La Fin de Fausta

Chapitre 32FAUSTA PREND SES DISPOSITIONS

Pardaillan avait disparu dans la carrière. Dans les ténèbresépaisses dans lesquelles il évoluait, il se dirigeait avec autantd’assurance que s’il s’était trouvé à la lumière du jour, sous leclair soleil. Il marcha assez longtemps. Il ne s’arrêta qu’une foisdans une manière de grotte spacieuse, taillée dans le gypse et oùse trouvaient mille objets divers. Sans hésiter, en homme quiconnaît admirablement les lieux, il alla à un endroit précis et yramassa quelque chose qu’il mit sous son manteau. Et ilrepartit.

Il n’alla pas loin. Il se heurta à un mur. Il ouvrit ce mur,comme il en avait ouvert deux ou trois depuis qu’il se trouvaitdans ces souterrains. Le mur ouvert et refermé derrière lui, il setrouva dans un couloir assez étroit. Il tourna à droite, dans cecouloir. Il fit une dizaine de pas et se trouva de nouveau arrêtépar un mur. Comme dans les autres, il y avait une porte invisibledans ce mur. Il l’ouvrit comme il avait ouvert les autres.

Il s’arrêta et sortit de dessous le manteau l’objet qu’il avaitramassé l’instant d’avant. C’était une lanterne. Il battit lebriquet et alluma sa lanterne. Et il entra.

Ici, c’était une cave, plutôt petite. Il y avait là quelquescaisses défoncées, quelques outils hors d’usage et, juste en facela porte invisible par où il venait d’entrer, un escalier de pierrequi accédait à l’étage au-dessus. D’ailleurs, pas de porte, pas lamoindre ouverture visible dans ce petit caveau.

Ce ne fut pas à l’escalier que Pardaillan alla. Ce fut au mur degauche. Sur ce mur, il projeta la faible lueur de sa lanterne enmurmurant :

– L’abbaye se trouve dans cette direction… Donc, si je neme suis pas grossièrement trompé dans mon raisonnement, c’est parlà que Fausta va venir… Et bougonnant : quand je pense que jesuis venu plus de vingt fois ici et que je n’ai jamais eu l’idéed’étudier ce mur d’un peu près !… Il leva les épaules :oui, mais, pour étudier ce mur, il aurait fallu avoir des soupçons…et ces soupçons, c’est la lecture du billet de Fausta qui me les asuggérés… Et puis, à quoi bon me mettre l’esprit à l’envers :Fausta, tout à l’heure, va m’indiquer où se trouve la porte etcomment on l’ouvre !… À moins qu’elle ne soit déjàarrivée ! Diable ! voilà qui ne ferait pas monaffaire !…

Il éteignit sa lanterne, la glissa sous le manteau et mit lepied sur la première marche de l’escalier. À mesure qu’il montait,sans que le moindre craquement trahît sa présence, une faible lueurarrivait jusqu’à lui. Il songea :

« La porte de la première cave doit êtreouverte. »

En effet, au haut de l’escalier, il y avait une porte grandeouverte : une vraie porte en cœur de chêne, celle-là. Etc’était une vraie cave, le double plus grande que l’autre, où sevoyaient les mille objets divers qu’un paysan entassehabituellement là, qui, d’un côté, était divisée en trois petitscaveaux, fermés simplement au loquet, et que des soupirauxéclairaient et aéraient comme toutes les caves.

Cette cave, ces deux caves superposées plutôt étaient les cavesde la ferme où Fausta avait donné rendez-vous à Pardaillan pour lelendemain matin, dix heures.

Au fond de cette cave, déjà beaucoup plus claire que la caveinférieure, on voyait l’escalier en spirale qui conduisait aurez-de-chaussée. Pardaillan alla droit à cet escalier et se mit àle monter avec précaution. La porte qui se trouvait au haut de cedeuxième escalier devait être ouverte comme la première, car, àmesure qu’il montait, le jour se faisait plus vif, et, en mêmetemps, il percevait un murmure de voix : des voixmasculines.

En effet, cette porte était aussi grande ouverte. Pardaillanredoubla de précautions et arriva, sans avoir été éventé, jusqu’auminuscule palier qui se trouvait au haut de l’escalier. Il tenditl’oreille, risqua un œil.

C’était l’humble cuisine d’un pauvre paysan. Au milieu, unetable grossière, en bois mal équarri, assez propre pourtant. Sur latable, une bouteille entamée, deux gobelets d’étain, deux falotséteints. Autour de la table, sur deux escabeaux, deux paysans.

Deux paysans ? Oui, si on s’en tenait au costume. Non, sion les observait de près. Pardaillan ne s’y trompa pas un instant.D’ailleurs, en l’un de ces paysans qui buvaient et s’entretenaienten un français qui n’était certes pas celui de paysans ignorants,il reconnut l’officier espagnol qui avait amené d’Espagne lesmillions que Valvert lui avait enlevés et qu’il avaitcomplaisamment guidé jusqu’à la rue du Mouton.

De l’autre côté de la table, debout, les servant et leurtémoignant une déférence qui allait jusqu’au respect, un paysand’un certain âge. Un vrai paysan, celui-là, et pour cause, c’étaitle basse-courier des religieuses, le maître de céans, en somme, quis’effaçait ainsi devant ces deux faux paysans auxquels il aurait eule droit de commander, attendu que, depuis peu, les religieuses leslui avaient donnés pour lui servir d’aides.

Dès les premiers mots, Pardaillan fut fixé : les troishommes attendaient Fausta. Fausta qui devait arriver par lessous-sols. En effet, au bout de quelques minutes, après avoirconsulté une grosse montre qui, à elle seule, eût suffi à letrahir, un des deux Espagnols prononça :

– C’est le moment d’aller recevoir Son Altesse.

Ils se levèrent, prirent les falots, se dirigèrent vers l’âtrepour les allumer.

Pardaillan n’attendit pas qu’ils eussent terminé. Il descenditvivement au second sous-sol. Il jeta les yeux autour de lui. Ledessous de l’escalier formait une cavité qu’obstruaient en partiedes caisses à moitié pourries. Il se glissa là-dessous, derrièreles caisses, en se disant :

« D’ici, je verrai à merveille où se trouve cette porte etcomment on l’ouvre. Mais diantre, s’ils s’avisent de regarder danscette niche, je suis pris, moi, comme un renard dans sonterrier ! »

Et se rassurant :

« Bah ! Fausta ne se méfiera pas plus que ne seméfient ces deux braves hidalgos. »

Les hidalgos, comme il disait, arrivèrent seuls, ayant laissé lebasse-courier dans sa cuisine. Leur falot allumé à la main, ils setinrent immobiles et silencieux au milieu du caveau. Quelquesminutes passèrent. Pardaillan, dans son trou, ne voyait que le murpar où il supposait que Fausta devait arriver. Brusquement, ce murse fendit, une étroite ouverture béa. Par cette ouverture, Faustaentra. Derrière elle, d’Albaran, tenant un petit sac pansu sous lebras, un falot allumé à la main.

Les deux Espagnols firent la révérence avec autant de grâceélégante que si, couverts de velours et de satin, ils s’étaienttrouvés au Louvre, chez le roi de France. Fausta eut une légèreinclination de tête, et de sa voix harmonieuse et grave :

– Bonjour, messieurs, dit-elle.

Pardaillan ne s’occupait pas d’eux. Il n’avait d’yeux que pourd’Albaran qui fermait la porte. Ce fut très vite fait. Mais celasuffit à Pardaillan qui eut un sourire de satisfaction.

La porte fermée, d’Albaran monta le premier, éclairant la marcheavec son falot. Derrière lui, Fausta. Derrière Fausta, l’officierespagnol, également le falot à la main. Derrière l’officier,l’autre Espagnol qui avait laissé son falot en bas…

Et, derrière celui-là, Pardaillan, qui souriait dans samoustache grise…

Seulement, cette fois, il n’alla pas jusqu’au palier. Ils’arrêta vers le milieu de l’escalier, assez loin pour avoir letemps de déguerpir en cas d’alerte, assez près pour entendre.Évidemment, il ne verrait pas. Mais ceci n’était que secondairepour lui, du moment qu’il entendait.

Fausta était arrivée à la cuisine, s’y était arrêtée, s’étaitassise sur un méchant escabeau de bois rugueux, et s’y tenaitdroite, dans une de ces attitudes d’incomparable majesté dont elleavait le secret, comme si elle avait été assise sur un trône.D’Albaran se tenait debout derrière elle. Les deux gentilshommesespagnols, sous leur accoutrement grossier de paysans, se tenaientraides, impassibles, ainsi qu’ils faisaient à l’hôtel deSorrientès, quand ils étaient de service près de Son Altesse. Levieux paysan, le basse-courier, se tenait courbé dans une attitudede vénération qui était presque un agenouillement.

Ce fut de ce pauvre diable que Fausta s’occupa tout d’abord.Elle lui fit signe d’approcher. Il s’avança, tellement courbé qu’ilparaissait ramper.

– D’Albaran, dit-elle de sa voix la plus douce, donne à cebrave homme les dix mille livres que je lui ai promises.

Le colosse s’avança et mit entre les mains du paysan ce sacpansu qu’il tenait sous le bras. L’homme roula des yeux éblouis,ouvrit la bouche pour remercier et, ne trouvant pas de mots pourexprimer sa joie et sa gratitude, fit une génuflexion pareille àcelles qu’il faisait quand il passait devant l’autel de la chapelledes Martyrs. Alors Fausta, dans un sourire bienveillant, lecongédia :

– Allez, brave homme, et souvenez-vous que vous metrouverez toujours prête à vous venir en aide, en souvenir des bonsservices que vous m’avez rendus.

L’homme fit une nouvelle génuflexion et se retira à reculons.Sur un signe de Fausta, un des deux gentilshommes l’accompagna.

– Eh bien ? interrogea Fausta quand le gentilhommereparut.

– Il est parti, madame. Je crois bien qu’il est fou dejoie.

– Les portes ? fit Fausta sans sourire.

– Fermées toutes les deux, à double tour. Et voici lesclefs, répondit le gentilhomme en déposant deux grosses clefs surla table.

– À l’œuvre, messieurs, commanda Fausta. D’Albaran, tuconduiras ces gentilshommes à la grotte. Tu les dirigeras et tu lesaideras. Quand vous aurez terminé, tu viendras m’aviser. Je veuxm’assurer par moi-même que tout est bien ainsi que je l’ai imaginé.Allez !

– Venez, messieurs, commanda d’Albaran à son tour.Pardaillan n’en avait pas écouté davantage. Il redescenditvivement.

Cette fois, il ne se cacha pas sous l’escalier. Vivement, ilouvrit la porte secrète et s’éloigna d’une vingtaine de pas dans lecouloir. Pour plus de précaution, il se dissimula dans uneanfractuosité en songeant :

« Quelle diable de besogne vont-ils faire ?…Et que diable Fausta peut-elle avoir imaginé pour se débarrasser demoi ? Car, tout cela c’est pour moi, pour que je laisse mes osdans cette ferme si, demain, je suis assez mal inspiré que d’yvenir. »

Et son naturel insouciant reprenant le dessus, haussant lesépaules :

« Attendons… et ouvrons l’œil. Je ne tarderai pas à êtrefixé. »

La porte secrète qu’il venait d’ouvrir et de fermer se rouvrit.D’Albaran et les deux Espagnols parurent dans le couloir. Ilslaissèrent la porte ouverte derrière eux, le caveau demeurantfaiblement éclairé par le falot qu’ils y avaient laissé. D’Albaranmarchait en tête, éclairant la marche. Les deux gentilshommes lesuivaient, riant et plaisantant. Seulement, maintenant ils nes’entretenaient plus qu’en espagnol. D’ailleurs, ce n’était paspour gêner Pardaillan, qui entendait et parlait l’espagnol etl’italien aussi bien que le français.

D’Albaran vint s’arrêter à une dizaine de pas de Pardaillan quise rencogna dans son trou, devant la porte secrète qui donnaitaccès à cette grotte où le chevalier, quelques instants plus tôt,avait pris une lanterne. Il ouvrit. Il allait entrer. L’officier,que Pardaillan avait guidé le soir de son arrivée à Paris, l’arrêtapar le bras et, avec une familiarité déférente :

– Seigneur d’Albaran, dit-il, où conduit donc cettegalerie, par là ? Et il tendait la main dans la direction oùPardaillan se tenait aux écoutes.

– Nulle part, comte, répondit d’Albaran. Et ilexpliqua :

– Cette galerie, assez étroite, comme vous voyez, est assezlongue. Mais c’est un cul-de-sac sans issue.

– Sans issue ! fit l’officier à qui on venait dedonner ce titre de comte. Là-bas, elle paraissait sans issue, cettegalerie. Et cependant, elle aboutit aux caves de la ferme. Ici, oùnous sommes en ce moment, elle paraissait également sans issue.

« Tiens ! il n’est pas si bête, ce señorcomte ! » songea Pardaillan. Et il ajouta :

« Tous ces nobles hidalgos, sans feu ni lieu, sans sou nimaille, sont pour le moins comtes ou marquis. »

– Je vous entends, comte, répondit le colosse. Aussi croyezbien que nous avons fait sonder cette galerie pouce par pouce,autant dire. S’il y avait eu une issue, nous l’aurions trouvée.

« C’est que vous avez mal cherché ! » souritPardaillan.

L’entretien ne fut pas poussé plus loin. Les trois hommesentrèrent dans la grotte. Pardaillan ne les vit plus. Ils enressortirent presque aussitôt, d’ailleurs. Les deux gentilshommes,l’un derrière l’autre, roulaient chacun un tonnelet sur le sableblanc qui tapissait la galerie. Le colosse, sans se soucier desalir son splendide pourpoint de velours et de satin, portait dansses bras deux de ces tonnelets, l’un sur l’autre.

Pardaillan, il faut croire, les connaissait, ces tonnelets, caril murmura, fortement intrigué :

– La poudre ! les balles !… Pourquoi diabledéménagent-ils tout cela ?…

Et se frappant le front comme quelqu’un qui vient detrouver :

– Niais que je suis ! c’est à cause de moi qu’ilsdéménagent cette poudre ! Fausta n’ignore pas que je connaisl’existence de cette grotte… elle se dit que je suis bien capablede faire sauter cet arsenal comme les trois autres… et elle prendses précautions, ce qui est assez naturel, en somme…Malheureusement pour elle, elle ne se doute pas que je sais lemoyen de pénétrer dans ces caves. En sorte qu’elle se donne unepeine bien inutile… Parbleu, je ne suis pas fâché d’avoir trouvécette explication… Car c’est bien cela !… Ce ne peut être quecela !

Malgré l’énergie avec laquelle il s’affirmait que « ce nepouvait être que cela », il ne paraissait pas bien convaincu.La vérité est qu’il commençait à soupçonner la véritable raison dece déménagement. Mais cette idée, qui s’insinuait dans son cerveau,lui paraissait si horrible, si monstrueuse, qu’il refusait d’ycroire et s’efforçait de la repousser.

Malgré tout, elle le poursuivait si bien, cette idée, qu’il fitun mouvement pour sortir de sa cachette, s’approcher, voir…

Malheureusement, après un premier voyage, d’Albarandécida :

– Roulez les tonneaux jusqu’ici ; moi je les monteraiet les rangerai là-haut.

Et Pardaillan, pour ne pas trahir sa présence, dut demeurer à saplace, car les deux gentilshommes espagnols, ayant établi unva-et-vient de la cave à la grotte, il eût été infailliblementdécouvert s’il était sorti de son ombre.

Il en résulta que s’il continua à voir rouler les tonnelets,s’il ne perdit pas un mot de ce que disaient les deux noblesporte-faix improvisés, il ne vit plus ce qu’on faisait dans lapremière cave, et encore moins ce que faisait d’Albaran à l’étageau-dessus. Il ne put pas entendre ce qu’on disait là-haut.

Il n’y attacha pas autrement d’importance. Et cependant…

Les deux gentilshommes riaient et plaisantaient en roulant leursfûts. Ils bavardaient aussi… Et ce fut ainsi que Pardaillan appritce que faisait le colosse dans la cave supérieure. Ce fut ainsiqu’il apprit que cette idée qui lui était venue et qu’il avaitrepoussée parce qu’elle lui paraissait trop hideuse, était lavraie.

Il se dressa dans l’ombre, tout secoué par une de ces colèresfroides, terribles, qui, lorsqu’elles viennent à éclater, setraduisent par des gestes qui tuent.

« Une mine ! rugit-il dans son esprit. Ils sont entrain de miner la maison !… pour me faire sauter demainmatin !… Et c’est cela que Fausta a imaginé !… C’est celaque ces scélérats exécutent en riant… en imaginant d’avance« la tête que je ferai » demain matin, lorsque mon corpssera projeté dans l’espace et retombera déchiqueté, sanglant,calciné !… Oh ! les misérablessacripants ! »

Et hérissé, exorbité, flamboyant, prêt à bondir :

« Et si je les saisissais, ces lâches assassins, si je leurbroyais la tête contre ces murs… Si je sautais sur l’infernaleFausta et si je lui tordais le cou, ou si je l’écrasais du piedcomme un reptile venimeux qu’elle est… ne serais-je pas dans mondroit ?… »

Un instant, on eût pu croire qu’il allait mettre sa menace àexécution. Jamais les deux misérables qui portaient à eux deux,avec précaution, un tonneau dont ils venaient de brisermaladroitement le fond, jamais d’Albaran, à l’étage au-dessus, etFausta plus haut encore, ne furent si près de la mort qui agitaitses ailes funèbres au-dessus de leurs têtes.

Mais Pardaillan ne bondit pas. Il se calma, haussa les épauleset, grommelant des choses indistinctes, il se rencogna dans sontrou, reprit sa surveillance interrompue dans cet instant de colèrefolle.

Or, pendant cet instant, si court qu’il eût été, un incidents’était produit.

Oh ! en vérité, un incident bien insignifiant, bienmince ! mais qui lui échappa complètement. Et qui lui eûtéchappé aussi bien, même s’il avait eu son sang-froid, parce qu’ilétait trop loin pour voir et pour entendre.

Voici.

D’Albaran remonta dans la cuisine où Fausta attendait, roide surson escabeau, n’ayant pas fait un mouvement, plongée dans despensées sombres, à en juger par le nuage qui obscurcissait sonfront.

– Madame, dit-il, la mine est prête, le caveau est plein…Cependant il reste encore quelques tonnelets en bas. Faut-il lesfaire reporter dans la grotte ?

– Non pas, fit vivement Fausta. Et elle expliqua :

– Tu oublies, d’Albaran, que Pardaillan connaît l’existencede cette grotte. Il a découvert et fait sauter mes autres dépôts…Il doit avoir reçu mon mot, maintenant. Qui sait si ce mot ne luiremettra pas la grotte en mémoire ? Qui sait s’il n’y viendrapas aujourd’hui même, dans un instant ? Il ne faut pas luilaisser de poudre là-dedans.

– Alors, que faut-il en faire ? On ne peut pas leslaisser où ils sont, ces tonnelets.

– Je vais avec toi, dit Fausta qui se leva.

Ils descendirent. Il y avait en bas quatre tonnelets. Les deuxEspagnols apportaient à ce moment même celui qu’ils avaientdéfoncé.

– Combien en reste-t-il dans la grotte ? demandaFausta.

– Encore un, madame.

– Apportez-le, commanda Fausta. Les Espagnols retournèrentà la grotte.

Fausta alla au mur. Du côté même où se trouvait la porteinvisible par où elle était entrée avec d’Albaran. Seulement, àl’autre extrémité du mur, presque à l’angle. Elle appuya sur unressort. Une petite porte s’ouvrit, démasquant un petit caveau quin’avait pas d’autre issue apparente que celle qu’elle venaitd’ouvrir.

Le colosse rangea là-dedans les six tonnelets restants. Ce fut,pour lui, l’affaire d’une minute.

Fausta ferma la porte de ce caveau secret, dont Pardaillan neparaissait pas soupçonner l’existence et commanda :

– Va fermer la porte de la grotte.

D’Albaran, à qui s’adressait l’ordre, obéit. Il revintaussitôt.

Sur ses pas, dans l’ombre, Pardaillan suivait : il avaitcompris que, puisqu’il fermait la porte, c’est que leur besogneétait achevée, c’est qu’ils allaient remonter probablement. Et ilvoulait être là pour entendre et voir, si c’était possible. Ilarriva juste à point pour entendre Fausta qui, avec un soupir desoulagement qui en disait long sur l’appréhension secrète quil’avait tenaillée jusque-là, disait :

– Maintenant, Pardaillan peut venir fouiller la grotte s’ilveut !… Ferme cette porte, d’Albaran, et montons voir commenttu as arrangé la mine.

Et elle se dirigea vers l’escalier.

Nous avons dit que Pardaillan avait entendu. Il attenditquelques secondes et ouvrit. La cave était encore éclairée :il aperçut le dos du dernier des personnages qui montaientl’escalier. Il ferma vivement la porte, et à son tour il s’engageadoucement dans l’escalier. Il s’arrêta presque aussitôt :Fausta parlait. Et il entendit :

– C’est parfait ainsi.

Et tout de suite après, elle interrogea :

– Combien de temps la mèche durera-t-elle ?

– Cinq minutes environ, répondit d’Albaran.

– C’est toi qui dois l’allumer… Tu auras le temps de fuirjusqu’à la grotte ?

– Rassurez-vous, madame. J’aurai même le temps de sortir dela grotte… Vous pensez bien que je ne vais pas m’attarder enroute.

– Le moment serait mal choisi ! dit en riantl’officier.

Il y eut un silence. Fausta reprit, sur un ton decommandement :

– Remontons, messieurs. Je veux vous donner mes dernièresinstructions avant de partir… Pousse la porte de ce caveau,d’Albaran… on ne sait pas ce qui peut arriver.

Un nouveau silence. Un bruit de pas s’éloignant.

Pardaillan monta à son tour, mit le pied dans la cave. Malgrélui. Il loucha du côté des petits caveaux. Ils étaient fermés. Riende suspect ne permettait de supposer que l’un des caveaux recelaitdans ses flancs une quantité formidable de poudre et deballes : de quoi semer l’incendie, la dévastation et la mortdans tout un quartier… si, par bonheur, la maison minée ne s’étaittrouvée isolée, loin de toute autre habitation, entre cette place,où ne passaient peut-être pas dix personnes dans la journée et cechemin, plus solitaire encore, qui dévalait de l’autre côté de lamontagne. Il passa devant les caveaux et, si brave qu’il fût, ilressentit à la nuque une sensation qui ressemblait fort à unfrisson.

Il s’engagea dans le deuxième escalier. Il s’arrêta encore quandil entendit la voix de Fausta. Et Fausta disait :

– Messieurs, vous allez reprendre vos occupations de bravespaysans. Vous vous tiendrez dehors, toujours près de la place quevous surveillerez. Vous connaissez M. de Pardaillan. S’ilse présente, vous savez ce que vous devez lui répondre : lebasse-courier, votre maître, est absent et ne rentrera que demain.Vous, vous n’êtes que ses aides, vous ne savez rien… Surtout, pasde mystère. Ouvrez la porte, engagez le visiteur à entrer, avantqu’il vous le demande. Faites ainsi que je dis et vous verrez quetout ira bien… Ce soir, à la tombée de la nuit, vous fermerez tout,ainsi que faisait le maître de la maison… Demain matin, à lapremière heure, vous ouvrirez tout… Un peu avant dix heures dumatin, vous fermerez à double tour la porte du devant… Vouslaisserez la clef dans la serrure. Vous fermerez également celle dederrière dont vous emporterez la clef… À dix heures, vous partirez…votre mission sera terminée. Allez, messieurs…

– Oserais-je, madame, présenter une observation ?

– Parlez.

– M. de Pardaillan m’a vu, le jour de monarrivée… C’est lui qui m’a guidé jusqu’aux environs de l’Hôtel deVille. Je crains que, malgré ce déguisement…

– Il vous reconnaîtra, n’en doutez pas !…M. de Pardaillan est doué d’une mémoire prodigieuse… Ehbien, vous éviterez de vous montrer… C’est vous, marquis, vous queM. de Pardaillan ne connaît pas, qui lui répondrez… Oubien… Après tout, il n’est plus nécessaire que vous soyez deux…Vous resterez seul, marquis… Vous, comte, partez à l’instant,retournez à Paris, c’est ce qu’il y a de plus simple. Allez.

Un nouveau silence. Puis la voix de Fausta reprit :

– Nous n’avons plus rien à faire ici. Retournons àl’abbaye. Éclaire-moi, d’Albaran.

– Un instant, madame, je vous en prie, implora la voixaltérée de d’Albaran.

Encore un silence très bref. Fausta, sans doute, dévisageait sondogue. Et, avec une grande douceur :

– Qu’as-tu donc ?… Tu parais singulièrementagité ?…

– Je suis inquiet, madame !… Horriblementinquiet ! éclata le colosse.

– Voyons, parle… Dis-moi ce qui t’inquiète, mon fidèleserviteur, autorisa Fausta avec la même ineffable douceur.

– Eh bien, voilà, madame !… Vous passez la nuit aucouvent… Moi, je vous accompagne jusque chez l’abbesse,Mme de Beauvilliers, et je m’en vais, jeretourne à Paris… Demain matin, je reviens ici en passant par lacarrière de la fontaine du But… Vous, vous y venez par lesouterrain, amenant l’enfant et sa nourrice… Tout cela est trèsbien… M. de Pardaillan arrive, vous lui remettezl’enfant, qui s’en va avec sa nourrice… EtM. de Pardaillan reste avec vous… Ceci ne va plus !…Ceci me paraît tellement extraordinaire que je ne puis y croire… Ceque je crois, madame, c’est que lorsque vous lui aurez remisl’enfant, M. de Pardaillan s’en ira avec lui et vouséchappera.

– Pardaillan ne s’en ira pas après le départ de l’enfant.Il restera… Et c’est lui qui demandera à rester… Comment ?…C’est mon affaire…

Mais je t’affirme qu’il en sera ainsi : Pardaillan restera,non parce que je le lui demanderai, mais parce qu’il lui plaira derester.

Elle disait cela avec un accent de conviction tel que d’Albarans’inclina :

– Soit, M. de Pardaillan restera, puisque vous ledites !… Je continue madame. À onze heures moins quelquesminutes, vous partez. Vous retournez au couvent par le souterrain.Je comprends que ceci est nécessaire : vous êtes entrée aucouvent au su et au vu de tout le monde, vous y avez passé la nuit,vous voulez, vous devez en sortir également au su et au vu de toutle monde. C’est une précaution nécessaire, je le comprends… Vouspartez… Et M. de Pardaillan reste seul, enfermé dans lamaison… Ceci encore passe mon imagination…

– Il restera seul, après mon départ ! affirma Faustaavec la même force.

– J’admets encore ceci, et j’achève, madame : À onzeheures précises, pas une minute plus tôt, pas une minute plus tard,j’arrive, je mets le feu à la mine, je me sauve… et tout saute,tout flambe… Eh bien, madame, c’est ceci qui m’épouvante. Et sivous n’êtes pas partie ?… Si vous êtes encore avecM. de Pardaillan à ce moment ?… C’est donc moi quivous aurai tuée ?… Rien que de penser à cette chose affreuse,madame, je sens la folie envahir mon cerveau !…

– Tu te crées des craintes chimériques, mon pauvred’Albaran !… Je t’assure que je m’en irai à la minute que jeme suis fixée.

– Est-ce qu’on peut savoir !… Un incident, un rienimprévu peut vous retarder ! Une minute, une seconde, et celasuffit pour que l’irréparable s’accomplisse !

– Eh bien, je veux te tranquilliser autant qu’il sera enmon pouvoir. Écoute : je laisserai la porte du souterrainouverte derrière moi. Toi, tu viendras ici non plus à onze heures,mais à onze heures moins dix. Tu entends, onze heures moins dix. Tuentreras. Tu regarderas. Tu verras cette porte ouverte. Cela voudradire que je suis encore en haut, avec Pardaillan. Tu retourneras àla grotte et tu attendras dix minutes : Ces dix minutesécoulées, tu reviendras. Tu trouveras alors la porte fermée.

– Et si elle ne l’était pas ?

– Elle sera fermée, répéta Fausta sur un ton quiinterdisait toute discussion. Tu seras sûr alors que je suis partieà l’abri. Et tu pourras agir sans inquiétude pour moi, enpossession du sang-froid nécessaire pour accomplir une besogne oùtu risques ta vie, ne l’oublie pas. Es-tu plus tranquilleainsi ?

– Je serais bien plus tranquille si vous me permettiez devenir ici en même temps que vous. Et ce serait bien plussimple.

– Tu me l’as déjà dit. Et je t’ai répondu : j’aipromis à Pardaillan que je viendrais seule. Pour rien au monde, etquand même je devrais y perdre la vie, je ne voudrais manquer à unepromesse faite à Pardaillan… Les choses sont bien ainsi que je lesai arrangées. N’en parlons plus. Ceci était prononcé sur un ton quine souffrait aucune réplique.

– Que votre volonté soit faite, murmura le colosse.

– Partons, trancha Fausta.

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