La Fin de Fausta

Chapitre 29LE MARIAGE DE FLORENCE

Le lendemain matin, de bonne heure, ils partirent tous ensemble,y compris Landry Coquenard qui, cette fois, était de la partie, etils rentrèrent tard dans la soirée. Le surlendemain, ilsrepartirent, toujours infatigables, et, ce matin-là, de fortjoyeuse humeur.

Tous ensemble, ils allèrent jusqu’à la rue de la Planche Mibrai(qui était le commencement de la rue Saint-Martin). Là, Pardaillanles quitta et s’en alla par la rue de la Vannerie (que le percementde l’avenue Victoria a fait disparaître). Les quatre autresfranchirent le pont Notre-Dame et pénétrèrent dans la Cité. Là,nouvelle séparation : Odet de Valvert et Landry Coquenarddemeurèrent dans la Cité, tandis que Gringaille et Escargasse,franchissant le Petit Pont et passant sous le Petit Châtelet,s’enfonçaient dans les ruelles étroites et sombres del’Université.

Vers midi, une explosion formidable ébranlait tout le quartierde la ville, depuis la Bastille jusqu’à l’Hôtel de Ville :c’était la maison du passage Barentin que Pardaillan venait defaire sauter.

Les habitants de ce quartier très populeux se précipitèrent dansles rues, affolés, courant aux nouvelles. La maison était isolée etpassait pour inhabitée. De fait, on ne signalait pas de mortd’homme. Malgré cette absence de victimes, rassurante en soi,l’événement parut si extraordinaire, si mystérieux, qu’il soulevaune émotion énorme.

Comme toujours en pareil cas, la nouvelle, dénaturée etfortement amplifiée, se répandit avec une rapidité effarante,semant la panique sur son passage. En un clin d’œil, la villeentière se trouva en rumeur, jusqu’aux confins les plus éloignés ducentre. Et naturellement, les bruits les plus fantastiques setrouvèrent mis en circulation.

Cependant, comme rien ne venait confirmer ces bruitsinquiétants, les esprits commencèrent à se ressaisir, l’émotions’apaisa, la crainte s’atténua, fit place à la curiosité.

Alors, quand le calme commençait à renaître, comme une traînéede poudre, le bruit se répandit qu’une deuxième maison venait desauter dans les mêmes conditions mystérieuses, qu’on ne parvenaitpas à s’expliquer. Cette deuxième maison était située dans la Cité,non loin du port Saint-Landry. Et, chose remarquable, cette maison,dont les assises baignaient dans la rivière, comme la première,était isolée et passait pour abandonnée dans le quartier.

Puis, un peu plus tard, on apprit qu’une troisième maison venaitde sauter, dans l’Université, celle-là, et non loin du murd’enceinte. Et comme les deux précédentes, cette troisièmeexplosion se produisait dans des conditions inexplicables. Et,toujours comme les autres, cette maison était isolée etinhabitée.

Cette nouvelle, qui se répandit partout, pénétra jusqu’auLouvre, jusqu’au roi Louis XIII lui-même. Nous verrons tout àl’heure comment.

Elle fut portée, en toute hâte, à Fausta, qui l’accueillit sansmanifester la moindre émotion, comme une chose de peu d’importance.Mais qui, lorsqu’elle se trouva seule, marqua, par l’accès defureur terrible auquel elle se livra, combien elle était sensible àce nouveau coup qui anéantissait ses espérances, ou, tout au moins,en reculait la réalisation pour de longs mois. Et elle mauditPardaillan, qui lui portait ce coup fatal qui l’assommait. Car ellene s’y trompa pas, et reconnut aussitôt sa main dans cettedésastreuse affaire.

Elle pénétra, cette nouvelle, à l’hôtel Concini, et arrivajusqu’à Léonora. Seulement, comme elle avait à faire, pourl’instant, des choses autrement importantes pour elle, elle neprêta qu’une oreille distraite aux rumeurs venues du dehors.

En ce moment, Léonora pénétrait dans la chambre de Florence,devenue sa fille légitime. Entrées derrière elle, La Gorelle etMarcella étalaient délicatement sur le lit une somptueuse toilettede cour et des écrins renfermant des bijoux précieux que la Gorellecouvait d’un regard chargé de convoitise : un de ces regardsqui, s’il avait eu le don d’attirer l’or et les pierreries, commel’aimant attire le fer, eût infailliblement escamoté le contenu desprécieux écrins.

C’était la première fois que Florence voyait la Florentine,depuis deux jours qu’elle était devenue sa mère aux yeux de la loi.L’avant-veille, après la signature des actes et le départ destémoins, la jeune fille s’était retirée dans sa chambre, sans queLéonora, ni Concini, du reste, eussent paru s’intéresser à elle,sans qu’ils eussent songé à lui adresser une parole, même banale.Elle n’en avait été ni surprise, ni affectée, d’ailleurs :elle savait que, dans l’intimité, elle ne serait jamais qu’uneétrangère pour eux.

Léonora s’était aussitôt rendue auprès de Marie de Médicis. Ellelui avait appris que tout était terminé, bien en règle, et queFlorence était maintenant bien dûment et légalement sa fille. Ce àquoi Marie de Médicis avait répondu par des remerciementschaleureux et par des félicitations qui s’adressaient autant àelle-même qu’à sa confidente.

La fibre maternelle était, décidément, complètement absente chezelle, car, après avoir donné libre cours à sa joie, elle ajouta,avec un accent de menace froide.

– Cette petite est cause que je viens de vivre des joursd’angoisse mortelle, que je n’oublierai de ma vie… J’espère bienque tu vas t’arranger de manière à ce qu’elle disparaisse… Je neveux plus jamais la revoir ni entendre parler d’elle. Tu m’entends,Léonora ?

Ceci était signifié sur un ton, tel que tout autre que Léonorase fût bien gardé d’ajouter un mot de plus, sur un sujet quiindisposait la reine à ce point. Mais Léonora se permettait ce quenul n’eût osé se permettre.

– J’entends, madame, fit-elle avec une froide fermeté. Ilfaudra cependant que je vous en parle encore, durant quelque temps.Il faudra que vous consentiez à la revoir au moins une foisencore.

– Tu perds la tête, je crois !

– Non, madame, Dieu merci, j’ai bien toute ma raison. Et jele prouve en disant ce que je dis, à savoir : qu’il estindispensable, tout à fait indispensable pour votre sécurité, quela fille du maréchal et de la maréchale d’Ancre, vous soitofficiellement présentée.

– Pourquoi cette présentation officielle ? s’inquiétala reine, qui, selon sa coutume, commençait déjà à battre enretraite.

– Parce que, expliqua Léonora, il y a toujours beaucoup demonde à une présentation officielle. Outre ceux qui s’y trouvent depar leur charge, il y a ceux à qui on accorde la faveur d’uneinvitation… Et c’est surtout pour ceux-là que la présentation doitse faire… Surtout si, comme je l’espère, la signora se trouve aupremier rang de ces invités.

Ces paroles firent dresser l’oreille à Marie de Médicis.

– Pourquoi dois-je inviter la princesse Fausta ?interrogea-t-elle.

– Parce que, fit Léonora, avec une lenteur calculée, c’estsurtout elle qu’il faut bien convaincre que Florence est bien lafille de Léonora Dori, marquise d’Ancre.

Il faut croire qu’elle se sentait assez forte pour jeter lemasque et s’attaquer ouvertement à Fausta, qu’elle avait toujoursparu servir jusque-là, car, allant au-devant des questions qu’elledevinait sur les lèvres de la reine, elle ajoutaaussitôt :

– Je vous avais dit, madame, que lorsque le moment seraitvenu, je vous ferais connaître le nom de cet ennemi qui, dansl’ombre, s’acharne à votre perte. Ce moment est venu, madame. Cetennemi qui, sans moi, vous eût irrémissiblement perdue, c’est laprincesse Fausta.

Et comme Marie de Médicis, toujours engouée de celle qu’elleappelait la signora, se récriait avec force, se refusait à croire àtant de perfidie, Léonora parla, produisit des preuves morales etmatérielles, et n’eut pas de peine à la convaincre. Alors, lacolère de la reine éclata avec toute la violence qu’on pouvaitattendre de son caractère emporté. Léonora dut la calmer, laraisonner, et eut assez de mal à l’empêcher de commettre un éclatimmédiat qui n’eût servi à rien.

La reine étant apaisée et ayant compris la nécessité où elle setrouvait de revoir, au moins une fois encore, cette enfant, safille ! dont, dans son égoïsme féroce, elle venait de dire« qu’elle espérait bien que Léonora s’arrangerait de manière àce qu’elle disparût », il fut entendu que cette présentationaurait lieu le surlendemain et que Fausta serait invitée à yassister. Invitation qui serait faite dans des termes, tels qu’ellene pourrait la décliner.

Dans la chambre de Florence qui s’était levée pour la recevoir,Léonora, après avoir congédié d’un signe de tête la Gorelle etMarcella qui s’éclipsèrent silencieusement, prononça :

– Florence, tout à l’heure, vous allez avoir l’honneurd’être présentée à Sa Majesté la reine régente. Vous vous parerezde cette toilette de cour et de ces bijoux qui vous appartiennent.Il convient de vous hâter, car nous n’avons pas beaucoup de temps.Je vais vous envoyer Marcella et la Gorelle qui vous serviront defemmes de chambre.

Elle parlait toujours avec la même douceur. Cependant, l’oreilleparticulièrement sensible de la jeune fille perçut, sous cettedouceur, un accent impérieux qu’elle n’avait jamais eujusque-là.

– Bien, madame, fit-elle simplement.

Cependant, malgré elle, une lueur joyeuse s’était allumée dansses grands yeux, en apprenant qu’elle allait revoir sa mère. Ellesavait pourtant qu’elle n’avait rien à attendre de cette mère. Ellesavait, elle était sûre que jamais elle n’obtiendrait d’elle un motparti du cœur. N’importe, elle voulait espérer quand même. Et ellevoulait d’autant plus fortement, qu’elle sentait bien que cetespoir ne se réaliserait jamais.

Si fugitive qu’eût été cette lueur de contentement, Léonora,toujours attentive, l’avait surprise au passage. Et toujoursméfiante, elle sonda :

– Vous êtes contente d’aller à la cour ?

Elle secoua sa tête mutine, et riant d’un rire clair :

– Franchement, non, madame… La cour m’effraie… Je sens queje n’y serai pas à ma place.

Chose incroyable, et pourtant naturelle, parce que bien humaine,cette dernière raison piqua l’orgueil de Léonora. Et,redressée :

– Pourquoi ?… Sachez, mademoiselle, que la fille dumarquis et de la marquise d’Ancre est à sa place partout… Fût-cesur les marches d’un trône !…

– Dieu me garde d’en douter, madame. Mais je n’oublie pasce que j’ai été… ce que je redeviendrai peut-être… Vous avez beauavoir fait de moi une comtesse, fille, aux yeux du monde tout aumoins, d’un marquis et d’une marquise, il n’en reste pas moins quej’ai toujours vécu au milieu du peuple, dont j’ai pris, sans m’enrendre compte, les idées saines et les goûts simples. C’est ce quifait que la cour ne me tente nullement. Et si je dois m’y rendre,comme aujourd’hui, ce ne sera pas, comme vous paraissez le croire,un plaisir que j’éprouverai, mais une gêne pénible.

Elle ne riait plus. Elle disait cela d’un petit air sérieux, quine permettait pas de douter de sa sincérité.

– Eh bien, fit Léonora, satisfaite, cette simplicité degoûts tombe à merveille : il ne vous sera pas pénibled’apprendre que cette présentation, nécessaire, n’aura pas desuite, et que jamais plus vous ne remettrez les pieds à cette courqui vous tente si peu.

Et comme Florence accueillait cette nouvelle avec uneindifférence qui n’avait rien d’affecté, mais se gardait bien dedemander la moindre explication, elle crut devoirajouter :

– Pour la sécurité de votre mère, il est nécessaire quevous vous teniez à l’écart le plus possible.

– Est-ce à dire, madame, que, toute ma vie, il me faudrademeurer enfermée dans cette maison ? s’inquiéta Florence.

– Non pas, rassura Léonora. L’essentiel est qu’on ne vousvoie pas à la cour. Quant au reste, il n’est jamais entré dans mapensée de vous tenir prisonnière ici, comme nous avons été dans lanécessité de le faire jusqu’à ce jour. À dater de maintenant, vouspourrez sortir et rentrer à votre gré. À condition, bien entendu,que vous vous ferez accompagner par une suivante, ainsi qu’ilconvient à une jeune fille de votre rang.

Ayant fait cette promesse que Florence accueillit avec une joiepuérile, Léonora sortit en songeant :

– Promesse qui ne m’engage pas beaucoup : dans huitjours, elle sera mariée à Rospignac qui l’emmènera loin de Paris…ou bien elle sera enfermée dans un cloître.

Une heure après, devant une brillante assemblée, Conciniprésentait cérémonieusement sa fille, miraculeusement retrouvée, àMarie de Médicis.

La mère, figée dans une attitude hautaine, n’eut pas untressaillement, pas un élan, pas un geste, pas un regard vers cetteenfant qui se courbait devant elle, qui, d’une voix que l’émotionfaisait trembler, débitait un compliment très court, trèssimple : quelques mots touchants, jaillis de son cœur aimantet dévoué, cette enfant qui était sa fille, à elle, et qu’on luiprésentait comme la fille d’une autre.

Ce compliment qui eût attendri toute autre que la monstrueuseégoïste, elle l’écouta froidement, avec une impatience qu’elle neparvenait pas à dissimuler complètement, et, si bref qu’il fût,elle trouva encore moyen de le couper d’un geste cassant. Et lesourire, les paroles aimables qu’elle n’avait pas eu la force detrouver pour sa fille, elle les trouva pour son amant et ce fut àlui qu’elle les adressa.

Et la pauvre enfant sentit s’écrouler en son cœur ce suprême,cet instinctif espoir qu’elle avait gardé jusque-là. Elle compritalors, sans aucun doute possible, elle comprit que ce quel’abominable mère ne lui pardonnait pas, ne lui pardonneraitjamais, c’était d’être vivante. Et elle courba la tête, elle fitdes efforts surhumains pour refouler les deux larmes qui brûlaientle bord de ses paupières et voulaient jaillir.

Pendant ce temps, Léonora, qui s’était glissée près de Fausta,se donnait la satisfaction de l’écraser en lui montrantcomplaisamment les « preuves irréfutables », quifaisaient de la fille de Marie de Médicis, sa fille, à elle.

Avec cette force de dissimulation si remarquable chez elle,Fausta accueillit la nouvelle avec son plus charmant sourire.Seulement, après les compliments qu’elle ne lui marchanda pas, ellevoulut lui montrer qu’elle n’était pas dupe. Et, baissant lavoix :

– Allons, le tour est bien joué, Léonora, et je vousfélicite, dit-elle sans cesser de sourire. Je comprends maintenantpourquoi la reine m’a adressé une invitation si pressante, qu’elledevenait un ordre auquel il m’était impossible de me soustraire… Jecomprends aussi l’accueil presque glacial qui m’a été fait ici… Mevoilà en disgrâce presque complète, ma foi !… Cette disgrâcedont j’aurai beaucoup de peine à me relever, c’est à vous que je ladois, n’est-ce pas, Léonora ?

Léonora se sentait de taille à abattre la redoutable jouteuse.Elle ne voulut pas se dérober. Et dès l’instant qu’elle déposait lemasque et parlait en toute franchise, elle voulut lui rendre lapareille. Elle se redressa et la fixant droit dans lesyeux :

– Oui, dit-elle nettement. J’ai fait de mon mieux pour vousdesservir. Et je crois y avoir assez bien réussi. Et remarquez,signora, que pour obtenir ce résultat, je n’ai eu qu’à dire lavérité toute nue.

– Vous savez que c’est la guerre entre nous ? grondaFausta.

– La guerre, répliqua Léonora, vous la déclarez maintenant,signora. Mais elle existait entre nous, dès l’instant où vous vousêtes dressée sur ma route. Car, si je n’ai jamais été dupe de vosprotestations, je ne vous ferai pas l’injure de croire que vousavez pu vous laisser prendre aux miennes… Et cependant, je vous aibattue… Ceci dit, madame, non pour insulter à votre défaite, maispour vous faire comprendre que je ne crains pas plus la lutte àvisage découvert que la lutte sournoise que nous avons soutenuejusqu’à ce jour.

– Et dans laquelle vous avez eu le dessus, complimentaFausta sans raillerie, je le reconnais. Mais tout n’est pas ditencore. Gardez-vous bien, Léonora : j’aurai ma revanche.

– Oh ! madame, peut-être me trouverez-vous bienprésomptueuse, mais je ne vous crains pas.

Sur ces mots, Léonora s’inclina dans une révérence respectueuseet se dirigea vers Florence, qu’elle voulait emmener aussitôt quepossible, parce qu’elle voyait que sa présence déplaisait à Mariede Médicis.

Quant à Fausta, ce fut vers la reine qu’elle alla, avecl’intention de lui demander l’autorisation de se retirer. Malgrél’empire prodigieux qu’elle avait sur elle-même, elle suffoquait derage refoulée et éprouvait l’impérieux besoin de se retrouver chezelle, seule, libre de toute contrainte opprimante.

Réellement, ce jour était un jour néfaste pour elle. Sanscompter la perte de ses millions à laquelle elle était plussensible qu’elle ne voulait se l’avouer à elle-même, sans compterque, depuis quelque temps, rien de ce qu’elle entreprenait ne luiréussissait, elle avait, ce jour-là, reçu des coups qui eussentassommé tout autre qu’elle : d’abord la destruction de sesdépôts, coup terrible qui, en les désarmant, annihilait les troupesoccultes qu’elle avait dans Paris et les environs, et dont leconcours lui était indispensable. Puis, sa disgrâce auprès de larégente. Disgrâce qui pouvait avoir des conséquences désastreuseset dont, elle l’avait dit elle-même, elle ne se relèverait pas sanspeine. Enfin, la reconnaissance de la fille de Marie de Médicis parLéonora, reconnaissance qu’elle avait dû accepter sans protester,ce qui lui enlevait un moyen de pression puissant, infaillible.

Ce dernier coup-là, auquel elle était loin de s’attendre, parceque connaissant Léonora comme elle la connaissait, jamais l’idée nelui serait venue que la terrible jalouse consentirait à reconnaîtrepour sienne propre la fille de son Concino adoré et de Marie deMédicis, ce dernier coup lui était d’autant plus sensible qu’ellecomprenait que c’était par sa faute à elle-même qu’elle avait perducette partie si importante pour elle : elle s’était absorbéedans sa lutte contre Pardaillan au point de négliger le reste. Ellecomprenait maintenant, trop tard, la lourde faute qu’elle avaitcommise.

Fausta n’aspirait donc qu’à se retirer chez elle pour yréfléchir à son aise et chercher dans son imagination, jamais àcourt d’expédient, le moyen de relever une situation si fortementcompromise, mais qu’elle ne voulait pas encore voir désespérée.

Ce jour-là, elle jouait de malheur décidément. Au moment oùMarie de Médicis, avec une froideur remarquée, lui ayant accordé lecongé qu’elle sollicitait, elle se dirigeait vers la porte, cetteporte s’ouvrit à double battant. Et le roi entra.

Il n’était pas seul. Près de lui se tenait Valvert, Valvertcouvert, des pieds à la tête, de poussière et de plâtre, lesvêtements en désordre, les mains couvertes d’égratignuressanglantes, ce qui, n’était la longue épée qu’il avait au côté, eûtpu le faire prendre pour un maçon qui venait d’être victime d’unaccident.

Devant le roi, Fausta dut s’immobiliser et se courber, commetout le monde.

Il paraissait assez agité, le petit roi. Tout de suite, ilaperçut Fausta. Ce fut à elle qu’il alla. Dès son entrée, Valvertavait aperçu Florence qui se tenait modestement à l’écart et quiavait fort grand air, sous la somptueuse toilette de cour qui laparait, et qu’elle portait avec une aisance telle qu’on pouvaitaisément croire que de sa vie elle n’avait porté autre chose. Et ilétait tombé en extase. Florence, de son côté, n’avait pas tardé àle voir. Leurs regards se croisèrent. Ils se sourirent avec unetendresse infinie et, oubliant où ils se trouvaient, ils separlèrent en ce langage muet des yeux qui a tant de charme pour lesamoureux et qu’ils comprennent si bien.

Concini, du premier coup d’œil, avait reconnu Valvert en cethomme couvert de sang et de plâtre et qui, en une tenue aussiincorrecte, était amené par le roi lui-même, au milieu de cettebrillante assemblée parée des fastueux costumes de cérémonie. Cequi prouvait que cet homme jouissait de la faveur royale d’unemanière aussi complète qu’insoupçonnée. Mais Concini ne vit passeulement que cette faveur particulière, si grande qu’elle pouvaitfaire envie à un tout-puissant personnage tel que lui. Il compritaussi qu’un événement grave s’était produit. Et pratique, il voulutêtre le premier à en tirer profit, si profit il y avait. Et ils’était précipité au-devant du roi, courbé en deux, en une marchequi était une longue révérence.

Le roi s’arrêta devant Fausta. Et sa hâte de parler était sigrande, qu’oubliant de répondre à la révérence qu’elle luiadressait, il attaqua aussitôt :

– Ah ! madame l’ambassadrice, c’est vous que jecherchais ! Et, tout de suite, avec une précipitation quiredoublait le léger bégaiement dont il était affligé :

– Savez-vous, madame, que trois maisons viennent de sauter,coup sur coup, dans notre bonne ville ?

Le silence, fait de respect, qui avait suivi l’entrée du roi,devint tragique à cette question si imprévue, que le roi posaitavec une émotion, que chacun sentait être une colère violente,difficilement contenue, et qui ne demandait qu’à éclaterouvertement.

Fausta s’y attendait moins que tout autre à cette question.Instantanément, en voyant Valvert, elle comprit. Elle comprit qu’ilavait, comme toujours, secondé Pardaillan et qu’il avait parlépeut-être. Or, s’il avait parlé, et selon ce qu’il avait dit,c’était sa tête, à elle, qui roulait sous la hache du bourreau. Etcela, malgré l’immunité qui s’attachait à son titre de représentantdu roi d’Espagne.

Malgré l’incroyable menace qui pesait sur elle, elle ne perditrien de son calme apparent, rien de cette majestueuse assurance quifaisait que, dans un cercle de souverains, elle dominait comme uneimpératrice. Et ce fut de sa voix harmonieuse, dont rien n’altéraitla douceur pénétrante, qu’elle répondit :

– C’est par la rumeur publique que j’ai eu connaissance dece fâcheux événement. Mais comme j’ai entendu dire à des personnesdignes de foi que, fort heureusement, on n’avait à déplorer laperte d’aucune existence humaine, je ne m’en suis pas autrementémue.

– Savez-vous, madame, à qui appartenaient cesmaisons ? reprit le roi dans un grondement.

– Je l’ignore absolument, sire, répondit Fausta avec lemême calme imposant.

– À des Espagnols ! s’écria le roi.

– À des Espagnols ? s’écria Fausta en un sursaut desurprise admirablement joué.

Et, feignant de se méprendre, avec une pointe d’émotion contenuedans la voix :

– Ah ! pauvres gens ! Mais alors, c’est à moi,représentant de Sa Majesté le roi d’Espagne, qu’il appartient devenir en aide à ces pauvres gens ! Je ne manquerai pas de lefaire, et je remercie Votre Majesté de m’avoir appris ce détail quej’ignorais.

Elle jouait son rôle, en grande comédienne, avec un naturel siparfait, que le roi en fut un instant décontenancé. Il jeta surValvert un coup d’œil qui semblait appeler à l’aide. Mais Valvertn’avait d’yeux que pour Florence et ne vit pas l’embarras du roi.D’ailleurs, cet embarras fut bref. Presque aussitôt Louis XIII seressaisit et, de sa même voix grondante :

– Parlons-en de ces pauvres gens !… Savez-vous cequ’ils avaient fait de leurs repaires ?… De véritablesarsenaux, madame !… Des arsenaux contenant des armes, de lapoudre, des balles, jusqu’à des canons… De quoi armer etapprovisionner grandement une petite armée… de soldats espagnols,cela va sans dire.

– Que m’apprenez-vous là, Sire ! s’écria Fausta,jouant la stupeur et l’indignation.

– La vérité, madame… Ne la saviez-vous pas ?…

Évitant de répondre à l’embarrassante question, Fausta, commesoulevée par l’indignation, assura :

– Un si inqualifiable abus de l’hospitalité, qui nous estsi généreusement offerte dans ce pays ami, me paraît si monstrueux,si incroyable que… j’oserai demander au roi s’il est sûr de ne passe tromper… S’il est bien sûr que les renseignements qu’on lui afournis sont exacts.

– Le comte de Valvert, que voici, va vous dire ce qu’il enest, répondit le roi.

Et il ajouta :

– Le comte est l’un des quatre ou cinq loyaux sujets ethardis compagnons qui ont découvert et fait sauter ces nids dereptiles venimeux, au risque de leur vie… Et vous pouvez vousassurer, à l’état dans lequel le voilà, que je n’exagère pas endisant qu’il a risqué bravement sa vie pour le service de son roi…Je saisis avec joie l’occasion qui s’offre à moi, pour déclarer enpublic, que ce n’est pas la première fois qu’il expose sa vie poursauver la nôtre. Et, en attendant qu’il nous soit donné dereconnaître, d’une manière éclatante, les inappréciables servicesqu’il nous a rendus, je tiens à proclamer ici, devant tous, que jele tiens en particulière estime et affection… Parlez, comte.

Ces compliments imprévus arrachèrent les amoureux à leurmutuelle contemplation. Pendant que Florence rougissait de plaisir,Valvert s’inclinait gracieusement et remerciait :

– Les paroles précieuses que le roi me fait l’insignehonneur de m’adresser me récompensent au-delà de mon mérite.

Et, se tournant vers Fausta :

– Les trois maisons qu’avec l’aide de quatre compagnons,dont le roi connaît les noms, j’ai fait sauter ce matin, étaientdes dépôts d’armes clandestins, appartenant à des Espagnols, dontnous surveillions les agissements depuis près de huit jours. Ceci,je l’affirme sur mon honneur. Si cette affirmation ne suffit pas,si Votre Altesse doute de ma parole, je produirai des preuves… Despreuves si évidentes, qu’elles ne pourront pas ne pas vousconvaincre, madame.

Il s’était avancé de deux pas. Il la fixait avec une insistancesignificative. Elle comprit la menace. Elle comprit que si elleparaissait douter de sa parole, il parlerait. Et s’il parlait, c’enétait fait d’elle : elle ne sortirait de cette salle qu’aumilieu des gardes de Vitry… En attendant l’arrêt qui la jetteraitpantelante sous la hache du bourreau.

– Moi aussi, je vous connais depuis longtemps, monsieur deValvert, dit-elle en lui adressant son plus gracieux sourire, et jesuis heureuse de proclamer que je vous tiens pour un des plusbraves et des plus loyaux gentilshommes de ce pays, qui compte tantde braves et dignes gentilshommes. Je ne vous ferai donc pasl’injure de douter de votre parole. Je me tiens pour dûmentconvaincue.

Et, tandis que Valvert remerciait par une révérence, reculait,se mettait modestement à l’écart, derrière le roi, elle, elle seredressait, et avec cet air d’inexprimable majesté quin’appartenait qu’à elle, d’une voix claire, vibrante, elleprononça :

– Venue ici en amie, c’est comme telle que j’ai reçu àcette cour le plus flatteur, le plus inoubliable des accueils.Représentant d’un souverain, animé des sentiments de la plusfraternelle amitié envers Votre Majesté, je ne souffrirai pas quecette amitié réciproque, qui unit nos deux cours et nos deux pays,soit troublée par les agissements criminels de quelques fauteurs dedésordre, misérables comparses de bas étage, rebut d’une noblenation qui se vante, à bon droit, de ne le céder à nulle autrenation en fait de chevaleresque loyauté. En conséquence, et toutd’abord, devant Sa Majesté la reine régente, devant monseigneur lemaréchal d’Ancre, chef suprême de votre conseil, devant ces noblesseigneurs et ces nobles dames qui m’entendent, je flétris hautementl’inqualifiable conduite de ces scélérats, et je supplie VotreMajesté d’agréer mes très humbles excuses, au sujet de ce trèsregrettable incident. J’ajoute que mon premier soin, en rentrantchez moi, sera d’ordonner que les coupables soient recherchés. Jeréponds que le châtiment qui leur sera infligé sera si terrible,qu’il ôtera pour jamais l’envie de recommencer à ceux qui seraienttentés de les imiter. Que si les satisfactions que je donne ici,spontanément, paraissent insuffisantes, je suis prête à accordertoutes les réparations qu’il vous plaira de demander, Sire.

La manœuvre qu’elle venait d’accomplir avec cette rapidité dedécision si remarquable chez elle, était habile : en allantau-devant de tout ce qu’on pouvait lui demander, elle mettait leroi dans la nécessité de se contenter des satisfactions qu’elledonnait. Il est bien entendu que cette manœuvre ne pouvait réussirque si le roi ignorait qu’elle était la principale coupable et queces manœuvres louches qu’elle venait de stigmatiser avecindignation, c’est elle qui les avait commandées. Mais, àl’attitude de Valvert, elle avait compris qu’il n’avait pas parlé,que le roi ignorait le rôle qu’elle avait joué. Peut-être avait-ildes soupçons : et la colère qui l’animait le laissaitsupposer. Mais il n’avait pas de preuves, il reculerait devant unéclat.

Elle eut la satisfaction de voir qu’elle ne s’était pas trompéedans ses conjectures. Ne rencontrant pas de résistance, la colèredu roi tomba d’elle-même. Et la réponse prévue par Fausta arriva,telle qu’elle l’attendait.

– C’est bien, dit le roi, avec un reste de froideur, allez,madame. Et si sous tenez à ce que je continue à croire à cetteamitié dont vous me donnez l’assurance, faites bonne et promptejustice.

– Je réponds, Sire, que vous serez satisfait, promitFausta. Fausta fit sa révérence et sortit, sans que personnes’occupât d’elle.

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