La Fin de Fausta

Chapitre 8OÙ VALVERT TIENT LA PROMESSE QU’IL A FAITE À ROSPIGNAC

À ce moment, au milieu du sourd murmure qui s’élevait du sein decette brillante assemblée attentive à ce qui allait suivre, carplus que jamais la curiosité se trouvait débridée, et on espéraitque le roi allait s’expliquer tout à fait, on s’attendait à quelquenouveau coup de théâtre imprévu, à ce moment, une voix jeune,claire, toute vibrante d’enthousiasme, lança à toutevolée :

– Vive le chevalier de Pardaillan ! Et vive le roiLouis XIII, ventrebleu !

Pardaillan se mit à rire de bon cœur, et, chose qui stupéfia lescourtisans et les combla d’aise, le roi, qu’on voyait rarementsourire, se mit à rire de tout son cœur, lui aussi. Ce qui faitqu’une détente se produisit, et toutes les physionomies jusque-làmornes, inquiètes, ou graves et compassées, s’épanouirent en dessourires larges d’une aune ou en des rires tonitruants.

Pardaillan s’était tourné du côté de celui qui venait de lancerce double vivat accompagné d’un juron énergique, un peu déplacépeut-être, mais qui disait si bien l’éclatante sincérité de celuiqui l’avait poussé et qui, sans s’en douter, venait de déblayer etd’égayer une atmosphère jusque-là plutôt lourde et contrainte. Etcomme il avait reconnu la voix d’Odet de Valvert, sans en avoirl’air, il avait amené le roi, qui lui donnait le bras, à en faireautant, afin d’attirer son attention sur son jeune ami.

C’était bien Odet de Valvert, en effet. Il se tenait près d’uneporte. Le roi le vit qui agitait son chapeau en l’air, avec unefrénésie juvénile. Et comme il avait bonne mémoire, il le reconnutsur-le-champ. Et il lui adressa un gracieux sourire, accompagnéd’un salut amical de la main. Alors, Valvert lança de nouveau soncri passionné, en agitant de plus belle son chapeau enl’air :

– Vive le roi ! Vive le roi, ventrebleu deventrebleu !

Et ce « ventrebleu de ventrebleu » disait siclairement : « Ah çà ! vous êtes donc de glace,ici ? Qu’attendez-vous pour acclamer votre roi,ventrebleu ?… » que tous le comprirent ainsi. Le roi toutle premier, dont les lèvres se crispèrent amèrement.

Concini le comprit comme les autres. Et il se mordit les lèvresde dépit, de s’être ainsi laissé prévenir. Mais il n’hésita pas, ilne s’attarda pas, lui. Il ne perdit pas une seconde pour essayer deréparer la faute qu’il venait de commettre. Et fixant sur sescréatures un regard d’une éloquence criante, à pleine voix, ilhurla :

– Vive le roi !

– Vive le roi ! rugirent aussitôt Roquetaille,Louvignac, Eynaus, Longval et d’autres.

Le branle était donné. Personne ne voulut demeurer en reste. Etune immense acclamation monta, s’enfla, éclata, se répandit envolutes sonores dans la vaste salle :

– Vive le roi !… Vive le roi !…

Jamais encore le petit roi ne s’était vu pareillement acclamé.Il vécut quelques secondes d’une ivresse infiniment douce, dont ilne devait jamais perdre le souvenir. Et son regard brillait, seslèvres souriaient, il était franchement, puérilement heureux, commeil ne l’avait jamais été depuis qu’il portait ce titre de roi dontil n’exerçait pas encore le pouvoir. Et il remercia du sourire, dugeste, de la voix :

– Merci, messieurs.

Et il se retourna tout d’une pièce : sa gratituden’oubliait pas celui à qui il était redevable d’un des moments lesplus doux de sa morne existence. Il estimait qu’il lui devait bienun remerciement particulier, à celui-là. Et il cherchait Odet deValvert des yeux.

Il était toujours à la même place, près d’une porte. Il nes’agitait plus. Il tenait les bras croisés sur sa large poitrine.Sur la foule des courtisans dont l’enthousiasme, simulé ou réel,commençait à se calmer, il promenait un regard qui exprimait plutôtla déception que l’admiration. Et il avait aux lèvres un de cessourires railleurs, un peu dédaigneux, qui rappelaient si bien lessourires de son maître, Pardaillan.

Sur son visage expressif, ses impressions, surtout en ce momentoù il pensait que nul ne s’occupait du petit personnage qu’ilétait, se pouvaient lire comme en un livre ouvert. Et force nousest de dire que ces impressions ne paraissaient pas précisémentfavorables à cette cour, qu’il observait, et où il mettait le piedpour la première fois.

Cependant, si absorbé qu’il parût, il vit fort bien que le roiet Pardaillan s’étaient de nouveau tournés vers lui. Et il réponditpar un salut profond et respectueux au geste amical que, pour ladeuxième fois en quelques minutes, le roi daignait luiadresser.

– Il me paraît, fit le roi en se retournant, que notre courn’a pas eu l’heur de plaire au comte de Valvert.

Et naïvement, avec une pointe de dépit :

– Que s’attendait-il donc à voir ? Il me semble qu’ilest impossible de rêver cour plus brillante que la nôtre.

– C’est vrai, Sire, répondit Pardaillan qui nota que le roise souvenait du nom de Valvert, il est en effet impossible de rêverassemblée plus éblouissante que la cour de France. Et vous pouvezêtre sûr que, sous ce rapport, le comte de Valvert lui rend pleineet entière justice. Mais le comte est un de ces esprits lucides quine se contentent pas d’admirer aveuglément des dehors brillants,mais qui cherchent à voir ce qui se cache sous ces dehorsbrillants. Et comme il sait voir, ce qui n’est pas donné à tout lemonde, croyez-le bien, il arrive souvent qu’il découvre des chosesassez laides. La déception du comte ne vient pas des« apparences » de la cour qui ne sauraient être plusétincelantes. Elle vient de ce qu’il a vu derrière ces apparences.Il est de fait, sire, que vous devez savoir mieux que personnequelles laideurs on trouverait ici, si quelque magicien, d’un coupde sa baguette, faisait tomber tous ces masques charmants qui nousentourent.

– Ah ! fit le roi, rêveur, je n’avais pas envisagé lachose sous ce jour-là !… Et s’il en est ainsi que vous dites,je comprends la désillusion du comte. Mais, dites-moi, vousparaissez le connaître particulièrement.

– Je l’ai élevé en partie. Je me suis efforcé d’en faire unhomme. Et je crois avoir réussi. Je le considère comme monfils.

– Je ne m’étonne plus de sa force et de son adresse. Vousavez là un élève qui vous fait honneur, chevalier, complimenta leroi.

Et, affectant un air détaché :

– Il m’a sauvé la vie. Je ne l’oublie pas. Oh ! j’aiune excellente mémoire.

Et lâchant le bras de Pardaillan :

– Nous voilà redevenus bons amis, maréchal, dit-il, ens’adressant à Concini.

Radieux, Concini se courba. Déjà il préparait son remerciement.Le roi ne lui laissa pas le temps de le placer. Tout de suite, ilajouta :

– Si vous tenez à ce qu’il en soit toujours ainsi,n’oubliez pas, je vous prie, que le chevalier de Pardaillan estaussi de mes amis. Et des meilleurs, je ne vous en dis pas plus. Etce que je vous dis à vous en particulier s’adresse à tous ceux quiseraient tentés de l’oublier.

Il avait dit cela très simplement, sans élever la voix, enlaissant tomber, comme par hasard, un pâle regard du côté despartisans du maréchal. Il n’en est pas moins vrai qu’ils comprirenttous la menace voilée. Et ils dissimulèrent leur rage impuissantesous des sourires convulsés, tout en courbant la tête.

Le roi revint alors à Pardaillan.

– Suivez-moi dans mon cabinet, chevalier, lui dit-il, nousserons mieux qu’ici, où trop d’oreilles nous écoutent, trop d’yeuxnous épient.

– Au contraire, sire, répliqua vivement Pardaillan, jedemande comme une faveur que l’audience particulière que le roiveut bien m’accorder ait lieu ici même.

– Je n’ai rien à vous refuser, consentit le roi, sans lemettre dans la nécessité d’insister davantage.

Mais s’il avait cédé de bonne grâce, sans se faire prier, ilétait étonné, car la véritable faveur était précisément celle quePardaillan venait de refuser. Il comprit bien que ce refus nepouvait être motivé que par des raisons sérieuses. Et ildemanda :

– Puis-je savoir pourquoi ?

Pardaillan, un instant très court, le fouilla du regard, commes’il hésitait à parler. Et se décidant soudain :

– Sire, je suis venu ici comme à la bataille. Je ne veuxpas avoir l’air de me dérober devant l’ennemi.

Et, à la dérobée, il continuait à observer sa contenance. Il vitses yeux se dilater et une flamme ardente jaillir de ses prunelles.Ce fut plus rapide qu’un éclair. Et ce fut tout. Sur un ton trèsnaturel, comme s’il n’avait pas compris la gravité des parolesqu’il venait d’entendre, il répondit :

– Demeurons donc ici… face à l’ennemi !

Et très calme, très maître de lui, il fit un geste impérieux quiécarta tous ceux qui se tenaient autour de lui. Pardaillan souriaitd’un air satisfait en songeant : « Allons ! il estbrave ! »

Les courtisans, déçus dans leur attente curieuse, s’étaientéloignés. Concini, cachant son inquiétude sous des airs souriantset assurés, était revenu se pavaner au milieu du cercle de lareine. Un large cercle s’était formé, au centre duquel le roi etPardaillan étaient demeurés isolés.

Toutes les conversations particulières avaient repris. Personnene paraissait s’occuper d’eux. En réalité, toutes les oreillesétaient tendues de leur côté, tous les regards, à la dérobée, sebraquaient sur eux. Et ils le savaient bien, l’un et l’autre.

Ce fut Pardaillan qui parla le premier, quand il se vit seulavec le roi.

– Sire, dit-il en s’inclinant, je ne sais comment vousexprimer ma reconnaissance. Vous me voyez confus et émerveillé del’inoubliable accueil que vous avez bien voulu me faire.

– N’étiez-vous pas sûr d’être bien accueilli ?

– Pour être franc, oui, Sire : le roi, votre père,m’avait assuré qu’en tout temps et en tout lieu, je pouvais meprésenter hardiment devant vous. Le roi Henri, je le sais, nefaisait jamais de vaines promesses. J’étais donc sûr d’être bienreçu. Mais du diable si je m’attendais… Vraiment, sire, c’est tropd’honneur, beaucoup trop d’honneur pour un pauvre gentilhomme commemoi.

Le roi posa sur le bras du chevalier sa petite main d’enfantfine et blanche et, avec une gravité soudaine, ilprononça :

– La veille même du jour où il devait tomber mortellementfrappé par le couteau de ce misérable Ravaillac, mon père m’a ditceci : « Mon fils, si le malheur voulait que vous eussiezà me succéder avant d’avoir atteint l’âge d’homme, c’est-à-direavant d’être en état de vous défendre vous-même, souvenez-vous duchevalier de Pardaillan dont je vous ai souvent parlé, dont je vousai conté les exploits qui vous ont émerveillé. Souvenez-vous dePardaillan, et si jamais il se présente devant vous, en quelquecirconstance que ce soit, recevez-le comme vous me recevriezmoi-même, écoutez-le comme vous m’écouteriez moi-même, car c’est enmon nom qu’il parlera. » Voilà ce que m’a dit mon père. Et lelendemain il était mort, bassement, lâchement assassiné.

Il dut s’arrêter un instant, oppressé par les sombres souvenirsqu’il évoquait. Et il demeura le front baissé, l’œil rêveur. Ils’oublia ainsi un instant très court. Puis reprenant possession delui-même, il redressa la tête et reprit :

– Le lendemain, j’étais roi… et je n’avais pas dix ans. Ceque mon père avait appréhendé le plus pour moi m’arrivait. Sesparoles qui m’avaient fortement frappé la veille me revinrent àl’esprit. Et elles s’y gravèrent si profondément que je ne devaisplus les oublier. Si bien que, j’en jurerais, je vous les airépétées sans y changer un mot. C’est pour vous dire, chevalier,qu’en vous recevant comme je l’ai fait, je n’ai fait qu’exécuter demon mieux les volontés dernières de mon père qui étaient des ordressacrés pour moi. C’est pour vous dire aussi que, n’ayant faitjusqu’ici qu’exécuter les ordres de mon père, je ne me tiens paspersonnellement pour quitte envers vous. Il faudra que je chercheet il faudra bien que je trouve comment je pourrai vous témoignerma gratitude.

L’accent pénétré avec lequel il disait cela, les regards denaïve admiration qu’il fixait sur lui disaient hautement combien ilétait sincère. Pardaillan le comprit bien. Et il sourit :

– Sire, je pourrais vous dire que vous m’avez grandementtémoigné cette gratitude que vous croyez me devoir…

– Que je vous dois, rectifia vivement le roi.

– Que vous me devez, puisque vous y tenez, continuaimperturbablement Pardaillan en haussant légèrement les épaules, enme disant des paroles qui me sont allées droit au cœur. Mais, quoique vous en ayez dit, moi aussi j’ai été piqué de la tarentule del’ambition. Et comme je ne sais rien faire à demi, l’ambition quim’est venue est démesurée. Vous allez en juger, Sire, car, pourvous éviter l’ennui de chercher, je vais, si vous voulez bien lepermettre, vous dire ce que vous pouvez faire pour moi, qui mecomblerait de joie et d’orgueil.

– Parlez, chevalier, s’empressa Louis XIII.

– M’accorder un peu de cette royale amitié dont votreillustre père voulait bien m’honorer, déclara gravement Pardaillanen s’inclinant.

Et, se redressant, avec un sourire railleur :

– Je vous avais bien dit que mon ambition n’a pas debornes. Avec un sourire malicieux, le roi répliqua :

– Vous me demandez là une chose que je ne peux plus vousaccorder…

– Mordieu, je n’ai jamais eu de chance ! grommelaPardaillan. Mais, lui aussi, il souriait d’un souriremalicieux : il avait compris. Dans un geste charmant de grâcespontanée, le roi lui prit la main qu’il serra affectueusemententre les siennes, et il acheva :

– Il y a longtemps, il y a des années, que, sans vousconnaître, je vous l’ai donnée toute, cette amitié que vous medemandez aujourd’hui. Il y a longtemps que j’attends qu’il me soitdonné de vous le dire et de vous le prouver. Je vous en ai assezdit, je pense, pour que vous compreniez que j’en sais beaucoup plusque je n’en dis sur votre compte.

– Diable ! Et que savez-vous, voyons ?

– Je sais que, depuis la mort de mon père, vous n’avezcessé de veiller sur moi, de loin. Je sais que, jusqu’à ce jour, jen’ai pas eu d’ami plus sûr, plus dévoué que vous que je neconnaissais pas, que je n’avais jamais vu. Et qui sait si ce n’estpas à vous, à votre inlassable vigilance, que je dois d’être encorevivant ?

En disant ces mots avec simplicité, Louis XIII fixait surPardaillan deux yeux où celui-ci lisait beaucoup de curiosité, maispas l’ombre d’une inquiétude.

Levant les épaules d’un air détaché, le chevalier, avec sonhabituelle franchise, expliqua :

– Il est vrai, ainsi que vous venez de le dire, que jeveille sur vous, de loin. Mais vos jours, à ma connaissance dumoins, n’ont jamais été menacés, et je n’ai pas eu à intervenir.Sur ce point, vous ne me devez donc rien, Sire. Pour ce qui est dece dévouement et de cette amitié dont vous venez de parler,j’avoue, à ma honte, que ce que j’en ai fait, c’est uniquement pourtenir la promesse que j’avais faite au feu roi, votre père. Donc,sur ce point également, vous ne me devez rien.

Il fallait être Pardaillan pour oser faire de semblables aveux àun roi, ce roi fût-il un enfant, comme l’était Louis XIII. Il estde fait qu’ils produisirent une fâcheuse impression sur lui. EtPardaillan, qui l’observait du coin de l’œil, put croire un instantque c’en était déjà fait de cette extraordinaire faveur qui avaitété un instant la sienne.

Mais ce ne fut qu’un mouvement d’humeur de courte durée. Le roiréfléchit, comprit, se souvint peut-être de certaines paroles deson père, et il retrouva aussitôt cette exceptionnellebienveillance qu’il n’avait cessé de témoigner au chevalier.

– Au fait, dit-il, vous ne me connaissiez pas. Plus tard,quand vous me connaîtrez mieux, j’espère que vous ne refuserez pasde reporter sur le fils un peu de cette précieuse amitié que vousaviez pour le père.

– Je n’attendrai pas à plus tard, Sire. C’est dèsmaintenant que je suis vôtre. C’est dès maintenant que je ferai paramitié pour vous ce que je n’ai fait jusqu’à ce jour que parrespect pour la parole donnée. Eh ! mordiable, je vous doisbien cela… Ne serait-ce que pour l’inoubliable accueil dont vousavez bien voulu honorer un pauvre gentilhomme tel que moi.

– Chevalier, s’écria le petit roi rayonnant, à mon tour devous dire : Vous ne me devez rien.

Et comme Pardaillan ébauchait un geste de protestation, ilajouta vivement :

– Eh ! oui, ce que j’en ai fait, c’était pour obéiraux ordres de mon père que vous représentez à mes yeux.

– C’est vrai, sourit Pardaillan, j’oubliais ce détail.N’empêche, Sire, que ce que vous avez fait m’a été droit aucœur.

– J’en suis fort aise ! N’empêche que je n’ai rienfait pour vous personnellement et qu’il faut que je fasse quelquechose… quoi que vous en disiez, je vous dois bien cela, à mon tour.Je chercherai. Et il faudra bien que je trouve.

Ces paroles, où il répétait intentionnellement plusieursexpressions de son interlocuteur, le roi les prononça en riant.Aussitôt après, il se fit grave pour ajouter :

– Vous venez de dire que mes jours n’ont jamais étémenacés. Je le crois, puisque vous me le dites. Oh ! je saisque vous ne dites jamais que la vérité, vous, chevalier. Laissonsdonc le passé pour nous occuper du présent. Puisque vous êtes venu,c’est qu’un danger me menace, n’est-ce pas ?

Nous avons dit qu’il s’était fait grave. Mais il ne manifestaitaucune inquiétude. Sa voix ne tremblait pas, son regard n’avaitrien perdu de sa limpidité. Il paraissait très calme, très maîtrede lui. Pardaillan, qui ne cessait de l’observer sans en avoirl’air, se dit avec satisfaction :

« Allons, décidément il est brave. »

Et tout haut, sans le ménager, avec un laconismevoulu :

– C’est vrai, dit-il.

Le roi ne sourcilla pas. Il continua de montrer le même calmeque Pardaillan admirait intérieurement. Il est évident qu’iln’attendait pas une autre réponse. Il n’était pas, il ne pouvaitpas être surpris. De même, ainsi qu’il l’avait dit, qu’il avaitréglé dans son esprit les détails de la réception qu’il ferait àl’homme qui viendrait le trouver de la part de son père, de même ilsavait depuis longtemps que cette visite signifierait qu’un dangertrès grave le menaçait. Il avait eu le temps de se familiariseravec cette idée, assez pour ne laisser paraître aucune émotion. Deplus, il avait longuement réfléchi sur ce sujet et, s’attendant àtout, il devait avoir décidé d’avance ce qu’il ferait quand le casse présenterait. Pardaillan le comprit très bien aux paroles qu’ilprononça :

– Après tout ce que mon père m’a dit de vous, il est horsde doute pour moi que, si vous êtes sorti de l’ombre où vous vousteniez volontairement, c’est que vous ne pouvez me tirer d’affairepar vos seuls moyens. C’est que je dois vous seconder de mon mieuxen me défendant moi-même avec toute la vigueur possible. Ainsiferai-je, par le Dieu vivant !

Il avait mis une force extraordinaire dans ces dernièresparoles.

– Bravo ! Sire… applaudit Pardaillan. Mettez autantd’énergie à vous défendre que vous venez d’en mettre à signifiervotre intention, et je vous réponds que tout ira bien.

– Je n’ai pas quinze ans. Il me semble que la vie doit êtrebelle. Je veux en goûter, je veux vivre, monsieur, assura LouisXIII avec la même force.

Et reprenant :

– Dites-moi donc, chevalier, en quoi je suis menacé. Etdites-moi aussi ce que je dois faire, selon vous, pour conjurer ledanger qui me menace, sans contrarier votre action personnelle. Carvous n’êtes pas homme à être venu ici sans savoir ce que vousvoulez faire. Et comme je suis sûr que vous ne demeurerez pasinactif de votre côté, j’ai résolu, et ceci depuis longtemps, dem’en remettre entièrement à vous. Je ne saurais mieux faire, aureste, puisque l’ordre de mon père a été de vous obéir en tout,comme je lui obéirais à lui-même, s’il était encore de cemonde.

– S’il en est ainsi, rassura Pardaillan, nous avons partiegagnée d’avance, Sire.

– Et moi, j’en suis tout à fait sûr, affirma le roi avec unaccent de conviction que rien ne paraissait devoir ébranler.

Et il répondit avec une force qui prouvait sa confianceabsolue :

– Si nombreux et si redoutables qu’ils soient, je suis sûrde triompher de mes ennemis, tant que vous serez là pour me guideret me défendre. Parlez, maintenant, monsieur, je vous écoute.

Et Pardaillan parla en effet.

Nous pensons qu’il est à peine besoin de dire qu’il n’étaitjamais entré dans sa pensée de dénoncer Fausta. Le lecteur – nousvoulons l’espérer – connaît suffisamment notre héros pour savoirqu’il n’était pas homme à s’abaisser à ce rôle abject de délateur.Ce qu’il voulait, c’était mettre le roi sur ses gardes d’abord.Ensuite, l’amener à prendre certaines mesures qui lui paraissaientindispensables à sa sécurité.

En conséquence, en quelques phrases brèves, il raconta purementet simplement une partie de la vérité. Il le fit sans entrer dansdes détails qui l’eussent gêné, et sans nommer personne. Le rois’avisa bien de poser quelques questions et de demander précisémentce que Pardaillan avait résolu de ne pas lui donner : desnoms. Mais, aux réponses qui lui furent faites, il comprit qu’il netirerait de son interlocuteur rien de plus que ce qu’il avaitdécidé de dire. Et il eut le bon esprit de ne pas insister.

Pour ce qui est des mesures que Pardaillan conseilla et que leroi, tenant la promesse qu’il avait faite de s’en remettreentièrement à lui, adopta sans hésiter, nous n’en parleronspas : on les verra se dérouler avec les événements.

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