La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 18En quoi M. de Saint-Luc était plus civilisé que M. de Bussy, desleçons qu’il lui donna, et de l’usage qu’en fit l’amant de la belleDiane.

Saint-Luc revint très fier d’avoir si bienfait sa commission.

Bussy l’attendait et le remercia. Saint-Luc letrouva tout triste, ce qui n’était pas naturel chez un homme aussibrave à la nouvelle d’un bon et brillant duel.

– Ai-je mal fait les choses ? ditSaint-Luc. Vous voilà tout hérissé.

– Ma foi, cher ami, je regrette qu’aulieu de prendre un terme vous n’ayez pas dit : « Tout desuite. »

– Ah ! patience, les Angevins nesont pas encore venus. Que diable ! laissez-leur le temps devenir. Et puis, où est la nécessité de vous faire si vite unelitière de morts et de mourants ?

– C’est que je voudrais mourir le plustôt possible.

Saint-Luc regarda Bussy avec cet étonnementque les gens parfaitement organisés éprouvent tout d’abord à lamoindre apparence d’un malheur même étranger.

– Mourir ! quand on a votre âge,votre maîtresse et votre nom !

– Oui ! j’en tuerai, je suis sûr,quatre, et je recevrai un bon coup qui me tranquilliseraéternellement.

– Des idées noires ! Bussy.

– Je voudrais bien vous y voir, vous. Unmari qu’on croyait mort et qui revient ; une femme qui ne peutplus quitter le chevet du lit de ce prétendu moribond ; nejamais se sourire, ne jamais se parler, ne jamais se toucher lamain. Mordieu ! je voudrais bien avoir quelqu’un àécharper….

Saint-Luc répondit à cette sortie par un éclatde rire qui fit envoler toute une volée de moineaux qui picotaientles sorbiers du petit jardin du Louvre.

– Ah ! s’écria-t-il, que voilà unhomme innocent ! Dire que les femmes aiment ce Bussy, unécolier ! Mais mon cher, vous perdez le sens : il n’y apas d’amant aussi heureux que vous sur la terre.

– Ah ! fort bien ; prouvez-moiun peu cela, vous, homme marié !

– Nihil facilius, comme disaitle jésuite Triquet, mon pédagogue ; vous êtes l’ami deM. de Monsoreau ?

– Ma foi ! j’en ai honte, pourl’honneur de l’intelligence humaine. Ce butor m’appelle sonami.

– Eh bien, soyez son ami.

– Oh !… abuser de ce titre.

– Prorsus absurdum ! disaittoujours Triquet. Est-il vraiment votre ami ?

– Mais il le dit.

– Non, puisqu’il vous rend malheureux. Orle but de l’amitié est de faire que les hommes soient heureux l’unpar l’autre. Du moins c’est ainsi que Sa Majesté définit l’amitié,et le roi est lettré.

Bussy se mit à rire.

– Je continue, dit Saint-Luc. S’il vousrend malheureux, vous n’êtes pas amis ; donc vous pouvez letraiter soit en indifférent, et alors lui prendre sa femme ;soit en ennemi, et le retuer s’il n’est pas content.

– Au fait, dit Bussy, je le déteste.

– Et lui vous craint.

– Vous croyez qu’il ne m’aimepas ?

– Dame, essayez. Prenez-lui sa femme, etvous verrez.

– Est-ce toujours la logique du pèreTriquet ?

– Non, c’est la mienne.

– Je vous en fais mon compliment.

– Elle vous satisfait ?

– Non. J’aime mieux être hommed’honneur.

– Et laisser madame de Monsoreau guérirmoralement et physiquement son mari ? Car enfin, si vous vousfaites tuer, il est certain qu’elle s’attachera au seul homme quilui reste….

Bussy fronça le sourcil.

– Mais, au surplus, ajouta Saint-Luc,voici madame de Saint-Luc, elle est de bon conseil. Après s’êtrefait un bouquet dans les parterres de la reine mère, elle sera debonne humeur. Écoutez-la, elle parle d’or.

En effet, Jeanne arrivait radieuse,éblouissante de bonheur et pétillante de malice. Il y a de cesheureuses natures qui font de tout ce qui les environne, commel’alouette aux champs, un réveil joyeux, un riant augure.

Bussy la salua en ami. Elle lui tendit lamain, ce qui prouve bien que ce n’est pas le plénipotentiaireDubois qui a rapporté cette mode d’Angleterre avec le traité de laquadruple alliance.

– Comment vont les amours ? dit-elleen liant son bouquet avec une tresse d’or.

– Ils se meurent, dit Bussy.

– Bon ! ils sont blessés, et ilss’évanouissent, dit Saint-Luc ; je gage que vous allez lesfaire revenir à eux, Jeanne.

– Voyons, dit-elle, qu’on me montre laplaie.

– En deux mots, voici, reprit Saint-Luc.M. de Bussy n’aime pas à sourire au comte de Monsoreau,et il a formé le dessein de se retirer.

– Et de lui laisser Diane ? s’écriaJeanne avec effroi.

Bussy, inquiet de cette premièredémonstration, ajouta :

– Oh ! madame, Saint-Luc ne vous ditpas que je veux mourir.

Jeanne le regarda un moment avec unecompassion qui n’était pas évangélique.

– Pauvre Diane !murmura-t-elle ; aimez donc ! Décidément les hommes sonttous des ingrats !

– Bon ! fît Saint-Luc, voilà lamorale de ma femme.

– Ingrat, moi ! s’écria Bussy, parceque je crains d’avilir mon amour en le soumettant aux lâchespratiques de l’hypocrisie.

– Eh ! monsieur, ce n’est là qu’unméchant prétexte, dit Jeanne. Si vous étiez bien épris, vous necraindriez qu’une sorte d’avilissement ; n’être plus aimé.

– Ah ! ah ! fit Saint-Luc,ouvrez votre escarcelle, mon cher.

– Mais, madame, dit affectueusementBussy, il est des sacrifices tels….

– Plus un mot. Avouez que vous n’aimezplus Diane, ce sera plus digne d’un galant homme.

Bussy pâlit à cette seule idée.

– Vous n’osez pas le dire ; eh bien,moi, je le lui dirai.

– Madame ! madame !

– Vous êtes plaisants, vous autres, avecvos sacrifices… Et nous, n’en faisons-nous pas, dessacrifices ? Quoi ! s’exposer à se faire massacrer par cetigre de Monsoreau ; conserver tous ses droits à un homme endéployant une force, une volonté dont Samson et Annibal eussent étéincapables ; dompter la bête féroce de Mars pour l’atteler auchar de M. le triomphateur, ce n’est pas de l’héroïsme !Oh ! je le jure, Diane est sublime, et je n’eusse pas fait lequart de ce qu’elle fait chaque jour.

– Merci, répondit Saint-Luc avec un salutrévérencieux, qui fit éclater Jeanne de rire.

Bussy hésitait.

– Et il réfléchit ! s’écriaJeanne ; il ne tombe pas à genoux, il ne fait pas son meaculpa !

– Vous avez raison, répliqua Bussy, je nesuis qu’un homme, c’est-à-dire une créature imparfaite etinférieure à la plus vulgaire des femmes.

– C’est bien heureux, dit Jeanne, quevous soyez convaincu.

– Que m’ordonnez-vous ?

– Allez tout de suite rendre visite….

– À M. de Monsoreau ?

– Eh ! qui vous parle decela ?… à Diane.

– Mais ils ne se quittent pas, ce mesemble.

– Quand vous alliez voir si souventmadame de Barbezieux, n’avait-elle pas toujours près d’elle ce grossinge qui vous mordait parce qu’il était jaloux ?

Bussy se mit à rire, Saint-Luc l’imita, Jeannesuivit leur exemple ; ce fut un trio d’hilarité qui attira auxfenêtres tout ce qui se promenait de courtisans dans lesgaleries.

– Madame, dit enfin Bussy, je m’en vaischez M. de Monsoreau. Adieu.

Et sur ce, ils se séparèrent, Bussy ayantrecommandé à Saint-Luc de ne rien dire de la provocation adresséeaux mignons.

Il s’en retourna en effet chezM. de Monsoreau, qu’il trouva au lit.

Le comte poussa des cris de joie enl’apercevant. Remy venait de promettre que sa blessure seraitguérie avant trois semaines.

Diane posa un doigt sur ses lèvres :c’était sa manière de saluer.

Il fallut raconter au comte toute l’histoiredu la commission dont le duc d’Anjou avait chargé Bussy, la visiteà la cour, le malaise du roi, la froide mine des mignons. Froidemine fut le mot dont se servit Bussy. Diane ne fit qu’en rire.

Monsoreau, tout pensif à ces nouvelles, priaBussy de se pencher vers lui, et lui dit à l’oreille :

– Il y a encore des projets sous jeu,n’est-ce pas ?

– Je le crois, répliqua Bussy.

– Croyez-moi, dit Monsoreau, ne vouscompromettez pas pour ce vilain homme ; je le connais, il estperfide : je vous réponds qu’il n’hésite jamais au bord d’unetrahison.

– Je le sais, dit Bussy avec un sourirequi rappela au comte la circonstance dans laquelle lui, Bussy,avait souffert de cette trahison du duc.

– C’est que, voyez-vous, dit Monsoreau,vous êtes mon ami, et je veux vous mettre en garde. Au surplus,chaque fois que vous aurez une position difficile, demandez-moiconseil.

– Monsieur ! monsieur ! il fautdormir après le pansement, dit Remy ; allons,dormez !

– Oui, cher docteur. Mon ami, faites doncun tour de promenade avec madame de Monsoreau, dit le comte. On ditque le jardin est charmant cette année.

– À vos ordres, répondit Bussy.

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