La Fin de Fausta

Chapitre 31LE RENDEZ-VOUS DE FAUSTA

Ce jour où La Gorelle devait porter à dame Nicolle le billet deFlorence était un vendredi.

Ce vendredi-là, Pardaillan avait décidé de le consacrer aurepos. Un repos que ses compagnons et lui avaient bien gagné, aprèsles journées si bien remplies qui l’avaient précédé. Enconséquence, ils avaient tous fait la grasse matinée.

Vers dix heures, laissant Landry Coquenard, Escargasse etGringaille à la maison, Pardaillan et Odet de Valvert étaientsortis par la rue de la Cossonnerie. Ils avaient décidé de flânerun long moment par les rues, pour se rendre compte par eux-mêmes del’effet produit sur la population par les trois explosions de laveille qui étaient leur œuvre.

Mais, avant toute chose, ils s’étaient rendus à l’auberge duGrand-Passe-Partout. Ils trouvèrent dame Nicolle quis’apprêtait à sortir et qui les accueillit par un sourire engageantqui mettait à découvert une double rangée de dents d’une blancheuréblouissante, et par ces mots :

– Vous arrivez à propos, messieurs !… Monsieur lechevalier, on vient d’apporter à l’instant un billet pour vous, queje m’apprêtais à vous porter, suivant les instructions que vousm’avez données !… Monsieur le comte, si vous voulez allerfaire un tour à l’écurie, vous y trouverez quatre chevauxmagnifiquement harnachés, qu’un palefrenier a amenés pour vous,hier soir… de la part du roi ! monsieur.

Pardaillan avait pris le billet que lui tendait dame Nicolle. Ilne paraissait pas pressé de l’ouvrir : sur le large cachet quile scellait, il avait reconnu les armes de Fausta. Il ne lui enavait pas fallu davantage pour deviner ce qu’il disait. Il le posanégligemment à sa ceinture et, après avoir remercié dame Nicolled’un sourire, s’adressant à Valvert avec un de ces souriresindéfinissables comme il en avait parfois :

– Le roi s’est enfin décidé à remplacer les chevaux qu’onnous a tués au cours de cette expédition qui a été si profitablepour lui, mais qui nous a à moitié ruinés, nous. Allons voir cela,comte… Je ne vous cache pas que je crains fort que les quatre bêtesmagnifiques dont parle dame Nicolle, qui n’y entend riend’ailleurs, ne soient tout bonnement quatre courtauds vulgaires,bons tout au plus pour les laquais.

– Eh ! monsieur, fit Valvert en riant ! Il mesemble que vous n’avez guère confiance en la générosité duroi !

– Aucune confiance, Odet, aucune !… C’est que je leconnais, voyez-vous : il est d’une ladrerie qui dépasse, et detrès loin, la ladrerie de son père, le roi Henri IV… C’estd’ailleurs le seul et unique point sur lequel il lui ressemble, àson père.

Ils arrivèrent à l’écurie. Ils étudièrent les quatre bêtes enparfaits connaisseurs qu’ils étaient. Dame Nicolle n’avait pasexagéré : c’étaient quatre montures superbes, dignes d’un roi.Valvert, les yeux brillants de plaisir, se répandait enexclamations admiratives, ne dissimulant pas sa joie puérile.Pardaillan se contenta de dire :

– Allons, il n’y a trop rien à dire. Il a fait assezconvenablement les choses. Mais minute : j’ai déboursé pas mald’argent, moi !… Voyons s’il a pensé à me rembourser.

Sans plus tarder, il fouilla les fontes. Dans l’une d’elles, ilfinit par découvrir un petit sac qu’il sortit vivement. Il le fitsauter un instant dans sa main, comme pour le peser, et avec unsourire satisfait :

– Il y a mille pistoles là-dedans… Nous n’en serons pas denotre poche… C’est toujours cela.

Il réfléchit une seconde et :

– Les chevaux vous appartiennent, puisque ce sont lesvôtres qui ont été abattus…

– Vous faites erreur, monsieur, interrompit Valvert enriant. Je n’ai perdu, moi, que deux chevaux. Le troisièmeappartenait à Escargasse. Le quatrième que vous voyez à cerâtelier, près du vôtre, appartient à Gringaille.

– C’est différent, reprit Pardaillan gravement. Vousrendrez donc à Escargasse le cheval qui lui revient… Il ne perd pasau change, le drôle… Pour ce qui est de l’argent, il m’appartient…puisque c’est moi qui ai fait les frais de l’entreprise… Est-cejuste ?

– Tout à fait, monsieur.

– Cependant, je n’oublie pas que vous avez dû, de votrecôté, faire l’avance de quelques menues sommes.

– Oh ! si peu que ce n’est pas la peine d’enparler.

– Pardon, pardon, fit Pardaillan avec la même gravité,c’est ici comme une manière d’association. Les comptes doivent êtreétablis, honnêtes et clairs… Chacun doit avoir la part qui luirevient… Il ne faut pas, corbleu, que l’un des associés s’engraisseaux dépens de l’autre… Donc, dites-moi combien vous avezdéboursé…

– Quelques centaines de livres… Je vous avoue, monsieur,que je n’ai pas compté…

– Vous avez eu tort… Voyons, mille livres, est-cesuffisant ?

– C’est trop monsieur, beaucoup trop ! D’ailleurs, jeréalise un bénéfice appréciable avec les chevaux.

– Parbleu ! et moi, est-ce que vous croyez que j’aidéboursé mille pistoles, par hasard ?… Non, non, à chacun sondû… Je vais vous compter cent pistoles.

Pardaillan ouvrit le sac et y plongea la main. Il en sortit toutd’abord un billet qu’il déplia :

– Tiens ! tiens ! fit-il d’un air goguenard, lesceau particulier du roi… écrit entièrement de sa main !… ÀM. le comte de Valvert… Ah ! diable, quel indiscret jefais !… Prenez et lisez, Odet, ceci est à vous.

Valvert prit le billet et lut tout haut :

« Ceci n’est que le remboursement légitime de ce que vousavez déboursé pour notre service. C’est autrement que semanifestera la reconnaissance de votre obligé et bien affectionnéLouis, roi ».

– Quel homme, monsieur ! s’écria Valvert, rouge deplaisir.

– Peste, je crois bien ! railla Pardaillan.

Et de son air de pince-sans-rire : voilà un billet qu’ilfaut serrer précieusement dans vos archives.

– C’est ce que je ne manquerai pas de faire, dit Valvert,très sérieux, lui.

– À la bonne heure !… Vous me direz, à la fin del’année, si toutefois je suis encore de ce monde, de combien ceprécieux parchemin aura augmenté vos revenus !… En attendant,prenez vos cent pistoles… Je vous assure qu’elles valent tout justecent pistoles de plus que ce chiffon de papier !

Et Pardaillan glissa les cent pistoles d’or dans la main deValvert ébahi. Et, avec le même flegme, puisant de nouveau dans lesac, il reprit :

– Maintenant, ces cent autres pistoles à partager entreGringaille, Escargasse et Landry… Cent pistoles à ces troisdrôles ? Heu !… c’est peut-être beaucoup !… Ensomme, dans cette affaire, ces trois coquins n’ont fait que segoberger sans vergogne… et je ne sais si ce n’est pas un peuexcessif de les gratifier de pareille somme… Mais, baste, je neveux pas lésiner !… Maintenant, une vingtaine de pistoles dansma poche… Et voilà ce que l’on peut appeler des comptes d’associéshonnêtement établis.

En faisant ces réflexions tout haut, Pardaillan comptaitimperturbablement les sommes qu’il tirait du sac. Quand ce futchose faite, il reprit son air sérieux pour dire :

– Ce n’est plus l’associé qui parle maintenant. Et l’amivous dit : s’il vous faut davantage, puisez dans ce sac, sanscompter… Si vous avez besoin de tout… prenez sans vous gêner.

– Merci, monsieur, fit doucement Valvert. Dieu merci, il mereste assez pour vivre toute une année sans me priver.

– Peste, vous êtes riche ! complimenta Pardaillan sansinsister davantage.

Et se tournant vers dame Nicolle, qui les avait suivis et quiavait observé cette scène, un sourire amusé aux lèvres :

– Dame Nicolle, lui dit-il, prenez les sept cent soixanteet quinze pistoles qui restent dans ce sac et allez me les mettreen lieu sûr… Et soyez mille fois remerciée, ma chère.

Dame Nicolle partit aussitôt, emportant le sac qu’on venait delui confier. Alors Pardaillan prit le billet qu’il avait passé à saceinture, fit sauter le cachet, et d’un air détaché :

– Voyons maintenant ce que me veutMme Fausta.

Malgré les airs indifférents qu’il affectait, il faut croirequ’il attachait une importance considérable à ce billet dont il nes’était pas pressé de prendre connaissance, car après l’avoir luune fois, et fort attentivement, il le relut une deuxième fois,plus attentivement, plus lentement, pesant chaque mot, cherchantvisiblement à lire entre les lignes ce que le texte s’était efforcéde dissimuler.

Puis, silencieusement, il tendit le billet à Valvert et seplongea dans des réflexions profondes.

Valvert lut à son tour. Le billet disait ceci :

« Pardaillan, le moment est venu de tenir la promesse queje vous fis à Saint-Denis.

Vous connaissez, au village de Montmartre, la petite place surlaquelle se dressait le gibet des Dames qu’une explosion détruisitil y a quatre ou cinq ans[14]

[15] . Près des restes calcinés de ce gibetpasse un chemin qui conduit à la fontaine du But. Sur ce chemin, enbordure sur la place, se dresse la ferme du basse-courier desDames. C’est dans cette ferme que, demain, samedi, à dix heures dumatin, j’amènerai moi-même la petite Loïse et la paysanne à quielle était confiée et qui ne l’a pas quittée depuis que je la tiensen mon pouvoir.

Inutile de vous présenter avant : je ne pourrai être làqu’à l’heure que je vous fixe.

Libre a vous de vous faire accompagner Mais je vous jure que jeviendrai sans escorte aucune, toute seule, à ce rendez-vous. Etvous savez, Pardaillan, que je ne me suis jamais abaissée à vousmentir, à vous. »

Après avoir lu, Valvert attendit un instant, fixant Pardaillanqui, les yeux perdus dans le vague, ne paraissait pas le voir. Etle touchant légèrement du doigt, il interrogea :

– Qu’allez-vous faire, maintenant ? Irez-vous à cerendez-vous, qui me paraît singulièrement louche ?

Pardaillan tressaillit, arraché brusquement à ses pensées. Ilprit machinalement le billet que Valvert lui tendait, le déchira,en jeta les morceaux et, ayant repris contact avec la réalité, sonsourire railleur au coin des lèvres :

– Je ne sais encore si j’irai au rendez-vous de Fausta…Mais ce que je sais bien, c’est que nous allons nous rendre sur lesterres de Mme l’abbesse de Montmartre, sans plustarder… Et nous allons, s’il vous plaît, prendre nos compagnons enpassant… Et voulez-vous que je vous dise… Je serai diantrementétonné si nous ne rencontrons pas là Mme Faustaelle-même… ou le señor d’Albaran… ou quelqu’un de sesgens !…

Ils partirent. Ils n’avaient pas fait cinquante pas dans la rueSaint-Denis, lorsqu’ils croisèrent La Gorelle. Ils ne firent pasattention à elle.

Elle, en revanche, les reconnut. Elle s’arrêta un instant et lesregarda s’éloigner, un sourire équivoque aux lèvres.

Ils s’engagèrent dans la rue aux Fers. La Gorelle poursuivit saroute et entra au Grand-Passe-Partout. Comme on le voit,elle tenait parole et accomplissait honnêtement la besogne pourlaquelle Florence l’avait royalement payée d’avance. Par malheur,dame Nicolle était occupée à ce moment-là, et comme La Gorelle, parmaladresse ou par crainte de se compromettre, n’avait pas dit de lapart de qui elle venait, dame Nicolle la fit attendre uninstant.

Oh ! très peu de temps : deux ou trois minutes tout auplus. Mais à ces deux ou trois minutes vinrent s’ajouter deux outrois autres minutes qu’elle dut perdre à écouter la mégère qui nevoulait pas déguerpir avant d’avoir obtenu une récompense, sipetite fût-elle. Dame Nicolle qui, à un signe imperceptible dont LaGorelle n’avait pu saisir la signification, avait compris à quiétait destiné le billet, lui jeta un écu, que la vieille rapaceempocha sans vergogne, et la planta là pour courir après Odet deValvert qui ne pouvait être loin, pensait-elle.

Malheureusement, Pardaillan et Valvert avaient marché pendant cetemps. Ils s’étaient arrêtés quelques secondes sous les volets closde leur maison. Pardaillan avait sifflé d’une certaine façon. De lamaison, on avait répondu par un coup de sifflet modulé de la mêmemanière. Ils avaient repris leur chemin et étaient allés se posterprès de la rue de la Cossonnerie en face de la fameuse auberge dela Truie qui file.

À ce moment, dame Nicolle accourait dans la rue aux Fers. Sielle avait eu l’idée de pousser jusqu’à la rue duMarché-aux-Poirées, peut-être les eût-elle aperçus. Elle n’y pensapas. Elle sortit une clef de sa poche et, après avoir jeté unrapide coup d’œil autour d’elle pour s’assurer si on ne l’épiaitpas, elle ouvrit et entra.

À ce moment même, Landry Coquenard, Gringaille et Escargasse, larapière au côté, le manteau sur les épaules, sortaient par la ruede la Cossonnerie. Pardaillan leur fit signe de suivre et, tenantValvert par le bras, s’en alla d’un pas assez allongé vers la rueMontmartre.

Dans le faubourg Montmartre, Pardaillan allongea le pas. Lestrois suivaient à quelques pas, sans savoir où on les conduisaitainsi. Après avoir franchi le pont des Porcherons, lequel enjambaitl’égout qui traversait le faubourg, son œil perçant découvrit auloin une litière qui grimpait un chemin assez raide. Près de lalitière, marchait un colosse, à cheval. Derrière la litière,suivait une escorte de huit cavaliers, armés jusqu’aux dents.

– Regardez, fit Pardaillan, reconnaissez-vous cette taillede géant ?

– D’Albaran ! s’écria Valvert.

– Lui-même ! fit Pardaillan, à peu près remis, commevous voyez, du coup d’épée que vous lui avez allongé il y a unehuitaine de jours.

– Il escorte Mme Fausta ?

– Parbleu ! Je vous avais bien dit que je seraisdiantrement étonné si nous ne la rencontrions pas par là !… Etmaintenant, savez-vous où mène ce chemin qui enjambe lamontagne ?[16] Eh bien, il passe devant l’entrée del’abbaye… Il traverse, du côté du levant, cette petite place surlaquelle se trouve, du côté du couchant, la ferme en question.

– Et vous supposez qu’elle se rend à cette ferme ?

– J’en donnerais ma tête à couper !… Seulement, il nefaudrait pas croire qu’elle va s’y rendre comme cela, tout droit augrand jour ! Peste ! ce serait bien mal connaîtreMme Fausta !

Et Pardaillan se mit à rire doucement, d’un rire qui eût fortinquiété Fausta si elle avait pu le voir et l’entendre.

Puis, se retournant, il fit signe aux trois braves d’approcher.Ils vinrent à l’ordre, raides comme des soldats à la parade.Pardaillan commença par leur remettre les mille livres qu’il leurdestinait. Ce qui prouva qu’il voulait se donner le temps deréfléchir à ce qu’il allait faire. L’argent, avec des grognementsde jubilation, fut partagé fraternellement, avec une rapidité etune précision qui attestaient qu’ils connaissaient à fond lamanière d’évaluer cette opération d’arithmétique qu’on appelle unedivision.

– Escargasse, dit Pardaillan, tu vas prendre Landry avectoi. Et voici ce que vous allez faire.

Et, avec cette concision et cette netteté si remarquables chezlui, il leur donna ses instructions. Dès qu’il eut fini, Escargasseet Landry se lancèrent à la poursuite de la litière, qu’ils semirent à suivre de loin avec cette adresse particulière qui dénoteune grande expérience.

Quant à Pardaillan, accompagné de Valvert et suivi deGringaille, il se lança, à grandes enjambées, dans un sentier detraverse. Après une marche assez longue, accomplie à une alluredésordonnée, ils arrivèrent au pied d’une butte sur laquelle sedressaient cinq moulins. Au pied de cette éminence béaitl’ouverture d’une carrière abandonnée. Un peu plus loin, vers lenord, un autre moulin agitait ses grands bras de toile dansl’espace.

En route, Pardaillan avait dû donner ses instructions à Valvertet à Gringaille, car il se contenta de désigner de la main cemoulin solitaire, en disant à Valvert :

– Gringaille va vous conduire.

Valvert et Gringaille repartirent, de plus belle, au pas decourse. À quelques centaines de pas du moulin se trouvait lafontaine du But[17] . Entre la fontaine et le moulin sevoyait l’entrée d’une carrière abandonnée, pareille à celle qui setrouvait au pied de la butte des cinq moulins, devant laquellePardaillan était resté seul. Ce fut dans cette carrière queValvert, conduit par Gringaille, vint s’engouffrer. Nous leslaisserons pour suivre Pardaillan.

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