La Fin de Fausta

Chapitre 27LA MÉSAVENTURE DE LANDRY COQUENARD

Pardaillan s’était promis à lui-même de découvrir et de détruireles dépôts d’armes clandestins que Fausta avait dans la ville. Etnous savons que lorsque Pardaillan promettait quelque chose, àd’autres ou à lui-même, il tenait sa promesse.

Il ne doutait pas que cette maison, isolée au fond de cet infectboyau sans issue, que l’on appelait le cul-de-sac Barentin, danslaquelle, la veille, il avait vu entrer les Espagnols de Fausta, nefût un de ces dépôts. Et si l’on s’en rapportait aux apparences,ces dépôts étaient aménagés comme des manières de petitesforteresses dans lesquelles des troupes assez nombreuses pouvaienttenir garnison.

Mais comme il savait que Fausta était incapable de commettre lafaute grave de laisser, pour l’instant, une garnison dans cesdépôts – ce qui eût inévitablement attiré l’attention sur eux –, ilen avait conclu que les Espagnols entrés de nuit dans celui ducul-de-sac Barentin, en délogeraient discrètement, dès lelendemain, à la première heure.

Aussi, dès le lendemain, à la pointe du jour, Pardaillan rôdaitrue de la Tisseranderie aux abords du cul-de-sac Barentin. Il étaitbien décidé à suivre les Espagnols partout où ils iraient. Et ilétait bien convaincu que, par eux, il arriverait à découvrir lesautres dépôts. Rappelons que ces dépôts, d’après ce qu’en avait ditFausta elle-même, étaient au nombre de quatre : un dans laville, un dans la cité, un dans l’université, et le quatrième dansles environs de Paris. Pour ce qui est de ce dernier, Pardaillan,guidé par cet instinct particulier, qui était si remarquable chezlui, ne croyait pas se tromper en supposant qu’il devait se trouverdans le village de Montmartre.

Comme il ne pouvait, à lui seul, suivre plusieurs pistes à lafois, il avait emmené avec lui Valvert, Escargasse et Gringaille.Ils étaient donc quatre pour suivre dix personnes. Mais il étaitfort probable que les Espagnols ne s’en iraient pas isolés, maispar petits groupes de deux ou trois. Il était donc à peu près sûrqu’ils ne lui échapperaient pas.

Landry Coquenard, seul, était resté rue aux Fers, dans la maisondu duc d’Angoulême, qui conservait toujours son apparence de maisoninhabitée. Comme c’est à lui que nous avons affaire pour l’instant,nous laisserons Pardaillan et ses trois compagnons à leur affûtpour nous occuper du digne écuyer de Valvert.

La veille, après des explications mutuelles, que Pardaillanavait abrégées autant que possible, parce qu’il était tard etqu’ils devaient se lever, le lendemain matin, avant le jour,Valvert s’était retiré dans sa chambre en faisant signe à Landry dele suivre. Là, ils avaient repris, en le développant, cet entretienqu’ils avaient eu à leur sortie du Louvre.

Avant de se coucher, et bien que Landry lui eût répété qu’il nese mettrait pas en campagne avant d’avoir « ruminé sonaffaire », ce qui demanderait bien un jour ou deux, Valvertavait voulu écrire la lettre destinée à sa fiancée. Cette lettreécrite, il l’avait remise à Landry.

Seul à la maison, Landry Coquenard s’était mis à chercher lemoyen de faire parvenir le billet à celle à qui il était destiné.En soi, la chose n’était pas facile. D’autant que, et cela seconçoit, il tenait à s’entourer de précautions suffisantes pourêtre à peu près sûr de ne pas laisser sa peau dans cetteexpédition. Or, pour remettre le billet à Florence, il fallait detoute nécessité entrer à l’hôtel Concini. S’il y entrait, il étaitsûr d’être reconnu. Et alors il était non moins sûr que c’en étaitfait de lui.

La journée s’était écoulée, le soir était venu. Pardaillan,Valvert, Escargasse et Gringaille étaient rentrés, exténués etassez maussades – ce qui indiquait que leur chasse n’avait pasdonné les résultats espérés –, et Landry n’avait pas réussi àrésoudre le difficile problème.

Ce qui ne l’avait pas empêché de répondre avec assurance àl’interrogation de son maître :

– Je rumine, monsieur, je rumine !… Demain, jel’espère, j’aurai trouvé.

Le lendemain, vers la fin de la journée, et comme il commençaità désespérer, Landry eut une inspiration :

– La Gorelle ! s’écria-t-il tout à coup. Commentn’ai-je pas pensé plus tôt à elle !… Avec un peu d’or,j’obtiendrai d’elle tout ce que je voudrai !

Dans sa joie, il se mit à esquisser un pas de danse. Mais cettejoie tomba brusquement :

« Diable ! songea-t-il, La Gorelle est au service deMme la duchesse de Sorrientès. Pour la voir, c’estdonc à l’hôtel Sorrientès qu’il me faudra aller !… Ah !pauvre de moi, à l’hôtel Sorrientès comme à l’hôtel Concini, c’estune bonne corde qui m’attend ! CarMme de Sorrientès, c’estMme Fausta. Et Mme Fausta doit êtreenragée après moi tout autant que le signor Concini… Décidément,mon idée que je croyais magnifique, ne vaut rien derien ! »

Et il se mit à marcher avec agitation. Mais tout en marchant, ilréfléchissait. Et la conclusion de ses réflexions fut celle-ci.

« Mais, double bélître que je suis, rien ne m’oblige àmettre les pieds dans cet antre redoutable qu’est l’hôtelSorrientès !… Ne puis-je faire appeler la Gorelle ?Moyennant une livre que je lui bâillerai, le premier gamin venu sechargera de pénétrer dans cet antre dangereux pour moi, inoffensifpour lui, et de remettre un billet à la Gorelle. Et si ce billetcontient une phrase dans le genre de celle-ci : « Si vousvoulez gagner mille livres, rendez-vous dans telle auberge de larue Saint-Honoré », je la connais, la Gorelle, elle seprécipitera au rendez-vous sans tarder. Ventredieu ! voilà labonne solution ! »

Le soir, Landry fit part de son idée à Valvert, qui l’approuvaet qui lui remit l’argent nécessaire pour acheter le concours de laGorelle.

Le lendemain matin, vers onze heures, Landry, ayant dans sapoche la lettre destinée à Florence, le billet destiné à la Gorelleet une bourse convenablement garnie, s’enveloppa dans son manteauet sortit par la rue de la Cossonnerie. Il se tenait l’œil au guet,on peut le croire. Cependant, comme la foule était grande, attenduqu’il se trouvait en plein dans les Halles, il ne fit pas attentionà un homme qu’il croisa dans la rue du Marché-aux-Poirées.

Il eut grand tort, car cet homme qui rôdait par là à sonintention, c’était Stocco.

Stocco était dans un état de fureur indicible : ce jour-làétait le dernier des cinq jours de délai que Léonora lui avaitaccordés pour lui amener Landry Coquenard. On se souvient queLéonora lui avait promis qu’il serait impitoyablement pendu, s’ilne réussissait pas dans le délai fixé. Cette promesse, elle la luiavait froidement rappelée chaque jour, comme il rentraitbredouille, en disant :

– Tu n’as plus que quatre jours… – Tu n’as plus que trois…– Tu n’as plus que deux jours… – C’est le dernier jour… Ce soir, lacorde, si tu n’as pas réussi.

Stocco savait qu’elle tiendrait implacablement parole. Il lesavait même si bien que, désespérant de réussir dans le peu detemps qui lui restait, il avait, ce matin même, emporté tout son oret les quelques objets précieux auxquels il tenait : Stoccoqui, tout comme Landry, tenait à sa peau, était bien résolu à nepas se représenter devant sa terrible maîtresse et à fuir savengeance en retournant en Italie, s’il le fallait.

Stocco, comme bien on pense, n’avait pas eu la même distractionque Landry. Tout de suite, il avait reconnu celui qu’il guettait envain depuis cinq jours. Et sa fureur s’était changée en une joiefrénétique. Il s’était retourné et avait fait un signe à quatre oucinq individus à mine patibulaire qui, à distance respectueuse,suivaient tous ses mouvements.

Vivement, il avait enfoui le visage dans les plis du manteau ets’était mis aux trousses de Landry. Ses sacripants l’avaient suivide près.

Ils n’étaient pas allés bien loin ainsi. Landry avait tourné àdroite dans la rue de la Chaussetterie, qui était le prolongementde la rue Saint-Honoré. Là, Stocco, avec une vivacité et uneadresse qui dénotaient une grande habitude de la manœuvre, luiavait glissé le fourreau de sa longue colichemarde entre lesjambes.

Landry Coquenard avait mâchonné un juron et était allé s’étalerau beau milieu du ruisseau. Il n’avait pas eu le temps de serelever et de se reconnaître : tout de suite, Stocco et sescoupe-jarrets avaient fondu sur lui. Landry s’était senti écrasé,maintenu, ficelé, bâillonné, roulé dans un manteau, enlevé, emportéil ne savait où ni par qui. Et cela s’était accompli avec unerapidité fantastique.

Au bout d’un temps qui lui parut mortellement long, LandryCoquenard se sentit déposé assez rudement sur un siège de bois. Lesliens qui entravaient ses jambes furent tranchés, il fut débarrassédu manteau dans lequel il avait été enroulé. Il sentit qu’on luienlevait son épée, que des mains brutales palpaient son pourpointpour s’assurer qu’il n’avait pas une autre arme sur lui.

Mais on ne trancha pas les cordes qui lui liaient les mains. Onne lui enleva pas son bâillon. Et comme ce bâillon était une longueet large écharpe qu’on avait enroulée plusieurs fois autour de satête et qui lui couvrait les yeux, il en résultait qu’il ne pouvaitpas voir où il se trouvait.

S’il ne pouvait pas voir ni parler, il pouvait entendre. Et ilentendit un bruit de pas lourds, suivi du claquement d’une portequ’on ferme. Il comprit qu’on le laissait seul. D’ailleurs, il nedemeura pas longtemps seul. Presque aussitôt, il se sentit frôlépar des mains plus légères qui, avec précaution, s’activaient à luienlever le maudit bâillon qui l’aveuglait et l’étouffait. Il finitpar tomber, ce bâillon. Alors il put voir que c’était une femme quivenait de lui rendre ce service. Il la reconnut sur-le-champ. Et,saisi de stupeur, il la nomma :

– La Gorelle !…

C’était bien La Gorelle, en effet, qui venait de le débarrasserde son bâillon, mais qui ne paraissait pas songer à lui délier lesmains. Elle avait bien au fond des prunelles une lueur mauvaise quiindiquait qu’elle se réjouissait de le voir en cette fâcheuseposture. Mais elle souriait de son sourire visqueux qu’elles’efforçait visiblement de faire engageant. En somme, elle neparaissait pas animée de mauvaises intentions.

Landry Coquenard vit cela d’un coup d’œil rapide. Il jeta unautre coup d’œil autour de lui. Il se vit dans une manièred’antichambre meublée avec un luxe inouï. Il ne reconnut pas lapièce. Mais il n’avait vu un luxe pareil que chez la duchesse deSorrientès. De plus, la Gorelle paraissait être là comme chez elle,et comme il la croyait toujours au service de la duchesse, il enconclut qu’il se trouvait à l’hôtel de Sorrientès, chez Fausta.

Cette découverte n’était pas de nature à le rassurer. Cependant,comme il redoutait moins Fausta que Concini, il se sentit quelquepeu soulagé. Et puis, il ne manquait pas de présence d’esprit etd’imagination, et une idée lui était venue, en reconnaissant laGorelle.

– La Gorelle ! répéta-t-il.

Et, de son air le plus naïf :

– Comme cela se trouve !… Figure-toi que j’étais sortipour venir te voir, précisément.

Ces mots firent dresser l’oreille à La Gorelle. Mais toujoursméfiante et maîtresse d’elle-même, elle ne sourcilla pas. Etsimplement :

– Cela se trouve à merveille, en effet. Eh bien, me voilà.Que me voulais-tu ? dit-elle.

– T’offrir mille livres, fit Landry de sa voix la plusinsinuante.

– C’est une bonne somme à prendre, dit la mégère, laprunelle luisante.

Et allongeant la griffe :

– Donne.

– Minute, railla Landry, si tu veux que je te donne cesmille livres, il faut d’abord trancher ces cordes qui memeurtrissent les mains.

– C’est juste !… Et après, je pense qu’il faudra teconduire hors d’ici ?

Elle ne raillait pas. Elle disait cela avec simplicité, commeune chose qui lui paraissait naturelle. Landry sentit qu’ellen’hésitait pas, qu’elle était prête à faire ce qu’il demandait. Ilrespira plus librement. Il complimenta :

– Je ne connais pas de femme plus intelligente et pluscomplaisante que toi.

Et il précisa :

– Coupe ces cordes, conduis-moi hors de ce repaire et je tedonne mille livres… Et après, je t’indique le moyen de gagner milleautres livres.

– Cela fait deux mille, alors ? fit La Gorelle, dontl’œil luisait plus que jamais.

– Tu comptes admirablement.

La mégère parut réfléchir. Landry s’inquiéta :

– Est-ce que ce que je te demande est impossible ?Est-ce que tu ne peux pas me faire sortir d’ici ?

– C’est on ne peut plus facile.

– Alors ?

– Alors, écoute, Landry : je veux bien couper cescordes, je veux bien te rendre ta liberté… seulement… deux millelivres pour cela, ce n’est pas assez.

– Combien veux-tu ? haleta Landry.

– Il faut y ajouter cinquante mille livres, fit froidementLa Gorelle. L’infortuné Landry, qui croyait bien l’avoir décidée,plia les épaules, assommé par l’énormité de ce chiffre. Et ils’emporta :

– Cinquante-deux mille livres !… Vieille sorcièred’enfer, tu te moques de moi, je crois !… Où veux-tu que jeles prenne, chienne enragée ?…

– Je pense bien que tu ne possèdes pas une somme pareille,dit-elle tranquillement, sans se fâcher. Alors, n’en parlonsplus.

Et, comme Landry grinçait des dents, la poignardait du regard,avec le même calme imperturbable, elle expliqua :

– Si je te laisse aller, je perds cinquante mille livres,moi. Alors, tu comprends ?… Non ? tu ne comprendspas ?… Je t’attendais avec impatience…

– Tu m’attendais, moi ? sursauta Landry ébahi.

– Mais oui, depuis cinq jours.

– Tu m’attends depuis cinq jours, répéta Landry, de plus enplus ahuri.

Et, exaspéré :

– Comment ? Pourquoi ?

– Pour toucher mes cinquante mille livres, donc !… Onm’a promis de me les donner le jour où tu serais là… Voilà pourquoije t’attendais avec tant d’impatience… Tu comprends,maintenant ?

Non, il ne comprenait pas, l’infortuné Landry Coquenard !Et comment aurait-il pu comprendre des explications que,volontairement ou non, elle entortillait si bien qu’ellesdevenaient incompréhensibles ? Mais ce qu’il comprenait tropbien, hélas ! c’est qu’il y avait quelque chose de louchelà-dessous, quelque chose qui l’intéressait tout particulièrement,lui, qu’il devait connaître à tout prix, attendu qu’il y allait desa tête. Et il interrogea :

– C’est la duchesse de Sorrientès qui t’a promis cettefortune ?

– Non. Je ne suis plus au service de la duchesse.

– Qui donc, alors ? frémit Landry.

– Ma nouvelle maîtresse : Mme lamaréchale d’Ancre.

– La maréchale d’Ancre !… grelotta Landry.

Et se redressant d’un bond, livide, la sueur de l’angoisse auxtempes :

– Je suis donc ici… ?

L’horrible mégère, un pétillement de triomphe au fond de sesyeux mauvais, l’observait en souriant, se délectait de sa détresse,ne se pressait pas de donner le renseignement qu’il attendait avecune anxiété mortelle.

– Tu es, dit-elle enfin, chez Mgr le maréchal marquisd’Ancre… Et d’un air faussement apitoyé :

– Ne le savais-tu pas, pauvre Landry ?

– Misère de moi, je suis mort ! gémit Landry.

– Je crois que oui, sourit la hideuse vieille. À ce moment,un coup de timbre retentit.

– C’est monseigneur qui veut te voir, dit La Gorelle. Et sedirigeant vers une porte :

– Viens, ajouta-t-elle.

Landry Coquenard lança autour de lui ce regard désespéré du noyéqui cherche à quoi il pourra se raccrocher. La Gorelle, qui ne leperdait pas de vue, surprit ce regard.

– N’espère pas te sauver, dit-elle, tu es bien pris. Lemieux est de te résigner.

Et, avec une bienveillance sinistre, elle encouragea :

– Somme toute, tu ne seras jamais que pendu. Ce n’est qu’unmauvais moment à passer, et c’est si vite fait… Allons, entre. Nefais pas attendre monseigneur, qui n’est pas très patient.

Landry Coquenard comprit qu’il était irrémissiblement perdu,qu’il n’avait qu’à obéir. On a pu voir que, malgré qu’il se montrâttrès prudent, il ne manquait pas de bravoure. Le premier moment dedéfaillance passé, il se ressaisit. Il eut cet orgueil de ne pasdonner à son ancien maître le spectacle d’un homme qui trembledevant la mort. Il se raidit de toutes ses forces et ce fut d’unpas ferme qu’il franchit le seuil de la porte que La Gorelle luiouvrait.

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