La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 23Une promenade aux Tournelles.

Cependant peu à peu les gentilshommes angevinsétaient revenus à Paris.

Dire qu’ils y rentraient avec confiance, on nele croirait pas. Ils connaissaient trop bien le roi, son frère etsa mère, pour espérer que les choses se passassent en embrassadesde famille.

Ils se rappelaient toujours cette chasse quileur avait été faite par les amis du roi, et ils ne voulaient passe décider à croire qu’on pût leur donner un triomphe pour pendantà cette cérémonie assez désagréable.

Ils revenaient donc timidement, et seglissaient en ville armés jusqu’à la gorge, prêts à faire feu surle moindre geste suspect, et ils dégainèrent cinquante fois, avantd’arriver à l’hôtel d’Anjou, contre des bourgeois qui n’avaientcommis d’autre crime que de les regarder passer. Antraguet surtoutse montrait féroce, et reportait toutes ces disgrâces àMM. les mignons du roi, se promettant de leur en dire, àl’occasion, deux mots fort explicites.

Il fit part de ce projet à Ribérac, homme debon conseil, et celui-ci lui répondit qu’avant de se donner unpareil plaisir il fallait avoir à sa portée une frontière oudeux.

– On s’arrangera pour cela, ditAntraguet.

Le duc leur fit bon accueil. C’étaient seshommes à lui, comme MM. de Maugiron, Quélus, Schomberg etd’Épernon étaient ceux du roi.

Il débuta par leur dire :

– Mes amis, on songe à vous tuer un peu,à ce qu’il paraît. Le vent est à ces sortes de réceptions ;gardez-vous bien.

– C’est fait, monseigneur, répliquaAntraguet ; mais ne convient-il pas que nous allions offrir àSa Majesté nos très humbles respects ? Car enfin, si nous nouscachons, cela ne fera pas honneur à l’Anjou. Que vous ensemble ?

– Vous avez raison, dit le duc ;allez, et, si vous le voulez, je vous accompagnerai.

Les trois jeunes gens se consultèrent duregard. À ce moment, Bussy entra dans la salle et vint embrasserses amis.

– Eh ! dit-il, vous êtes bien enretard ! Mais qu’est-ce que j’entends ? Son Altesse quipropose d’aller se faire tuer au Louvre comme César dans le sénatde Rome ! Songez donc que chacun de MM. les mignonsemporterait volontiers un petit morceau de monseigneur sous sonmanteau.

– Mais, cher ami, nous voulons nousfrotter un peu à ces messieurs.

Bussy se mit à rire.

– Eh ! eh ! dit-il, on verra,on verra.

Le duc le regarda très attentivement.

– Allons au Louvre, fit Bussy ; maisnous seulement : monseigneur restera dans son jardin à abattredes têtes de pavot.

François feignit de rire très joyeusement. Lefait est qu’au fond il se trouvait heureux de n’avoir plus lacorvée à faire.

Les Angevins se parèrent superbement.C’étaient de fort grands seigneurs, qui mangeaient volontiers ensoie, velours et passementerie, le revenu des terrespaternelles.

Leur réunion était un mélange d’or, depierreries et de brocart, qui, sur le chemin, fit crier Noël aupopulaire, dont le flair infaillible devinait, sous ces beauxatours, des cœurs embrasés de haine pour les mignons du roi.

Henri III ne voulut pas recevoir ces messieursde l’Anjou, et ils attendirent vainement dans la galerie. Ce furentMM. de Quélus, Maugiron, Schomberg et d’Épernon, qui,saluant avec politesse et témoignant tous les regrets du monde,vinrent annoncer cette nouvelle au Angevins.

– Ah ! messire, dit Antraguet, – carBussy s’effaçait le plus possible, – la nouvelle est triste ;mais, passant par votre bouche, elle perd beaucoup de sondésagrément.

– Messieurs, dit Schomberg, vous êtes lafine fleur de la grâce et de la courtoisie. Vous plaît-il que nousmétamorphosions cette réception, qui est manquée, en une petitepromenade ?

– Oh ! messieurs, nous allions vousle demander, dit vivement Antraguet, à qui Bussy toucha légèrementle bras pour lui dire :

– Tais-toi donc, et laisse-les faire.

– Où irions-nous donc bien ? ditQuélus en cherchant.

– Je connais un charmant endroit du côtéde la Bastille, fit Schomberg.

– Messieurs, nous vous suivons, ditRibérac ; marchez devant.

En effet, les quatre amis sortirent du Louvre,suivis des quatre Angevins, et se dirigèrent par les quais versl’ancien enclos des Tournelles, alors Marché-aux-Chevaux, sorte deplace unie, plantée de quelques arbres maigres, et semée çà et làde barrières destinées à arrêter les chevaux ou à les attacher.

Chemin faisant, les huit gentilshommess’étaient pris par le bras, et, avec mille civilités,s’entretenaient de sujets gais et badins, au grand ébahissement desbourgeois, qui regrettaient leurs vivat de tout à l’heure, etdisaient que les Angevins venaient de pactiser avec les pourceauxd’Hérode.

On arriva.

Quélus prit la parole.

– Voyez le beau terrain, dit-il ;voyez l’endroit solitaire, et comme le pied tient bien sur cesalpêtre.

– Ma foi, oui, répliqua Antraguet enbattant plusieurs appels.

– Eh bien, continua Quélus, nous avionspensé, ces messieurs et moi, que vous voudriez bien, un de cesjours, nous accompagner jusqu’ici pour seconder, tiercer et quarterM. de Bussy, votre ami, qui nous a fait l’honneur de nousappeler tous quatre.

– C’est vrai, dit Bussy à ses amisstupéfaits.

– Il n’en avait rien dit, s’écriaAntraguet.

– Oh ! M. de Bussy est unhomme qui sait le prix des choses, repartit Maugiron.Accepteriez-vous, messieurs de l’Anjou ?

– Certes, oui, répliquèrent les troisAngevins d’une seule voix ; l’honneur est tel, que nous nousen réjouissons.

– C’est à merveille, dit Schomberg en sefrottant les mains. Vous plaît-il maintenant que nous nouschoisissions l’un l’autre ?

– J’aime assez cette méthode, dit Ribéracavec des yeux ardents… et alors….

– Non pas, interrompit Bussy, cela n’estpas juste. Nous avons tous les mêmes sentiments, donc nous sommesinspirés de Dieu ; c’est Dieu qui fait les idées humaines,messieurs, je vous l’assure ; eh bien, laissons à Dieu le soinde nous appareiller. Vous savez d’ailleurs que rien n’est plusindifférent au cas où nous conviendrions que le premier librecharge les autres.

– Et il le faut ! et il lefaut ! s’écrièrent les mignons.

– Alors raison de plus ; faisonscomme firent les Horaces : tirons au sort.

– Tirèrent-ils au sort ? dit Quélusen réfléchissant.

– J’ai tout lieu de le croire, réponditBussy.

– Alors imitons-les.

– Un moment, dit encore Bussy. Avant deconnaître nos antagonistes, convenons des règles du combat. Ilserait malséant que les conditions du combat suivissent le choixdes adversaires.

– C’est simple, fit Schomberg ; nousnous battrons jusqu’à ce que mort s’ensuive, comme a ditM. de Saint-Luc.

– Sans doute ; mais comment nousbattrons-nous ?

– Avec l’épée et la dague, ditBussy ; nous sommes tous exercés.

– À pied ? dit Quélus.

– Eh ! que voulez-vous faire d’uncheval ? On n’a pas les mouvements libres.

– À pied, soit.

– Quel jour ?

– Mais le plus tôt possible.

– Non, dit d’Épernon ; j’ai millechoses à régler, un testament à faire ; pardon, mais jepréfère attendre… Trois ou six jours nous aiguiserontl’appétit.

– C’est parler en brave, dit Bussy assezironiquement.

– Est-ce convenu ?

– Oui. Nous nous entendrons toujours àmerveille.

– Alors tirons au sort, dit Bussy.

– Un moment, fit Antraguet ; jepropose ceci : divisons le terrain en cens impartiaux. Commeles noms vont sortir au hasard deux par deux, coupons quatrecompartiments sur le terrain pour chacune des quatre paires.

– Bien dit.

– Je propose, pour le numéro 1, le carrélong entre deux tilleuls… Il y a belle place.

– Accepté.

– Mais le soleil ?

– Tant pis pour le second de lapaire ; il sera tourné à l’est.

– Non pas, messieurs, ce serait injuste,dit Bussy. Tuons-nous, mais ne nous assassinons pas. Décrivons undemi-cercle et opposons-nous tous à la lumière ; que le soleilnous frappe de profil.

Bussy montra la position, qui futacceptée ; puis on tira les noms.

Schomberg sortit le premier, Ribérac lesecond. Ils furent désignés pour la première paire.

Quélus et Antraguet Furent les seconds.

Livarot et Maugiron les troisièmes. Au nom deQuélus, Bussy, qui croyait l’avoir pour champion, fronça lesourcil.

D’Épernon, se voyant forcément accouplé àBussy, pâlit, et fut obligé de se tirer la moustache pour rappelerquelques couleurs à ses joues.

– Maintenant, messieurs, dit Bussy,jusqu’au jour du combat, nous nous appartenons les uns aux autres.–C’est à la vie à la mort ; nous sommes amis. Voulez-vous bienaccepter un dîner à l’hôtel Bussy ?

Tous saluèrent en signe d’assentiment, etrevinrent chez Bussy, où un somptueux festin les réunit jusqu’aumatin.

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