La Fin de Fausta

Chapitre 33LE MARIAGE DE FLORENCE (fin)

Pardaillan descendit vivement. Il n’avait pas perdu un mot decette édifiante conversation. Il en avait appris dix fois plusqu’il ne lui était nécessaire de savoir, pour qu’il ne s’attardepas à suivre Fausta chez les religieuses, comme l’idée lui en étaitvenue un instant. Il partit.

Vingt minutes plus tard, il retrouvait ses compagnons quis’ennuyaient à mourir dans cette carrière où ils se tenaient auxaguets dans l’attente d’événements qui ne se produisaient pas.Escargasse et Landry Coquenard étaient là aussi ; ils avaiententendu une religieuse dire que Mme la duchessepasserait la nuit au couvent ; ils avaient vu l’escorte partiret, selon les instructions reçues, ils étaient venus là. Quant àValvert et à Gringaille, ils n’avaient vu personne.

Pardaillan les emmena tous et, vingt autres minutes plus tard,ils se trouvaient tous rassemblés dans la cuisine de cette fermeque Fausta venait de faire miner. Pardaillan alla jeter un coupd’œil à une fenêtre munie de solides barreaux : il n’oubliaitpas l’Espagnol à qui Fausta avait donné le titre de marquis. Il levit dans le pré, qui feignait de s’activer à de menus travaux. Cethomme le gênait pour ce qu’il voulait faire.

Il réfléchit une seconde. Il sourit : il avait trouvé. Ilfit signe à ses compagnons de descendre. Lui-même descendit ledernier. Seulement, il avait pris la clef de la cave. Derrière lui,il ferma la porte à double tour, laissa la clef dans la serrure etdescendit en se disant :

« Cet homme n’aura certainement pas l’idée de descendredans cette cave, après la besogne qu’il y a faite… Je m’imaginemême qu’il évitera autant que possible d’entrer dans la maison… etcela se conçoit quand la maison est un volcan qui peut faireéruption à tout instant… Si cependant la fantaisie lui prenait dedescendre, il pensera, voyant la porte fermée et la clef disparue,que c’est sa maîtresse qui l’a voulu ainsi, et tout seradit. »

Durant plusieurs heures, Pardaillan, Valvert, Landry Coquenard,Gringaille et Escargasse se livrèrent à nous ne savons quellemystérieuse besogne.

Bien avant la tombée de la nuit, l’Espagnol qui, sans doute,avait à faire à Paris, avait tout fermé, ainsi que le lui avaitrecommandé sa maîtresse, et il était parti, emportant la clef de laporte du devant. Mais il avait laissé dans la serrure la clef de laporte de derrière.

Pardaillan, Valvert et leurs compagnons s’étaient trouvésmaîtres de la place. Leur besogne achevée, ils n’étaient paspartis. Ils étaient tous revenus dans la cuisine. Pendant quePardaillan et Valvert demeuraient à s’entretenir longuement, LandryCoquenard, Escargasse et Gringaille étaient partis. Toutsimplement, ils étaient allés aux provisions. Et ils avaient soupétous ensemble dans cette cuisine, comme s’ils avaient été chezeux.

Quand la nuit fut tout à fait venue, Pardaillan et Valvertdescendirent ensemble dans les caves. Pardaillan ouvrit la porte dusouterrain qui conduisait à l’intérieur du couvent, et, unelanterne à la main, suivi de Valvert, il s’engagea dans cet étroitcouloir.

Près d’une heure plus tard, ils étaient de retour. Ilsramenaient avec eux la mère Perrine et la petite Loïse quePardaillan portait dans ses bras. Pardaillan était déjà au mieuxavec sa petite-fille. Il l’appelait Loïsette, Loïson. Ellel’appelait grand-père, tirait sa moustache grise de ses petitsdoigts d’enfant et l’embrassait à pleines lèvres. Seulement, elledemandait à chaque instant :

– Et maman Muguette ?

À quoi Pardaillan, avec une patience inaltérable, répondaitinvariablement :

– Tu la verras demain, ma mignonne.

Ils partirent. Pardaillan voulait emmener tout son monde auGrand-Passe-Partout où il était sûr que« l’enfant » trouverait un bon lit et serait gâtée etchoyée en attendant d’être rendue enfin à son père et à sa mère,qui la pleuraient depuis si longtemps. Il va sans dire quePardaillan portait dans ses bras la mignonne petite, qui dormaitcomme un ange sur sa large poitrine.

Ils s’étaient quelque peu attardés en effusions, en récits, enexplications, et ils n’avaient pu marcher très vite, à cause de lamère Perrine qui n’aurait pu les suivre. En sorte qu’il était prèsde onze heures et demie lorsqu’ils arrivèrent à la porteMontmartre. La porte était fermée depuis longtemps. Mais elles’ouvrit au vu d’un ordre que Pardaillan exhiba.

Il n’était pas loin de minuit lorsque Valvert se trouva enprésence de dame Nicolle, à qui il avait bien fallu laisser letemps de passer un jupon et une camisole. Rendons-lui justice. Ellepensa aussitôt à lui parler du billet qu’elle avait porté rue auxFers.

Pris d’inquiétude, Valvert partit sur-le-champ sans rien dire àpersonne, sans penser à avertir Pardaillan qui, retiré dans uneautre pièce, s’occupait gravement à bercer la petite Loïsette, quine voulait ou ne pouvait plus se rendormir, et ne s’était pasaperçu de ce départ précipité.

Il arriva en trombe rue aux Fers, entra sans songer à prendreaucune de ses précautions ordinaires, franchit les marches quatre àquatre, alluma précipitamment une cire et fondit sur le billetplacé bien en vue, au milieu de la table.

Il le lut d’un seul coup d’œil et, chancelant, livide, le laissaretomber sur la table. Et un cri terrible jaillit de seslèvres :

– Foudre du ciel !

Il se rua dans l’escalier, bondit dans la rue, partit à toutesjambes.

Il se trouvait à la croix du Trahoir lorsque les douze coups deminuit tombèrent lentement dans l’espace, du haut de l’église mêmevers laquelle il volait à une allure telle qu’un bon chevaln’aurait pu le suivre. Et cependant, par un effort désespéré, iltrouva encore moyen de précipiter cette allure enrugissant :

– Trop tard !… J’arriverai trop tard !…

Il arriva. Devant le porche de l’église stationnait un carrossede voyage, attelé de quatre vigoureux chevaux. Il ne le vit pas. Ilfit irruption dans l’église. Il y avait peu de monde, une vingtainede personnes. Tous des ordinaires de Concini, parmi lesquelsMM. d’Eynaus, de Louvignac, de Montreval, de Chalabre, lesquatre lieutenants du marié. Cette assistance, peu nombreuse, maischoisie, comme on voit, était massée devant le petit autel d’unechapelle latérale. Cet autel, seul, était éclairé.

Au premier rang, d’un côté, Concini, le père, et Rospignac, lemarié. De l’autre côté, Léonora, la mère, et Florence, la mariée.C’étaient d’ailleurs les deux seules femmes qui se trouvaient là. Àl’autel, le prêtre, flanqué de deux enfants de chœur, venait decommencer à officier.

Valvert ne vit rien de tout cela. Il ne vit que Florence, pâlecomme une morte, et, vaguement, ce groupe compact de gentilshommesqui le séparait d’elle. Il marcha droit à ce groupe. Et un appelpuissant, frénétique, jaillit de ses lèvres :

– Florence !… Me voici !…

Une clameur de joie folle suivit cet appel :

– Odet !… À moi !…

Mais elle ne s’était pas contentée d’appeler à l’aide. Déjà elleétait debout. Déjà, profitant de l’effarement général, elle s’étaitprécipitée. Et déjà, lui, il était sur elle, il l’avait saisie dansses bras. Déjà, la tenant enlacée, toute frémissante d’espoir etd’amour, déjà, il se dirigeait vers la porte, là, tout près, à unequinzaine de pas.

Jusque-là, il avait agi comme dans un coup de folie. Son cerveauexorbité était incapable de raisonner. Tous ses gestes avaient étéirréfléchis, machinalement impulsifs. Il n’aurait pas su dire cequ’il voyait, ce qu’il entendait, ni même s’il voyait et entendait,et cependant si un obstacle se présentait sur sa route,instantanément, l’obstacle était violemment écarté, franchi outourné sans qu’il eût pu dire au juste ce qu’il avait fait et dequelle nature était l’obstacle. Une seule pensée lucide demeuraiten lui et le guidait sûrement comme une étoile : arriver,arriver coûte que coûte, avant que l’irréparable fût accompli.

Et, tout en se disant, à chaque foulée : « Troptard ! j’arriverai trop tard ! » il était arrivéquand même. Il était arrivé, il l’avait saisie, la bien-aimée, etaussitôt, comme par enchantement, il avait retrouvé tout sonsang-froid. Et il se mit à rire doucement. Et il rassura :

– Ne craignez rien !… Je vous tiens !… Je sauraivous garder !… Et elle avait répondu par un sourire qui disaitet toute sa confiance et tout son amour.

Il desserra son étreinte, il l’entoura de son bras gauche.Maintenant qu’il raisonnait, il comprenait à merveille qu’il nepourrait pas s’en aller ainsi, tout simplement, sans en découdre.Non, ventrebleu ! C’est de haute lutte qu’il lui faudrait laconquérir. Cependant, jusque-là, il n’avait pas songé à dégainer.Maintenant, il y pensait. Mais il ne voulut pas le faire avantd’avoir été provoqué : peut-être, sans qu’il s’en rendîtcompte, était-ce le respect du lieu où il se trouvait qui lui enimposait. Il ne dégaina donc pas. Mais l’épée se tenait prête àjaillir du fourreau toute seule, pour ainsi dire, au premier gestesuspect. Et la tenant étroitement par la taille, d’un pas rude,violent, et cependant égal et mesuré, il marcha à la porte.

Dans l’assistance, ç’avait été un moment d’effarement indicible.Le prêtre, à l’autel, s’était retourné, interrompant l’office. Puisune rumeur, une clameur de menace terrible avait éclaté : lameute des assassins venait de reconnaître Valvert et elle donnaitde la voix. Léonora s’était rapprochée de Concini, prête à luifaire un rempart de son corps, à donner, s’il le fallait, tout sonsang goutte à goutte pour lui épargner une égratignure. Mais,toujours souverainement maîtresse d’elle-même devant le danger,elle avait glissé quelques mots à l’oreille de Concini.

Et Concini s’était ressaisi. D’un geste impérieux, il avaitcloué sur place ses assassins à gages qui déjà s’ébranlaient, etleur avait imposé silence. Et se tournant vers Rospignac, d’unevoix rude :

– Eh bien Rospignac, qu’attends-tu ?… Défends tafemme, corpo di Cristo !

Ainsi mis en demeure, devant ses hommes, Rospignac s’exécuta,non sans une imperceptible hésitation, toutefois. Il était brave,pourtant. D’où lui venait donc cette hésitation ? De ce qu’ilavait reconnu Valvert. Et, l’ayant reconnu, aussitôt cette pensées’était implantée dans son cerveau : « Je vais subir icile même traitement qui m’a été infligé devant toute lacour ! » Et cette pensée l’affola à ce point qu’ildemeura cloué sur place. Et au lieu de dégainer et de bondir, samain alla chercher le poignard, caché sous le pourpoint, bienrésolu à se le plonger dans le cœur plutôt que de subir une fois deplus une humiliation pareille.

Cependant, il avait dégainé et il s’avançait. Ses hommes,comprenant qu’il était dans son droit, s’étaient rangés pour luifaire place, avaient formé le cercle. Seulement, la plupart d’entreeux s’étaient placés entre les deux amoureux et la porte, leurbarrant ainsi le passage. D’ailleurs, aucun d’eux n’avait dégainé.Rospignac seul, pour l’instant, avait le fer au poing.

Valvert, voyant venir Rospignac l’épée à la main, s’étaitarrêté. Instantanément il avait mis la rapière hors du fourreau. Enmême temps, d’un geste de douceur infinie, qui contrastait avec legeste violent de sa main droite, il avait écarté Florence. Et ilétait tombé en garde.

L’engagement fut bref, foudroyant. Sans une feinte, sans unbattement, risquant vie pour vie, Valvert se fendit dans un coupdroit, furieux, irrésistible, Rospignac lâcha son épée, battitl’air de ses bras et tomba à la renverse, pour ne plus se relever.Alors Valvert se retourna. Sans en avoir l’air, du coin de l’œil,il avait très bien vu la manœuvre des ordinaires, qui s’étaientmassés devant la porte. C’était à travers cette bande de loups quine tarderaient pas à montrer les griffes, qu’il lui fallait passer.Avec une inexprimable douceur, il prononça :

– Suivez-moi… Ne me lâchez pas d’une semelle… Et n’ayez paspeur.

Vaillante, elle répondit dans un sourire :

– Je n’ai pas peur… Allez, je vous suis.

Et il alla, l’épée rouge au poing, un peu étonné de voir qu’ilsne dégainaient pas.

Concini se dressa devant lui. Concini, tout seul. L’épée aucôté, les bras croisés sur la poitrine, il souriait d’un souriresinistre, sûr de lui : il était le père, lui, il savait bienque le naïf amoureux n’oserait pas frapper le père de sabien-aimée. La manœuvre lui avait réussi une fois déjà. Pourquoi,cristaccio, ne réussirait-elle pas encore ?

En effet, Valvert ne le frappa pas… Seulement, d’une main, ill’écarta. Une seule main, un seul geste !… Mais un gestefoudroyant, d’une force telle que Concini alla rouler au milieu deschaises renversées et des bancs. Alors, meurtri, ivre de honte etde fureur, il hurla :

– Sus !… Tuez !…

– Tuez !… Tuez-les tous les deux ! rugit Léonora,laissant éclater la haine furieuse, inconsciente qui, à son insupeut-être, avait dicté tous ses gestes jusque-là.

Une clameur formidable, faite de vingt clameurs isolées, hurlantà la mort, répondit à ces deux excitations sauvages.Instantanément, tous ces spadassins aux faces convulsées setrouvèrent le fer à la main.

Alors un frisson d’angoisse et d’épouvante le secoua de la nuqueaux talons. Il eut peur. Une peur horrible. Non pour lui. Mais pourelle. Et il tourna la tête de son côté. Dans ces yeux de dément quihurlaient une imprécation farouche, elle lut comme en un livreouvert. Et elle sourit bravement. Et d’un double geste rapide commeun éclair, elle sortit un poignard de son sein, lui jeta un brasautour du cou et le baisa sur la bouche en murmurant :

– Ils ne m’auront pas vivante… Nous mourronsensemble !…

Électrisé par ces paroles, enivré par la sensation à la foisviolente et très douce de ce baiser d’amour, le premier qu’ilrecevait d’elle, transfiguré, rayonnant, fort comme Samson etconscient de sa force, il brava, sûr de lui :

– Mourir ?… Allons donc !… Nous allons passer surle ventre de ce troupeau de vils chiens couchants et nous vivronsma chère âme !…

Aussitôt il se rua, fonça droit devant lui, frappant de lapointe du revers, à droite, à gauche, devant lui, partout, avec larapidité et la force de la foudre. Du sang gicla, des plaintessourdes, des râles se firent entendre. Des hommes tombèrent qui nedevaient jamais plus se relever, comme Rospignac, là-bas, et, parmieux, Eynaus.

Mais il s’était heurté à un triple cordon de pointes acérées. Ilfrappa bien dans le tas, mais il fut lui-même ensanglanté, déchiré.Et il ne passa pas. Il ne passa pas, et derrière lui le cercle seferma. Il se vit pris, perdu.

Alors, il eut une inspiration, telle qu’on n’en a de pareillesqu’en ces secondes effroyablement critiques où on vit double. Ilmit son épée dans la main de Florence, se baissa, tira à lui,enleva un banc. C’était un banc en chêne massif, long de plus d’unetoise, solide, pesant. Il le prit par une extrémité et s’en servitcomme le faucheur se sert de sa faux. D’un geste large, pivotantsur les talons, suivi dans tous ses mouvements par Florence qui,avec une adresse et une précision remarquables, se tenait pourainsi dire collée à son dos, il traça autour de lui un cercle largede toute la longueur de la masse qu’il maniait comme une plume.

Tout ce qui, par un bond agile, ne se mit pas hors d’atteinte del’énorme masse, fut renversé, brisé, balayé comme fétus par latourmente. Ceux qui furent épargnés reculèrent précipitamment.Alors il éclata d’un rire terrible. Et il avança, fauchant toutdevant lui, à tour de bras.

Ils étaient braves, les spadassins de Concini, et la rage, lahaine, la honte exaspéraient encore leur bravoure jusqu’à lafureur. Mais que faire contre cette masse de bois qui les tenait àdistance et contre laquelle leurs épées se brisaient commeverre ? Il fallut bien qu’ils s’écartassent. La porte setrouva dégagée. Le passage était libre.

Qu’arriverait-il ensuite ? Ah ! pardieu, Valvert neperdit pas son temps à se le demander. Il fallait, d’abord, sortirde cette église qui se changeait en coupe-gorge. On verraitensuite. Et il n’hésita pas.

– Passez, dit-il.

D’un bond vif et léger, elle s’engouffra sous le porche. Elle yarriva en même temps qu’un grand diable qui, tête baissée etrapière au poing, se précipitait à l’intérieur. Ce grand diable,c’était Landry Coquenard qui, ayant entendu les paroles de dameNicolle, s’était inquiété à son tour et s’était aussitôt rendu rueaux Fers. Landry s’arrêta net, en voyant la jeune fille. Et sansperdre une seconde, d’une voix altérée par une courserapide :

– Il y a un carrosse à la porte. Montez dedans, dit-il.

Il était temps qu’il parlât. Déjà elle levait le poignard surlui. Si elle n’avait pas reconnu sa voix, c’en était fait du digneLandry. Elle ne s’attarda pas non plus, elle. Elle avait conservéun sang-froid admirable en une circonstance aussi critique. Ellelui glissa dans la main l’épée sanglante de Valvert, avec ce seulmot :

– Odet !…

Et elle alla droit au carrosse dans lequel elle se hissavivement.

Landry avait compris. Il poussa aussitôt un hi ! han !formidable, suivi des cris perçants du cochon qu’on saigne :il savait bien que c’était la meilleure façon de signaler saprésence à son maître.

Valvert, à ce moment même, lançait son banc à toute volée sur legroupe des assaillants qui, avec des clameurs épouvantables, leserraient de trop près, et il sauta sur la porte. Il tomba presquedans les bras de Landry. Le brave écuyer eut deux mouvements qu’ilexécuta avec tant de rapidité qu’ils n’en firent qu’un : illui remit son épée dans la main et, en même temps, il le saisit parle bras et l’entraîna en disant :

– Au carrosse, monsieur. Sautez sur le siège et ne vousoccupez pas de moi.

Ils y furent en un bond, sur ce carrosse. Un autre bond etLandry se trouva en postillon sur un des deux chevaux de volée. Illeva le bras et tourna la tête. Il vit que Valvert avait bondi surle siège. Il abattit le bras et, de la pointe de l’épée, se mit àpiquer sans pitié le cou du cheval en même temps qu’il luimartelait les flancs à coups d’éperons furieux.

Il y avait un cocher sur ce siège, sur lequel Valvert venait debondir. Il dormait à poings fermés ; tranquillement, Valvertlui arracha d’une main les guides qu’il avait passées à son bras.De l’autre main, il le saisit au collet et le secoua rudement enordonnant :

– Saute !

Réveillé en sursaut, le pauvre diable vit ce visage flamboyantpenché sur lui ; en même temps, il fut assourdi par leshurlements de la bande qui sortait de l’église en se bousculant.Effaré, il crut que sa dernière heure était venue et il obéit sanshésiter. Non seulement il sauta, mais encore, pris de terreurpanique, il s’enfuit à toutes jambes.

Piqués impitoyablement par Landry, fouaillés à tour de bras parValvert qui avait saisi le fouet, les chevaux s’ébranlèrent,partirent en un galop effréné, au moment précis où les estafiers deConcini sautaient dans la rue. Sans réfléchir, ils se lancèrenttous à la poursuite du carrosse en hurlant :« Arrête ! »

On comprend bien que Valvert n’eut garde de les écouter et, toutau contraire, stimula davantage ses chevaux. Au bout de quelquesminutes, le carrosse avait disparu dans la nuit et c’eût été folieque de s’obstiner à vouloir le rattraper. C’est ce que se direntles ordinaires, qui lâchèrent pied les uns après les autres. Etquelques autres minutes plus tard, le carrosse venait s’arrêterdevant la porte charretière, d’ailleurs fermée, duGrand-Passe-Partout.

Valvert revenait à l’auberge moins d’une heure après son départprécipité. Personne ne s’était encore couché ou recouché. Ce quifait qu’on répondit sur-le-champ à son appel.

Une heure plus tard, la porte charretière s’ouvrait de nouveaupour livrer passage au carrosse. Sur le siège se tenait, grave etles guides dans une main, le fouet dans l’autre, Landry Coquenardqui, décidément, savait tout faire. Dans le carrosse, Florence, lapetite Loïse et la brave mère Perrine. Florence tenait sur sesgenoux l’enfant chaudement enveloppée. Et l’enfant, ses petits brasblancs et potelés passés au cou de la jeune fille, lui glissaitconfidentiellement à l’oreille, avec un accent de tendresseprofonde :

– Tu sais, maman Muguette, puisque tu le veux, j’aimeraibien maman Bertille que nous allons voir… Mais ma vraie maman, quej’aimerai toujours plus que tout, ce sera toujours toi, mamanMuguette.

Derrière le carrosse, Gringaille et Escargasse, à cheval, armésjusqu’aux dents. Enfin, à une portière, Valvert, monté sur un desmagnifiques chevaux que le roi lui avait donnés. Et, près de lui, àpied, Pardaillan.

Tout ce petit monde s’en allait à Saugis, à l’exception duchevalier qui restait, lui. C’était Pardaillan qui, en voyant lecarrosse, avait eu l’idée de ce départ nocturne, si précipité qu’ilressemblait fort à une fuite. Et c’était bien une fuite, à peuprès, puisqu’il s’agissait, en la cachant à Saugis, chez Jehan dePardaillan, de la mettre hors de l’atteinte de Concini qui, armé deses droits de père, ne manquerait pas de faire rechercher sa filleet de la ramener de force au domicile paternel, s’il laretrouvait.

Valvert, qui ne craignait rien tant que de voir sa fiancéeretomber aux mains de la vindicative Léonora, s’était assezfacilement laissé persuader de la nécessité de ce voyage qui,d’ailleurs, avait aussi un autre but généreux : ramener auplus vite la petite Loïse dans les bras de ses parents qui lapleuraient depuis si longtemps.

Il convient de dire que, la veille encore, Valvert n’eût pashésité à confier Florence à la garde de Gringaille et d’Escargasse,en refusant de quitter le chevalier. C’est que, la veille, ilsétaient encore en pleine lutte avec Fausta, et qu’il se fût crudéshonoré en désertant son poste de bataille. Mais aujourd’hui,après la besogne accomplie à Montmartre, il n’en était plus demême. Aujourd’hui, il le savait bien, ils avaient arraché lesgriffes et les crocs à cette tigresse qui s’appelait Fausta. Ellene pouvait plus rien contre le roi ni contre Pardaillan lui-même.Irrémédiablement battue, elle n’avait plus qu’à fuir, et le pluspromptement possible. Ce qu’elle ne manquerait pas de faire.

C’était donc sans scrupule, et sans inquiétude aucune qu’illaissait ce vieil ami qu’il affectionnait et vénérait comme unpère. D’autant que, somme toute, il ne s’agissait que d’uneséparation momentanée de quelques heures : Pardaillan avaitpromis de les rejoindre le jour même à Saugis et, mieux quepersonne, il savait que Pardaillan tenait toujours sa promesse.Néanmoins, après les dernières embrassades, voyant que lechevalier, un peu pâle, s’était fait une physionomie de glace entortillant sa moustache grise d’un doigt nerveux – indices certainsd’une émotion violente qu’il ne voulait pas laisser voir –, il fitune suprême tentative et, avec son sourire le plus engageant, de savoix la plus insinuante :

– Allons, laissez-vous faire, monsieur… Il y a une bonneplace pour vous, dans ce carrosse, entre votre fille Florence, quisera aux petits soins pour vous, et votre petite-fille Loïsette,qui vous fera un collier de ses petits bras.

Pardaillan recula de deux pas, et imitant les gestes du prêtrequi exorcise :

– Arrière, tentateur ! dit-il en riant.

Et, subitement sérieux, dans un grondement menaçant :

– Après tout le mal qu’elle a fait, laisser partirMme Fausta sans lui infliger la leçon qu’ellemérite ? Par Pilate, je ne me pardonnerais de ma vie pareillefaiblesse !…

Et de sa voix de commandement :

– Fouette, Landry, fouette !…

Le carrosse s’ébranla, disparut dans la nuit.

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