La Fin de Fausta

Chapitre 7L’ENVOYÉ DU MORT

Pour la commodité des scènes qui vont suivre, il nous faut icicamper les différents personnages qui auront à jouer leur rôle dansces scènes. À tout seigneur, tout honneur : le roid’abord.

Il s’était mis volontairement un peu à l’écart. On a puremarquer avec quelle désinvolture sa mère avait emmené Fausta, lelaissant là brusquement, comme un personnage sans importance. C’estqu’en effet il comptait peu chez lui. Il comptait même si peu, lepauvre petit roi, que bientôt tout le monde l’oublia. Il y était sibien habitué que, tout d’abord, il n’y prit pas garde. Et ils’amusa à regarder la cohue des courtisans qui papillonnaientautour de Fausta.

Pardaillan : il s’était placé à l’extrémité droite del’estrade. Il se trouvait ainsi à quatre ou cinq pas du roi qui,lorsqu’il voudrait se retirer, serait forcé de passer devant lui.Il partageait son attention entre le roi et Valvert qu’il avait àson côté.

Valvert : on a vu que son rôle, jusqu’ici, s’était borné àsuivre de près le chevalier. Maintenant, il se tenait près de lui.Ses yeux fouillaient encore la brillante cohue, comme s’il ycherchait quelqu’un. Et il soupirait. Et ces soupirs devenaient deplus en plus forts et fréquents. Pardaillan, immobile, le guignaitdu coin de l’œil pendant qu’un sourire railleur errait sur seslèvres.

Écoutons-les : peut-être apprendrons-nous ainsi ce qu’ilsétaient venus faire au Louvre, au milieu de cette cérémonie où l’ona pu s’étonner de les voir paraître. Valvert soupirait pour lamillième fois. Mais il ne desserrait toujours pas les dents.Pardaillan, qui savait très bien ce qu’il avait, sans en avoirl’air, lui tendit la perche en bougonnant à demi-voix :

– Çà, mon jeune ami, qu’avez-vous à soupirer ainsi, commeun veau qui a perdu le tétin de sa mère génisse ?

– Monsieur, j’ai beau chercher, écarquiller les yeux, je nela vois pas, soupira Valvert.

– Qui ? demanda Pardaillan qui le savait àmerveille.

– Comment qui ?… Ma bien-aimée Florence, monsieur.

– Diantre Odet, j’oublie toujours que vous êtes amoureux,moi ! C’est vrai, votre belle habite ici.

– Ah ! monsieur, je crois bien qu’elle ne viendra plusmaintenant.

– C’est probable… Il était même à prévoir qu’elle neparaîtrait pas dans cette noble assemblée. À quel titre s’ytrouverait-elle ?

Un silence suivit ces paroles. Valvert soupirait de plus belle.Plus que jamais, Pardaillan souriait malicieusement dans samoustache grise, en l’observant du coin de l’œil. Enfin Valvertreprit, non sans quelque hésitation :

– Il m’est bien venu une idée…

– Quelque belle incongruité comme il n’en surgit que dansla cervelle d’un amoureux !… N’importe, voyons tout de mêmecette idée.

– C’est qu’il me faudrait vous laisser un instant seul…

– Si ce n’est que cela, je n’y vois pas d’inconvénient.

– Et je crains qu’il ne vous arrive quelque chose defâcheux…

– Que diable voulez-vous qu’il m’arrive ?

– Le marquis d’Ancre est ici, monsieur. Et il y est commechez lui.

– Concini ! Pardieu, je sais bien que ce cuistre nemanque pas d’audace ! Tout de même, il n’ira pas jusqu’àessayer de me faire arrêter dans la maison du roi. Même enadmettant qu’il aille jusque-là, encore faudrait-il que cettearrestation se justifiât au moins par quelque inconvenance de mapart. Et vous ne pensez pas que je serai si sot que de lui donnerprise sur moi.

Cette fois, Pardaillan parlait très sérieusement. Il jeta unnouveau coup d’œil du côté du roi, comme pour s’assurer qu’il étaittoujours là, et, avec le même sérieux, il reprit :

– Je ne suis pas venu ici pour y faire un esclandre quiserait un excellent prétexte pour se débarrasser de moi. J’y suisvenu pour parler au roi. Il est vrai que j’y suis venu en mêmetemps que Fausta. Mais, outre que je n’aime pas prendre les genspar traîtrise, puisqu’elle commençait l’attaque en venant ici, ilm’a paru tout naturel de lui faire voir qu’elle allait me trouver àcôté du petit roi, prêt à parer pour lui et à rendre, de mon mieux,coup pour coup. C’est ce que je lui ai signifié en me montrantsimplement à elle. Et tenez pour assuré qu’elle a très biencompris. En ce moment-ci, elle croit bien l’emporter sur moi. Voyezdonc un peu les coups d’œil qu’elle jette de mon côté.Certainement, elle croit bien m’avoir assommé. Tout à l’heure,j’aurai mon tour. C’est moi qui frapperai. Et je vous réponds quele coup sera rude pour elle. Pour en revenir à Concini, quandj’aurai dit au roi ce que j’ai à lui dire, il comprendra, s’iln’est pas le dernier des imbéciles – et, si j’en juge d’après samine, il ne l’est pas –, il comprendra, dis-je, qu’il doit medéfendre envers et contre tous, parce que, en me défendant, moi,c’est lui-même qu’il défendra. Vous voyez bien que vous pouvez mequitter sans appréhension aucune et vous mettre à la recherche decelle que vous aimez, puisque aussi bien c’est l’envie qui vousdémange furieusement.

Pardaillan avait repris son air narquois pour prononcer cesdernières paroles. Et comme Valvert se montrait quelque peu éberluéen voyant qu’il avait été si bien deviné, il se mit à riredoucement. Et le poussant amicalement, de son air depince-sans-rire :

– Allez, reprit-il, cherchez, fouillez, flairez comme unbon limier sur la piste. Il est probable que vous allez vous égarerdans ce labyrinthe de salles, de couloirs, d’escaliers et de cours.Il est à peu près certain que vous ne trouverez pas celle que vouscherchez. N’importe, contentez votre envie. Allez, allez donc,morbleu !

Et Valvert, qui ne demandait que cela, était parti à larecherche de sa fiancée bien-aimée. Nous verrons plus tard s’ildevait réussir ou revenir bredouille comme le lui prédisaitPardaillan. Pour l’instant, continuons à passer en revue nospersonnages.

Derrière Pardaillan, séparé de lui par toute la largeur del’estrade, le noyau des fidèles, les intimes du roi : Luynes,Ornano, Bellegarde, Seuvré et Montpouillan. Ils attendaient, nonsans impatience, que le roi tournât la tête de leur côté et leurfît signe d’approcher. Mais comme le roi paraissait les avoiroubliés, ils n’osaient pas bouger et avaient recours à toutessortes de petites ruses pour attirer son attention sur eux. En pureperte, d’ailleurs.

À la gauche de Pardaillan, assez loin de lui, sans qu’il parûtles voir, Louvignac, Eynaus, Roquetaille et Longval s’entretenaientà voix basse, dans l’embrasure d’une fenêtre. Ils continuaient leursurveillance.

Concini s’était éclipsé discrètement un instant très court. Maiscomme Rospignac avait disparu en même temps que lui, nous pouvonsen conclure que le marquis ne s’était absenté un moment que pourdonner des ordres à son capitaine. Et nous ne pensons pas noustromper en disant qu’il est probable que ces ordres visaientPardaillan et Valvert. Quoi qu’il en soit, si Concini ne devait pastarder à revenir dans la salle du trône, Rospignac, lui, devaitdemeurer plus longtemps absent.

À l’autre extrémité de l’estrade, du côté opposé à celui où setenait Pardaillan, la reine, Fausta et Léonora derrière la reines’étaient groupées. Tous les courtisans, hommes et femmes,défilaient là, accablant Fausta de compliments et de protestations.Elle accueillait ces hommages avec cet air majestueux que nous luiconnaissons, qu’elle adoucissait cependant par ce sourire d’uncharme inexprimable qui la faisait irrésistible. Et rien, dans sonattitude, qu’elle savait rendre si bienveillante, n’indiquaitqu’elle savait très bien à quoi s’en tenir sur le désintéressementde ces protestations d’amitié et de dévouement qu’on luiprodiguait.

Et c’était ce spectacle-là que le petit roi, solitaire et oubliéde tous, s’amusait à contempler.

Ajoutons que, malgré l’attention qu’il lui fallait accorder àtous ces différents personnages avec lesquels elle échangeaitquelques paroles, aux compliments desquels il lui fallait répondre,Fausta, malgré tout, trouvait moyen, de temps en temps, de lancerun coup d’œil sur Pardaillan.

Nous avons vu qu’il avait signalé à l’attention de Valvert un deces regards qu’il avait surpris et qui paraissait le narguer.

Concini était revenu.

Calme, orgueilleux, la lèvre retroussée par un souriredédaigneux, il se carrait d’un air insolent au milieu de ce groupe.Et il avait vraiment l’air d’être le maître de la maison. Et commec’était lui qui avait présenté la duchesse de Sorrientès, aveclaquelle il paraissait au mieux, comme Marie de Médicis – qui luiattribuait le succès triomphal de Fausta – lui témoignait sareconnaissance en lui prodiguant les prévenances et les attentions,comme il était manifeste que sa faveur grandissait sans cesse etparaissait indéracinable, il en résultait qu’on tourbillonnaitautour de lui, tout autant qu’autour de la reine et de Fausta. Etil fallait voir de quel air négligent de potentat, qui estime quetout lui est dû, il accueillait les hommages et les flagorneriesdont on l’accueillait.

Cependant, si occupé qu’il fût, si sûr de lui qu’il parût, commeFausta, il ne pouvait s’empêcher de jeter fréquemment un coup d’œilfurtif du côté de Pardaillan.

Le roi ne remarqua pas tout de suite sa présence : touteson attention était concentrée sur Fausta qui avait su le flatterhabilement et qui avait produit une impression très vive sur sonimagination d’enfant. Hâtons-nous d’ajouter que nous n’entendonsnullement insinuer par là qu’il était en train d’en deveniramoureux. Non, il était trop jeune et il devait prouver plus tardqu’il était loin d’avoir hérité du tempérament si facilementinflammable de son père. Il subissait le charme tout-puissant quiémanait de Fausta, comme il subissait sa mère. Et cela n’allait pasplus loin.

Il arriva pourtant un moment où il fut las de contempler etd’admirer Fausta. Son attention se détourna d’elle pour se portersur son entourage. Et il aperçut Concini. Et il vit son insolentmanège. Et alors…

Alors une lueur rouge s’alluma dans ses yeux. Alors une boufféede sang empourpra son front. Alors il jeta les yeux autour de lui.Et il se vit tout seul, comme un intrus, contre cette estrade surlaquelle il trônait l’instant d’avant.

Alors il pâlit affreusement. Ses poings d’enfant se crispèrentfurieusement. Ses lèvres s’agitèrent comme pour lancer un ordre demort. Mais de ses lèvres crispées, aucun son ne jaillit. Alors, denouveau, son œil sanglant fureta autour de lui. Peut-être pourchercher Vitry, son capitaine des gardes. Ce ne fut pas Vitry qu’ildécouvrit. Ce fut un inconnu qui, à quatre pas de lui, leconsidérait avec une pitié attendrie qu’il ne cherchait pas àdissimuler.

Cet inconnu, c’était Pardaillan.

Cette pitié qu’il lut clairement sur le visage du chevalier,cette pitié l’atteignit comme une insulte cinglante. Le pauvrepetit roi dut avoir alors le sentiment affreux de sa faiblesse etde son impuissance, car il ploya les épaules et baissa la tête,comme honteux. Et cependant ses lèvres continuaient à s’agiterfaiblement, toujours sans émettre aucun son.

Mais cette pitié d’un petit gentilhomme inconnu de lui lui étaitdécidément intolérable, lui paraissait plus humiliante quel’insolente attitude de Concini. Un sursaut d’orgueil le redressainstantanément. Et il prit aussitôt un masque de dédaigneuseindifférence, pour dissimuler sa cuisante humiliation. Mais, sansle voir, il sentit peser sur lui le regard apitoyé de cet inconnu.Il souffrit atrocement dans son orgueil abaissé. Il voulut sesoustraire à l’obsession irritante de ce regard obstinément rivésur lui.

Il ne voulut pas aller à droite : Concini se pavanait de cecôté. Il ne voulut pas non plus aller à gauche : l’inconnucontre lequel il éprouvait une sourde rancœur s’y trouvait. Il fitun mouvement pour se mettre en marche, droit devant lui. Il neregardait ni à droite ni à gauche. Et cependant, en s’ébranlant, ilvit très bien que l’inconnu en faisait autant. Il vit que cetinconnu franchissait en deux enjambées énormes la distance qui leséparait de lui pour venir se courber, très respectueusementd’ailleurs, devant lui. Et, livide, les lèvres tremblantes – decolère, cette fois, une colère terrible qui venait de se déchaîneren lui –, il dut s’arrêter pour ne pas se heurter à lui. Et ilentendit, comme dans un rêve, la voix de Pardaillan, qui, trèstranquille, murmurait :

– Dites un mot, Sire, un seul, et je saisis le Concini aucollet. Et je l’envoie, par cette fenêtre, se briser sur le pavé dela cour.

Si le roi avait connu Pardaillan, il est certain qu’il n’eûtattaché aucune importance à ce double manquement à l’étiquettequ’il se permettait, en parfaite connaissance de cause,d’ailleurs : adresser la parole au roi sans y être invité et –ce qui était plus grave encore, malgré le respect évident del’attitude – se camper devant lui de telle sorte qu’il paraissaitlui barrer le passage. Si le roi avait connu Pardaillan, cetteproposition qu’il lui faisait avec cette tranquille assurance,comme la chose la plus simple du monde, lui eût paru, à lui aussi,très naturelle.

Par malheur, le roi ne connaissait pas Pardaillan. Cette pitiéqu’il avait lue dans ses yeux, en l’humiliant, avait commencé parl’indisposer contre lui. Son attitude, qu’il prit pour uneinconvenante audace, avait déchaîné sa colère. Enfin, cetteproposition lui parut si extravagante qu’il pensa que l’insolentgentilhomme qui la lui faisait osait se moquer de lui. Ce quiacheva de l’exaspérer contre le chevalier. Il se redressa, l’airhautain. Et, d’une voix éclatante, il lança :

– Holà ! Vitry !…

Cet appel tomba comme un pavé au milieu d’une mare àgrenouilles. Vitry, Luynes, Ornano, Bellegarde, Lesdiguières,Thémines, Crépi, Brulart de Sillery, le prévôt, tous, des quatrecoins de la salle, ils se précipitèrent vers le roi. Et le premierde tous, entraînant à sa suite toute une troupe de seigneurs,appelant d’un geste impérieux ses quatre chefs dizainiers, Concini,les yeux étincelants d’une joie sauvage : il avait reconnuPardaillan et il pensait bien le tenir, cette fois.

La reine, Fausta, la marquise d’Ancre, toutes les femmesdemeurèrent clouées sur place. Mais toutes suspendirent leursconversations. Toutes tournèrent des visages attentifs de ce côté.Léonora, une flamme de contentement dans ses yeux noirs :comme Concini, son époux, elle croyait que c’en était fait dePardaillan. Fausta, avec un imperceptible froncement de sourcilsqui trahissait plus d’inquiétude que de satisfaction : elleconnaissait bien Pardaillan, elle, et elle avait peine à croirequ’il eût commis cette insigne maladresse de venir se faire arrêterbêtement sous ses yeux.

Pardaillan s’attendait-il à un tel accueil ? Peut-être. Sinous nous en rapportons à ce pétillement malicieux qui luisait aucoin de ses prunelles, une chose nous paraît tout à faitcertaine : c’est que l’attitude du petit roi ne lui déplaisaitpas. Au contraire.

Cependant, après avoir lancé son appel, le roi, d’un air dedédain écrasant, laissait tomber, d’une voix grondante :

– Çà ! Êtes-vous ivre ou fou, mon maître ? Etd’abord, qui êtes-vous ?

Dédaignant de relever la première question, Pardaillan, avec uncalme qui parut extravagant à Louis XIII, répondit à la seconde. Etle regardant en face de son regard clair, martelant chaque syllabe,comme s’il voulait attirer tout particulièrement l’attention surson nom :

– Je suis le chevalier de Pardaillan, dit-il.

Il est hors de doute que Pardaillan avait de bonnes raisons decroire que son nom produirait un certain effet sur le roi. Il estde fait que, dès qu’il l’eut entendu, l’attitude du roi se modifiadu tout au tout. Cet accès de colère qui l’avait saisi tomba commepar enchantement. Ce ne fut plus un œil courroucé qu’il fixa sur lechevalier. Ce fut un regard étonné, brillant d’une admirationpuérile. Et ce fut avec une sorte de respect involontaire, quichatouilla Pardaillan comme la plus délicate des flatteries, qu’ils’écria, en frappant dans ses mains d’un air émerveillé :

– Le chevalier de Pardaillan !

Et il le dévorait des yeux, avec la même expression de naïveadmiration qui commençait à embarrasser sourdement le chevalier,demeuré aussi modeste qu’aux jours lointains de son héroïquejeunesse. Et il oubliait qu’il avait appelé son capitaine desgardes pour le faire arrêter. Il oubliait que cet appel avaitbouleversé sa cour et fait accourir avec le capitaine appelé touteune troupe de défenseurs qui brûlaient du désir de se signaler parleur zèle. Il oubliait tout, il ne voyait rien… Rien que Pardaillanqu’il considérait toujours d’un air rêveur.

Mais s’il l’oubliait, lui, Concini n’oubliait pas. S’il avait puvoir le visage du roi, nul doute qu’il eût gardé un silenceprudent, comme faisait Vitry, raide et impassible comme un soldat àla parade, comme le faisaient tous ceux qui avaient formé le cercleet attendaient patiemment que le roi s’expliquât. Malheureusementpour lui, le roi lui tournait le dos.

Concini ne vit donc pas le changement extraordinaire qui s’étaitfait dans l’attitude du roi. Concini continua de croire que cettefois il tenait le damné Pardaillan. Et comme il se sentait fort,ayant derrière lui ses quatre lieutenants, Louvignac, Roquetaille,Longval et Eynaus qui l’avaient rejoint, comme il vit que le roi nese pressait pas de parler et qu’il avait hâte d’en finir,lui ; comme enfin il se croyait tout permis, il fit, avec sonimpudent aplomb, ce que nul n’osait se permettre : il vint secourber devant le roi avec ce respect démesuré qu’il affectait delui témoigner et, avec un sourire mielleux, de sa voix insinuanteoù, malgré lui, éclatait la joie terrible qui lesoulevait :

– Sire, j’ose espérer que Votre Majesté ne me fera pas cetaffront immérité de confier à d’autre qu’à moi, qui suis le plusdévoué de ses serviteurs, le soin d’arrêter cet aventurier.

Et se redressant, promenant autour de lui un regard de défi,dans un grondement menaçant :

– D’ailleurs ce soin me revient de droit… Et je pense quenul, ici, n’osera me contester ce droit.

Un silence de mort suivit cette impudente et très imprudentebravade. Aucun de ceux à qui elle s’adressait ne s’avisa de larelever. Pour une excellente raison : ceux-là étaient tous despartisans du roi. Par conséquent, des ennemis plus ou moinsdéclarés du maréchal d’Ancre. Ceux-là avaient eu soin de se placerdevant le roi, de manière à le voir et à être vus de lui. Ceux-làcomprirent aussitôt que le maréchal était en train de s’enferrer.Et ils se gardèrent bien de répondre autrement que par des souriresféroces, à peine déguisés.

Concini ne comprit pas encore, lui. Il ne vit qu’unechose : c’est que personne n’osait lui contester ce droitqu’il s’arrogeait peut-être. Et il se redressa, plus insolent quejamais. Et d’un regard triomphant, luisant d’une joie mauvaise, ils’efforça d’écraser Pardaillan qui demeurait impassible etdédaigneux, comme s’il n’était pas en cause. Le triomphe de Concinidevait être bref. Il ne devait pas tarder à tomber de son haut. Etfort rudement encore.

Le roi avait tressailli comme quelqu’un qu’on arrachebrusquement à un rêve plaisant. Et il laissa tomber sur Concini unregard glacial qui eût fait rentrer sous terre tout autre que lui.Mais si Concini ne s’effondra pas, il frémit intérieurement :il venait de comprendre, trop tard, qu’il était allé trop vite ettrop loin, qu’il venait de commettre une faute irréparable.Maintenant, il fallait subir les conséquences fatales de cetteerreur. Et, à en juger par l’attitude du roi, ce serait rude.

Et il se raidit pour tâcher de s’en tirer, tout au moins, avecle moins de mal possible.

Le petit monarque ne devait pas le manquer, en effet. L’occasionétait trop belle de mortifier à son tour le favori détesté quil’écrasait de son faste insolent, de rabaisser, devant toute sacour, la morgue blessante de cet aventurier de bas étage, venud’Italie sans une maille en poche, et qui se donnait des airsd’humilier celui qu’il dépouillait sans vergogne tous les jours. Iln’eut garde de la laisser échapper.

– Qui parle d’arrestation ? fit-il du bout des lèvresdédaigneuses.

– Votre Majesté n’a-t-elle pas appelé son capitaine desgardes ? zézaya Concini de sa voix la plus caressante, en secassant en deux.

Il paraissait ne pas vouloir comprendre que la foudre grondaitsur sa tête. Le roi se fit un malin plaisir de lui arracher lebandeau qu’il voulait se mettre sur les yeux. Son attitude se fitplus hautaine, plus dédaigneuse, sa voix plus cassante pourdire :

– Vous n’êtes pas mon capitaine des gardes, que jesache.

– Je suis le premier gentilhomme de votre chambre, bégayaConcini, qui commençait à perdre pied.

– Eh ! mordieu ! s’emporta le roi, quandj’appelle mon capitaine des gardes, je n’appelle pas le premiergentilhomme de ma chambre ! Et si j’appelle Vitry, il nes’ensuit pas forcément qu’il s’agit d’une arrestation.

– Je croyais…

– Vous avez mal cru, interrompit le roi qui reprit son tonsec, glacial. Et puis, il me semble vous avoir entendu prononcer lemot d’aventurier.

Ici, le roi eut un sourire mauvais, et avec un accent d’ironieféroce, il cingla :

– On ne peut pas dire que vous êtes un aventurier, vous,monsieur. Vous êtes un grand seigneur. Un authentique marquis… Ilest vrai que, votre marquisat, vous l’avez acheté à beaux denierscomptants voici tantôt trois ans. Mais qu’importe, vous voilà belet bien marquis de vieille souche. Et puis, depuis quelques mois,n’a-t-on pas fait de vous un maréchal de France ? Ce titreglorieux ne couvre-t-il pas tout ? Et qui donc oseraitprétendre qu’un maréchal de France n’est qu’un aventurier de basétage, parvenu aux plus hautes dignités par de basses, de louchesmanœuvres ? Personne, assurément. Non, non, vous n’êtes pas unaventurier, vous, monsieur le maréchal marquis d’Ancre. Maisvraiment vous avez des mots malheureux, qui détonnent étrangementdans votre bouche.

Chacun de ces mots, prononcés avec une ironie âpre, mordante,tombait, au milieu d’un silence de mort, comme autant de souffletsignominieux sur la face blême du malheureux Concini. Ses amis seconsidéraient avec une stupeur navrée. La reine s’agitait,paraissait vouloir venir se jeter au milieu du débat, apporter àson favori le secours de son autorité de régente. Léonora, pluslivide sous les fards que Concini lui-même, poignardait de sonregard de feu le petit roi et Pardaillan, cause première de cetesclandre inouï. Et elle excitait sa maîtresse en lui glissant àl’oreille, en italien, de cette voix ardente, et sur ce tond’autorité auquel Marie de Médicis, jusqu’à ce jour, n’avait jamaissu résister :

– Madame, madame, c’est pour vous, pour votre service,qu’on l’insulte ainsi à la face de toute la cour !…N’interviendrez-vous pas, ne le défendrez-vous pas ?… Allez,Maria, allez donc. Per la madonna, montrez que vous êtesla régente et que tous, même le roi, doivent s’incliner devantvotre autorité !

Mais l’influence de Fausta primait déjà celle de Léonora surl’esprit faible et irrésolu de « Maria ». Certes, elle nedemandait pas mieux que de voler au secours de son amant. Mais,incapable d’avoir une volonté à elle, elle consultait Fausta duregard pour voir si elle approuvait le conseil de Léonora. EtFausta qui, au fond, n’était peut-être pas fâchée de la mésaventurede Concini, Fausta qui avait tout intérêt à affaiblir ses ennemisen les laissant se déchirer entre eux, Fausta ne fut pas de l’avisde Léonora. Fausta donna ce conseil, spécieux autantqu’intéressé :

– Attendez, madame, attendez encore. Il faut éviter à toutprix un conflit d’autorité entre la régente et le roi, qui n’endemeure pas moins le roi, bien qu’il soit en tutelle. Vous luiferez, en particulier, tous les reproches qu’il mérite. Mais, enpublic abstenez-vous. Il sera temps d’en venir à cette extrémité,si le roi dépasse toute mesure. Jusque-là, patientez, et demeurezimpassible.

Et ce fut Fausta que Marie de Médicis écouta.

Léonora dut s’incliner, la rage au cœur. Mais elle ne fut pasdupe de la manœuvre de Fausta, elle. Et le regard sanglant qu’ellelui décocha à la dérobée indiquait que ce nouveau grief étaitsoigneusement noté dans son implacable mémoire, et qu’elle leferait payer chèrement, le jour où elle se sentirait assez fortepour régler ses comptes, tous ses comptes, d’un seul coup.

Les ennemis de Concini avaient très bien remarqué les velléitésd’intervention de la reine. Ils savaient que si elle jetait dans ledébat le poids de son autorité de régente, le roi devrait plier. Etils n’osaient pas laisser éclater ouvertement leur joie. Mais leursregards flambaient et des sourires mortels découvraient des dentsacérées qui ne demandaient qu’à mordre.

Les intimes du roi, en voyant la tournure que prenait l’affaire,étaient venus vivement se ranger derrière lui. Ils se tenaientprêts à tout. Et, en attendant, comme Léonora, ils jetaient de leurmieux de l’huile sur le feu, en soufflant à leur maître desconseils de violence.

– Hardi, Sire ! coulait dans son oreille droite lavoix frémissante de Luynes. Hardi ! Vous tenez la bête. Ne lalâchez plus, mordieu ! Tous piqueurs sont là pour ladécoudre.

– Sire ! Sire ! implorait Montpouillan à sonoreille gauche, un mot, un signe, et je vais donner du poignarddans le ventre de ce pourceau d’Italie.

– Puisque vous avez appelé Vitry, grondait dans son cou leCorse Ornano, faites-le saisir, et qu’on en finisse une bonne fois,avec ce laquais d’alcôve, bon à tout faire.

Seul Vitry ne disait rien. Il gardait cette rigide impassibilitédu soldat sous les armes. Mais ses yeux, à lui aussi luisaientcomme des braises ardentes, et sa main frémissait nerveusement,comme impatiente de s’abattre au collet du favori détesté.

Pardaillan gardait son apparente indifférence. Mais il n’ensuivait pas moins avec un intérêt passionné cette scène imprévue,que sa seule présence avait amenée. Et de temps en temps, iladressait un sourire aigu à Fausta. Et Fausta répondait par unsourire de défi, hochait doucement la tête, comme pour dire qu’ellemarquait le coup et qu’elle le rendrait quand elle le jugerait àpropos.

Concini était livide. Ses lèvres moussaient, comme il luiarrivait dans ses accès de fureur poussés jusqu’à la frénésie. Ilse sentait perdu. Non pas dans sa faveur : Marie de Médicisétait là, et il était sûr d’elle. Mais il sentait que sa vie netenait qu’à un fil. Un mot de lui mal interprété, un gesteéquivoque, et c’en était fait de lui. La meute de ses ennemis seruait sur lui, le poignard au poing. Lui et ses quatre gardes ducorps étaient emportés, déchiquetés comme fétus pris dans latourmente.

On a pu voir dans diverses circonstances qu’il ne manquait pasd’une certaine bravoure physique. Un instant, il eut la pensée detenir tête malgré tout. Mais la partie était, de toute évidence,par trop inégale.

Résister, dans ces conditions, c’eût été une manière de sesuicider. La vie était trop belle pour lui pour qu’il ne tînt pas àla conserver le plus longtemps possible. Il comprit l’impérieusenécessité de plier. C’était le seul moyen de sauver sa peau, ce quiimportait avant tout. Quant au reste, Marie de Médicis était làpour un coup. Il n’hésita pas à s’humilier.

Comédien génial, au masque doué d’une mobilité prodigieuse, ilse composa instantanément le visage douloureusement affecté d’unevictime innocente et résignée. Et courbé dans une attitude derespect qui allait jusqu’à l’humilité, avec un air de touchantedignité dont plus d’un fut dupe – à commencer par le roi –, il seplaignit doucement :

– Il est affreusement pénible pour un bon et loyalserviteur de se voir traité aussi durement, alors qu’on n’a péchéque par excès de zèle.

Il convient de dire ici qu’il n’était pas dans la pensée du roid’en finir violemment avec Concini, comme le lui conseillaient sestrop ardents amis. Si jeune qu’il fût, il savait calculer déjà, etil se rendait très bien compte que le moment n’était pas encorevenu pour lui d’agir en maître. Il n’avait vu qu’une occasiond’humilier le favori. Il l’avait saisie avec joie et empressement.Il n’entendait pas aller plus loin. Peut-être même estimait-ilqu’il s’était laissé entraîner à dépasser quelque peu la mesure. Cequi était vrai, il faut le reconnaître.

L’apparente soumission de Concini avait tout lieu de satisfaireson amour-propre. Il fut assez raisonnable pour se contenter de cedemi-succès. De plus, il fut assez délié d’esprit pour comprendreque cette soumission et les paroles mêmes de Concini lui offraientun excellent prétexte pour revenir en arrière, sans que cettereculade parût humiliante pour lui.

Et il imposa silence à ses amis, d’un coup d’œil impérieux. Etce fut sur un ton très radouci qu’il répondit :

– J’ai peut-être été un peu vif, je le reconnais. Mais celatient à l’impétuosité de mon âge. Puis, vous savez aussi bien quemoi, monsieur le maréchal, qu’un zèle intempestif peut être aussiirritant qu’une négligence coupable. Cependant, à tout péchémiséricorde, et je ne veux me souvenir que de vos bons servicespassés et de la bonne intention qui vous a fait agir. N’en parlonsplus, monsieur le maréchal.

– Vous voyez, glissa Fausta à Marie de Médicis, vous voyezque vous avez bien fait de ne pas vous en mêler. Votre interventionn’eût fait qu’envenimer les choses. Au lieu de cela, voici le roiqui fait volontairement réparation.

– N’importe, murmura la rancunière Léonora, j’espère bien,madame, que vous le tancerez en particulier, de telle sorte quepareille algarade ne se reproduise plus.

– Sois tranquille, promit Marie de Médicis, je lemorigénerai comme il convient.

Concini respira plus librement. La secousse avait été rude, trèsrude. Mais en somme il s’en tirait mieux qu’il n’eût jamais osél’espérer. Et la réparation, assez maigre, que le roi lui accordaitspontanément, le satisfit pleinement… pour l’instant. Et il sourit.Et il recommença à se redresser. Et il jeta de nouveau des regardstriomphants sur ses ennemis déçus dans leurs espérances.

Cependant, le roi avait son idée de derrière la tête, qu’ilpoursuivait avec ténacité. Il venait de sourire à Concini :manière de mettre un baume sur les blessures cuisantes qu’il venaitde faire à son amour-propre. Il se fit de nouveau sérieux. Et ilreprit.

– Mais ce mot d’aventurier que vous avez lancé à l’adressede M. de Pardaillan, je ne puis le supporter. Et je vousavertis, monsieur le maréchal, que j’ai mis dans ma tête que vouslui rendrez la réparation que vous lui devez. À ce prix-làseulement, je vous rendrai, moi, toute ma faveur.

Concini ne s’attendait pas à ce nouveau coup. Il recula,grinçant des dents, bien résolu, cette fois, à se faire hacher surplace plutôt que de subir une telle humiliation.

Le roi feignit de ne pas voir ce mouvement de reculsignificatif. Il vint se placer près de Pardaillan, qui était fortintrigué maintenant, et, aussi, horriblement gêné, car il flairaitqu’il allait être l’objet d’une manifestation flatteuse, qui, loinde le combler de joie et d’orgueil comme tant d’autres, à sa place,n’eussent pas manqué de l’être, offusquait son incorrigiblesimplicité. Et il lui prit la main. Et l’air grave, d’une voixforte, qui ne bégayait pas, comme il lui arrivait, dans ses momentsd’émotion, au milieu d’un silence religieux, il prononça lesstupéfiantes paroles que voici :

– Mesdames, messieurs, le roi de France ne croit pasdéchoir en vous présentant lui-même M. le chevalier dePardaillan. Dira-t-on que c’est là un honneur unique dans lesfastes de cette cour royale ? Je n’en disconviens pas. Mais àun de ces êtres fabuleux, uniques au monde, ne convient-il pasd’accorder des honneurs également uniques ? Le chevalier dePardaillan est un de ces héros épiques, sans peur et sans reproche,tels qu’on n’en avait plus vus depuis la mort du chevalier Bayard,d’inoubliable mémoire. S’il l’avait voulu, il serait depuis trenteans duc et pair, maréchal de France, premier ministre, comblé debiens, de gloire et d’honneurs. Mais simple et désintéressé commeces preux de l’antique chevalerie dont il est, hélas ! ledernier représentant vivant, il a tout refusé, s’est misvolontairement à l’écart, a voulu vivre pauvre et ignoré, avec sonmodeste titre de chevalier.

Après ce panégyrique si précieux et si extraordinaire dans labouche d’un souverain, il s’arrêta pour juger de l’effet produitpar son geste et par ses paroles. Et il sourit, satisfait. Ilallait reprendre. Pardaillan profita de cet arrêt pourimplorer :

– Sire, Sire, de grâce, c’est trop d’honneur !

Le petit roi leva la main qu’il avait libre. De l’autre, iltenait toujours la main de Pardaillan. Et tout haut, de manière àêtre entendu de tous, mais d’une voix très douce, affectueusementcaressante, il imposa :

– Silence, chevalier. Fût-ce malgré vous, il faut, au moinsune fois dans votre vie, que justice éclatante vous soit enfinrendue.

Et d’une voix qui se fit plus douce encore, le regard perdu dansle vague, comme s’il poursuivait un rêve intérieur, ilcontinua :

– Et puis, il ne s’agit pas seulement de rendre un hommagemérité à votre inappréciable mérite. Il s’agit encore, et ceci,vous ne pouvez l’empêcher, chevalier, il s’agit de rendre l’hommagequi convient au mort illustre dont vous êtes ici l’envoyéextraordinaire.

Il prit un nouveau temps, attendant que la sensation énorme quevenaient de produire ces énigmatiques paroles fût calmée.Cependant, il faut croire que ces paroles, incompréhensibles pourtous ceux qui venaient de les entendre, avaient un sens très clairpour Pardaillan, car il répondit de son air railleur, assez hautpour être entendu de tous, par ces paroles aussi énigmatiques, quine firent que surexciter une curiosité déjà ardente et redoublerune attention qui, pourtant, paraissait avoir atteint son pointculminant :

– Dès l’instant qu’il s’agit de rendre hommage au mortillustre que je représente ici, je ne dis plus rien, sire. Ouplutôt, si, je dis : allez-y, Sire. Et si extravagants quepuissent paraître ces honneurs, ils seront encore au-dessous de cequi convient à ce très illustre mort.

Et chose qui parut fantastique à tous, loin de protester ou dese fâcher, le roi approuva gravement de la tête. En sorte quechacun, même Fausta, cherchait dans sa tête qui pouvait bien êtrece mort si illustre qu’il se trouvait encore au-dessus deshonneurs, « si extravagants qu’ils parussent », selon lemot de Pardaillan, à lui rendus par une majesté royale.

Le roi reprit, au milieu d’une attention qui devenait haletante,à force d’être tendue :

– M. le marquis d’Ancre nous a présenté, et nous avonsreçu avec tout l’éclat et tous les honneurs dus à son haut rang,l’illustre princesse qui vient représenter à cette cour un des pluspuissants monarques du monde chrétien.

Ici, le roi adressa un gracieux sourire à Fausta et lui fit unléger salut de la tête. Et Fausta répondit par un sourireaccompagné d’une profonde révérence. Après quoi ilcontinua :

– C’était bien. Le chevalier de Pardaillan, lui aussi, estun envoyé extraordinaire. Et cependant, simple et modeste comme àson ordinaire, il est venu seul, sans apparat, sans escorte royale,sans cortège pompeux. Seul, il s’est présenté à nous, sans héraut,sans introducteur. Ceci n’est digne ni de lui, ni de nous, ni dumort illustre qu’il représente. Je veux, pour notre honneur à toustrois, relever comme il convient cette trop grande simplicité.

Le roi se redressa de toute la hauteur de sa petite taille. Etune flamme d’orgueil dans les yeux, d’une voix éclatante :

– Et quand je vous aurai dit que ce mort, illustre entreles plus illustres, c’est mon père, le roi Henri de glorieusemémoire, qui donc osera prétendre que c’est trop d’un roi pourprésenter à cette noble assemblée le représentant que, d’au-delà dela tombe, il m’adresse ici ?

L’énigme se trouvait expliquée, en partie du moins. Car si onsavait maintenant qui était ce mort dont parlait le roi, on nes’expliquait pas comment, du fond de sa tombe, il pouvait envoyerun ambassadeur à son fils. On comprenait bien qu’il se cachait unmystère sous cette manière de s’exprimer. Et les espritstravaillaient ferme. Et on attendait avec impatience, dans l’espoirque le roi expliquerait ce nouveau mystère comme il avait expliquéle premier.

Quant à ce qui est de protester, on pense bien que ni Fausta, niMarie de Médicis, ni Concini, ni aucun de ceux qui cachaient leurrage et leur inquiétude sous des sourires de commande, ne s’avisâtde le faire. Au contraire, un murmure approbateur s’éleva, emplitla vaste salle.

D’un geste de la main, le roi réclama le silence qui se fitcomme par enchantement. Alors, il se tourna vers Vitry, et sur unton d’irrésistible autorité, il commanda :

– Vitry, faites rendre les honneurs royaux à M. lechevalier de Pardaillan.

Et Vitry, raide et impassible comme un soldat qu’il était,pivota sur ses talons, commanda d’une voix retentissante, en tirantlui-même l’épée hors du fourreau :

– Gardes, présentez les armes !

Et pivotant de nouveau sur les talons, face à Pardaillan, ilsalua d’un geste large de l’épée, pendant que ses cariatidespuissantes, aux somptueux costumes, renversaient les piques, commec’était l’usage, demeuraient figées dans une immobilité depierre.

Alors le roi se découvrit lui-même dans un geste théâtral. Ets’inclinant gracieusement devant Pardaillan qui pestaitintérieurement et qui eût volontiers donné tout ce qu’il possédaitpour se trouver ailleurs qu’au Louvre, il acheva :

– Le roi de France veut être le premier à saluer lechevalier de Pardaillan qui est deux fois digne de cethonneur : pour son propre mérite d’abord, et ensuite parcequ’il représente le roi Henri le Grand, mon auguste père. Allons,mesdames, faites la révérence ; courbez-vous, maréchal, salueztous, messieurs, celui devant qui votre roi s’incline lepremier.

Et tous, au milieu d’un murmure flatteur, s’inclinèrent devantPardaillan qui, un peu pâle, avec cette grâce cavalière quin’appartenait qu’à lui et qui ressemblait si peu aux manièresgourmées des courtisans, répondit par un salut qui s’adressait àtous. Tous s’inclinèrent, même la reine, même Fausta, même Concini,qui ne pouvaient vraiment pas se dérober là où le roi donnaitl’exemple.

Après quoi, le roi se couvrit et prit familièrement le bras dePardaillan.

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