La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 21Les guetteurs.

Aurilly et le duc d’Anjou se tinrentmutuellement parole. Le duc retint près de lui Bussy tant qu’il putpendant le jour, afin de ne perdre aucune de ses démarches.

Bussy ne demandait pas mieux que de faire,pendant le jour, sa cour au prince ; de cette façon, il avaitla soirée libre. C’était sa méthode, et il la pratiquait même sansarrière-pensée.

À dix heures du soir, il s’enveloppa de sonmanteau, et, son échelle sous le bras, il s’achemina vers laBastille.

Le duc, qui ignorait que Bussy avait uneéchelle dans son antichambre, qui ne pouvait croire que l’onmarchât seul ainsi dans les rues de Paris, le duc qui pensait queBussy passerait par son hôtel pour prendre un cheval et unserviteur, perdit dix minutes en apprêts. Pendant ces dix minutes,Bussy, leste et amoureux, avait déjà fait les trois quarts duchemin.

Bussy fut heureux comme le sont d’ordinaireles gens hardis : il ne fit aucune rencontre par les chemins,et, en approchant, il vit de la lumière aux vitres.

C’était le signal convenu entre lui etDiane.

Il jeta son échelle au balcon. Cette échelle,munie de six crampons placés en sens inverses, accrochait toujoursquelque chose.

Au bruit, Diane éteignit sa lampe et ouvrit lafenêtre pour assurer l’échelle.

La chose fut faite en un instant.

Diane jeta les yeux sur la place ; ellefouilla du regard tous les coins et recoins : la place luiparut déserte.

Alors elle fit signe à Bussy qu’il pouvaitmonter.

Bussy, sur ce signe, escalada les échelonsdeux à deux. Il y en avait dix : ce fut l’affaire de cinqenjambées, c’est-à-dire de cinq secondes.

Ce moment avait été heureusement choisi :car, tandis que Bussy montait par la fenêtre,M. de Monsoreau, après avoir écouté patiemment pendantplus de dix minutes à la porte de sa femme, descendait péniblementl’escalier, appuyé sur le bras d’un valet de confiance, lequelremplaçait Remy avec avantage, toutes les fois qu’il ne s’agissaitni d’appareils ni de topiques.

Cette double manœuvre, qu’on eût dite combinéepar un habile stratégiste, s’exécuta de cette façon, que Monsoreauouvrait la porte de la rue juste au moment où Bussy retirait sonéchelle et où Diane fermait sa fenêtre.

Monsoreau se trouva dans la rue ; mais,nous l’avons dit, la rue était déserte, et le comte ne vitrien.

– Aurais-tu été mal renseigné ?demanda Monsoreau à son domestique.

– Non, monseigneur, répondit celui-ci. Jequitte l’hôtel d’Anjou, et le maître palefrenier, qui est de mesamis, m’a dit positivement que monseigneur avait commandé deuxchevaux pour ce soir. Maintenant, monseigneur, peut-être était-cepour aller tout autre part qu’ici.

– Où veux-tu qu’il aille ? ditMonsoreau d’un air sombre.

Le comte était comme tous les jaloux, qui necroient pas que le reste de l’humanité puisse être préoccupéed’autre chose que de les tourmenter.

Il regarda autour de lui une seconde fois.

– Peut-être eussé-je mieux fait de resterdans la chambre de Diane, murmura-t-il. Mais peut-être ont-ils dessignaux pour correspondre ; elle l’eût prévenu de ma présence,et je n’eusse rien su. Mieux vaut encore guetter du dehors, commenous en sommes convenus. Voyons, conduis-moi à cette cachette, delaquelle tu prétends que l’on peut tout voir.

– Venez, monseigneur, dit le valet.

Monsoreau s’avança, moitié s’appuyant au brasde son domestique, moitié se soutenant au mur.

En effet, à vingt ou vingt-cinq pas de laporte, du côté de la Bastille, se trouvait un énorme tas de pierreprovenant de maisons démolies et servant de fortifications auxenfants du quartier lorsqu’ils simulaient les combats, restespopulaires des Armagnacs et des Bourguignons.

Au milieu de ce tas de pierres, le valet avaitpratiqué une espèce de guérite qui pouvait facilement contenir etcacher deux personnes.

Il étendit un manteau sur ces pierres, etMonsoreau s’accroupit dessus.

Le valet se plaça aux pieds du comte.

Un mousqueton tout chargé était posé à toutévénement à côté d’eux.

Le valet voulut apprêter la mèche del’arme ; mais Monsoreau l’arrêta.

– Un instant, dit-il, il sera toujourstemps. C’est gibier royal que celui que nous éventons, et il y apeine de la hart pour quiconque porte la main sur lui.

Et ses yeux, ardents comme ceux d’un loupembusqué dans le voisinage d’une bergerie, se portaient desfenêtres de Diane dans les profondeurs du faubourg, et desprofondeurs du faubourg dans les rues adjacentes, car il désiraitsurprendre et craignait d’être surpris.

Diane avait prudemment fermé ses épais rideauxde tapisserie, en sorte qu’à leur bordure seulement filtrait unrayon lumineux, qui dénonçait la vie, dans cette maison absolumentnoire.

Monsoreau n’était pas embusqué depuis dixminutes, que deux chevaux parurent à l’embouchure de la rueSaint-Antoine.

Le valet ne parla point ; mais il étenditla main dans la direction des deux chevaux.

– Oui, dit Monsoreau, je vois.

Les deux cavaliers mirent pied à terre àl’angle de l’hôtel des Tournelles, et ils attachèrent leurs chevauxaux anneaux de fer disposés dans la muraille à cet effet.

– Monseigneur, dit Aurilly, je crois quenous arrivons trop tard ; il sera parti directement de votrehôtel ; il avait dix minutes d’avance sur vous, il estentré.

– Soit, dit le prince ; mais, sinous ne l’avons pas vu entrer, nous le verrons sortir.

– Oui, mais quand ? dit Aurilly.

– Quand nous voudrons, dit le prince.

– Serait-ce trop de curiosité que de vousdemander comment vous comptez vous y prendre,monseigneur ?

– Rien de plus facile. Nous n’avons qu’àheurter à la porte, l’un de nous, c’est-à-dire toi, par exemple,sous prétexte que tu viens demander des nouvelles deM. de Monsoreau. Tout amoureux s’effraye au bruit. Alors,toi entré dans la maison, lui sort par la fenêtre, et moi, quiserai resté dehors, je le verrai déguerpir.

– Et le Monsoreau ?

– Que diable veux-tu qu’il dise ?C’est mon ami, je suis inquiet, je fais demander de ses nouvelles,parce que je lui ai trouvé mauvaise mine dans la journée ;rien de plus simple.

– C’est on ne peut plus ingénieux,monseigneur, dit Aurilly.

– Entends-tu ce qu’ils disent ?demanda Monsoreau à son valet.

– Non, monseigneur ; mais, s’ilscontinuent de parler, nous ne pouvons manquer de les entendre,puisqu’ils viennent de ce côté.

– Monseigneur, dit Aurilly, voici un tasde pierres qui semble fait exprès pour cacher Votre Altesse.

– Oui ; mais attends, peut-être ya-t-il moyen de voir à travers les fentes des rideaux.

En effet, comme nous l’avons dit, Diane avaitrallumé ou rapproché la lampe, et une légère lueur filtrait dudedans au dehors.

Le duc et Aurilly tournèrent et retournèrentpendant plus de dix minutes, afin de chercher un point d’où leursregards pussent pénétrer dans l’intérieur de la chambre. Pendantces différentes évolutions, Monsoreau bouillait d’impatience etarrêtait souvent sa main sur le canon du mousquet, moins froid quecette main.

– Oh ! souffrirai-je cela ?murmura-t-il ; dévorerai-je encore cet affront ? Non,non : tant pis, ma patience est à bout. Mordieu ! nepouvoir ni dormir, ni veiller, ni même souffrir tranquille, parcequ’un caprice honteux s’est logé dans le cerveau oisif de cemisérable prince ! Non, je ne suis pas un valetcomplaisant ; je suis le comte de Monsoreau ; et qu’ilvienne de ce côté, je lui fais, sur mon honneur, sauter lacervelle. Allume la mèche, René, allume….

En ce moment, justement le prince, voyantqu’il était impossible à ses regards de pénétrer à traversl’obstacle, en était revenu à son projet, et s’apprêtait à secacher dans les décombres, tandis qu’Aurilly allait frapper à laporte, quand tout à coup, oubliant la distance qu’il y avait entrelui et le prince, Aurilly posa vivement sa main sur le bras du ducd’Anjou.

– Eh bien, monsieur, dit le princeétonné, qu’y a-t-il ?

– Venez, monseigneur, venez, ditAurilly.

– Mais pourquoi cela ?

– Ne voyez-vous rien briller àgauche ? Venez, monseigneur, venez.

– En effet, je vois comme une étincelleau milieu de ces pierres.

– C’est la mèche d’un mousquet ou d’unearquebuse, monseigneur.

– Ah ! ah ! fit le duc, et quidiable peut être embusqué là ?

– Quelque ami ou quelque serviteur deBussy. Éloignons-nous, faisons un détour, et revenons d’un autrecôté. Le serviteur donnera l’alarme, et nous verrons Bussydescendre par la fenêtre.

– En effet, tu as raison, dit leduc ; viens.

Tous deux traversèrent la rue pour regagner laplace où ils avaient attaché leurs chevaux.

– Ils s’en vont, dit le valet.

– Oui, dit Monsoreau. Les as-tureconnus ?

– Mais il me semble bien, à moi, quec’est le prince et Aurilly.

– Justement. Mais tout à l’heure j’enserai plus sûr encore.

– Que va faire monseigneur ?

– Viens.

Pendant ce temps, le duc et Aurilly tournaientpar la rue Sainte-Catherine, avec l’intention de longer les jardinset de revenir par le boulevard de la Bastille.

Monsoreau rentrait et ordonnait de préparer salitière.

Ce qu’avait prévu le duc arriva. Au bruit quefit Monsoreau, Bussy prit l’alarme : la lumière s’éteignit denouveau, la fenêtre se rouvrit, l’échelle de corde fut fixée, etBussy, à son grand regret, obligé de fuir comme Roméo, mais sansavoir, comme Roméo, vu se lever le premier rayon du jour et entenduchanter l’alouette.

Au moment où il mettait pied à terre et oùDiane lui renvoyait l’échelle, le duc et Aurilly débouchaient àl’angle de la Bastille. Ils virent, juste au-dessous de la fenêtrede la belle Diane, une ombre suspendue entre le ciel et laterre ; mais cette ombre disparut presque aussitôt au coin dela rue Saint-Paul.

– Monsieur, disait le valet, nous allonsréveiller toute la maison.

– Qu’importe ? répondait Monsoreaufurieux ; je suis le maître ici, ce me semble, et j’ai bien ledroit de faire chez moi ce que voulait y faire M. le ducd’Anjou.

La litière était prête. Monsoreau envoyachercher deux de ses gens qui logeaient rue des Tournelles, et,lorsque ces gens, qui avaient l’habitude de l’accompagner depuis sablessure, furent arrivés et eurent pris place aux deux portières,la machine partit au trot de deux robustes chevaux, et, en moinsd’un quart d’heure, fut à la porte de l’hôtel d’Anjou.

Le duc et Aurilly venaient de rentrer depuissi peu de temps, que leurs chevaux n’étaient pas encoredébridés.

Monsoreau, qui avait ses entrées libres chezle prince, parut sur le seuil juste au moment où celui-ci, aprèsavoir jeté son feutre sur un fauteuil, tendait ses bottes à unvalet de chambre.

Cependant un valet, qui l’avait précédé dequelques pas, annonça M. le grand veneur.

La foudre brisant les vitres de la chambre duprince n’eût pas plus étonné celui-ci que l’annonce qui venait dese faire entendre.

– Monsieur de Monsoreau !s’écria-t-il avec une inquiétude qui perçait à la fois et dans sapâleur et dans l’émotion de sa voix.

– Oui, monseigneur, moi-même, dit lecomte en comprimant ou plutôt en essayant de comprimer le sang quibouillait dans ses artères.

L’effort qu’il faisait sur lui-même fut siviolent, que M. de Monsoreau sentit ses jambes quimanquaient sous lui, et tomba sur un siège placé à l’entrée de lachambre.

– Mais, dit le duc, vous vous tuerez, moncher ami, et, dans ce moment même, vous êtes si pâle, que voussemblez près de vous évanouir.

– Oh ! que non, monseigneur, j’ai,pour le moment, des choses trop importantes à confier à VotreAltesse. Peut-être m’évanouirai-je après, c’est possible.

– Voyons, parlez, mon cher comte, ditFrançois tout bouleversé.

– Mais pas devant vos gens, je suppose,dit Monsoreau.

Le duc congédia tout le monde, mêmeAurilly.

Les deux hommes se trouvèrent seuls.

– Votre Altesse rentre ? ditMonsoreau.

– Comme vous voyez, comte.

– C’est bien imprudent à Votre Altessed’aller ainsi la nuit par les rues.

– Qui vous dit que j’ai été par lesrues ?

– Dame ! cette poussière qui couvrevos habits, monseigneur….

– Monsieur de Monsoreau, dit le princeavec un accent auquel il n’y avait pas à se méprendre, faites-vousdonc encore un autre métier que celui de grand veneur ?

– Le métier d’espion ? oui,monseigneur. Tout le monde s’en mêle aujourd’hui, un peu plus, unpeu moins ; et moi comme les autres.

– Et que vous rapporte ce métier,monsieur ?

– De savoir ce qui se passe.

– C’est curieux, fit le prince en serapprochant de son timbre pour être à portée d’appeler.

– Très curieux, dit Monsoreau.

– Alors, contez-moi ce que vous avez à medire.

– Je suis venu pour cela.

– Vous permettez que jem’assoie ?

– Pas d’ironie, monseigneur, envers unhumble et fidèle ami comme moi, qui ne vient à cette heure et dansl’état où il est que pour vous rendre un signalé service. Si je mesuis assis, monseigneur, c’est, sur mon honneur, que je ne puisrester debout.

– Un service ? reprit le duc, unservice ?

– Oui.

– Parlez donc.

– Monseigneur, je viens à Votre Altessede la part d’un puissant prince.

– Du roi ?

– Non, de monseigneur le duc deGuise.

– Ah ! dit le prince, de la part duduc de Guise ! c’est autre chose. Approchez-vous et parlezbas.

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