La Dame de Monsoreau – Tome III

Chapitre 24Où Chicot s’endort.

Toutes ces dispositions des Angevins avaientété remarquées par le roi d’abord et par Chicot. Henri s’agitaitdans l’intérieur du Louvre, attendant impatiemment que ses amisrevinssent de leur promenade avec messieurs de l’Anjou.

Chicot avait suivi de loin la promenade,examiné en connaisseur ce que personne ne pouvait comprendre aussibien que lui, et, après s’être convaincu des intentions de Bussy etde Quélus, il avait rebroussé chemin vers la demeure deMonsoreau.

C’était un homme rusé que Monsoreau ;mais, quant à duper Chicot, il n’y pouvait prétendre. Le Gascon luiapportait force compliments de condoléance de la part du roi ;comment ne pas le recevoir à merveille ?

Chicot trouva Monsoreau couché. La visite dela veille avait brisé tous les ressorts de cette organisation àpeine reconstruite ; et Remy, une main sur son menton,guettait avec dépit les premières atteintes de la fièvre quimenaçait de ressaisir sa victime.

Néanmoins Monsoreau put soutenir laconversation, et dissimuler assez habilement sa colère contre leduc d’Anjou pour que tout autre que Chicot ne l’eût pas soupçonnée.Mais plus il était discret et réservé, plus le Gascon découvrait sapensée.

– En effet, se disait-il, un homme nepeut être si passionné pour M. d’Anjou sans qu’il y aitquelque chose sous jeu.

Chicot, qui se connaissait en malades, voulutsavoir également si la fièvre du comte n’était pas une comédie àl’instar de celle qu’avait jouée naguère Nicolas David.

Mais Remy ne trompait pas ; et, à lapremière pulsation du pouls de Monsoreau :

– Celui-là est malade réellement, pensaChicot, et ne peut rien entreprendre. Il resteM. de Bussy ; voyons un peu de quoi il estcapable.

Et il courut à l’hôtel de Bussy, qu’il trouvatout éblouissant de lumières, tout embaumé de vapeurs qui eussentfait pousser à Gorenflot des exclamations de joie.

– Est-ce que M. de Bussy semarie ? demanda-t-il à un laquais.

– Non, monsieur, répliqua celui-ci,M. de Bussy se réconcilie avec plusieurs seigneurs de lacour, et on célèbre cette réconciliation par un repas ; fameuxrepas, allez.

– À moins qu’il ne les empoisonne, cedont je le sais incapable, pensa Chicot, Sa Majesté est encore ensûreté de ce côté-là.

Il retourna au Louvre, et aperçut Henri qui sepromenait dans une salle d’armes en maugréant. Il avait envoyétrois courriers à Quélus, et, comme ces gens ne comprenaient paspourquoi Sa Majesté était dans l’inquiétude, ils s’étaient arrêtéstout simplement chez M. de Birague le fils, où tout hommeaux livrées du roi trouvait toujours un verre plein, un jambonentamé et des fruits confits.

C’était la méthode de Birague pour demeurer enfaveur.

Chicot apparaissant à la porte du cabinet,Henri poussa une grande exclamation.

– Oh ! cher ami, dit-il, sais-tu cequ’ils sont devenus ?

– Qui cela ? tes mignons ?

– Hélas ! oui, mes pauvres amis.

– Ils doivent être bien bas en ce moment,répliqua Chicot.

– On me les aurait tués ? s’écriaHenri en se redressant la menace dans les yeux ; ils seraientmorts !

– Morts, j’en ai peur….

– Tu le sais et tu ris, païen !

– Attends donc, mon fils ; morts,oui ; mais morts ivres.

– Ah ! bouffon… que tu m’as fait dumal ! Mais pourquoi calomnies-tu ces gentilshommes ?

– Je les glorifie, au contraire.

– Tu railles toujours… Voyons, dusérieux, je t’en supplie ; sais tu qu’ils sont sortis avec lesAngevins ?

– Pardieu ! si je le sais.

– Eh bien qu’est-il résulté ?

– Eh bien, il est résulté ce que je t’aidit : ils sont morts ivres, ou peu s’en faut.

– Mais Bussy, Bussy !

– Bussy les soûle, c’est un homme biendangereux.

– Chicot, par grâce !

– Eh bien, oui, Bussy leur donne à dîner,à tes amis ; est-ce que tu trouves cela bien, toi ?

– Bussy leur donne à dîner !Oh ! c’est impossible ; des ennemis jurés !

– Justement ; s’ils étaient amis,ils n’éprouveraient pas le besoin de s’enivrer ensemble. Écoute,as-tu de bonnes jambes ?

– Que veux-tu dire ?

– Irais-tu bien jusqu’à larivière ?

– J’irais jusqu’au bout du monde pourêtre témoin d’une chose pareille.

– Eh bien, va seulement jusqu’à l’hôtelBussy, tu verras ce prodige.

– Tu m’accompagnes ?

– Merci, j’en arrive.

– Mais enfin, Chicot….

– Oh ! non, non, tu comprends quemoi qui ai vu, je n’ai pas besoin de me convaincre ; mesjambes sont diminuées de trois pouces à force de me rentrer dans leventre. Si j’allais jusque-là, elles commenceraient au genou. Va,mon fils, va.

Le roi lui lança un regard de colère.

– Tu es bien bon, dit Chicot, de te fairede la bile pour ces gens-là ! Ils rient, festinent et font del’opposition à ton gouvernement. Réponds à toutes ces choses enphilosophe : ils rient, rions ; ils dînent, fais-nousservir quelque chose de bon et de chaud ; ils font del’opposition, viens nous coucher après souper.

Le roi ne put s’empêcher de sourire.

– Tu peux te flatter d’être un vrai sage,dit Chicot. Il y a eu, en France, des rois chevelus, un roi hardi,un roi grand, des rois paresseux : je suis sûr que l’ont’appellera Henri le patient… Ah ! mon fils, c’est une sibelle vertu… quand on n’en a pas d’autre !

– Trahi ! se dit le roi, trahi… Cesgens-là n’ont pas même des mœurs de gentilshommes.

– Ah çà ! tu es inquiet de tes amis,s’écria Chicot en poussant le roi vers la salle dans laquelle onvenait de servir le souper ; tu les plains comme s’ils étaientmorts ; et, lorsqu’on te dit qu’ils ne sont pas morts, tupleures et tu t’inquiètes encore… Henri, tu geins toujours.

– Vous m’impatientez, monsieurChicot.

– Voyons, aimerais-tu mieux qu’ilseussent chacun sept ou huit grands coups de rapière dansl’estomac ? sois donc conséquent.

– J’aimerais à pouvoir compter sur desamis, dit Henri d’une voix sombre.

– Oh ! ventre-de-biche !répondit Chicot, compte sur moi, je suis là, mon fils ;seulement, nourris-moi.– Je veux du faisan… et des truffes,ajouta-t-il en tendant son assiette.

Henri et son unique ami se couchèrent de bonneheure ; le roi soupirant d’avoir le cœur si vide, Chicotessoufflé d’avoir l’estomac si plein.

Le lendemain, au petit lever du roi, seprésentèrent MM. de Quélus, Schomberg, Maugiron etd’Épernon ; l’huissier avait coutume d’ouvrir, il ouvrit laportière aux gentilshommes.

Chicot dormait encore ; le roi n’avait pudormir. Il sauta furieux hors de son lit, et, arrachant lesappareils parfumés qui couvraient ses joues et ses mains :

– Hors d’ici ! cria-t-il, horsd’ici !

L’huissier, stupéfait, expliqua aux jeunesgens que le roi les congédiait. Ils se regardèrent avec une stupeurégale.

– Mais, sire, balbutia Quélus, nousvoulions dire à Votre Majesté….

– Que vous n’êtes plus ivres, vociféraHenri, n’est-ce pas ?

Chicot ouvrit un œil.

– Pardon, sire, reprit Quélus avecgravité, Votre Majesté fait erreur….

– Je n’ai pourtant pas bu le vin d’Anjou,moi !

– Ah !… fort bien, fort bien !…dit Quélus en souriant… Je comprends ; oui. Ehbien !….

– Eh bien, quoi ?

– Que Votre Majesté demeure seule avecnous, et nous causerons, s’il lui plaît.

– Je hais les ivrognes et lestraîtres.

– Sire ! s’écrièrent d’une communevoix les trois gentilshommes.

– Patience, messieurs, dit Quélus en lesarrêtant ; Sa Majesté a mal dormi, et aura fait de méchantsrêves. Un mot donnera le réveil meilleur à notre très vénéréprince.

Cette impertinente excuse, prêtée par un sujetà son roi, fit impression sur Henri. Il devina que des gens assezhardis pour dire de pareilles choses ne pouvaient avoir rien faitque d’honorable.

– Parlez, dit-il, et soyez bref.

– C’est possible, sire, mais c’estdifficile.

– Oui… on tourne longtemps autour decertaines accusations.

– Non, sire, on y va tout droit, fitQuélus en regardant Chicot et l’huissier comme pour réitérer àHenri sa demande d’une audience particulière.

Le roi fit un geste : l’huissier sortit.Chicot ouvrit l’autre œil, et dit :

– Ne faites pas attention à moi, je dorscomme un bœuf.

Et, refermant ses deux yeux, il se mit àronfler de tous ses poumons.

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