La Fin de Fausta

Chapitre 34L’EXPLOSION

La demie de neuf heures venait de sonner au couvent desbénédictines de Montmartre…

Au fond des jardins du couvent, non loin du mur d’enceinte qui,de ce côté, traversait la petite place sur laquelle se voyaient lesruines du gibet, se dressait un petit pavillon, au milieu d’unjardinet particulier, entouré d’une haie. C’était dans ce pavillonque Fausta avait caché la petite Loïse, après l’avoir enlevée.C’était là, qu’en ce moment même, elle venait la chercher pour laconduire à la ferme minée la veille, et la rendre à Pardaillan.

Fausta franchit les trois marches du perron, ouvrit la porte etentra délibérément, comme chez elle. Dans la pièce où elle venaitd’entrer, elle ne vit pas celle qu’elle venait chercher. Ellesupposa que l’enfant, sous la garde de Perrine, jouait dans lejardin, sur le derrière de la maison. Sans contrariété, sansinquiétude, elle se retourna pour sortir et alla la chercher là oùelle pensait qu’elle était.

Elle se retourna et demeura clouée sur place, les yeux agrandispar une stupeur prodigieuse : Pardaillan, le chapeau à lamain, souriant de ce sourire aigu, singulièrement inquiétant qu’ilavait en de certaines circonstances, Pardaillan se dressait entrela porte et elle.

– Pardaillan ! murmura Fausta accablée.

– Moi-même ! sourit Pardaillan.

– Pardaillan !… Ici !… répéta Fausta, comme sielle ne pouvait en croire ses yeux.

– C’est ma présence ici qui vous étonne ? raillaPardaillan. Je vais vous expliquer, princesse : j’ai voulu, jevous devais bien cela, vous remercier comme il convient d’abord, etvous aviser ensuite qu’ayant repris l’enfant moi-même, vous voilàdélivrée du souci de me l’amener au lieu que vous m’aviezindiqué.

– Vous avez repris l’enfant ?…

– Mais oui, princesse. Et si cela doit vous rassurer,sachez qu’elle est maintenant à Saugis, près de son père et de samère qui sauront bien la garder, vous n’en doutez pas, n’est-cepas ?

Fausta, jusque-là submergée par l’étonnement, comprit qu’ilsavait tout, que tout le mal qu’elle s’était donné pour en finiravec lui devenait inutile, qu’il lui échappait encore, toujours… etque c’était elle qui, une fois de plus, se trouvait en son pouvoir,à sa merci. Ce dernier coup si imprévu, plus rude que tous lesautres, l’assomma. Pour la première fois peut-être, cette femme,toujours si forte, toujours si souverainement maîtressed’elle-même, perdit toute contenance. Et sentant ses jambes sedérober sous elle, elle se laissa tomber, accablée, sur unsiège.

– Eh ! quoi ! fit Pardaillan de sa voixrailleuse, se peut-il que ce que j’ai fait vous émeuve à cepoint ?… Diantre soit de moi, je croyais bien faire. Jepensais vous être agréable, et voici que je me suis grossièrementtrompé. Vous m’en voyez tout marri, princesse.

– Démon ! gronda Fausta.

– Eh ! j’y suis !… Ce qui vous désole c’est, sansdoute, de ne pouvoir me recevoir dans cette ferme où vous m’aviezdonné rendez-vous… Sans doute, vous aviez fait quelques préparatifspour me recevoir avec tous ces égards flatteurs dont vous n’avezcessé de m’accabler depuis que j’ai l’honneur d’être connu de vous…Oui, je le vois, c’est bien cela !… Corbleu ! il ne serapas dit que je vous aurai privée de ce plaisir ! Allons à laferme, princesse, allons !

Instantanément, Fausta fut debout. Et elle haleta :

– Quoi ! tu veux ?

– Pourquoi pas ? Rien ne me presse… Et puis, toutvieux routier que je suis, je n’ignore pas complètement les usages…Je sais me montrer galant envers les dames… Vous ne voulez pas quevos préparatifs soient perdus. Je trouve cela très naturel, et jem’en voudrais de ne pas vous accorder cette innocentesatisfaction.

Fausta jeta un rapide coup d’œil sur lui. Elle le vit trèssérieux.

– Partons, dit-elle.

– À vos ordres, princesse, dit Pardaillan en s’inclinantgalamment.

Avec une hâte qui trahissait l’appréhension qu’elle avait de levoir se raviser, elle prit les devants, descendit précipitamment àla cave, saisit un falot qui, assurément, avait été déposé là pourelle et se disposa à l’allumer.

– Laissez, fit Pardaillan en l’arrêtant, je vous dis que jesuis en veine de galanterie aujourd’hui. Et je ne souffrirai pasque vous preniez tant de peine pour moi.

Il alluma lui-même le falot et :

– J’aurai l’honneur de vous éclairer, dit-il. Montrez-moile chemin, princesse, je vous suis.

Il la suivit en effet, comme s’il n’avait pas connu le cheminaussi bien qu’elle. Il avait aux lèvres le même sourire inquiétantqu’il y avait quand il l’avait reçue, là-haut. Et il ne la perdaitpas de vue.

Elle, elle marchait devant lui, vivement, et ellesongeait :

« Orgueil ! cet homme n’est qu’orgueil !… C’estpar orgueil qu’il a refusé le trône que je lui ai offert àdifférentes reprises !… Par orgueil qu’il a refusé lessituations honorables que des rois reconnaissants lui ont offertes.Par orgueil qu’il est demeuré un aventurier, un routier sans feu nilieu, sans sou ni maille !… C’est l’orgueil qui l’a guidé savie durant, et c’est l’orgueil qui aura causé sa perte… enl’amenant à m’offrir de me suivre jusque dans cette ferme où ilsait cependant que la mort l’attend !… »

Elle arriva à la porte secrète qui donnait accès aux caves de laferme. Elle ouvrit et s’effaça pour laisser passer Pardaillan.Celui-ci comprit à merveille que ce n’était pas là une simplepolitesse, mais qu’elle voulait laisser la porte ouverte derrièreelle, ainsi qu’elle l’avait promis à d’Albaran. Il ne fit pasd’objection. Il passa, alla droit à l’escalier, sur la premièremarche duquel il mit le pied, comme pour la rassurer. Elle vint àlui, laissant en effet la porte ouverte derrière elle.

À son tour, il s’effaça pour la laisser monter. Et il déposa lefalot sur la première marche en disant avec un naturelparfait :

– Je laisse cette lumière ici, ainsi que je suppose quevous n’auriez pas manqué de faire si vous étiez venue seule ici,pendant que j’aurais attendu sur la place…

Il fit une pause et, voyant qu’elle ne protestait pas, il ajoutad’un air détaché :

– Au reste, l’escalier sera suffisamment éclairé ainsi.

Elle monta, sans inquiétude aucune, sûre qu’il suivrait. Et, eneffet, il suivit. Ils entrèrent dans la cuisine. Fausta allas’asseoir sur un escabeau. Pardaillan ferma la porte de la cave àdouble tour et mit la clef dans sa poche. Il alla à la porte quidonnait sur la place, s’assura qu’elle était bien fermée, prit laclef qui était dans la serrure et la mit également dans sa poche.Puis il alla aux fenêtres munies de solides barreaux à l’extérieuret rabattit les volets de bois plein qui les fermaient àl’intérieur. Ils se trouvèrent dans une demi-obscurité. Il allumales deux falots qui se trouvaient sur la table, à côté deFausta.

Il avait accompli tous ces gestes avec un calme étrange, sansdesserrer les lèvres. Fausta l’avait regardé faire sans dire unmot, sans esquisser un geste. Alors, quand il eut achevé cetteespèce de mise en scène inquiétante, Pardaillan se fit de glace.Et, sans plus tarder, il fit connaître ses intentions.

– Inutile de vous dire, fit-il, que je sais très bien cequi m’attend ici… Invisible pour vous, j’étais là hier ; j’aitout vu, tout entendu… Je suis ici exactement dans la situation oùvous vouliez me tenir… avec cette différence qu’il ne tient qu’àmoi de renverser les rôles et de m’en aller, vous laissant enferméeici.

Malgré elle, Fausta tressaillit. Malgré elle, elle jeta un coupd’œil inquiet sur la physionomie glaciale de Pardaillan quidit :

– Rassurez-vous, madame, telle n’est pas mon intention.Fausta respira plus librement. Pardaillan reprit :

– Sachant ce que je sais, ayant repris moi-même l’innocentecréature, dont vous vous serviez pour m’attirer dans un piègemortel, ce qui est assez odieux, soit dit en passant, vousconviendrez qu’il m’eût été on ne peut plus facile de ne pas meprésenter ici.

– Qui vous a retenu ? demanda Fausta attentive.

– Ceci, madame : je suis vieux et las… terriblementlas !… À présent que j’ai assuré aux quelques êtres quej’aime, seuls au monde, une petite fortune qui leur assurera, sinonle bonheur, du moins une honnête aisance qui y ressemble beaucoup…À présent que j’ai renversé tous vos projets, ruiné toutes vosespérances, que je vous ai acculée à une fuite qui, seule, peutsauver cette tête que vous sentez vaciller sur vos épaules, je n’aiplus rien à faire ici-bas. Je peux partir. Mourir de la mort quevous m’avez choisie ou autrement, je vous assure que cela m’esttout à fait égal. Je mourrai donc ici comme vous l’avez décidé, età l’heure que vous avez fixée. Seulement, j’ai mis dans ma tête quevous partiriez avec moi.

– Moi ! s’écria Fausta en se dressant toutedroite.

– Vous, madame, répondit froidement Pardaillan avecl’accent des résolutions irrévocables. Vous resterez ici avec moijusqu’à ce que votre serviteur, d’Albaran, nous fasse sauter tousles deux ensemble. Maintenant, madame, parlez, implorez, rugissez,menacez, ou taisez-vous, pleurez, priez et vous repentez, sitoutefois vous êtes encore accessible au repentir, rien de ce quevous pourrez dire ou faire ne pourra plus me faire revenir sur ceque j’ai décidé… Rien, ni personne au monde ne pourra vous tirer delà… Et vous n’obtiendrez plus un mot de moi jusqu’au moment que jeme suis fixé à moi-même.

Et Pardaillan se mit à marcher de long en large, en sifflotantune fanfare.

Depuis qu’elle était partie du couvent pour ramener Pardaillandans cette pièce, juste au-dessus de ces tonneaux de poudre quidevaient exploser à heure fixe, Fausta avait envisagé toutes lespossibilités. Toutes, hormis que Pardaillan pouvait avoir imaginécette chose qui lui paraissait horrible, impossible :l’entraîner avec lui dans la mort. Elle fut atterrée :

– C’est impossible ! s’écria-t-elle. Vous ne ferez pascette chose affreuse, vous, l’homme le plus généreux que la terreait porté.

Pardaillan, fidèle à sa promesse, ne répondit pas. Elle leconnaissait bien, elle savait qu’il garderait le silence jusqu’à cemoment qu’il s’était fixé, avait-il dit. Elle comprit alors ques’il tenait parole pour ce point sans importance, il tiendraitencore plus inexorablement parole pour le reste. Elle se vitirrémissiblement perdue. Elle était femme malgré tout, elle eut unmoment de défaillance.

Ce fut bref, d’ailleurs. Avec cette force de volonté siextraordinaire chez elle, elle se ressaisit vite, prit bravementparti de son effroyable mésaventure.

– Soit, dit-elle, avec ce calme souverain revenu et quePardaillan admira sans en avoir l’air, la mort ne me fait pas peurnon plus… Et puis, moi aussi, je suis lasse, tous mes rêves briséset brisés par vous, plus rien ne me retient en ce monde maudit.Nous mourrons ensemble, Pardaillan. C’est plus que je n’aurais oséespérer.

Pardaillan ne desserra pas les dents. On aurait pu croire qu’iln’avait pas entendu, tant il montrait d’impassibilité. Il continuad’aller et de venir d’un pas égal, en sifflotant. Elle se tut.

Un silence lourd, angoissant, que troublait seul le bruit rythméde ses talons martelant les dalles de la pièce, pesa sur eux. Etcela dura de longues, de très longues minutes… ou du moins desminutes qui lui parurent mortellement longues, à elle.

Car – et c’était peut-être ce que Pardaillan, qui la guignait ducoin de l’œil, avait escompté – le silence obstiné de cet homme,cette marche ininterrompue, ce sifflement monotone, la lueurfalote, livide, de ces deux lanternes, qui donnait aux choses unaspect fantastique, menaçant, et par là-dessus la pensée que sousces dalles que cet homme talonnait ainsi, avec cette suprêmeindifférence, se trouvait un volcan, qui pouvait faire éruption àtout instant, broyer, pulvériser tout, choses et gens, tout celaréuni finit par exaspérer ses nerfs tendus à en craquer. Et siforte qu’elle fût, elle ne put y tenir plus longtemps.

– Écoutez, il faut que je parle, dit-elle d’une voixméconnaissable. Vous ne répondrez pas, si vous voulez, mais moi, ilfaut que j’entende une voix humaine. Et je parlerai… Je vous dirai…Tenez, Pardaillan, je vais me confesser à vous… Uneconfession ?… Oui. N’est-elle pas tout indiquée, obligée même,puisque je touche à mon heure suprême et que je suis croyante,moi ?

Et elle parla en effet. Elle raconta des épisodes prodigieux deson existence prodigieusement mouvementée et que Pardaillan écoutaavec un intérêt extraordinaire sous son indifférence affectée. Elleparla longtemps, sans arrêt, avec, c’était certain, la plusentière, la plus absolue franchise. Et il ne pouvait en êtreautrement, puisque, elle l’avait dit elle-même, c’était une« confession ».

Mais si merveilleusement intéressé qu’il fût, Pardaillann’oubliait aucun des détails qu’il avait réglés d’avance. Ill’interrompit brusquement pour dire :

– C’est l’heure !… Onze heures moins dix,madame ! En ce moment même, votre fidèle d’Albaran, qui saitqu’il ne doit agir ni une minute trop tôt ni une minute trop tard,exécute ponctuellement vos ordres : il entre, regarde, voit laporte du souterrain ouverte et se retire dans la grotte où ilattendra dix minutes. Il faut nécessairement qu’il trouve cetteporte fermée quand il reviendra, sans quoi, il n’oserait peut-êtrepas mettre le feu aux poudres. Je vais la fermer. Vous convient-ilde m’accompagner ?

– Allons, dit Fausta, qui se leva aussitôt.

Pardaillan sourit. Et ce sourire, qu’elle vit, disait siclairement : « Perdez tout espoir de m’échapper »qu’elle détourna la tête comme honteuse d’avoir ainsi laissédeviner sa secrète pensée. Ils descendirent. Pardaillan fermalui-même la porte secrète et la reconduisit jusqu’àl’escalier : car il l’avait saisie par le bras et ne l’avaitplus lâchée.

Or, pendant qu’elle montait, Pardaillan jetait un coup d’œilrapide sur la porte secrète de ce caveau où Fausta avait faitranger les tonneaux de poudre, qui n’avaient pu trouver place dansle caveau de l’étage au-dessus. Pardaillan connaissait-il doncl’existence de ce caveau, et qu’il contenait de la poudre ? Àla lueur qui pétillait dans son regard à ce moment, nous croyonspouvoir répondre :

– Oui. Sans doute avait-il pris ses précautions là commeplus haut ? Qui sait ?

Ils revinrent dans la cuisine. Pardaillan ferma de nouveau àclef la porte de la cave et reprit sa promenade si agaçante pourFausta. Celle-ci reprit sa place sur un escabeau.

Des minutes effroyablement longues passèrent. Si forte, sibrave, et si résignée à sa fin qu’elle fût, Fausta sentait unesueur froide pointer à la racine de ses cheveux. Elle n’avait paspeur de la mort pourtant. Fausta qui eût marché sans hésitationcomme sans crainte à la poudre, qui y eût bravement mis le feu,sachant pertinemment qu’elle sauterait la première, Fausta nepouvait supporter cette affolante attente sans un frémissementd’angoisse. Et cela se comprend en somme. Aussi, ces dix minutesqui la séparaient de l’instant fatal où elle serait projetée dansl’espace pour retomber brisée, déchiquetée, réduite à l’état debouillie sanglante, ces dix minutes lui parurent cent fois, millefois plus longues, que l’heure presque entière qui venait des’écouler et qui lui avait paru longue comme une éternité.

Et, tout à coup, une cloche, non loin de là, laissa tomber uncoup. Fausta se dit que les dix autres coups allaient suivre et quece serait fini, tout sauterait, flamberait peut-être avant que lesonze coups eussent tinté. Elle sentit que Pardaillan l’observait.Elle se raidit et, la longue habitude aidant, elle réussit àmontrer un visage impassible. Seuls, les yeux démesurément ouverts– parce qu’elle craignait d’avoir la faiblesse de les fermer –trahissaient son émotion.

Un coup tomba. Mais les autres ne tombèrent pas. Et l’explosionne se produisit pas.

Elle attendit encore un peu. Rien ne se produisait, ni ici, nilà-bas. Alors seulement, elle entrevit la vérité. Elle abattitlentement le bras sur la table et emportée malgré elle :

– Mais… c’est… c’est…

– C’est le quart d’onze heures qui vient de sonner, oui,madame, interrompit Pardaillan. Les onze heures ont pareillementsonné. Seulement vous étiez trop… absorbée, et vous ne les avez pasentendus.

– Mais alors ?… Que signifie ?… d’Albaran ?…Pardaillan prit un des falots et prononça :

– Venez, madame, vous allez comprendre.

Ils descendirent. Tout de suite, Pardaillan lui montra la portedu caveau miné, grande ouverte. Ils s’approchèrent. Pardaillanbaissa son falot, montra qu’il n’y avait plus de mèche.

– Votre d’Albaran, dit-il, est venu et a allumé la mèche…vous voyez qu’il n’en reste plus vestige… Seulement, regardez…

D’un coup de pied, il renversa les tonneaux rangés en pyramide.Ils tombèrent, s’éparpillèrent.

– Vides ! s’exclama Fausta.

– J’ai pris la peine de les vider et de noyer la poudrehier, après votre départ, expliqua Pardaillan.

Maintenant, Fausta était redevenue tout à fait maîtressed’elle-même. Le calme extraordinaire qu’elle montrait n’avait riend’affecté.

– Alors, là-haut, pourquoi m’avoir dit que j’allais fairele saut avec vous ? dit-elle.

– Parce que j’ai voulu que vous vous rendiez compte parvous-même des abominables minutes que l’on vit lorsque l’on se saitcondamné et que l’on attend la mort. Maintenant que vous le savez,pour y avoir passé vous-même, j’espère que vous n’infligerez plus àd’autres ce supplice que vous vouliez m’infliger à moi.

– Et maintenant, qu’allez-vous faire de moi ?

Fausta demandait cela avec une étrange douceur. Peut-êtreavait-elle deviné l’intention réelle de Pardaillan. Peut-êtrecomprenait-elle que ce n’était pas le moment de l’exaspérer par uneinutile bravade.

– Rien, madame, répondit Pardaillan d’une voixglaciale.

Et, redressé, l’œil étincelant, l’écrasant de toute sachevaleresque générosité :

– Allez, madame, je vous fais grâce.

– Vous me faites grâce ? s’écria Fausta, sans qu’onpût savoir si elle s’émerveillait de tant de magnanimité, ou sielle se soulevait contre ce mot de grâce qui la cinglait comme uncoup de fouet.

– Oui, madame, reprit Pardaillan, je vous fais grâce. Jeveux, si vous vivez, que vous vous disiez : « À chacunede nos rencontres, j’ai voulu bassement, traîtreusement, meurtrirle chevalier de Pardaillan. Et, chaque fois, lui, il a dédaigné deme frapper, alors qu’il me tenait à sa merci. » Cette fois,comme les précédentes, je vous fais grâce. Allez, madame.

Et Pardaillan, le bras tendu, lui montrait la porte dans ungeste de si flamboyante autorité, de si écrasant dédain, queFausta, vaincue, courba la tête, sortit lentement, sans oserrépondre un mot.

En bas, Fausta saisit le falot que Pardaillan avait laissé surla première marche de l’escalier. Sur cet escalier, elle jeta uncoup d’œil furtif, comme si elle avait craint que, d’en haut,Pardaillan ne fût en train de l’épier. Et elle bondit.

Elle bondit sur la porte secrète du caveau qu’elle ouvrit etferma derrière elle. Elle sauta sur le mur du fond de ce caveausans issue apparente. Et une deuxième porte invisible s’ouvrit,démasquant l’entrée d’un étroit couloir. Elle posa là sa lanterneet bondit sur les tonneaux.

On se souvient qu’un de ces tonneaux avait été défoncéaccidentellement. Elle plongea les mains dedans. Et elle eut ungrondement de tigre.

– De la poudre !… en bon état !… Pardaillan, tun’as pas passé par là !… Ah ! Pardaillan, tu me faisgrâce !… Eh bien moi, je ne te fais pas grâce !… Quand jedevrais y rester moi-même !…

Tout en grondant ainsi, elle s’activait fiévreusement. Elleavait saisi le tonneau, l’avait renversé. La poudre s’étaitrépandue en tas. Dans ce tas, elle puisa à pleines mains, fit unetraînée qui allait jusqu’à cette porte qu’elle venait d’ouvrir.Elle prit la lumière du falot et la laissa tomber sur cette poudre.La poudre crépita. Ce fut comme un long serpent de feu qui se mit àcourir vers l’autre extrémité, où se trouvaient le gros tas depoudre et les cinq tonneaux pleins.

Fausta n’avait pas attendu. En même temps qu’elle laissaittomber la lumière, elle était partie à toutes jambes, s’étaitlancée dans le noir…

En haut, Pardaillan l’avait suivie un instant du regard. Ilrêvait. Il songeait ceci :

« Que va-t-elle faire ?… Va-t-elle entrer dans cecaveau où se trouve cette poudre que je n’ai pas vouludétruire ?… Va-t-elle y mettre le feu, à cette poudre ?…Elle sait bien qu’elle risque sa peau autant que moi. Et si elle ymet le feu, si elle saute la première, est-ce moi qui l’auraituée ?… Non, tout à l’heure encore je l’ai avertie endisant : si vous vivez… une femme comme elle comprend àdemi-mot. C’est elle-même, et non moi, qui va décider de son sort…Si elle meurt, elle se sera tuée elle-même et je puis dire en touteassurance pour ma conscience que je n’y suis pour rien. »

Et Pardaillan, ayant fait ces réflexions qui passèrent dans sonesprit avec cette rapidité prodigieuse de la pensée, descendit àson tour. En passant, il jeta un coup d’œil sur les deux portesinvisibles situées à quelques pas l’une de l’autre, comme pourdeviner laquelle des deux Fausta avait ouverte, et il passa de sonpas ferme, très calme, comme s’il avait vraiment ignoré que la mortétait penchée sur lui. Il passa, ouvrit la porte et la fermaderrière lui.

Presque aussitôt après, ce fut comme un formidable coup detonnerre… Le sol trembla, les murs craquèrent. Puis un pétillement,un crépitement, une énorme colonne de feu. Et tout flamba, toutsauta, tout croula.

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