La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 26La Fête-Dieu.

Pendant ces huit jours, les événements sepréparèrent, comme une tempête se prépare au fond des cieux dansles jours calmes et lourds de l’été.

Monsoreau, remis sur pied après quarante-huitheures de fièvre, s’occupa de guetter lui-même son larrond’honneur ; mais, comme il ne découvrit personne, il demeuraplus convaincu que jamais de l’hypocrisie du duc d’Anjou et de sesmauvaises intentions au sujet de Diane.

Bussy ne discontinua pas ses visites de jour àla maison du grand veneur. Seulement il fut averti par Remy desfréquents espionnages du convalescent, et s’abstint de venir lanuit par la fenêtre !

Chicot faisait deux parts de sontemps :

L’une était consacrée à son maître bien-aiméHenri de Valois, qu’il quittait le moins possible, le surveillantcomme fait une mère de son enfant.

L’autre était pour son tendre ami Gorenflot,qu’il avait déterminé à grand’peine, depuis huit jours, à retournerà sa cellule, où il l’avait reconduit et où il avait reçu del’abbé, messire Joseph Foulon, le plus charmant accueil.

À cette première visite, on avait fort parléde la piété du roi ; et le prieur paraissait on ne peut plusreconnaissant à Sa Majesté de l’honneur qu’elle faisait à l’abbayeen la visitant. Cet honneur était même plus grand qu’on ne s’yétait attendu d’abord : Henri, sur la demande du vénérableabbé, avait consenti à passer la journée et la nuit en retraitedans un couvent.

Chicot confirma l’abbé dans cette espérance, àlaquelle il n’osait s’arrêter, et, comme on savait que Chicot avaitl’oreille du roi, on l’invita fort à revenir, ce que Chicot promitde faire. Quant à Gorenflot, il grandit de dix coudées aux yeux desmoines. C’était, en effet, un coup de partie à lui d’avoir ainsicapté toute la confiance de Chicot ; Machiavel, de politiquemémoire, n’eût pas mieux fait.

Invité à revenir, Chicot revint ; et,comme avec lui, dans ses poches, sous son manteau, dans ses largesbottes, il apportait des flacons de vins des crus les plus rares etles plus recherchés, frère Gorenflot le recevait encore mieux quemessire Joseph Foulon.

Alors il s’enfermait des heures entières dansla cellule du moine, partageant, au dire général, ses études et sesextases. L’avant-veille de la Fête-Dieu, il passa même la nuit toutentière dans le couvent ; le lendemain, le bruit courait àl’abbaye que Gorenflot avait déterminé Chicot à prendre larobe.

Quant au roi, il donnait, pendant ce temps, debonnes leçons d’escrime à ses amis, cherchant avec eux des coupsnouveaux, et s’étudiant surtout à exercer d’Épernon, à qui le sortavait donné un si rude adversaire, et que l’attente du jour décisifpréoccupait fort visiblement.

Quelqu’un qui eût parcouru la ville à decertaines heures de la nuit eût rencontré, dans le quartierSainte-Geneviève, les moines étranges dont nos premiers chapitresont fourni quelques descriptions, et qui ressemblaient beaucoupplus à des reîtres qu’à des frocards. Enfin nous pourrions ajouter,pour compléter le tableau que nous avons commencéd’esquisser ; nous pourrions ajouter, disons-nous, que l’hôtelde Guise était devenu, à la fois, l’antre le plus mystérieux et leplus turbulent, le plus peuplé au dedans et le plus désert audehors qu’il se puisse voir ; que des conciliabules setenaient, chaque soir, dans la grande salle, après qu’on avait eusoin de fermer hermétiquement les jalousies, et que cesconciliabules étaient précédés de dîners auxquels on n’invitait quedes hommes et que présidait cependant madame de Montpensier.

Ces sortes de détails, que nous trouvons dansles mémoires du temps, nous sommes forcé de les donner à noslecteurs, attendu qu’ils ne les trouveraient pas dans les archivesde la police. En effet, la police de ce bénin règne ne soupçonnaitmême pas ce qui se tramait, quoique le complot, comme on le pourravoir, fût d’importance, et les dignes bourgeois qui faisaient leurronde nocturne, salade en tête et hallebarde au poing, ne lesoupçonnaient pas plus qu’elle, n’étant point gens à devinerd’autres dangers que ceux qui résultent du feu, des voleurs, deschiens enragés et des ivrognes querelleurs.

De temps en temps, quelque patrouilles’arrêtait bien devant l’hôtel de la Belle-Étoile, rue del’Arbre-Sec ; mais maître la Hurière était connu pour un sizélé catholique, que l’on ne doutait point que le grand bruit quise menait chez lui ne fût mené pour la plus grande gloire deDieu.

Voilà dans quelles conditions la ville deParis atteignit, jour par jour, le matin de cette grande solennitéabolie par le gouvernement constitutionnel, et qu’on appelle laFête-Dieu.

Le matin de ce grand jour, il faisait un tempssuperbe, et les fleurs qui jonchaient les rues envoyaient au loinleurs parfums embaumés. Ce matin, disons-nous, Chicot qui, depuisquinze jours, couchait assidûment dans la chambre du roi, réveillaHenri de bonne heure ; personne n’était encore entré dans lachambre royale.

– Ah ! mon pauvre Chicot, s’écriaHenri, foin de toi ! Je n’ai jamais vu homme plus mal choisirson temps. Tu me tires du plus doux songe que j’aie fait de mavie.

– Et que rêvais-tu donc, mon fils ?demanda Chicot.

– Je rêvais que Quélus avait transpercéAntraguet d’un coup de seconde, et qu’il nageait, ce cher ami, dansle sang de son adversaire. Mais voici le jour. Allons prier leSeigneur que mon rêve se réalise. Appelle, Chicot,appelle !

– Que veux-tu donc ?

– Mon cilice et mes verges.

– Tu n’aimerais pas mieux un bondéjeuner ? demanda Chicot.

– Païen, dit Henri, qui veux entendre lamesse de la Fête-Dieu l’estomac plein !

– C’est juste.

– Appelle, Chicot, appelle !

– Patience, dit Chicot, il est huitheures à peine, et tu as le temps de te fustiger jusqu’à ce soir.Causons premièrement : veux-tu causer avec ton ami ? tune t’en repentiras pas, Valois, foi de Chicot.

– Eh bien, causons, dit Henri ; maisfais vite.

– Comment divisons-nous notre journée,mon fils ?

– En trois parties.

– En l’honneur de la sainte Trinité, trèsbien. Voyons ces trois parties.

– D’abord la messe àSaint-Germain-l’Auxerrois.

– Bien.

– Au retour au Louvre, la collation.

– Très bien !

– Puis processions de pénitents par lesrues, en s’arrêtant, pour faire des stations, dans les principauxcouvents de Paris, en commençant par les Jacobins et en finissantpar Sainte-Geneviève, où j’ai promis au prieur de faire retraitejusqu’au lendemain dans la cellule d’une espèce de saint quipassera la nuit en prières pour assurer le succès de nos armes.

– Je le connais.

– Le saint ?

– Parfaitement.

– Tant mieux, tu m’accompagneras,Chicot ; nous prierons ensemble.

– Oui, sois tranquille.

– Alors, habille-toi et viens.

– Attends donc !

– Quoi ?

– J’ai encore quelques détails à tedemander.

– Ne peux-tu les demander tandis qu’onm’accommodera ?

– J’aime mieux te les demander tandis quenous sommes seuls.

– Fais donc vite, le temps se passe.

– Ta cour, que fait-elle ?

– Elle me suit.

– Ton frère ?

– Il m’accompagne.

– Ta garde ?

– Les gardes françaises m’attendent avecCrillon au Louvre ; les Suisses m’attendent à la porte del’abbaye.

– À merveille ! dit Chicot, me voilàrenseigné.

– Je puis donc appeler ?

– Appelle.

Henri frappa sur un timbre.

– La cérémonie sera magnifique, continuaChicot.

– Dieu nous en saura gré, jel’espère.

– Nous verrons cela demain. Mais, dismoi, Henri, avant que personne n’entre, tu n’as rien autre chose àme dire ?

– Non. Ai-je oublié quelque détail ducérémonial ?

– Ce n’est pas de cela que je teparle.

– De quoi me parles-tu donc ?

– De rien.

Mais tu me demandes….

– S’il est bien arrêté que tu vas àl’abbaye Sainte-Geneviève ?

– Sans doute.

– Et que tu y passes la nuit ?

– Je l’ai promis.

– Eh bien, si tu n’as rien à me dire, monfils, je te dirai moi, que ce cérémonial ne me convient pas, àmoi.

– Comment ?

– Non, et quand nous aurons dîné….

– Quand nous aurons dîné ?

– Je te ferai part d’une autredisposition que j’ai imaginée.

– Soit, j’y consens.

– Tu n’y consentirais pas, mon fils, quece serait encore la même chose.

– Que veux-tu dire ?

– Chut ! voici ton service qui entredans l’antichambre.

En effet, les huissiers ouvrirent lesportières, et l’on vit paraître le barbier, le parfumeur et levalet de chambre de Sa Majesté, qui, s’emparant du roi, se mirent àexécuter conjointement, sur son auguste personne, une de cestoilettes que nous avons décrites dans le commencement de cetouvrage.

Lorsque la toilette de Sa Majesté fut aux deuxtiers, on annonça Son Altesse monseigneur le duc d’Anjou.

Henri se retourna de son côté, préparant sonmeilleur sourire pour le recevoir.

Le duc était accompagné deM. de Monsoreau, d’Épernon et Aurilly.

D’Épernon et d’Aurilly restèrent enarrière.

Henri, à la vue du comte encore pâle et dontla mine était plus effrayante que jamais, ne put retenir unmouvement de surprise.

Le duc s’aperçut de ce mouvement, quin’échappa point non plus au comte.

– Sire, dit le duc, c’estM. de Monsoreau qui vient présenter ses hommages à VotreMajesté.

– Merci, monsieur, dit Henri ; et jesuis d’autant plus touché de votre visite que vous avez été bienblessé, n’est-ce pas ?

– Oui, sire.

– À la chasse, m’a-t-on dit.

– À la chasse, sire.

– Mais vous allez mieux à présent,n’est-ce pas ?

– Je suis rétabli.

– Sire, dit le duc d’Anjou, ne vousplairait-il pas qu’après nos dévotions faites, M. le comte deMonsoreau nous allât préparer une belle chasse dans les bois deCompiègne ?

– Mais, dit Henri, ne savez-vous pas quedemain ?….

Il allait dire : « quatre de mesamis se rencontrent avec quatre des vôtres ; » mais il serappela que le secret avait dû être gardé, et il s’arrêta.

– Je ne sais rien, sire, reprit le ducd’Anjou, et si Votre Majesté veut m’informer….

– Je voulais dire, reprit Henri, que,passant la nuit prochaine en dévotions à l’abbaye Sainte-Geneviève,je ne serais peut-être pas prêt pour demain ; mais queM. le comte parte toujours : si ce n’est demain, ce seraaprès-demain que la chasse aura lieu.

– Vous entendez ? dit le duc àMonsoreau, qui s’inclina.

– Oui, monseigneur, répondit lecomte.

En ce moment entrèrent Schomberg etQuélus ; le roi les reçut à bras ouverts.

– Encore un jour ! dit Quélus ensaluant le roi.

– Mais plus qu’un jour,heureusement ! dit Schomberg.

Pendant ce temps, Monsoreau disait, de soncôté, au duc :

– Vous me faites exiler, à ce qu’ilparaît, monseigneur.

– Le devoir d’un grand veneur n’est-ilpoint de préparer les chasses du roi ? dit en riant leduc.

– Je m’entends, répondit Monsoreau, et jevois ce que c’est. C’est ce soir qu’expire le huitième jour dedélai que Votre Altesse m’a demandé, et Votre Altesse préfèrem’envoyer à Compiègne que de tenir sa promesse. Mais, que VotreAltesse y prenne garde ; d’ici à ce soir, je puis, d’un seulmot….

François saisit le comte par le poignet.

– Taisez-vous, dit-il, car, au contraire,je la tiens cette promesse que vous réclamez.

– Expliquez-vous.

– Votre départ pour la chasse sera connude tout le monde, puisque l’ordre est officiel.

– Eh bien ?

– Eh bien, vous ne partirez pas ;mais vous vous cacherez aux environs de votre maison. Alors, vouscroyant parti, viendra l’homme que vous voulez connaître ; lereste vous regarde, car je ne me suis engagé à rien autre chose, ceme semble.

– Ah ! ah ! si cela se faitainsi ! dit Monsoreau.

– Vous avez ma parole, dit le duc.

– J’ai mieux que cela, monseigneur, j’aivotre signature.

– Eh ! oui, mordieu, je le saisbien.

Et le duc s’éloigna de Monsoreau pour serapprocher de son frère ; Aurilly toucha le bras ded’Épernon.

– C’est fait, dit-il.

– Quoi ? qu’y a-t-il defait ?

– M. de Bussy ne se battrapoint demain.

– M. de Bussy ne se battrapoint demain ?

– J’en réponds.

– Et qui l’en empêchera ?

– Qu’importe ! pourvu qu’il ne sebatte point.

– Si cela arrive, mon cher sorcier, il ya mille écus pour vous.

– Messieurs, dit Henri qui venaitd’achever sa toilette, à Saint-Germain-l’Auxerrois !

– Et de là à l’abbayeSainte-Geneviève ? demanda le duc.

– Certainement, répondit le roi.

– Comptez là-dessus, dit Chicot enbouclant le ceinturon de sa rapière.

Et Henri passa dans la galerie, où toute sacour l’attendait.

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