La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 37Le combat

Le terrain sur lequel allait avoir lieu cetteterrible rencontre était ombragé d’arbres, ainsi que nous l’avonsvu, et situé à l’écart.

Il n’était fréquenté d’ordinaire que par lesenfants, qui venaient y jouer le jour, ou les ivrognes et lesvoleurs, qui venaient y dormir la nuit.

Les barrières, dressées par les marchands dechevaux, écartaient naturellement la foule, qui, semblable auxflots d’une rivière, suit toujours un courant, et ne s’arrête ou nerevient qu’attirée par quelque remous.

Les passants longeaient cet espace et ne s’yarrêtaient point.

D’ailleurs, il était de trop bonne heure, etl’empressement général se portait vers la maison sanglante deMonsoreau.

Chicot, le cœur palpitant, bien qu’il ne fûtpas fort tendre de sa nature, s’assit en avant des laquais et despages sur une balustrade de bois.

Il n’aimait pas les Angevins, il détestait lesmignons ; mais les uns et les autres étaient de braves jeunesgens, et sous leur chair courait un sang généreux que bientôt onallait voir jaillir au grand jour.

D’Épernon voulut risquer une dernière fois labravade.

– Quoi ! on a donc bien peur demoi ? s’écria-t-il.

– Taisez-vous, bavard ! lui ditAntraguet.

– J’ai mon droit, répliquad’Épernon ; la partie fut liée à huit.

– Allons, au large ! dit Ribéracimpatienté en lui barrant le passage.

Il s’en revint avec des airs de tête superbes,et rengaîna son épée.

– Venez, dit Chicot, venez, fleur desbraves, sans quoi vous allez perdre encore une paire de soulierscomme hier.

– Que dit ce maître fou ?

– Je dis que tout à l’heure il y aura dusang par terre, et vous marcheriez dedans comme vous fîtes cettenuit.

D’Épernon devint blafard. Toute sa jactancetombait sous ce terrible reproche.

Il s’assit à dix pas de Chicot, qu’il neregardait plus sans terreur.

Ribérac et Schomberg s’approchèrent après lesalut d’usage.

Quélus et Antraguet, qui, depuis un instantdéjà, étaient tombés en garde, engagèrent le fer en faisant un pasen avant.

Maugiron et Livarot, appuyés chacun sur unebarrière, se guettaient en faisant des feintes sur place pourengager l’épée dans leur garde favorite.

Le combat commença comme cinq heures sonnaientà Saint-Paul.

La fureur était peinte sur les traits descombattants ; mais leurs lèvres serrées, leur pâleur menaçantel’involontaire tremblement du poignet, indiquaient que cette fureurétait maintenue par eux à force de prudence, et que, pareille à uncheval fougueux, elle ne s’échapperait point sans de grandsravages.

Il y eut durant plusieurs minutes, ce qui estun espace de temps énorme, un frottement d’épées qui n’était pasencore un cliquetis. Pas un coup ne fut porté.

Ribérac, fatigué ou plutôt satisfait d’avoirtâté son adversaire, baissa la main, et attendit un moment.

Schomberg fit deux pas rapides, et lui portaun coup qui fut le premier éclair sorti du nuage.

Ribérac fut frappé. Sa peau devint livide, etun jet de sang sortit de son épaule ; il rompit pour se rendrecompte à lui-même de sa blessure.

Schomberg voulut renouveler le coup ;mais Ribérac releva son épée par une parade de prime, et lui portaun coup qui l’atteignit au côté.

Chacun avait sa blessure.

– Maintenant, reposons-nous quelquessecondes, si vous voulez, dit Ribérac.

Cependant Quélus et Antraguet s’échauffaientde leur côté ; mais Quélus, n’ayant pas de dague, avait ungrand désavantage ; il était obligé de parer avec son brasgauche, et, comme son bras était nu, chaque parade lui coûtait uneblessure.

Sans être atteint grièvement, au bout dequelques secondes, il avait la main complètement ensanglantée.

Antraguet, au contraire, comprenant tout sonavantage, et non moins habile que Quélus, parait avec une mesureextrême. Trois coups de riposte portèrent, et, sans être touchégrièvement, le sang s’échappa de la poitrine de Quélus par troisblessures.

Mais, à chaque coup, Quélus répéta :

– Ce n’est rien.

Livarot et Maugiron en étaient toujours à laprudence.

Quant à Ribérac, furieux de douleur et sentantqu’il commençait à perdre ses forces avec son sang, il fondit surSchomberg.

Schomberg ne recula pas d’un pas et secontenta de tendre son épée.

Les deux jeunes gens firent coup fourré.

Ribérac eut la poitrine traversée, etSchomberg fut blessé au cou.

Ribérac, blessé mortellement, porta la maingauche à sa plaie en se découvrant.

Schomberg en profita pour porter à Ribérac unsecond coup qui lui traversa les chairs.

Mais Ribérac, de sa main droite, saisit lamain de son adversaire, et, de la gauche, lui enfonça dans lapoitrine sa dague jusqu’à la coquille.

La lame aiguë traversa le cœur.

Schomberg poussa un cri sourd et tomba sur ledos, entraînant avec lui Ribérac, toujours traversé par l’épée.

Livarot, voyant tomber son ami, fit un pas deretraite rapide et courut à lui, poursuivi par Maugiron. Il gagnaplusieurs pas dans la course, et, aidant Ribérac dans les effortsqu’il faisait pour se débarrasser de l’épée de Schomberg, il luiarracha cette épée de la poitrine.

Mais alors, rejoint par Maugiron, force luifut de se défendre avec le désavantage d’un terrain glissant, d’unegarde mauvaise et du soleil dans les yeux.

Au bout d’une seconde, un coup d’estoc ouvritla tête de Livarot, qui laissa échapper son épée et tomba sur lesgenoux.

Quélus était vivement serré par Antraguet.Maugiron se hâta de percer Livarot d’un coup de pointe. Livarottomba tout à fait.

D’Épernon poussa un grand cri.

Quélus et Maugiron restaient contre le seulAntraguet. Quélus était tout sanglant, mais de blessureslégères.

Maugiron était à peu près sauf.

Antraguet comprit le danger. Il n’avait pasreçu la moindre égratignure ; mais il commençait à se sentirfatigué ; ce n’était cependant pas le moment de demander trêveà un homme blessé et à un autre tout chaud de carnage. D’un coup defouet il écarta violemment l’épée de Quélus, et, profitant del’écartement du fer, il sauta légèrement par-dessus unebarrière.

Quélus revint par un coup de taille, mais quin’entama que le bois.

Mais, en ce moment, Maugiron attaqua Antraguetde flanc. Antraguet se retourna. Quélus profita du mouvement pourpasser sous la barrière.

– Il est perdu, dit Chicot.

– Vive le roi ! dit d’Épernon,hardi, mes lions, hardi !

– Monsieur, du silence, s’il vous plaît,dit Antraguet ; n’insultez pas un homme qui se battra jusqu’audernier souffle.

– Et qui n’est pas encore mort !s’écria Livarot.

Et, au moment où nul ne pensait plus à lui,hideux de la fange sanglante qui lui couvrait le corps, il sereleva sur ses genoux et plongea sa dague entre les épaules deMaugiron, qui tomba comme une masse en soupirant :

– Jésus, mon Dieu ! je suismort !

Livarot retomba évanoui ; l’action et lacolère avaient épuisé le reste de ses forces.

– Monsieur de Quélus, dit Antraguet,baissant son épée, vous êtes un homme brave, rendez-vous, je vousoffre la vie.

– Et pourquoi me rendre ? ditQuélus, suis-je à terre ?

– Non ; mais vous êtes criblé decoups, et moi, je suis sain et sauf.

– Vive le roi ! cria Quélus, j’aiencore mon épée, monsieur.

Et il se fendit sur Antraguet, qui para lecoup, si rapide qu’il eût été.

– Non, monsieur, vous ne l’avez plus, ditAntraguet, saisissant à pleine main la lame près de la garde.

Et il tordit le bras de Quélus, qui lâchal’épée.

Seulement Antraguet se coupa légèrement undoigt de la main gauche.

– Oh ! hurla Quélus, une épée !une épée !

Et, se lançant sur Antraguet d’un bond detigre, il l’enveloppa de ses deux bras.

Antraguet se laissa prendre au corps, et,passant son épée dans sa main gauche et sa dague dans sa maindroite, il se mit à frapper sur Quélus sans relâche et partout,s’éclaboussant à chaque coup du sang de son ennemi, à qui rien nepouvait faire lâcher prise, et qui criait à chaqueblessure :

– Vive le roi !

Il réussit même à retenir la main qui lefrappait, et à garrotter, comme eût fait un serpent, son ennemiintact entre ses jambes et ses bras.

Antraguet sentit que la respiration allait luimanquer.

En effet, il chancela et tomba.

Mais, en tombant, comme si tout le devaitfavoriser ce jour-là, il étouffa, pour ainsi dire, le malheureuxQuélus.

– Vive le roi ! murmura ce dernier,à l’agonie.

Antraguet parvint à dégager sa poitrine del’étreinte ; il se roidit sur un bras, et, le frappant d’undernier coup qui lui traversa la poitrine :

– Tiens, lui dit-il, es-tucontent ?

– Vive le r…, articula Quélus, les yeux àdemi fermés.

Ce fut tout ; le silence et la terreur dela mort régnaient sur le champ de bataille.

Antraguet se releva tout sanglant, mais dusang de son ennemi ; il n’avait, comme nous l’avons dit,qu’une égratignure à la main.

D’Épernon, épouvanté, fit un signe de croix etprit la fuite, comme s’il eût été poursuivi par un spectre.

Antraguet jeta sur ses compagnons et sesennemis, morts et mourants, le même regard qu’Horace dut jeter surle champ de bataille qui décidait les destins de Rome.

Chicot secourut et releva Quélus, qui rendaitson sang par dix-neuf blessures.

Le mouvement le ranima.

Il rouvrit les yeux.

– Antraguet, sur l’honneur, dit-il, jesuis innocent de la mort de Bussy.

– Oh ! je vous crois, monsieur, fitAntraguet attendri, je vous crois.

– Fuyez, murmura Quélus, fuyez, le roi nevous pardonnerait pas.

– Et moi, monsieur, je ne vousabandonnerai pas ainsi, dit Antraguet, dût l’échafaud meprendre.

– Sauvez-vous, jeune homme, dit Chicot,et ne tentez pas Dieu ; vous vous sauvez par un miracle, n’endemandez pas deux le même jour.

Antraguet s’approcha de Ribérac, qui respiraitencore.

– Eh bien ? demanda celui-ci.

– Nous sommes vainqueurs, réponditAntraguet à voix basse pour ne pas offenser Quélus.

– Merci, dit Ribérac. Va-t’en.

Et il retomba évanoui.

Antraguet ramassa sa propre épée, qu’il avaitlaissée tomber dans la lutte, puis celles de Quélus, de Schomberget de Maugiron.

– Achevez-moi, monsieur, dit Quélus, oulaissez-moi mon épée.

– La voici, monsieur le comte, ditAntraguet en la lui offrant avec un salut respectueux.

Une larme brilla aux yeux du blessé.

– Nous eussions pu être amis,murmura-t-il.

Antraguet lui tendit la main.

– Bien ! fit Chicot ; c’est onne peut plus chevaleresque. Mais sauve-toi, Antraguet, tu es dignede vivre.

– Et mes compagnons ? demanda lejeune homme.

– J’en aurai soin, comme des amis duroi.

Antraguet s’enveloppa du manteau que luitendait son écuyer, afin que l’on ne vît pas le sang dont il étaitcouvert, et, laissant les morts et les blessés au milieu des pageset des laquais, il disparut par la porte Saint-Antoine.

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