La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 29Chicot Ier.

Le roi était plongé dans un recueillement quipromettait un succès facile aux projets deMM. de Guise.

Il visita la crypte avec toute la communauté,baisa la châsse, et termina toutes les cérémonies en se frappant lapoitrine à coups redoublés et en marmottant les psaumes les pluslugubres.

Le prieur commença ses exhortations, que leroi écouta en donnant les mêmes signes de contrition fervente.

Enfin, sur un geste du duc de Guise, JosephFoulon s’inclina devant Henri et lui dit :

– Sire, vous plairait-il de venirmaintenant déposer votre couronne terrestre aux pieds du maîtreéternel ?

– Allons… répliqua simplement le roi.

Et aussitôt toute la communauté, formant lahaie sur son passage, s’achemina vers les cellules, dont onentrevoyait, à gauche, le corridor principal.

Henri semblait très attendri. Ses mains necessaient de battre sa poitrine ; le gros chapelet, qu’ilroulait vivement, sonnait sur les têtes de mort en ivoiresuspendues à sa ceinture.

On arriva enfin à la cellule : au seuil,se carrait Gorenflot, le visage enluminé, l’œil brillant comme uneescarboucle.

– Ici ? fit le roi.

– Ici même, répliqua le gros moine.

Le roi pouvait hésiter, en effet, parce qu’aubout de ce corridor on voyait une porte, ou plutôt une grille assezmystérieuse, ouvrant sur une pente rapide et n’offrant à l’œil quedes ténèbres épaisses.

Henri entra dans la cellule.

– Hic portus salutis ?murmura-t-il de sa voix émue.

– Oui, répondit Foulon, ici est leport.

– Laissez-nous, fit Gorenflot avec ungeste majestueux.

Et aussitôt la porte se referma ; les pasdes assistants s’éloignèrent.

Le roi, avisant un escabeau dans le fond de lacellule, s’y plaça, les deux mains sur les genoux.

– Ah ! te voilà, Hérodes ! tevoilà, païen ! te voilà, Nabuchodonosor ! dit Gorenflotsans transition aucune et en appuyant ses épaisses mains sur seshanches.

Le roi sembla surpris.

– Est-ce à moi, dit-il, que vous parlez,mon frère ?

– Oui, c’est à toi que je parle ; età qui donc ? Peut-on dire une injure qui ne te soit pasconvenable ?

– Mon frère… murmura le roi.

– Bah ! tu n’as pas de frère ici.Voilà assez longtemps que je médite un discours… tu l’auras… Je ledivise en trois points, comme tout bon prédicateur. D’abord tu esun tyran, ensuite tu es un satyre, enfin tu es un détrôné ;voilà sur quoi je vais parler.

– Détrôné ! mon frère… dit avecexplosion le roi perdu dans l’ombre.

– Ni plus, ni moins. Ce n’est pas icicomme en Pologne, et tu ne t’enfuiras pas….

– Un guet-apens !

– Oh ! Valois, apprends qu’un roin’est qu’un homme, lorsqu’il est homme encore.

– Des violences, mon frère !

– Pardieu ! crois-tu que noust’emprisonnions pour te ménager ?

– Vous abusez de la religion, monfrère.

– Est-ce qu’il y a une religion !s’écria Gorenflot.

– Oh ! fit le roi, un saint dire depareilles choses !

– Tant pis, j’ai dit.

– Vous vous damnerez….

– Est-ce qu’on se damne !

– Vous parlez en mécréant, mon frère.

– Allons ! pas de capucinades ;es-tu prêt, Valois ?

– À quoi faire ?

– À déposer ta couronne. On m’a chargé det’y inviter ; je t’y invite.

– Mais vous faites un péchémortel !

– Oh ! oh ! fit Gorenflot avecun sourire cynique, j’ai droit d’absolution, et je m’absousd’avance ; voyons, renonce, frère Valois.

– À quoi ?

– Au trône de France.

– Plutôt la mort !

– Eh ! mais tu mourras alors… Tiens,voici le prieur qui revient… décide-toi.

– J’ai mes gardes, mes amis ; je medéfendrai.

– C’est possible ; mais on te tuerad’abord.

– Laisse-moi au moins un instant pourréfléchir.

– Pas un instant, pas une seconde.

– Votre zèle vous emporte, mon frère, ditle prieur.

Et il fit, de la main, un geste qui voulaitdire au roi : « Sire, votre demande vous estaccordée. »

Et le prieur referma la porte.

Henri tomba dans une rêverie profonde.

– Allons ! dit-il, acceptons lesacrifice.

Dix minutes s’étaient écoulées tandis queHenri réfléchissait ; on heurta aux guichets de lacellule.

– C’est fait, dit Gorenflot, ilaccepte.

Le roi entendit comme un murmure de joie et desurprise autour de lui, dans le corridor.

– Lisez-lui l’acte, dit une voix qui fittressaillir le roi… à tel point qu’il regarda par les grillages dela porte.

Et un parchemin roulé passa de la main d’unmoine dans celle de Gorenflot.

Gorenflot fit péniblement lecture de cet acteau roi, dont la douleur était grande et qui cachait son front dansses mains.

– Et si je refuse de signer ?s’écria-t-il en larmoyant.

– C’est vous perdre doublement, repartitla voix du duc de Guise, assourdie par le capuchon. Regardez-vouscomme mort au monde, et ne forcez pas des sujets à verser le sangd’un homme qui a été leur roi.

– On ne me contraindra pas, ditHenri.

– Je l’avais prévu, murmura le duc à sasœur, dont le front se plissa, dont les yeux reflétèrent unsinistre dessein.

Allez, mon frère, ajouta-t-il en s’adressant àMayenne ; faites armer tout le monde, et qu’on se prépare.

– À quoi ? dit le roi d’un tonlamentable.

– À tout, répondit Joseph Foulon.

Le désespoir du roi redoubla.

– Corbleu ! s’écria Gorenflot, je tehaïssais, Valois ; mais à présent je te méprise ! Allons,signe, ou tu ne périras que de ma main.

– Patientez, patientez, dit le roi, queje me recommande au souverain Maître, que j’obtienne de lui larésignation.

– Il veut réfléchir encore, criaGorenflot.

– Qu’on lui laisse jusqu’à minuit, dit lecardinal.

– Merci, chrétien charitable, dit le roidans un paroxysme de désolation. Dieu te le rende !

– C’était réellement un cerveau affaibli,dit le duc de Guise ; nous servons la France en ledétrônant.

– N’importe, fit la duchesse ; toutaffaibli qu’il est, j’aurai du plaisir à le tondre.

Pendant ce dialogue, Gorenflot, les brascroisés, accablait Henri des injures les plus violentes et luiracontait tous ses débordements.

Tout à coup un bruit sourd retentit au dehorsdu couvent.

– Silence ! cria la voix du duc deGuise.

Le plus profond silence s’établit. Ondistingua bientôt des coups frappés fortement et à intervalleségaux sur la porte sonore de l’abbaye.

Mayenne accourut aussi vite que le luipermettait son embonpoint.

– Mes frères, dit-il, une troupe de gensarmés se porte au-devant du portail.

– On vient le chercher, dit laduchesse.

– Raison de plus pour qu’il signe vite,dit le cardinal.

– Signe, Valois, signe ! criaGorenflot d’une voix de tonnerre.

– Vous m’avez donné jusqu’à minuit, ditpitoyablement le roi.

– Oh ! tu te ravises parce que tucrois être secouru.

– Sans doute, j’ai une chance….

– Pour mourir s’il ne signe aussitôt,répliqua la voix aigre et impérieuse de la duchesse.

Gorenflot saisit le poignet du roi et luioffrit une plume.

Le bruit redoublait au dehors.

– Une nouvelle troupe ! vint dire unmoine ; elle entoure le parvis et le cerne à gauche.

– Allons ! crièrent impatiemmentMayenne et la duchesse.

Le roi trempa la plume dans l’encre.

– Les Suisses ! accourut direFoulon ; ils envahissent le cimetière à droite. Toute l’abbayeest cernée présentement.

– Eh bien, nous nous défendrons, répliquarésolument Mayenne. Avec un otage comme celui-là, une place n’estjamais prise à discrétion.

– Il a signé ! hurla Gorenflot enarrachant le papier des mains de Henri, qui, abattu, enfouit satête dans son capuchon et son capuchon dans ses deux bras.

– Alors nous sommes roi, dit le cardinalau duc. Emporte vite ce précieux papier.

Le roi, dans son accès de douleur, renversa lapetite lampe qui seule éclairait cette scène ; mais le duc deGuise tenait déjà le parchemin.

– Que faire ? que faire ? vintdemander un moine sous le froc duquel se dessinait un gentilhommebien complet, bien armé. Crillon arrive avec les gardes françaises,et menace de briser les portes. Écoutez !….

– Au nom du roi ! cria la voixpuissante de Crillon.

– Bon ! il n’y a plus de roi,répliqua Gorenflot par une fenêtre.

– Qui dit cela, maraud ? réponditCrillon.

– Moi ! moi ! moi ! fitGorenflot dans les ténèbres, avec un orgueil des plusprovocateurs.

– Qu’on tâche de m’apercevoir ce drôle etde lui planter quelques balles dans le ventre, dit Crillon.

Et Gorenflot, voyant les gardes apprêter leursarmes, fit le plongeon aussitôt et retomba sur son derrière aumilieu de la cellule.

– Enfoncez la porte, mons Crillon, dit,au milieu du silence général, une voix qui fit dresser les cheveuxà tous les moines, faux ou vrais, qui attendaient dans lecorridor.

Cette voix était celle d’un homme qui, sortides rangs, s’était avancé jusqu’aux marches de l’abbaye.

– Voilà, sire, répliqua Crillon endéchargeant dans la porte principale un vigoureux coup dehache.

Les murs en gémirent.

– Que veut-on ?… dit le prieur,paraissant tout tremblant à la fenêtre.

– Ah ! c’est vous, messire Foulon,dit la même voix hautaine et calme. Rendez-moi donc mon fou, quiest allé passer la nuit dans une de vos cellules. J’ai besoin deChicot ; je m’ennuie au Louvre.

– Et moi, je m’amuse joliment, va, monfils, répliqua Chicot se dégageant de son capuchon et fendant lafoule des moines, qui s’écartèrent avec un hurlement d’effroi.

À ce moment, le duc de Guise, qui s’était faitapporter une lampe, lisait au bas de l’acte la signature encorefraîche obtenue avec tant de peine :

CHICOT Ier

– Moi, Chicot Ier !s’écria-t-il ; mille damnations !

– Allons, dit le cardinal, nous sommesperdus ; fuyons.

– Ah ! bah ! fit Chicot endistribuant à Gorenflot, presque évanoui, des coups de la cordequ’il portait à sa ceinture ; ah ! bah !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer