La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 11Du désagrément des litières trop larges et des portes tropétroites.

Bussy ne quittait point Diane ; lesourire bienveillant de Monsoreau lui donnait une liberté dont ilse fût bien gardé de ne point user. Les jaloux ont ce privilègequ’ayant rudement fait la guerre pour conserver leur bien ils nesont point épargnés, quand une fois les braconniers ont mis le piedsur leurs terres.

– Madame, disait Bussy à Diane, je suisen vérité le plus misérable des hommes. Sur la nouvelle de sa mort,j’ai conseillé au prince de retourner à Paris et de s’accommoderavec sa mère ; il a consenti, et voilà que vous restez enAnjou.

– Oh ! Louis, répondit la jeunefemme en serrant du bout de ses doigts effilés la main de Bussy,osez-vous dire que nous sommes malheureux ? Tant de beauxjours, tant de joies ineffables dont le souvenir passe comme unfrisson sur mon cœur, vous les oubliez donc, vous ?

– Je n’oublie rien, madame ; aucontraire, je me souviens trop, et voilà pourquoi, pendant cebonheur, je me trouve si fort à plaindre. Comprenez-vous ce que jevais souffrir, madame, s’il faut que je retourne à Paris, à centlieues de vous ! Mon cœur se brise, Diane, et je me senslâche.

Diane regarda Bussy ; tant de douleuréclatait dans ses yeux, qu’elle baissa la tête et qu’elle se prit àréfléchir.

Le jeune homme attendit un instant, le regardsuppliant et les mains jointes.

– Eh bien ! dit tout à coup Diane,vous irez à Paris, Louis, et moi aussi.

– Comment ! s’écria le jeune homme,vous quitteriez M. de Monsoreau ?

– Je le quitterais, répondit Diane, quelui ne me quitterait pas ; non, croyez-moi, Louis, mieux vautqu’il vienne avec nous.

– Blessé, malade comme il est,impossible !

– Il viendra, vous dis-je.

Et aussitôt, quittant le bras de Bussy, ellese rapprocha du prince, lequel répondait de fort mauvaise humeur àMonsoreau, dont Ribérac, Antraguet et Livarot entouraient lalitière.

À l’aspect de Diane, le front du comte serasséréna ; mais cet instant de calme ne fut pas de longuedurée, il passa comme passe un rayon de soleil entre deuxorages.

Diane s’approcha du duc, et le comte fronça lesourcil.

– Monseigneur, dit-elle avec un charmantsourire, on dit Votre Altesse passionnée pour les fleurs. Venez, jeveux montrer à Votre Altesse les plus belles fleurs de toutl’Anjou.

François lui offrit galamment la main.

– Où conduisez-vous donc monseigneur,madame ? demanda Monsoreau inquiet.

– Dans la serre, monsieur.

– Ah ! fit Monsoreau. Eh bien !soit, portez-moi dans la serre.

– Ma foi, se dit Remy, je croismaintenant que j’ai bien fait de ne pas le tuer ; Dieumerci ! il se tuera bien tout seul.

Diane sourit à Bussy d’une façon quipromettait merveilles.

– Que M. de Monsoreau, luidit-elle tout bas, ne se doute pas que vous quittez l’Anjou, et jeme charge du reste.

– Bien ! fit Bussy.

Et il s’approcha du prince, tandis que lalitière du Monsoreau tournait derrière un massif.

– Monseigneur, dit-il, pas d’indiscrétionsurtout ; que le Monsoreau ne sache pas que nous sommes sur lepoint de nous accommoder.

– Pourquoi cela ?

– Parce qu’il pourrait prévenir lareine-mère de nos intentions pour s’en faire une amie, et que,sachant la résolution prise, madame Catherine pourrait bien êtremoins disposée à nous faire des largesses.

– Tu as raison, dit le duc. Tu t’endéfies donc ?

– Du Monsoreau ? parbleu !

– Eh bien ! moi aussi ; jecrois, en vérité, qu’il a fait exprès le mort.

– Non, par ma foi, il a bel et bien reçuun coup d’épée à travers la poitrine ; cet imbécile de Remy,qui l’a tiré d’affaire, l’a cru lui-même mort un instant ; ilfaut, en vérité, qu’il ait l’âme chevillée dans le corps.

On arriva devant la serre. Diane souriait auduc d’une façon plus charmante que jamais.

Le prince passa le premier, puis Diane.Monsoreau voulut venir après ; mais, quand sa litière seprésenta pour passer, on s’aperçut qu’il était impossible de lafaire entrer : la porte, de style ogival, était longue ethaute, mais large seulement comme les plus grosses caisses, et lalitière de M. de Monsoreau avait six pieds delargeur.

À la vue de cette porte trop étroite et decette litière trop large, le Monsoreau poussa un rugissement.

Diane entra dans la serre sans faire attentionaux gestes désespérés de son mari.

Bussy, pour qui le sourire de la jeune femme,dans le cœur de laquelle il avait l’habitude de lire par les yeux,devenait parfaitement clair, demeura près de Monsoreau en luidisant avec une parfaite tranquillité :

– Vous vous entêtez inutilement, monsieurle comte ; cette porte est trop étroite, et jamais vous nepasserez par là.

– Monseigneur ! monseigneur !criait Monsoreau, n’allez pas dans cette serre ; il y a demortelles exhalaisons, des fleurs étrangères qui répandent lesparfums les plus vénéneux. Monseigneur !….

Mais François n’écoutait pas. Malgré saprudence accoutumée, heureux de sentir dans ses mains la main deDiane, il s’enfonçait dans les verdoyants détours.

Bussy encourageait Monsoreau à patienter avecla douleur ; mais, malgré les exhortations de Bussy, ce quidevait arriver arriva : Monsoreau ne put supporter, non pas ladouleur physique, sous ce rapport il semblait de fer, mais ladouleur morale. Il s’évanouit.

Remy reprenait tous ses droits ; ilordonna que le blessé fût reconduit dans sa chambre.

– Maintenant, demanda Remy au jeunehomme, que dois-je faire ?

– Eh ! pardieu ! dit Bussy,achève ce que tu as si bien commencé : reste près de lui, etguéris-le.

Puis il annonça à Diane l’accident arrivé àson mari.

Diane quitta aussitôt le duc d’Anjou ets’achemina vers le château.

– Avons-nous réussi ? lui demandaBussy lorsqu’elle passa à ses côtés.

– Je le crois, dit-elle. En tout cas, nepartez point sans avoir vu Gertrude.

Le duc n’aimait les fleurs que parce qu’il lesvisitait avec Diane. Aussitôt que Diane fût éloignée, lesrecommandations du comte lui revinrent à l’esprit, et il sortit dubâtiment.

Ribérac, Livarot et Antraguet lesuivirent.

Pendant ce temps, Diane avait rejoint sonmari, à qui Remy faisait respirer des sels.

Le comte ne tarda pas à rouvrir les yeux.

Son premier mouvement fut de se soulever avecviolence ; mais Remy avait prévu ce premier mouvement, et lecomte était attaché sur son matelas.

Il poussa un second rugissement ; mais,en regardant autour de lui, il aperçut Diane debout à sonchevet.

– Ah ! c’est vous, madame,dit-il ; je suis bien aise de vous voir pour vous dire que cesoir nous partons pour Paris.

Remy jeta les hauts cris ; mais Monsoreaune fit pas plus attention à Remy que s’il n’était pas là.

– Y pensez-vous, monsieur ? ditDiane avec son calme habituel, et votre blessure ?

– Madame, dit le comte, il n’y a pas deblessure qui tienne, j’aime mieux mourir que souffrir, et, dusse-jemourir par les chemins, ce soir nous partirons.

– Eh bien ! monsieur, dit Diane,comme il vous plaira.

– Il me plaît ainsi ; faites doncvos préparatifs, je vous prie.

– Mes préparatifs seront vite faits,monsieur. Mais puis-je savoir quelle cause a amené cette subitedétermination ?

– Je vous le dirai, madame, quand vousn’aurez plus de fleurs à montrer au prince, ou quand j’aurai faitconstruire des portes assez larges pour que ma litière entrepartout.

Diane s’inclina.

– Mais, madame, dit Remy.

– M. le comte le veut, réponditDiane, mon devoir est d’obéir.

Et Remy crut reconnaître, à un signe de lajeune femme, qu’il devait cesser ses observations.

Il se tut tout en grommelant :

– Ils me le tueront, et puis on dira quec’est la faute de la médecine.

Pendant ce temps, le duc d’Anjou s’apprêtait àquitter Méridor. Il témoigna la plus grande reconnaissance au baronde l’accueil qu’il lui avait fait et remonta à cheval.

Gertrude apparut en ce moment. Elle venaitannoncer tout haut au duc que sa maîtresse, retenue près du comte,ne pouvait avoir l’honneur de lui présenter ses hommages, et toutbas, à Bussy, que Diane partait le soir.

On partit.

Le duc avait les volontés dégénérescentes, ouplutôt les perfectionnements de ses caprices.

Diane cruelle le blessait et le repoussait del’Anjou ; Diane souriante lui fut une amorce.

Comme il ignorait la résolution prise par legrand veneur, tout le long du chemin il ne cessa de méditer sur ledanger qu’il y aurait à obéir trop facilement aux désirs de lareine-mère.

Bussy avait prévu cela, et il comptait biensur ce désir de rester.

– Vois-tu, Bussy, lui dit le duc, j’airéfléchi.

– Bon ! monseigneur. Et àquoi ? demanda le jeune homme.

– Qu’il n’est pas bon de me rendre ainsitout de suite aux raisonnements de ma mère.

– Vous avez raison ; elle se croitdéjà bien assez profonde politique comme cela.

– Tandis que, vois-tu, en lui demandanthuit jours, ou plutôt en traînant huit jours ; en donnantquelques fêtes auxquelles nous appellerons la noblesse, nousmontrerons à notre mère combien nous sommes forts.

– Puissamment raisonné, monseigneur.Cependant il me semble….

– Je resterai ici huit jours, dit le duc,et, grâce à ce délai, j’arracherai de nouvelles conditions à mamère ; c’est moi qui te le dis.

Bussy parut réfléchir profondément.

– En effet, monseigneur, dit-il,arrachez, arrachez ; mais tâchez qu’au lieu de profiter par ceretard, vos affaires n’en souffrent pas. Le roi, par exemple….

– Eh bien ! le roi ?

– Le roi, ne connaissant pas vosintentions, peut s’irriter. Il est très irascible, le roi.

– Tu as raison ; il faudrait que jepusse envoyer quelqu’un pour saluer mon frère de ma part, et pourlui annoncer mon retour : cela me donnera les huit jours dontj’ai besoin.

– Oui ; mais ce quelqu’un courtgrand risque, dit Bussy.

Le duc d’Anjou sourit de son mauvaissourire.

– Si je changeais de résolution, n’est-cepas ? dit-il.

– Eh ! malgré la promesse faite àvotre frère, vous en changerez si l’intérêt vous y pousse, n’est-cepas ?

– Dame ! fit le prince.

– Très bien ! et alors on enverravotre ambassadeur à la Bastille.

– Nous ne le préviendrons pas de ce qu’ilporte, et nous lui donnerons une lettre.

– Au contraire, dit Bussy, ne lui donnezpas de lettre et prévenez-le.

– Mais alors personne ne voudra secharger de la mission.

– Allons donc !

– Tu connais un homme qui s’en chargera,toi ?

– Oui, j’en connais un.

– Lequel ?

– Moi, monseigneur.

– Toi ?

– Oui, moi… J’aime les négociationsdifficiles.

– Bussy, mon cher Bussy, s’écria le duc,si tu fais cela, tu peux compter sur mon éternellereconnaissance.

Bussy sourit. Il connaissait la mesure decette reconnaissance dont lui parlait Son Altesse.

Le duc crut qu’il hésitait.

– Et je te donnerai dix mille écus pourton voyage, ajouta-t-il.

– Allons donc ! monseigneur, ditBussy, soyez plus généreux : est-ce que l’on paye ceschoses-là ?

– Ainsi tu pars ?

– Je pars.

– Pour Paris ?

– Pour Paris.

– Et quand cela ?

– Dame ! quand vous voudrez.

– Le plus tôt serait le mieux.

– Oui, eh bien !

– Eh bien ?

– Ce soir, si vous voulez,monseigneur.

– Brave Bussy, cher Bussy, tu consensdonc réellement ?

– Si je consens ? dit Bussy ;mais, pour le service de Votre Altesse, vous savez bien,monseigneur, que je passerais dans le feu. C’est donc convenu, jepars ce soir. Vous, vivez joyeusement ici, et attrapez-moi de lareine-mère quelque bonne abbaye.

– J’y songe déjà, mon ami.

– Alors adieu, monseigneur.

– Adieu, Bussy… Ah ! n’oublie pasune chose.

– Laquelle ?

– Prends congé de ma mère.

– J’aurai cet honneur.

En effet, Bussy, plus leste, plus joyeux, plusléger qu’un écolier pour lequel la cloche vient de sonner l’heurede la récréation, fit sa visite à Catherine, et s’apprêta pourpartir aussitôt que le signal du départ lui viendrait deMéridor.

Le signal se fit attendre jusqu’au lendemainmatin. Monsoreau s’était senti si faible après cette émotionéprouvée, qu’il avait jugé lui-même qu’il avait besoin de cettenuit de repos.

Mais, vers sept heures, le même palefrenierqui avait apporté la lettre de Saint-Luc vint annoncer à Bussy que,malgré les larmes du vieux baron et les oppositions de Remy, lecomte venait de partir pour Paris dans une litière qu’escortaient àcheval Diane, Remy et Gertrude.

Cette litière était portée par huit hommesqui, de lieue en lieue, devaient se relayer.

Bussy n’attendait que cette nouvelle. Il sautasur un cheval sellé depuis la veille et prit le même chemin.

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