit Remy ; mais pouraller à Paris….

– Eh bien !

– Il nous faut quelque chose.

– Quoi ?

– Il nous faut la paix en Anjou.

– C’est vrai, dit Bussy ; c’estvrai. Oh ! mon Dieu ! que de temps perdu et perduinutilement !

– Cela veut dire que vous allez monter àcheval et courir à Méridor.

– Non pas moi, non pas moi, du moins,mais toi ; moi, je suis invinciblement retenu ici ;d’ailleurs, en un pareil moment, ma présence serait presqueinconvenante.

– Comment la verrai-je ? meprésenterai-je au château ?

– Non ; va d’abord au vieux taillis,peut-être se promènera-t-elle là en attendant que je vienne ;puis, si tu ne l’aperçois pas, va au château.

– Que lui dirai-je ?

– Que je suis à moitié fou.

Et, serrant la main du jeune homme sur lequell’expérience lui avait appris à compter comme sur un autrelui-même, il courut reprendre sa place dans le corridor à l’entréede l’alcôve derrière la tapisserie.

Catherine, en l’absence de Bussy, essayait deregagner le terrain que sa présence lui avait fait perdre.

– Mon fils, avait-elle dit, il mesemblait cependant que jamais une mère ne pouvait manquer des’entendre avec son enfant.

– Vous voyez pourtant, ma mère, réponditle duc d’Anjou, que cela arrive quelquefois.

– Jamais quand elle le veut.

– Madame, vous voulez dire quand ils leveulent, reprit le duc qui, satisfait de cette fière parole,chercha Bussy pour en être récompensé par un coup d’œilapprobateur.

– Mais je le veux ! s’écriaCatherine ; entendez-vous bien, François ? je leveux.

Et l’expression de la voix contrastait avecles paroles, car les paroles étaient impératives et la voix étaitpresque suppliante.

– Vous le voulez ? reprit le ducd’Anjou en souriant.

– Oui, dit Catherine, je le veux, et tousles sacrifices me seront aisés pour arriver à ce but.

– Ah ! ah ! fit François.Diable !

– Oui, oui, cher enfant ; dites,qu’exigez-vous, que voulez-vous ? parlez !commandez !

– Oh ! ma mère ! dit Françoispresque embarrassé d’une si complète victoire, qui ne lui laissaitpas la faculté d’être un vainqueur rigoureux.

– Écoutez, mon fils, dit Catherine de savoix la plus caressante ; vous ne cherchez pas à noyer unroyaume dans le sang, n’est-ce pas ? Ce n’est pas possible.Vous n’êtes ni un mauvais Français ni un mauvais frère.

– Mon frère m’a insulté, madame, et je nelui dois plus rien ; non, rien comme à mon frère, rien comme àmon roi.

– Mais moi, François, moi ! vousn’avez pas à vous en plaindre, de moi ?

– Si fait, madame, car vous m’avezabandonné, vous ! reprit le duc en pensant que Bussy étaittoujours là et pouvait l’entendre comme par le passé.

– Ah ! vous voulez ma mort ?dit Catherine d’une voix sombre. Eh bien ! soit, je mourraicomme doit mourir une femme qui voit s’entre-égorger sesenfants.

Il va sans dire que Catherine n’avait pas lemoins du monde envie de mourir.

– Oh ! ne dites point cela, madame,vous me navrez le cœur ! s’écria François qui n’avait pas lecœur navré du tout.

Catherine fondit en larmes.

Le duc lui prit les mains et essaya de larassurer, jetant toujours des regards inquiets du côté del’alcôve.

– Mais que voulez-vous ? dit-elle,articulez vos prétentions au moins, que nous sachions à quoi nousen tenir.

– Que voulez-vous vous-même ?voyons, ma mère, dit François ; parlez, je vous écoute.

– Je désire que vous reveniez à Paris,cher enfant, je désire que vous rentriez à la cour du roi votrefrère, qui vous tend les bras.

– Et, mordieu ! madame, j’y voisclair ; ce n’est pas lui qui me tend les bras, c’est lepont-levis de la Bastille.

– Non, revenez, revenez, et, sur monhonneur, sur mon amour de mère, sur le sang de notre SeigneurJésus-Christ (Catherine se signa), vous serez reçu par le roi,comme si c’était vous qui fussiez le roi, et lui le ducd’Anjou.

Le duc regardait obstinément du côté del’alcôve.

– Acceptez, continua Catherine, acceptez,mon fils ; voulez-vous d’autres apanages, dites, voulez-vousdes gardes ?

– Eh ! madame, votre fils m’en adonné, et des gardes d’honneur même, puisqu’il avait choisi sesquatre mignons.

– Voyons, ne me répondez pas ainsi :les gardes qu’il vous donnera, vous les choisirez vous-même ;vous aurez un capitaine, s’il le faut, et, s’il le faut encore, cecapitaine sera M. de Bussy.

Le duc, ébranlé par cette dernière offre, àlaquelle il devait penser que Bussy serait sensible, jeta un regardvers l’alcôve, tremblant de rencontrer un œil flamboyant et desdents blanches, grinçant dans l’ombre. Mais, ô surprise ! ilvit, au contraire, Bussy riant, joyeux, et applaudissant par denombreuses approbations de tête.

– Qu’est-ce que cela signifie ? sedemandât-il ; Bussy ne voulait-il donc la guerre que pourdevenir capitaine de mes gardes ?– Alors, dit-il tout haut, ets’interrogeant lui-même, je dois donc accepter ?

– Oui ! oui ! oui ! fitBussy, des mains, des épaules et de la tête.

– Il faudrait donc, continua le duc,quitter l’Anjou pour revenir à Paris ?

– Oui ! oui ! oui !continua Bussy avec une fureur approbative, qui allait toujours encroissant.

– Sans doute, cher enfant, ditCatherine ; mais est-ce donc si difficile de revenir àParis ?

– Ma foi, se dit le duc, je n’y comprendsplus rien. Nous étions convenus que je refuserais tout, et voicique maintenant il me conseille la paix et les embrassades.

– Eh bien ! demanda Catherine avecanxiété, que répondez-vous ?

– Ma mère, je réfléchirai, dit le duc,qui voulait s’entendre avec Bussy de cette contradiction, etdemain….

– Il se rend, pensa Catherine. Allons,j’ai gagné la bataille.

– Au fait, se dit le duc, Bussy apeut-être raison.

Et tous deux se séparèrent après s’êtreembrassés.

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