La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 19Les précautions de M. de Monsoreau.

Saint-Luc avait raison, Jeanne avaitraison ; au bout de huit jours, Bussy s’en était aperçu etleur rendait pleinement justice.

Être un homme d’autrefois eût été grand etbeau pour la postérité ; mais c’était n’être plus qu’un vieilhomme, et Bussy, oublieux de Plutarque, qui avait cessé d’être sonauteur favori depuis que l’amour l’avait corrompu, Bussy, beaucomme Alcibiade, ne se souciant plus que du présent, se montraitdésormais peu friand d’un article d’histoire près de Scipion ou deBayard en leur jour de continence.

Diane était plus simple, plus nature, comme ondit aujourd’hui. Elle se laissait aller aux deux instincts que lemisanthrope Figaro reconnaît innés dans l’espèce : aimer ettromper. Elle n’avait jamais eu l’idée de pousser jusqu’à laspéculation philosophique ses opinions sur ce que Charron etMontaigne appellent l’honneste.

– Aimer Bussy, c’était sa logique, –n’être qu’à Bussy, c’était sa morale, – frissonner de tout soncorps au simple contact de sa main effleurée, c’était samétaphysique.

M. de Monsoreau, – il y avait déjàquinze jours que l’accident lui était arrivé, –M. de Monsoreau, disons-nous, se portait de mieux enmieux. Il avait évité la fièvre, grâce aux applications d’eaufroide, ce nouveau remède que le hasard ou la Providence avaitdécouvert à Ambroise Paré, quand il éprouva tout à coup une grandesecousse : il apprit que M. le duc d’Anjou venaitd’arriver à Paris avec la reine mère et ses Angevins.

Le comte avait raison de s’inquiéter :car, le lendemain de son arrivée, le prince, sous prétexte de venirprendre de ses nouvelles, se présenta dans son hôtel de la rue desPetits-Pères. Il n’y a pas moyen de fermer sa porte à une Altesseroyale qui vous donne une preuve d’un si tendre intérêt :M. de Monsoreau reçut le prince, et le prince futcharmant pour le grand veneur, et surtout pour sa femme.

Aussitôt le prince sorti,M. de Monsoreau appela Diane, s’appuya sur son bras, et,malgré les cris de Remy, fit trois fois le tour de sonfauteuil.

Après quoi il se rassit dans ce même fauteuil,autour duquel il venait, comme nous l’avons dit, de tracer unetriple ligne de circonvallation ; il avait l’air trèssatisfait, et Diane devina à son sourire qu’il méditait quelquesournoiserie.

Mais ceci rentre dans l’histoire privée de lamaison de Monsoreau. Revenons donc à l’arrivée de M. le ducd’Anjou, laquelle appartient à la partie épique de ce livre.

Ce ne fut pas, comme on le pense bien, un jourindifférent aux observateurs, que le jour où Monseigneur Françoisde Valois fit sa rentrée au Louvre. Voici ce qu’ilsremarquèrent :

Beaucoup de morgue de la part duroi ;

Une grande tiédeur de la part de la reinemère ;

Et une humble insolence de la part deM. le duc d’Anjou, qui semblait dire :

– Pourquoi diable me rappelez-vous, sivous me faites, quand j’arrive, cette fâcheuse mine ?

Toute cette réception était assaisonnée desregards rutilants, flamboyants, dévorants, deMM. de Livarot, de Ribérac et d’Antraguet, lesquels,prévenus par Bussy, étaient bien aises de faire comprendre à leursfuturs adversaires que, s’il y avait empêchement au combat, cetempêchement, pour sûr, ne viendrait pas de leur part.

Chicot, ce jour-là, fit plus d’allées et devenues que César la veille de la bataille de Pharsale.

Puis tout rentra dans le calme plat.

Le surlendemain de sa rentrée au Louvre, leduc d’Anjou vint faire une seconde visite au blessé.

Monsoreau, instruit des moindresparticularités de l’entrevue du roi avec son frère, caressa dugeste et de la voix M. le duc d’Anjou, pour l’entretenir dansles plus hostiles dispositions.

Puis, comme il allait de mieux en mieux, quandle duc fut parti, il reprit le bras de sa femme, et, au lieu defaire trois fois le tour de son fauteuil, il fit une fois le tourde sa chambre.

Après quoi, il se rassit d’un air encore plussatisfait que la première fois.

Le même soir, Diane prévint Bussy queM. de Monsoreau méditait bien certainement quelquechose.

Un instant après, Monsoreau et Bussy setrouvèrent seuls.

– Quand je pense, dit Monsoreau à Bussy,que ce prince, qui me fait si bonne mine, est mon ennemi mortel, etque c’est lui qui m’a fait assassiner parM. de Saint-Luc !

– Oh ! assassiner ! ditBussy ; prenez garde, monsieur le comte, Saint-Luc est bongentilhomme, et vous avouez vous-même que vous l’aviez provoqué,que vous aviez tiré l’épée le premier, et que vous avez reçu lecoup en combattant.

– D’accord, mais il n’en est pas moinsvrai qu’il obéissait aux instigations du duc d’Anjou.

– Écoutez, dit Bussy, je connais le duc,et surtout je connais M. de Saint-Luc. Je dois vous direque M. de Saint-Luc est tout entier au roi, et pas dutout au prince. Ah ! si votre coup d’épée vous venaitd’Antraguet, de Livarot ou de Ribérac, je ne dis pas… mais deSaint-Luc….

– Vous ne connaissez pas l’histoire deFrance comme je la connais, mon cher monsieur de Bussy, ditMonsoreau obstiné dans son opinion.

Bussy eût pu lui répondre, que s’ilconnaissait mal l’histoire de France, il connaissait en échangeparfaitement celle de l’Anjou, et surtout de la partie de l’Anjouoù était enclavé Méridor.

Enfin Monsoreau en vint à se lever et àdescendre dans le jardin.

– Cela me suffit, dit-il en remontant. Cesoir, nous déménagerons.

– Pourquoi cela ? dit Remy. Est-ceque vous n’êtes pas en bon air dans la rue des Petits-Pères, ou ladistraction vous manque-t-elle ?

– Au contraire, dit Monsoreau, j’en aitrop, de distractions ; M. d’Anjou me fatigue avec sesvisites. Il amène toujours avec lui une trentaine de gentilshommes,et le bruit de leurs éperons m’agace horriblement les nerfs.

– Mais où allez-vous ?

– J’ai ordonné qu’on mît en état mapetite maison des Tournelles.

Bussy et Diane, car Bussy était toujours là,échangèrent un regard amoureux de souvenir.

– Comment, cette bicoque ! s’écriaétourdiment Remy.

– Ah ! ah ! vous laconnaissez ? fit Monsoreau.

– Pardieu ! dit le jeune homme, quine connaît pas les habitations de M. le grand veneur deFrance, et surtout quand on a demeuré rue Beautreillis ?

Monsoreau, par l’habitude, roula quelque vaguesoupçon dans son esprit.

– Oui, oui, j’irai là, dit-il, et j’yserai bien. On n’y peut recevoir que quatre personnes au plus.C’est une forteresse, et, par la fenêtre, on voit, à trois centspas de distance, ceux qui viennent vous faire visite.

– De sorte ? demanda Remy.

– De sorte qu’on peut les éviter quand onveut, dit Monsoreau, surtout quand on se porte bien.

Bussy se mordit les lèvres, il craignait qu’ilne vînt un temps où Monsoreau l’éviterait à son tour.

Diane soupira. Elle se souvenait avoir vu,dans cette petite maison, Bussy blessé, évanoui sur son lit.

Remy réfléchit ; aussi fut-il le premierdes trois qui parla.

– Vous ne le pouvez pas, dit-il.

– Et pourquoi cela, s’il vous plaît,monsieur le docteur ?

– Parce qu’un grand veneur de France ades réceptions à faire, des valets à entretenir, des équipages àsoigner. Qu’il ait un palais pour ses chiens, cela se conçoit, maisqu’il ait un chenil pour lui, c’est impossible.

– Hum ! fit Monsoreau d’un ton quivoulait dire : C’est vrai.

– Et puis, dit Remy, car je suis lemédecin du cœur comme celui du corps, ce n’est pas votre séjour iciqui vous préoccupe.

– Qu’est-ce donc ?

– C’est celui de madame.

– Eh bien ?

– Eh bien, faites déménager lacomtesse.

– M’en séparer ! s’écria Monsoreauen fixant sur Diane un regard où il y avait, certes, plus de colèreque d’amour.

– Alors, séparez-vous de votre charge,donnez votre démission de grand veneur ; je crois que ceserait sage : car vraiment ou vous ferez ou vous ne ferez pasvotre service ; si vous ne le faites pas, vous mécontenterezle roi, et si vous le faites….

– Je ferai ce qu’il faudra faire, ditMonsoreau les dents serrées, mais je ne quitterai pas lacomtesse.

Le comte achevait ces mots, lorsqu’on entenditdans la cour un grand bruit de chevaux et de voix.

Monsoreau frémit.

– Encore le duc ! murmura-t-il.

– Oui, justement, dit Remy en allant à lafenêtre.

Le jeune homme n’avait point achevé que, grâceau privilège qu’ont les princes d’entrer sans être annoncés, le ducentra dans la chambre.

Monsoreau était aux aguets, il vit que lepremier coup d’œil de François avait été pour Diane.

Bientôt les galanteries intarissables du ducl’éclairèrent mieux encore ; il apportait à Diane un de cesrares bijoux comme en faisaient trois ou quatre en leur vie cespatients et généreux artistes qui illustrèrent un temps où, malgrécette lenteur à les produire, les chefs-d’œuvre étaient plusfréquents qu’aujourd’hui.

C’était un charmant poignard au manche d’orciselé ; ce manche était un flacon ; sur la lame couraittoute une chasse, burinée avec un merveilleux talent : chiens,chevaux, chasseurs, gibier, arbres et ciel, s’y confondaient dansun pêle-mêle harmonieux qui forçait le regard à demeurer longtempsfixé sur cette lame d’azur et d’or.

– Voyons, dit Monsoreau, qui craignaitqu’il n’y eût quelque billet caché dans le manche.

Le prince alla au-devant de cette crainte enle séparant en deux parties.

– À vous qui êtes chasseur, la lame,dit-il ; à la comtesse, le manche. Bonjour, Bussy, vous voilàdonc ami intime avec le comte, maintenant ?

Diane rougit.

Bussy, au contraire, demeura assez maître delui-même.

– Monseigneur, dit-il, vous oubliez queVotre Altesse elle-même m’a chargé ce matin de venir savoir desnouvelles de M. de Monsoreau. J’ai obéi, comme toujours,aux ordres de Votre Altesse.

– C’est vrai, dit le duc.

Puis, il alla s’asseoir près de Diane, et luiparla bas.

Au bout d’un instant :

– Comte, dit-il, il fait horriblementchaud dans cette chambre de malade. Je vois que la comtesseétouffe, et je vais lui offrir le bras pour lui faire faire un tourde jardin.

Le mari et l’amant échangèrent un regardcourroucé.

Diane, invitée à descendre, se leva et posason bras sur celui du prince.

– Donnez-moi le bras, dit Monsoreau àBussy.

Et Monsoreau descendit derrière sa femme.

– Ah ! ah ! dit le duc, ilparaît que vous allez tout à fait bien ?

– Oui, monseigneur, et j’espère êtrebientôt en état de pouvoir accompagner madame de Monsoreau partoutoù elle ira.

– Bon ! mais, en attendant, il nefaut pas vous fatiguer.

Monsoreau lui-même sentait combien était justela recommandation du prince.

Il s’assit à un endroit d’où il ne pouvait leperdre de vue.

– Tenez, comte, dit-il à Bussy, si vousétiez bien aimable, dès ce soir vous escorteriez madame deMonsoreau jusqu’à mon petit hôtel de la Bastille ; je l’y aimemieux qu’ici, en vérité. Arrachée à Méridor aux griffes de cevautour, je ne le laisserai pas la dévorer à Paris.

– Non pas, monsieur, dit Remy à sonmaître, non pas, vous ne pouvez accepter.

– Et pourquoi cela ? ditMonsoreau.

– Parce que vous êtes à M. d’Anjou,et que M. d’Anjou ne vous pardonnerait jamais d’avoir aidé lecomte à lui jouer un pareil tour.

– Que m’importe ? allait s’écrierl’impétueux jeune homme, lorsque un coup d’œil de Remy lui indiquaqu’il devait se taire.

Monsoreau réfléchissait.

– Remy a raison, dit-il, ce n’est pointde vous que je dois réclamer un pareil service ; j’iraimoi-même la conduire : car, demain ou après demain, je seraien mesure d’habiter cette maison.

– Folie, dit Bussy, vous perdrez votrecharge.

– C’est possible, dit le comte, mais jegarderai ma femme.

Et il accompagna ces paroles d’un froncementde sourcils qui fit soupirer Bussy.

En effet, le soir même, le comte conduisit safemme à sa maison des Tournelles, bien connue de nos lecteurs.

Remy aida le convalescent à s’y installer.

Puis, comme c’était un homme d’un dévouement àtoute épreuve, comme il comprit que, dans ce local resserré, Bussyaurait grand besoin de lui, il se rapprocha de Gertrude, quicommença par le battre, et finit par lui pardonner.

Diane reprit sa chambre, située sur le devant,cette chambre au portail et au lit de damas blanc et or.

Un corridor seulement séparait cette chambrede celle du comte de Monsoreau.

Bussy s’arrachait des poignées de cheveux.

Saint-Luc prétendait que les échelles decorde, étant arrivées à leur plus haute perfection, pouvaient àmerveille remplacer les escaliers.

Monsoreau se frottait les mains, et souriaiten songeant au dépit de M. le duc d’Anjou.

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