La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 5Le projet de M. de Saint-Luc.

Le repas fini, Monsoreau prit son nouvel amipar le bras, et, l’emmenant hors du château :

– Savez-vous, lui dit-il, que je suis onne peut plus heureux de vous avoir trouvé ici, moi que la solitudede Méridor effrayait d’avance !

– Bon ! dit Saint-Luc, n’avez-vouspas votre femme ? Quant a moi, avec une pareille compagne, ilme semble que je trouverais un désert trop peuplé.

– Je ne dis pas non, répondit Monsoreauen se mordant les lèvres. Cependant….

– Cependant quoi ?

– Cependant je suis fort aise de vousavoir rencontré ici.

– Monsieur, dit Saint-Luc en se nettoyantles dents avec une petite épée d’or, vous êtes, en vérité, fortpoli ; car je ne croirai jamais que vous ayez un seul instantpu craindre l’ennui avec une pareille femme et en face d’une siriche nature.

– Bah ! dit Monsoreau, j’ai passé lamoitié de ma vie dans les bois.

– Raison de plus pour ne pas vous yennuyer, dit Saint-Luc ; il me semble que plus on habite lesbois, plus on les aime. Voyez donc quel admirable parc. Je saisbien, moi, que je serai désespéré lorsqu’il me faudra le quitter.Malheureusement j’ai peur que ce ne soit bientôt.

– Pourquoi le quitteriez-vous ?

– Eh ! monsieur, l’homme est-ilmaître de sa destinée ? C’est la feuille de l’arbre que levent détache et promène par la plaine et par les vallons, sansqu’il sache lui-même où il va. Vous êtes heureux, vous.

– Heureux, de quoi ?

– De demeurer sous ces magnifiquesombrages.

– Oh ! dit Monsoreau, je n’ydemeurerai probablement pas longtemps non plus.

– Bah ! qui peut dire cela ? Jecrois que vous vous trompez, moi.

– Non, fit Monsoreau ; non,oh ! je ne suis pas si fanatique que vous de la belle nature,et je me défie, moi, de ce parc que vous trouvez si beau.

– Plaît-il ? fit Saint-Luc.

– Oui, répéta Monsoreau.

– Vous vous défiez de ce parc, avez-vousdit ; et à quel propos ?

– Parce qu’il ne me paraît pas sûr.

– Pas sûr ! en vérité ! ditSaint-Luc étonné. Ah ! je comprends : à cause del’isolement, voulez-vous dire ?

– Non. Ce n’est point précisément à causede cela ; car je présume que vous voyez du monde àMéridor ?

– Ma foi non ! dit Saint-Luc avecune naïveté parfaite, pas une âme.

– Ah ! vraiment ?

– C’est comme j’ai l’honneur de vous ledire.

– Comment, de temps en temps, vous nerecevez pas quelque visite ?

– Pas depuis que j’y suis, du moins.

– De cette belle cour qui est à Angers,pas un gentilhomme ne se détache de temps en temps ?

– Pas un.

– C’est impossible !

– C’est comme cela cependant.

– Ah ! fi donc, vous calomniez lesgentilshommes angevins.

– Je ne sais pas si je lescalomnie ; mais le diable m’emporte si j’ai aperçu la plumed’un seul.

– Alors, j’ai tort sur ce point.

– Oui, parfaitement tort. Revenons donc àce que vous disiez d’abord, que le parc n’était pas sûr. Est-cequ’il y a des ours ?

– Oh ! non pas.

– Des loups ?

– Non plus.

– Des voleurs ?

– Peut-être. Dites-moi, mon chermonsieur, madame de Saint-Luc est fort jolie, à ce qu’il m’aparu.

– Mais oui.

– Est-ce qu’elle se promène souvent dansle parc ?

– Souvent ; elle est comme moi, elleadore la campagne. Mais pourquoi me faites-vous cettequestion ?

– Pour rien ; et, lorsqu’elle sepromène, vous l’accompagnez ?

– Toujours, dit Saint-Luc.

– Presque toujours ? continua lecomte.

– Mais où diable voulez-vous envenir ?

– Eh mon Dieu ! à rien, chermonsieur de Saint-Luc, ou presque à rien du moins.

– J’écoute.

– C’est qu’on me disait….

– Que vous disait-on ? Parlez.

– Vous ne vous fâcherez pas ?

– Jamais je ne me fâche.

– D’ailleurs, entre maris, cesconfidences-là se font ; c’est qu’on me disait que l’on avaitvu rôder un homme dans le parc.

– Un homme ?

– Oui.

– Qui venait pour ma femme ?

– Oh ! je ne dis point cela.

– Vous auriez parfaitement tort de ne pasle dire, cher monsieur de Monsoreau ; c’est on ne peut plusintéressant ; et qui donc a vu cela ? je vous prie.

– À quoi bon ?

– Dites toujours. Nous causons, n’est-cepas ? Eh bien ! autant causer de cela que d’autre chose.Vous dites donc que cet homme venait pour madame de Saint-Luc.Tiens ! tiens ! tiens !

– Écoutez, s’il faut tout vousavouer ; eh bien ! non, je ne crois pas que ce soit pourmadame de Saint-Luc.

– Et pour qui donc ?

– Je crains, au contraire, que ce ne soitpour Diane.

– Ah bah ! fit Saint-Luc, j’aimeraismieux cela.

– Comment ! vous aimeriez mieuxcela ?

– Sans doute. Vous le savez, il n’y a pasde race plus égoïste que les maris. Chacun pour soi, Dieu pourtous ! Le diable plutôt ! ajouta Saint-Luc.

– Ainsi donc, vous croyez qu’un homme estentré ?

– Je fais mieux que de le croire, j’aivu.

– Vous avez vu un homme dans leparc ?

– Oui, dit Saint-Luc.

– Seul ?

– Avec madame de Monsoreau.

– Quand cela ? demanda le comte.

– Hier.

– Où donc ?

– Mais ici, à gauche, tenez.

Et, comme Monsoreau avait dirigé sa promenadeet celle de Saint-Luc du côté du vieux taillis, il put, d’où ilétait, montrer la place à son compagnon.

– Ah ! dit Saint-Luc, en effet,voici un mur en bien mauvais état ; il faudra que je préviennele baron qu’on lui dégrade ses clôtures.

– Et qui soupçonnez-vous ?

– Moi ! qui je soupçonne ?

– Oui, dit le comte.

– De quoi ?

– De franchir la muraille pour venir dansle parc causer avec ma femme.

Saint-Luc parut se plonger dans une méditationprofonde dont M. de Monsoreau attendit avec anxiété lerésultat.

– Eh bien ! dit-il.

– Dame ! fit Saint-Luc, je ne voisguère que….

– Que… qui ?… demanda vivement lecomte.

– Que… vous… dit Saint-Luc en sedécouvrant le visage.

– Plaisantez-vous, mon cher monsieur deSaint-Luc ? dit le comte pétrifié.

– Ma foi ! non. Moi, dans lecommencement de mon mariage, je faisais de ces choses-là ;pourquoi n’en feriez-vous pas, vous ?

– Allons, vous ne voulez pas merépondre ; avouez cela, cher ami ; mais ne craignez rien…Voyons, aidez-moi, cherchez : c’est un énorme service quej’attends de vous.

Saint-Luc se gratta l’oreille.

– Je ne vois toujours que vous,dit-il.

– Trêve de railleries ; prenez lachose gravement, monsieur, car, je vous en préviens, elle est deconséquence.

– Vous croyez ?

– Mais je vous dis que j’en suis sûr.

– C’est autre chose alors ; etcomment vient cet homme ? le savez-vous ?

– Il vient à la dérobée, parbleu.

– Souvent ?

– Je le crois bien : ses pieds sontimprimés dans la pierre molle du mur, regardez plutôt.

– En effet.

– Ne vous êtes-vous donc jamais aperçu dece que je viens de vous dire ?

– Oh ! fit Saint-Luc, je m’endoutais bien un peu.

– Ah ! voyez-vous, fit le comtehaletant ; après ?

– Après, je ne m’en suis pasinquiété ; j’ai cru que c’était vous.

– Mais quand je vous dis que non.

– Je vous crois, mon cher monsieur.

– Vous me croyez ?

– Oui.

– Eh bien ! alors….

– Alors c’est quelque autre.

Le grand veneur regarda d’un œil presquemenaçant Saint-Luc, qui déployait sa plus coquette et sa plus suavenonchalance.

– Ah ! fit-il d’un air si courroucé,que le jeune homme leva la tête.

– J’ai encore une idée, ditSaint-Luc.

– Allons donc !

– Si c’était….

– Si c’était ?

– Non.

– Non ?

– Mais si.

– Parlez.

– Si c’était M. le duc d’Anjou.

– J’y avais bien pensé, repritMonsoreau ; mais j’ai pris des renseignements : ce nepouvait être lui.

– Eh ! eh ! le duc est bienfin.

– Oui, mais ce n’est pas lui.

– Vous me dites toujours que cela n’estpas, dit Saint-Luc, et vous voulez que je vous dise, moi, que celaest.

– Sans doute ; vous qui habitez lechâteau, vous devez savoir….

– Attendez ! s’écria Saint-Luc.

– Y êtes-vous ?

– J’ai encore une idée. Si ce n’était nivous ni le duc, c’était sans doute moi.

– Vous, Saint-Luc ?

– Pourquoi pas ?

– Vous, qui venez à cheval par le dehorsdu parc, quand vous pouvez venir par le dedans ?

– Eh ! mon Dieu ! je suis unêtre si capricieux, dit Saint-Luc.

– Vous, qui eussiez pris la fuite en mevoyant apparaître au haut du mur ?

– Dame ! on la prendrait àmoins.

– Vous faisiez donc mal alors ? ditle comte qui commençait à n’être plus maître de son irritation.

– Je ne dis pas non.

– Mais vous vous moquez de moi, à lafin ! s’écria le comte pâlissant, et voilà un quart d’heure decela.

– Vous vous trompez, monsieur, ditSaint-Luc en tirant sa montre et en regardant Monsoreau avec unefixité qui fit frissonner celui-ci malgré son courage féroce ;il y a vingt minutes.

– Mais vous m’insultez, monsieur, dit lecomte.

– Est-ce que vous croyez que vous nem’insultez pas, vous, monsieur, avec toutes vos questions desbire ?

– Ah ! j’y vois clairmaintenant.

– Le beau miracle ! à dix heures dumatin. Et que voyez-vous ? dites.

– Je vois que vous vous entendez avec letraître, avec le lâche que j’ai failli tuer hier.

– Pardieu ! fit Saint-Luc, c’est monami.

– Alors, s’il en est ainsi, je voustuerai à sa place.

– Bah ! dans votre maison !comme cela, tout à coup ! sans dire gare !

– Croyez-vous donc que je me gênerai pourpunir un misérable ? s’écria le comte exaspéré.

– Ah ! monsieur de Monsoreau,répliqua Saint-Luc, que vous êtes donc mal élevé ! et que lafréquentation des bêtes fauves a détérioré vos mœurs !Fi !….

– Mais vous ne voyez donc pas que je suisfurieux ! hurla le comte en se plaçant devant Saint-Luc, lesbras croisés et le visage bouleversé par l’expression effrayante dudésespoir qui le mordait au cœur.

– Si, mordieu ! je le vois ;et, vrai, la fureur ne vous va pas le moins du monde ; vousêtes affreux à voir comme cela, mon cher monsieur de Monsoreau.

Le comte, hors de lui, mit la main à sonépée.

– Ah ! faites attention, ditSaint-Luc, c’est vous qui me provoquez… Je vous prends vous-même àtémoin que je suis parfaitement calme.

– Oui, muguet, dit Monsoreau, oui, mignonde couchette, je te provoque.

– Donnez-vous donc la peine de pauser del’autre côté du mur, monsieur de Monsoreau ; de l’autre côtédu mur, nous serons sur un terrain neutre.

– Que m’importe ? s’écria lecomte.

– Il m’importe à moi, ditSaint-Luc ; je ne veux pas vous tuer chez vous.

– À la bonne heure ! dit Monsoreauen se hâtant de franchir la brèche.

– Prenez garde ! allez doucement,comte ! Il y a une pierre qui ne tient pas bien ; il fautqu’elle ait été fort ébranlée. N’allez pas vous blesser, aumoins ; en vérité, je ne m’en consolerais pas.

Et Saint-Luc se mit à franchir la muraille àson tour.

– Allons ! allons ! hâte-toi,dit le comte en dégaînant.

– Et moi qui viens à la campagne pour monagrément ! dit Saint-Luc se parlant à lui-même ; ma foi,je me serai bien amusé.

Et il sauta de l’autre côté du mur.

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