La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 14Comment les trois principaux personnages de cette histoire firentle voyage de Méridor à Paris

Laissons les deux amis entrer au cabaret de laCorne-d’Abondance, où Chicot, en se le rappelle, ne conduisaitjamais le moine qu’avec des intentions dont celui-ci était loin desoupçonner la gravité, et revenons à M. de Monsoreau, quisuit en litière le chemin de Méridor à Paris, et à Bussy, qui estparti d’Angers avec l’intention de faire la même route.

Non seulement il n’est pas difficile à uncavalier bien monté de rejoindre des gens qui vont à pied, maisencore il court un risque, c’est celui de les dépasser.

La chose arriva à Bussy.

On était à la fin de mai, et la chaleur étaitgrande, surtout vers le midi. Aussi M. de Monsoreauordonna-t-il de faire halte dans un petit bois qui se trouvait surla route ; et, comme il désirait que son départ fût connu leplus tard possible de M. le duc d’Anjou, il veilla à ce quetoutes les personnes de sa suite entrassent avec lui dansl’épaisseur du taillis pour passer la plus grande ardeur du soleil.Un cheval était chargé de provisions : on put donc faire lacollation sans avoir recours à personne.

Pendant ce temps, Bussy passa.

Mais Bussy n’allait pas, comme on le pensebien, par la route, sans s’informer, si l’on n’avait pas vu deschevaux, des cavaliers et une litière portée par des paysans.

Jusqu’au village de Durtal, il avait obtenules renseignements les plus positifs et les plussatisfaisants ; aussi, convaincu que Diane était devant lui,avait-il mis son cheval au pas, se haussant sur ses étriers ausommet de chaque monticule, afin d’apercevoir au loin la petitetroupe à la poursuite de laquelle il s’était mis. Mais, contre sonattente, tout à coup les renseignements lui manquèrent ; lesvoyageurs qui le croisaient n’avaient rencontré personne, et, enarrivant aux premières maisons de la Flèche, il acquit laconviction qu’au lieu d’être en retard il était en avance, et qu’ilprécédait au lieu de suivre.

Alors il se rappela le petit bois qu’il avaitrencontré sur sa route, et il s’expliqua les hennissements de soncheval qui avait interrogé l’air de ses naseaux fumants au momentoù il y était entré.

Son parti fut pris à l’instant même ; ils’arrêta au plus mauvais cabaret de la rue, et, après s’être assuréque son cheval ne manquerait de rien, moins inquiet de lui-même quede sa monture, à la vigueur de laquelle il pouvait avoir besoin derecourir, il s’installa près d’une fenêtre, en ayant le soin de secacher derrière un lambeau de toile qui servait de rideau.

Ce qui avait surtout déterminé Bussy dans lechoix qu’il avait fait de cette espèce de bouge, c’est qu’il étaitsitué en face la meilleure hôtellerie de la ville, et qu’il nedoutait point que Monsoreau ne fit halte dans cette hôtellerie.

Bussy avait deviné juste ; vers quatreheures de l’après-midi, il vit apparaître un coureur, qui s’arrêtaà la porte de l’hôtellerie.

Une demi-heure après, vint le cortège.

Il se composait, en personnages principaux, ducomte, de la comtesse, de Remy et de Gertrude ;

En personnages secondaires, de huit porteursqui se relayaient de cinq lieues en cinq lieues.

Le coureur avait mission de préparer lesrelais des paysans. Or, comme Monsoreau était trop jaloux pour nepas être généreux, cette manière de voyager, tout inusitée qu’elleétait, ne souffrait ni difficulté ni retard.

Les personnages principaux entrèrent les unsaprès les autres dans l’hôtellerie ; Diane resta la dernière,et il sembla à Bussy qu’elle regardait avec inquiétude autourd’elle. Son premier mouvement fut de se montrer, mais il eut lecourage de se retenir ; une imprudence les perdait.

La nuit vint, Bussy espérait que, pendant lanuit, Remy sortirait, ou que Diane paraîtrait à quelquefenêtre ; il s’enveloppa de son manteau et se mit ensentinelle dans la rue.

Il attendit ainsi jusqu’à neuf heures dusoir ; à neuf heures du soir, le coureur sortit.

Cinq minutes après, huit hommes s’approchèrentde la porte : quatre entrèrent dans l’hôtellerie.

– Oh ! se dit Bussy,voyageraient-ils de nuit ? Ce serait une excellente idéequ’aurait M. de Monsoreau.

Effectivement, tout venait à l’appui de cetteprobabilité : la nuit était douce, le ciel tout parseméd’étoiles, une de ces brises qui semblent le souffle de la terrerajeunie passait dans l’air, caressante et parfumée.

La litière sortit la première.

Puis vinrent à cheval Diane, Remy etGertrude.

Diane regarda encore avec attention autourd’elle ; mais, comme elle regardait, le comte l’appela, etforce lui fut de revenir près de la litière.

Les quatre hommes de relais allumèrent destorches et marchèrent aux deux côtés de la route.

– Bon, dit Bussy, j’aurais commandémoi-même les détails de cette marche, que je n’eusse pas mieuxfait.

Et il rentra dans son cabaret, sella soncheval, et se mit à la poursuite du cortège.

Cette fois, il n’y avait point à se tromper deroute ou à le perdre de vue : les torches indiquaientclairement le chemin qu’il suivait.

Monsoreau ne laissait point Diane s’éloignerun instant de lui.

Il causait avec elle, ou plutôt il lagourmandait. Cette visite dans la serre servait de texte àd’inépuisables commentaires et à une foule de questionsenvenimées.

Remy et Gertrude se boudaient, ou, pour mieuxdire, Remy rêvait et Gertrude boudait Remy.

La cause de cette bouderie était facile àexpliquer : Remy ne voyait plus la nécessité d’être amoureuxde Gertrude, depuis que Diane était amoureuse de Bussy.

Le cortège s’avançait donc, les uns disputant,les autres boudant, quand Bussy, qui suivait la cavalcade hors dela portée de la vue, donna, pour prévenir Remy de sa présence, uncoup de sifflet d’argent avec lequel il avait l’habitude d’appelerses serviteurs à l’hôtel de la rue de Grenelle-Saint-Honoré.

Le son en était aigu et vibrant. Ce sonretentissait d’un bout à l’autre de la maison, et faisait accourirbêtes et gens.

Nous disons bêtes et gens, parce que Bussy,comme tous les hommes forts, se plaisait à dresser des chiens aucombat, des chevaux indomptables et des faucons sauvages.

Or, au son de ce sifflet, les chienstressaillaient dans leurs chenils, les chevaux dans leurs écuries,les faucons sur leurs perchoirs.

Remy le reconnut à l’instant même. Dianetressaillit et regarda le jeune homme, qui fit un signeaffirmatif.

Puis il passa à sa gauche, et lui dit toutbas :

– C’est lui.

– Qu’est-ce ? demanda Monsoreau, etqui vous parle, madame ?

– À moi ? personne, monsieur.

– Si fait, une ombre a passé près devous, et j’ai entendu une voix.

– Cette voix, dit Diane, est celle deM. Remy ; êtes-vous jaloux aussi deM. Remy ?

– Non ; mais j’aime à entendreparler tout haut, cela me distrait.

– Il y a cependant des choses que l’on nepeut pas dire devant M. le comte, interrompit Gertrude, venantau secours de sa maîtresse.

– Pourquoi cela ?

– Pour deux raisons.

– Lesquelles ?

– La première, parce qu’on peut dire deschoses qui n’intéressent pas monsieur le comte, ou des choses quil’intéressent trop.

– Et de quel genre étaient les choses queM. Remy vient de dire à madame ?

– Du genre de celles qui intéressent tropmonsieur.

– Que vous disait Remy ? madame, jeveux le savoir.

– Je disais, monsieur le comte, que sivous vous démenez ainsi, vous serez mort avant d’avoir fait letiers de la route.

On put voir, aux sinistres rayons des torches,le visage de Monsoreau devenir aussi pâle que celui d’uncadavre.

Diane, toute palpitante et toute pensive, setaisait.

– Il vous attend à l’arrière, dit d’unevoix à peine intelligible Remy à Diane ; ralentissez un peu lepas de votre cheval ; il vous rejoindra.

Remy avait parlé si bas, que Monsoreaun’entendit qu’un murmure ; il fît un effort, renversa sa têteen arrière, et vit Diane qui le suivait.

– Encore un mouvement pareil, monsieur lecomte, dit Remy, et je ne réponds pas de l’hémorragie.

Depuis quelque temps, Diane était devenuecourageuse. Avec son amour était née l’audace, que toute femmevéritablement éprise pousse d’ordinaire au delà des limitesraisonnables. Elle tourna bride et attendit.

Au même moment, Remy descendait de cheval,donnait sa bride à tenir à Gertrude, et s’approchait de la litièrepour occuper le malade.

– Voyons ce pouls, dit-il, je parie quenous avons la fièvre.

Cinq secondes après, Bussy était à sescôtés.

Les deux jeunes gens n’avaient plus besoin dese parler pour s’entendre ; ils restèrent pendant quelquesinstants suavement embrassés.

– Tu vois, dit Bussy rompant le premierle silence, tu pars et je te suis.

– Oh ! que mes jours seront beaux,Bussy, que mes nuits seront douces, si je te sais toujours ainsiprès de moi !

– Mais le jour, il nous verra.

– Non, tu nous suivras de loin, et c’estmoi seulement qui te verrai, mon Louis. Au détour des routes, ausommet des monticules, la plume de ton feutre, la broderie de tonmanteau, ton mouchoir flottant ; tout me parlera en ton nom,tout me dira que tu m’aimes. Qu’au moment où le jour baisse, où lebrouillard bleu descend dans la plaine, je voie ton doux fantômes’incliner en m’envoyant le baiser du soir, et je serai heureuse,bien heureuse !

– Parle, parle toujours, ma Dianebien-aimée, tu ne peux savoir toi-même tout ce qu’il y a d’harmoniedans ta douce voix.

– Et quand nous marcherons la nuit, etcela arrivera souvent, car Remy lui a dit que la fraîcheur du soirétait bonne pour ses blessures, quand nous marcherons la nuit,alors, comme ce soir, de temps en temps, je resterai enarrière ; de temps en temps, je pourrai te presser dans mesbras, et te dire, dans un rapide serrement de main, tout ce quej’aurai pensé de toi dans le courant du jour.

– Oh ! que je t’aime ! que jet’aime ! murmura Bussy.

– Vois-tu, dit Diane, je crois que nosâmes sont assez étroitement unies, pour que, même à distance l’unde l’autre, même sans nous parler, sans nous voir, nous soyonsheureux par la pensée.

– Oh ! oui ! mais te voir, maiste presser dans mes bras, oh ! Diane ! Diane !

Et les chevaux se touchaient et se jouaient ensecouant leurs brides argentées, et les deux amants s’étreignaientet oubliaient le monde.

Tout à coup, une voix retentit, qui les fittressaillir tous deux, Diane de crainte. Bussy de colère.

– Madame Diane, criait cette voix, oùêtes-vous ? Madame Diane, répondez !

Ce cri traversa l’air comme une funèbreévocation.

– Oh ! c’est lui, c’est lui !je l’avais oublié, murmura Diane. C’est lui, je rêvais ! Odoux songe ! réveil affreux !

– Écoute, s’écriait Bussy, écoute,Diane ; nous voici réunis. Dis un mot, et rien ne peut plust’enlever à moi. Diane, fuyons. Qui nous empêche de fuir ?Regarde : devant nous l’espace, le bonheur, la liberté !Un mot, et nous partons ! un mot, et, perdue pour lui, tum’appartiens éternellement.

Et le jeune homme la retenait doucement.

– Et mon père ? dit Diane.

– Quand le baron saura que je t’aime…murmura-t-il.

– Oh ! fit Diane. Un père, quedis-tu là ?

Ce seul mot fit rentrer Bussy en lui-même.

– Rien par violence, chère Diane, dit-il,ordonne et j’obéirai.

– Écoute, dit Diane en étendant la main,notre destinée est là ; soyons plus forts que le démon quinous persécute ; ne crains rien, et tu verras si je saisaimer.

– Il faut donc nous séparer, monDieu ! murmura Bussy.

– Comtesse ! comtesse ! cria lavoix. Répondez, ou, dussé-je me tuer, je saute au bas de cetteinfernale litière.

– Adieu, dit Diane, adieu ; il leferait comme il le dit, et il se tuerait.

– Tu le plains ?

– Jaloux ! fit Diane, avec unadorable accent et un ravissant sourire.

Et Bussy la laissa partir.

En deux élans, Diane était revenue près de lalitière : elle trouva le comte à moitié évanoui.

– Arrêtez ! murmura le comte,arrêtez !

– Morbleu ! disait Remy, n’arrêtezpas ! il est fou, s’il veut se tuer, qu’il se tue.

Et la litière marchait toujours.

– Mais après qui donc criez-vous ?disait Gertrude, Madame est là, à mes côtés. Venez, madame, etrépondez-lui ; bien certainement M. le comte a ledélire.

Diane, sans prononcer une parole, entra dansle cercle de lumière épandu par les torches.

– Ah ! fit Monsoreau épuisé, où doncétiez-vous ?

– Où voulez-vous que je sois, monsieur,sinon derrière vous ?

– À mes côtés, madame, à mes côtés ;ne me quittez pas.

Diane n’avait plus aucun motif pour rester enarrière ; elle savait que Bussy la suivait. Si la nuit eût étééclairée par un rayon de lune, elle eût pu le voir.

On arriva à la halte. Monsoreau se reposaquelques heures, et voulut partir. Il avait hâte, non pointd’arriver à Paris, mais de s’éloigner d’Angers.

De temps en temps, la scène que nous venons deraconter se renouvelait.

Remy disait tout bas :

– Qu’il étouffe de rage, et l’honneur dumédecin sera sauvé.

Mais Monsoreau ne mourut pas ; aucontraire, au bout de dix jours, il était arrivé à Paris et ilallait sensiblement mieux.

C’était décidément un homme fort habile queRemy, plus habile qu’il ne l’eût voulu lui-même.

Pendant les dix jours qu’avait duré le voyage,Diane avait, à force de tendresses, démoli toute cette grandefierté de Bussy.

Elle l’avait engagé à se présenter chezMonsoreau, et à exploiter l’amitié qu’il lui témoignait.

Le prétexte de la visite était toutsimple : la santé du comte.

Remy soignait le mari, et remettait lesbillets à la femme.

– Esculape et Mercure, disait-il, jecumule.

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