La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 10Comment le duc d’Anjou alla à Méridor pour faire à madame deMonsoreau des compliments sur la mort de son mari, et comment iltrouva M. de Monsoreau qui venait au-devant de lui.

Aussitôt l’entretien rompu entre le ducd’Anjou et sa mère, le premier s’était empressé d’aller trouverBussy pour connaître la cause de cet incroyable changement quis’était fait en lui.

Bussy, rentré chez lui, lisait pour lacinquième fois la lettre de Saint-Luc, dont chaque ligne luioffrait des sens de plus en plus agréables.

De son côté, Catherine, retirée chez elle,faisait venir ses gens, et commandait ses équipages pour un départqu’elle croyait pouvoir fixer au lendemain ou au surlendemain auplus tard.

Bussy reçut le prince avec un charmantsourire.

– Comment ! monseigneur, dit-il,Votre Altesse daigne prendre la peine de passer chez moi ?

– Oui, mordieu ! dit le duc, et jeviens te demander une explication.

– À moi ?

– Oui, à toi.

– J’écoute, monseigneur.

– Comment ! s’écria le duc, tu mecommandes de m’armer de pied en cap contre les suggestions de mamère, et de soutenir vaillamment le choc ; je le fais, et, auplus fort de la lutte, quand tous les coups se sont émoussés surmoi, tu viens me dire : « Ôtez votre cuirasse,monseigneur ; ôtez-la. »

– Je vous avais fait toutes cesrecommandations, monseigneur, parce que j’ignorais dans quel butétait venue madame Catherine. Mais maintenant que je vois qu’elleest venue pour la plus grande gloire et pour la plus grande fortunede Votre Altesse….

– Comment ! fit le duc, pour ma plusgrande gloire et pour ma plus grande fortune ; commentcomprends-tu donc cela ?

– Sans doute, reprit Bussy ; queveut Votre Altesse, voyons ? Triompher de ses ennemis,n’est-ce pas ? car je ne pense point, comme l’avancentcertaines personnes, que vous songiez à devenir roi de France.

Le duc regarda sournoisement Bussy.

– Quelques-uns vous le conseillerontpeut-être, monseigneur, dit le jeune homme ; mais ceux-là,croyez-le bien, ce sont vos plus cruels ennemis ; puis, s’ilssont trop tenaces, si vous ne savez comment vous en débarrasser,envoyez-les-moi : je les convaincrai qu’ils se trompent.

Le duc fit la grimace.

– D’ailleurs, continua Bussy,examinez-vous, monseigneur, sondez vos reins, comme dit laBible ; avez-vous cent mille hommes, dix millions de livres,des alliances à l’étranger ; et puis, enfin, voulez-vous allercontre votre seigneur ?

– Monseigneur ne s’est pas gêné d’allercontre moi, dit le duc.

– Ah ! si vous le prenez sur cepied-là, vous avez raison ; déclarez-vous, faites-vouscouronner et prenez le titre de roi de France, je ne demande pasmieux que de vous voir grandir, puisque, si vous grandissez, jegrandirai avec vous.

– Qui te parle d’être roi deFrance ? repartit aigrement le duc ; tu discutes là unequestion que jamais je n’ai proposé à personne de résoudre, pasmême à moi.

– Alors tout est dit, monseigneur, et iln’y a plus de discussion entre nous, puisque nous sommes d’accordsur le point principal.

– Nous sommes d’accord ?

– Cela me semble, au moins. Faites-vousdonc donner une compagnie de gardes, cinq cent mille livres.Demandez, avant que la paix soit signée, un subside à l’Anjou pourfaire la guerre. Une fois que vous le tiendrez, vous legarderez ; cela n’engage à rien. De cette façon, nous auronsdes hommes, de l’argent, de la puissance, et nous irons… Dieu saitoù !

– Mais, une fois à Paris, une fois qu’ilsm’auront repris, une fois qu’ils me tiendront, ils se moqueront demoi, dit le duc.

– Allons donc ! monseigneur, vousn’y pensez pas. Eux, se moquer de vous ! N’avez-vous pasentendu ce que vous offre la reine-mère ?

– Elle m’a offert bien des choses.

– Je comprends, cela vousinquiète ?

– Oui.

– Mais, entre autres choses, elle vous aoffert une compagnie de gardes, cette compagnie fût-elle commandéepar Bussy.

– Sans doute elle a offert cela.

– Eh bien ! acceptez, c’est moi quivous le dis ; nommez Bussy votre capitaine ; nommezAntraguet et Livarot vos lieutenants ; nommez Ribéracenseigne. Laissez-nous à nous quatre composer cette compagnie commenous l’entendrons ; puis vous verrez, avec cette escorte à vostalons, si quelqu’un se moque de vous, et ne vous salue pas quandvous passerez, même le roi.

– Ma foi, dit le duc, je crois que tu asraison, Bussy, j’y songerai.

– Songez-y, monseigneur.

– Oui ; mais que lisais-tu là siattentivement, quand je suis arrivé ?

– Ah ! pardon, j’oubliais, unelettre.

– Une lettre.

– Qui vous intéresse encore plus quemoi ; où diable avais-je donc la tête de ne pas vous lamontrer tout de suite.

– C’est donc une grande nouvelle.

– Oh ! mon Dieu oui, et même unetriste nouvelle : M. de Monsoreau est mort.

– Plaît-il ! s’écria le duc avec unmouvement si marqué de surprise, que Bussy, qui avait les yeuxfixés sur le prince, crut, au milieu de cette surprise, remarquerune joie extravagante.

– Mort, monseigneur.

– Mort,M. de Monsoreau ?

– Eh ! mon Dieu oui ! nesommes-nous pas tous mortels ?

– Oui ; mais l’on ne meurt pas commecela tout à coup.

– C’est selon. Si l’on vous tue.

– Il a donc été tué ?

– Il paraît que oui.

– Par qui ?

– Par Saint-Luc, avec qui il s’est prisde querelle.

– Ah ! ce cher Saint-Luc, s’écria leprince.

– Tiens, dit Bussy, je ne le savais passi fort de vos amis, ce cher Saint-Luc !

– Il est des amis de mon frère, dit leduc, et, du moment où nous nous réconcilions, les amis de mon frèresont les miens.

– Ah ! monseigneur, à la bonneheure, et je suis charmé de vous voir dans de pareillesdispositions.

– Et tu es sûr…. ?

– Dame ! aussi sûr qu’on peutl’être. Voici un billet de Saint-Luc qui m’annonce cette mort, et,comme je suis aussi incrédule que vous, et que je doutais,monseigneur, j’ai envoyé mon chirurgien Remy, pour constater lefait, et présenter mes compliments de condoléance au vieuxbaron.

– Mort ! Monsoreau mort !répéta le duc d’Anjou ; mort tout seul.

– Le mot lui échappait comme le cherSaint-Luc lui avait échappé. Tous deux étaient d’uneeffroyable naïveté.

– Il n’est pas mort tout seul, dit Bussy,puisque c’est Saint-Luc qui l’a tué.

– Oh ! je m’entends, dit le duc.

– Monseigneur l’avait-il par hasard donnéà tuer par un autre ? demanda Bussy.

– Ma foi non, et toi.

– Oh ! moi, monseigneur, je ne suispas assez grand prince pour faire faire cette sorte de besogne parles autres, et je suis obligé de la faire moi-même.

– Ah ! Monsoreau, Monsoreau, fit leprince avec son affreux sourire.

– Tiens ! monseigneur ! ondirait que vous lui en vouliez, à ce pauvre comte ?

– Non, c’est toi qui lui en voulais.

– Moi, c’était tout simple que je lui envoulusse, dit Bussy en rougissant malgré lui. Ne m’a-t-il pas unjour fait subir, de la part de Votre Altesse, une affreusehumiliation.

– Tu t’en souviens encore ?

– Oh ! mon Dieu non, monseigneur,vous le voyez bien ; mais vous, dont il était le serviteur,l’ami, l’âme damnée….

– Voyons, voyons, dit le prince,interrompant la conversation qui devenait embarrassante pour lui,fais seller les chevaux, Bussy.

– Seller les chevaux, et pourquoifaire ?

– Pour aller à Méridor, je veux faire mescompliments de condoléance à madame Diane. D’ailleurs, cette visiteétait projetée depuis longtemps, et je ne sais comment elle nes’est pas faite encore ; mais je ne la retarderai pasdavantage. Corbleu ! je ne sais pas pourquoi, mais j’ai lecœur aux compliments aujourd’hui.

– Ma foi, se dit Bussy en lui-même, àprésent que le Monsoreau est mort et que je n’ai plus peur qu’ilvende sa femme au duc, peu m’importe qu’il la revoie ; s’ill’attaque, je la défendrai bien tout seul. Allons, puisquel’occasion de la revoir m’est offerte, profitons de l’occasion.

Et il sortit pour donner l’ordre de seller leschevaux.

Un quart d’heure après, tandis que Catherinedormait ou feignait de dormir pour se remettre des fatigues duvoyage, le prince, Bussy, dix gentilshommes, montés sur de beauxchevaux, se dirigeaient vers Méridor avec cette joie qu’inspirenttoujours le beau temps, l’herbe fleurie et la jeunesse, aux hommescomme aux chevaux.

À l’aspect de cette magnifique cavalcade, leportier du château vint au bord du fossé demander le nom desvisiteurs.

– Le duc d’Anjou ! cria leprince.

Aussitôt le portier saisit un cor et sonna unefanfare qui fit accourir tous les serviteurs au pont-levis.

Bientôt ce fut une course rapide dans lesappartements, dans les corridors et sur les perrons ; lesfenêtres des tourelles s’ouvrirent ; on entendit un bruit deferrailles sur les dalles, et le vieux baron parut au seuil, tenantà la main les clefs de son château.

– C’est incroyable comme Monsoreau estpeu regretté, dit le duc ; vois donc, Bussy, comme tous cesgens-là ont des figures naturelles.

Une femme parut sur le perron.

– Ah ! voilà la belle Diane, s’écriale duc, vois-tu, Bussy, vois-tu ?

– Certainement que je la vois,monseigneur, dit le jeune homme ; mais, ajouta-t-il tout bas,je ne vois pas Remy.

Diane sortait en effet de la maison, maisimmédiatement derrière Diane sortait une civière, sur laquelle,couché, l’œil brillant de fièvre ou de jalousie, se faisait porterMonsoreau, plus semblable à un sultan des Indes sur son palanquinqu’à un mort sur sa couche funèbre.

– Oh ! oh ! Qu’est ceci ?s’écria le duc, s’adressant à son compagnon, devenu plus blanc quele mouchoir à l’aide duquel il essayait d’abord de dissimuler sonémotion.

– Vive monseigneur le duc d’Anjou, criaMonsoreau en levant, par un violent effort, sa main en l’air.

– Tout beau ! fit une voix derrièrelui, vous allez rompre le caillot.

– C’était Remy, qui, fidèle jusqu’au boutà son rôle de médecin, faisait au blessé cette prudenterecommandation.

Les surprises ne durent pas longtemps à lacour, sur les visages du moins : le duc d’Anjou fit unmouvement pour changer la stupéfaction en sourire.

– Oh ! mon cher comte, s’écria-t-il,quelle heureuse surprise ! Croyez-vous qu’on nous avait ditque vous étiez mort ?

– Venez, venez, monseigneur, dit leblessé, venez, que je baise la main de Votre Altesse. Dieumerci ! non seulement je ne suis pas mort, mais encore j’enréchapperai, je l’espère, pour vous servir avec plus d’ardeur et defidélité que jamais.

Quant à Bussy, qui n’était ni prince ni mari,ces deux positions sociales où la dissimulation est de premièrenécessité, il sentait une sueur froide couler de ses tempes, iln’osait regarder Diane. Ce trésor, deux fois perdu pour lui, luifaisait mal à voir, si près de son possesseur.

– Et vous, monsieur de Bussy, ditMonsoreau, vous qui venez avec Son Altesse, recevez tous mesremercîments, car c’est presque à vous que je dois la vie.

– Comment ! à moi ! balbutia lejeune homme, croyant que le comte le raillait.

– Sans doute, indirectement, c’estvrai ; mais ma reconnaissance n’est pas moindre, car voici monsauveur, ajouta-t-il en montrant Remy qui levait des brasdésespérés au ciel, et qui eût voulu se cacher dans les entraillesde la terre ; c’est à lui que mes amis doivent de me posséderencore.

Et, malgré les signes que lui faisait lepauvre docteur pour qu’il gardât le silence, et que lui prenaitpour des recommandations hygiéniques, il raconta emphatiquement lessoins, l’adresse, l’empressement dont le Haudoin avait fait preuveenvers lui.

Le duc fronça le sourcil ; Bussy regardaRemy avec une expression effrayante.

Le pauvre garçon, caché derrière Monsoreau, secontenta de répliquer par un geste qui voulait dire :

– Hélas ! ce n’est point mafaute.

– Au reste, continua le comte, j’aiappris que Remy vous a trouvé un jour mourant comme il m’a trouvémoi-même. C’est un lien d’amitié entre nous ; comptez sur lamienne, monsieur de Bussy : quand Monsoreau aime, il aimebien ; il est vrai que, lorsqu’il hait, c’est comme lorsqu’ilaime, c’est de tout son cœur.

Bussy crut remarquer que l’éclair qui avait uninstant brillé en prononçant ces paroles dans l’œil fiévreux ducomte était à l’adresse de M. le duc d’Anjou. Le duc ne vitrien.

– Allons donc ! dit-il en descendantde cheval et en offrant la main à Diane. Veuillez, belle Diane,nous faire les honneurs de ce logis, que nous comptions trouver endeuil, et qui continue au contraire à être un séjour debénédictions et de joie. Quant à vous, Monsoreau,reposez-vous ; le repos sied aux blessés.

– Monseigneur, dit le comte, il ne serapas dit que vous viendrez chez Monsoreau vivant, et que, tant queMonsoreau vivra, un autre fera à Votre Altesse les honneurs de sonlogis ; mes gens me porteront, et, partout où vous irez,j’irai.

Pour le coup, on eût cru que le duc démêlaitla véritable pensée du comte, car il quitta la main de Diane.

Dès lors Monsoreau respira.

– Approchez d’elle, dit tout bas Remy àl’oreille de Bussy.

Bussy s’approcha de Diane, et Monsoreau leursourit, Bussy prit la main de Diane, et Monsoreau lui souritencore.

– Voilà bien du changement, monsieur lecomte, dit Diane à demi-voix.

– Hélas ! murmura Bussy, quen’est-il plus grand encore !

Il va sans dire que le baron déploya, àl’égard du prince et des gentilshommes qui l’accompagnaient, toutle faste de sa patriarcale hospitalité.

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