La Fin de Fausta

Chapitre 6LA PRÉSENTATION

Cependant, aucun incident fâcheux ne se produisit. Pardaillan,par sa présence en ce lieu et en ce moment, avait simplement voulumontrer qu’il n’était pas mort et, en même temps, signifier àFausta que, plus que jamais, partout et toujours, elle allait letrouver sur son chemin. Et Fausta l’avait fort bien comprisainsi.

Il est certain qu’il n’entendait pas s’en tenir à cettemanifestation platonique. Il faut croire qu’elle lui suffisait pourl’instant car, après avoir montré qu’il était là et qu’il fallaitcompter avec lui, il s’effaça discrètement. Mais, tout en semettant à l’écart, il eut soin de se placer de manière à bien voiret à ne pas perdre une seule des paroles qui allaient êtreprononcées.

Rospignac et ses hommes, qui s’étaient glissés derrière lui,n’eurent donc plus l’occasion d’intervenir. Ils firent commelui : ils s’écartèrent. Mais ils ne le perdirent pas de vuepour cela et, pendant que Rospignac se rapprochait de son maître,les quatre autres continuèrent à le surveiller du coin de l’œil,sans que rien dans son attitude indiquât s’il s’était aperçu del’étroite surveillance qu’ils exerçaient sur lui.

Sur l’estrade, la régente, en grand habit de gala, couverte depierreries, avait un air de grandeur et de majesté qui la faisaitressembler à quelque déesse descendue de l’Olympe. Sous son airimposant, elle ne laissait pas que d’être un peu inquiète. Cetteinquiétude lui venait du roi, son fils. Nous avons dit qu’elles’était prise d’une amitié ardente pour Fausta qui l’avait éblouie,conquise. Elle craignait que l’accueil du roi, s’il s’en tenaitstrictement au cérémonial minutieusement réglé d’avance, ne parûtun peu froid à sa nouvelle amie.

Elle avait tort de s’inquiéter. La prodigieuse beauté de Faustaagissait déjà sur le roi qui, pourtant, toute sa vie, devait semontrer si chaste et si réservé avec les femmes, si différent encela de son glorieux père, le Vert-Galant. Sous son air denonchalante indifférence, il la dévorait du regard. Mais comme ilconnaissait déjà, à fond, l’art de se composer un visageimpénétrable, sur le masque qu’il s’était appliqué, rien neparaissait de ses impressions intimes. Et il avait soin de clignerdes yeux pour qu’on ne remarquât pas l’attention soutenue qu’ilaccordait à Fausta.

Cependant Fausta, Concini et Cardenas étaient venus s’arrêter aupied de l’estrade. Tous les trois, ils plongèrent dans de longueset savantes révérences. Et Concini, à demi courbé, de sa voixchantante, un peu zézayante, mais qui fut entendue d’un bout àl’autre de la vaste salle, prononça :

– J’ai l’insigne honneur de présenter à Vos Majestés SonAltesse la princesse souveraine d’Avila, duchesse de Sorrientès,envoyée extraordinaire de Sa Majesté catholique le roid’Espagne.

Après lui, Cardenas, l’ambassadeur ordinaire, redressé en uneattitude fière qui sentait bien son Espagnol, en français, sans lemoindre accent, prononça d’une voix forte :

– Sire, j’ai l’honneur de remettre à Votre Majesté leslettres patentes de mon très gracieux souverain, accréditant auprèsde votre royale personne, en qualité d’envoyée extraordinaire, SonAltesse Mme la duchesse de Sorrientès, iciprésente.

Les lettres furent remises non pas au roi, mais au chancelier,lequel, entouré de ses ministres, s’était porté au pied del’estrade en même temps qu’y arrivait l’ambassadrice. Après quoi,le roi, la régente et Fausta récitèrent gravement les paroles qu’ilavait été entendu que chacun d’eux débiterait.

La partie protocolaire de la cérémonie se trouva ainsi terminée.Avec elle finissait le rôle des illustres acteurs qui reprenaientpossession d’eux-mêmes. Le roi pouvait s’en tenir là. Et c’était ceque craignait sa mère. Mais le charme captivant de Fausta, ladouceur pénétrante de sa voix, qui enveloppait comme une caresse,avaient achevé la conquête commencée par sa prestigieuse beauté. Ilse leva, descendit de son estrade, se découvrit galamment et,s’inclinant avec une grâce que son extrême jeunesse faisaitparaître plus charmante encore, il lui prit la main qu’il effleurarespectueusement du bout des lèvres, en disant :

– Madame, il nous est particulièrement agréable que vousayez été choisie pour représenter notre bon frère d’Espagne près denotre personne. Prenez note, je vous prie, que c’est toujours avecle plus grand plaisir que nous vous verrons dans cette maisonroyale que nous vous prions de considérer comme la vôtre.

Ces dernières paroles produisirent une sensation énorme. Jamaisaccueil aussi flatteur n’avait été fait à aucun ambassadeur. Mariede Médicis n’aurait jamais osé espérer que son fils, d’humeurplutôt morose, d’abord plutôt froid, très réservé, comme le sont engénéral les timides, pousserait la gracieuseté jusqu’à prier sanouvelle amie de se considérer comme chez elle au Louvre. Aussi,elle se montrait plus radieuse que Fausta. Et en descendant del’estrade, elle remerciait son fils du regard et du sourire.

Fausta, elle, montrait ce calme immuable qui avait on ne saitquoi d’auguste et de formidable. Elle remercia, tout haut, elle, enadressant au roi un de ces compliments délicats comme elle seulesavait les tourner. Et sous ce compliment qui, passant par sabouche, prenait une valeur sans égale, le roi rougit de plaisir.C’est que Fausta, avec cette sûreté de coup d’œil qui était siremarquable chez elle, avait, pour ainsi dire, soupesé la valeurmorale de l’enfant royal. Et en le traitant comme un homme, etcomme un homme qui était le maître, chose à laquelle il n’était pasencore habitué, elle avait délicatement chatouillé sonamour-propre.

Aussi, le roi ne voulut pas être en reste avec elle. Et setournant vers sa mère, de son air le plus sérieux, sur un tond’autorité qu’on n’avait jamais entendu dans sa bouche et qui,peut-être, l’étonna lui-même tout le premier, ilcommanda :

– Quand vous écrirez à mon frère d’Espagne, ne manquez pas,madame, de lui dire combien je lui sais gré et combien je leremercie de nous avoir envoyé Mme la duchesse.

Et Marie de Médicis, qui ne cachait pas sa satisfaction,répondit :

– C’est là un ordre dont je m’acquitterai avec le plusgrand plaisir. Se tournant vers Fausta, le roi ajoutagalamment :

– Vous serez, madame, sans conteste, un des plus beauxornements de notre cour, qui nous paraîtra bien froide et bienmorne les jours où vous ne l’embellirez pas de votre radieuseprésence.

Fausta allait riposter par un nouveau compliment. Marie deMédicis ne lui en laissa pas le temps et elle renchérit :

– Ajoutez, Sire, que vous aurez en elle une amie sûre, d’undévouement à toute épreuve. Ce qui, par le temps qui court, n’estpas à dédaigner.

Après avoir prononcé ces paroles avec un accent de sincéritédont on ne pouvait douter, Marie de Médicis s’approcha de Faustaet, oublieuse de toute étiquette, comme une bonne bourgeoise, elleplaqua deux baisers affectueux sur ses deux joues. Après quoi, luiprenant familièrement le bras, elle l’entraîna doucement en luidisant, en italien :

– Venez, cara mia, que je vous présente toutes cesdames et tous ces seigneurs qui grillent d’envie de vous faireleurs compliments.

C’était vrai, ce qu’elle disait : toutes ces grandes dames,tous ces nobles seigneurs éprouvaient l’impérieux besoin de faireleur cour à cette duchesse de Sorrientès qu’on savait si riche,qu’on voyait si souverainement belle, qui entrait à la cour envéritable triomphatrice, et dont la faveur du premier coup,s’avérait éblouissante, telle que toutes les autres faveurspâlissaient devant celle-là.

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