La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 20Une visite à la maison des tournelles.

La surexcitation tient lieu, à quelqueshommes, de passion réelle, comme la faim donne au loup et à lahyène une apparence de courage.

C’était sous l’impression d’un sentimentpareil que M. d’Anjou, dont le dépit ne pourrait se décrirelorsqu’il ne retrouva plus Diane à Méridor, était revenu àParis ; à son retour, il était presque amoureux de cettefemme, et cela justement parce qu’on la lui enlevait.

Il en résultait que sa haine pour Monsoreau,haine qui datait du jour où il avait appris que le comte letrahissait, il en résultait, disons-nous, que sa haine s’étaitchangée en une sorte de fureur, d’autant plus dangereuse, qu’ayantexpérimenté déjà le caractère énergique du comte, il voulait setenir prêt à frapper sans donner prise sur lui-même.

D’un autre côté, il n’avait pas renoncé à sesespérances politiques, bien au contraire ; et l’assurancequ’il avait prise de sa propre importance l’avait grandi à sespropres yeux. À peine de retour à Paris, il avait donc recommencéses ténébreuses et souterraines machinations. Le moment étaitfavorable. Bon nombre de ces conspirateurs chancelants, qui sontdévoués au succès, rassurés par l’espèce de triomphe que lafaiblesse du roi et l’astuce de Catherine venaient de donner auxAngevins, s’empressaient autour du duc d’Anjou, ralliant, par desfils imperceptibles mais puissants, la cause du prince à celle desGuises, qui demeuraient prudemment dans l’ombre, et qui gardaientun silence dont Chicot se trouvait fort alarmé.

Au reste, plus d’épanchement politique du ducenvers Bussy : une hypocrisie amicale, voilà tout. Le princeétait vaguement troublé d’avoir vu le jeune homme chez Monsoreau,et il lui gardait rancune de cette confiance que Monsoreau, sidéfiant, avait néanmoins envers lui. Il s’effrayait aussi de cettejoie qui épanouissait le visage de Diane, de ces fraîches couleursqui la rendaient si désirable, d’adorable qu’elle était. Le princesavait que les fleurs ne se colorent et ne se parfument qu’ausoleil, et les femmes qu’à l’amour. Diane était visiblementheureuse, et pour le prince, toujours malveillant et soucieux, lebonheur d’autrui semblait une hostilité.

Né prince, devenu puissant par une routesombre et tortueuse, décidé à se servir de la force, soit pour sesamours, soit pour ses vengeances, depuis que la force lui avaitréussi ; bien conseillé, d’ailleurs, par Aurilly, le duc pensaqu’il serait honteux pour lui d’être ainsi arrêté dans ses désirspar des obstacles aussi ridicules que le sont une jalousie de mariet une répugnance de femme.

Un jour qu’il avait mal dormi et qu’il avaitpassé la nuit à poursuivre ces mauvais rêves qu’on fait dans undemi-sommeil fiévreux, il sentit qu’il était monté au ton de sesdésirs, et commanda ses équipages pour aller voir Monsoreau.

Monsoreau, comme on le sait, était parti poursa maison des Tournelles.

Le prince sourit à cette annonce. C’était lapetite pièce de la comédie de Méridor. Il s’enquit, mais pour laforme seulement, de l’endroit où était située cette maison ;on lui répondit que c’était sur la place Saint-Antoine, et, seretournant alors vers Bussy, qui l’avait accompagné : –Puisqu’il est aux Tournelles, dit-il, allons aux Tournelles.

L’escorte se remit en marche, et bientôt toutle quartier fut en rumeur par la présence de ces vingt-quatre beauxgentilshommes, qui composaient d’ordinaire la suite du prince, etqui avaient chacun deux laquais et trois chevaux.

Le prince connaissait bien la maison et laporte ; Bussy ne la connaissait pas moins bien que lui. Ilss’arrêtèrent tous deux devant la porte, s’engagèrent dans l’alléeet montèrent tous deux ; seulement, le prince entra dans lesappartements, et Bussy demeura sur le palier.

Il résulta de cet arrangement que le prince,qui paraissait le privilégié, ne vit que Monsoreau, lequel le reçutcouché sur une chaise longue, tandis que Bussy fut reçu dans lesbras de Diane, qui l’étreignirent fort tendrement, tandis queGertrude faisait le guet.

Monsoreau, naturellement pâle, devint livideen apercevant le prince. C’était sa vision terrible.

– Monseigneur, dit-il frissonnant decontrariété, monseigneur, dans cette pauvre maison ! envérité, c’est trop d’honneur pour le peu que je suis.

L’ironie était visible, car à peine le comtese donnait-il la peine de la déguiser.

Cependant le prince ne parut aucunement laremarquer, et, s’approchant du convalescent avec unsourire :

– Partout où va un ami souffrant, dit-il,j’irai pour demander de ses nouvelles.

– En vérité, prince, Votre Altesse a ditle mot ami, je crois.

– Je l’ai dit, mon cher comte. Commentallez-vous ?

– Beaucoup mieux, monseigneur ; jeme lève, je vais, je viens, et, dans huit jours, il n’y paraîtraplus.

– Est-ce votre médecin qui vous aprescrit l’air de la Bastille ? demanda le prince avecl’accent le plus candide du monde.

– Oui, monseigneur.

– N’étiez-vous pas bien rue desPetits-Pères ?

– Non, monseigneur ; j’y recevaistrop de monde, et ce monde menait trop grand bruit.

Le comte prononça ces paroles avec un ton defermeté qui n’échappa point au prince, et cependant le prince neparut point y faire attention.

– Mais vous n’avez point de jardin ici,ce me semble ? dit-il.

– Le jardin me faisait tort, monseigneur,répondit Monsoreau.

– Mais où vous promeniez-vous, moncher ?

– Justement, monseigneur, je ne mepromenais pas.

Le prince se mordit les lèvres et se renversasur sa chaise.

– Vous savez, comte, dit-il après unmoment de silence, que l’on demande beaucoup votre charge de grandveneur au roi ?

– Bah ! et sous quel prétexte,monseigneur ?

– Beaucoup prétendent que vous êtesmort.

– Oh ! monseigneur, j’en suis sûr,répond que je ne le suis pas.

– Moi, je ne réponds rien du tout. Vousvous enterrez, mon cher, donc vous êtes mort.

Monsoreau se mordit les lèvres à son tour.

– Que voulez-vous, monseigneur ?dit-il, je perdrai mes charges.

– Vraiment ?

– Oui ; il y a des choses que jeleur préfère.

– Ah ! fit le prince, c’est fortdésintéressé de votre part.

– Je suis fait ainsi, monseigneur.

– En ce cas, puisque vous êtes ainsifait, vous ne trouveriez pas mauvais que le roi le sût.

– Qui le lui dirait ?

– Dame ! s’il m’interroge, il faudrabien que je lui répète notre conversation.

– Ma foi, monseigneur, si l’on répétaitau roi tout ce qui se dit à Paris, Sa Majesté n’aurait pas assez deses deux oreilles.

– Que se dit-il donc à Paris,monsieur ? dit le prince en se retournant vers le comte aussivivement que si un serpent l’eût piqué.

Monsoreau vit que, tout doucement, laconversation avait pris une tournure un peu trop sérieuse pour unconvalescent n’ayant pas encore toute liberté d’agir. Il calma lacolère qui bouillonnait au fond de son âme, et, prenant un visageindifférent :

– Que sais-je, moi, pauvreparalytique ? dit-il. Les événements passent, et j’en aperçoisà peine l’ombre. Si le roi est dépité de me voir si mal faire sonservice, il a tort.

– Comment cela ?

– Sans doute ; mon accident….

– Eh bien ?

– Vient un peu de sa faute.

– Expliquez-vous.

– Dame ! M. de Saint-Luc,qui m’a donné ce coup d’épée, n’est-il pas des plus chers amis duroi ? C’est le roi qui lui a montré la botte secrète à l’aidede laquelle il m’a troué la poitrine, et rien ne me dit même que cene soit pas le roi qui me l’ait tout doucement dépêché.

Le duc d’Anjou fit presque un signed’approbation.

– Vous avez raison, dit-il ; maisenfin le roi est le roi.

– Jusqu’à ce qu’il ne le soit plus,n’est-ce pas ? dit Monsoreau.

Le duc tressaillit.

– À propos, dit-il, madame de Monsoreaune loge-t-elle donc pas ici ?

– Monseigneur, elle est malade en cemoment ; sans quoi elle serait déjà venue vous présenter sestrès humbles hommages.

– Malade ? Pauvre femme !

– Oui, monseigneur.

– Le chagrin de vous avoir vusouffrir ?

– D’abord ; puis la fatigue de cettetranslation.

– Espérons que l’indisposition sera decourte durée, mon cher comte. Vous avez un médecin sihabile !

Et il leva le siège.

– Le fait est, dit Monsoreau, que ce cherRemy m’a admirablement soigné.

– Mais c’est le médecin de Bussy que vousme nommez là.

– Le comte me l’a donné en effet,monseigneur.

– Vous êtes donc très lié avecBussy ?

– C’est mon meilleur, je devrais mêmedire c’est mon seul ami, répondit froidement Monsoreau.

– Adieu, comte, dit le prince ensoulevant la portière de damas.

Au même instant, et comme il passait la têtesous la tapisserie, il crut voir comme un bout de robe s’effacerdans la chambre voisine, et Bussy apparut tout à coup à son posteau milieu du corridor.

Le soupçon grandit chez le duc.

– Nous partons, dit-il à Bussy.

Bussy, sans répondre, descendit aussitôt pourdonner à l’escorte l’ordre de se préparer, mais peut-être bienaussi pour cacher sa rougeur au prince.

Le duc, resté seul sur le palier, essaya depénétrer dans le corridor où il avait vu disparaître la robe desoie.

Mais, en se retournant, il remarqua queMonsoreau l’avait suivi et se tenait debout, pâle et appuyé auchambranle, sur le seuil de la porte.

– Votre Altesse se trompe de chemin, ditfroidement le comte.

– C’est vrai, balbutia le duc, merci.

Et il descendit, la rage dans le cœur.

Pendant toute la route, qui était longuecependant, Bussy et lui n’échangèrent pas une seule parole.

Bussy quitta le duc à la porte de sonhôtel.

Lorsque le duc fut rentré et seul dans soncabinet, Aurilly s’y glissa mystérieusement.

– Eh bien, dit le duc en l’apercevant, jesuis bafoué par le mari.

– Et peut-être aussi par l’amant,monseigneur, dit le musicien.

– Que dis-tu ?

– La vérité, Altesse.

– Achève alors.

– Écoutez, monseigneur, j’espère que vousme pardonnerez, car c’était pour le service de Votre Altesse.

– Va, c’est convenu, je te pardonned’avance.

– Eh bien, j’ai guetté sous un hangaraprès que vous fûtes monté.

– Ah ! ah ! et qu’as-tuvu ?

– J’ai vu paraître une robe de femme,j’ai vu cette femme se pencher, j’ai vu deux bras se nouer autourde son cou ; et, comme mon oreille est exercée, j’ai entendufort distinctement le bruit d’un long et tendre baiser.

– Mais quel était l’homme ? demandale duc. L’as-tu reconnu, lui ?

– Je ne puis reconnaître des bras, ditAurilly. Les gants n’ont pas de visage, monseigneur.

– Oui, mais on peut reconnaître desgants.

– En effet, il m’a semblé… ditAurilly.

– Que tu les reconnaissais, n’est-cepas ? Allons donc !

– Mais ce n’est qu’une présomption.

– N’importe, dis toujours.

– Eh bien, monseigneur, il m’a semblé quec’étaient les gants de M. de Bussy.

– Des gants de buffle brodés d’or,n’est-ce pas ? s’écria le duc, aux yeux duquel disparut tout àcoup le nuage qui voilait la vérité.

– De buffle, brodés d’or ; oui,monseigneur, c’est cela, répéta Aurilly.

– Ah ! Bussy ! oui,Bussy ! c’est Bussy ! s’écria de nouveau le duc ;aveugle que j’étais ! ou plutôt, non, je n’étais pas aveugle.Seulement, je ne pouvais croire à tant d’audace.

– Prenez-y garde, dit Aurilly, il mesemble que Votre Altesse parle bien haut.

– Bussy ! répéta encore une fois leduc, se rappelant mille circonstances qui avaient passé inaperçues,et qui, maintenant, repassaient grandissantes devant ses yeux.

– Cependant, monseigneur, dit Aurilly, ilne faudrait pas croire trop légèrement ; ne pouvait-il y avoirun homme caché dans la chambre de madame de Monsoreau ?

– Oui, sans doute ; mais Bussy,Bussy, qui était dans le corridor, l’aurait vu, cet homme.

– C’est vrai, monseigneur.

– Et puis, les gants, les gants.

– C’est encore vrai ; et puis, outrele bruit du baiser, j’ai encore entendu….

– Quoi ?

– Trois mots.

– Lesquels ?

– Les voici : À demainsoir !

– O mon Dieu !

– De sorte que si nous voulions,monseigneur, un peu recommencer cet exercice que nous faisionsautrefois, eh bien, nous serions sûrs….

– Aurilly, demain soir nousrecommencerons.

– Votre Altesse sait que je suis à sesordres.

– Bien. Ah ! Bussy ! répéta leduc entre ses dents, Bussy, traître à son seigneur ! Bussy,cet épouvantail de tous ! Bussy, l’honnête homme…. Bussy, quine veut pas que je sois roi de France !….

Et le duc, souriant avec une infernale joie,congédia Aurilly pour réfléchir à son aise.

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