La Fin de Fausta

Chapitre 12LA SORTIE DU LOUVRE

Dans l’antichambre qu’ils traversèrent, Pardaillan et Valvertaperçurent Louvignac et Roquetaille, que Concini avait envoyés làpour les surveiller et qui se dissimulaient mal, il faut croire,puisqu’ils avaient tout de suite été découverts.

– Ils sont là pour nous, glissa Valvert à l’oreille dePardaillan.

– Parbleu ! répondit celui-ci avec un sourireaigu.

Ils passèrent. Les deux ordinaires se coulèrent derrière eux.Ils allaient sans se presser, le poing sur la garde de l’épée,l’œil et l’oreille au guet. Ils se tenaient prêts à tout. De sonair calme, Valvert demanda :

– Pensez-vous vraiment que Concini osera nous faire chargerau Louvre même ?

– À dire vrai, je ne le crois pas. Je n’en jurerais pascependant. Cet Italien a toutes les audaces. Et puis, sans nousfaire charger, il peut nous faire arrêter.

– Mais le roi, avec qui vous paraissez être au mieux, et jevous en fais mon sincère compliment, monsieur, le roi ne permettrapas qu’on nous arrête.

– Pensez-vous qu’il ira demander la permission auroi ! fit Pardaillan en levant les épaules.

– Mais, monsieur, il me semble que, sans un ordre du roi,aucun officier ne lui obéira.

– D’où sortez-vous donc ? Vous ne savez pas qu’onobéit mieux au signor Concini qu’au roi lui-même ?

– Cependant, tout à l’heure…

– Oui, devant le roi et quand le roi parle. Mais en dehorsde cela, est-ce qu’on sait jamais ? On obéira à l’ordre deConcini, s’il lui a plu d’ordonner notre arrestation. N’en doutezpas.

– Et vous vous laisserez arrêter, monsieur ?

– Je n’en sais rien. La raison voudrait que nous nefissions pas de résistance : nous laisser appréhender, faireaviser le roi de notre arrestation, ce qu’aucun gentilhomme nerefusera de nous accorder, et le laisser faire : comme il aabsolument besoin de nous, il saura bien nous faire remettre enliberté. Voilà ce qu’il serait raisonnable de faire.

– Nous nous laisserons donc arrêter.

– Je ne dis pas cela. Malgré qu’il ait neigé sur ma tête,il m’arrive encore assez souvent de me boucher les oreilles, quandla voix de la raison parle un peu trop haut en moi. Et puis, j’aimeassez faire mes affaires moi-même. C’est une habitude déjà fortancienne, dont je me suis toujours bien trouvé.

– Nous résisterons, alors. Tant mieux,ventrebleu !

– Je ne dis pas cela, non plus. Diantre soit de vous, vouscourez d’un extrême à l’autre.

– Mais alors, que ferons-nous, monsieur ? Il faudraitsavoir pourtant.

– Nous agirons selon les circonstances, voilà tout. C’estencore une vieille habitude à moi, dont je n’ai pas eu trop à meplaindre jusqu’à ce jour.

– Alors laissons venir les événements.

– C’est ce que nous avons de mieux à faire.

Tout en devisant de la sorte avec un calme, une présenced’esprit vraiment admirables dans leur situation, ils étaientparvenus à la grande porte qu’ils franchirent sans difficulté. Maissitôt la porte franchie, ils s’arrêtèrent, cloués sur place par lastupeur. Que se passait-il ? Voici :

Dans la rue, face à la porte, sur deux rangs, cinquante gardes,à cheval, se tenaient immobiles, raides sur les selles, pareils àdes statues équestres. En avant de ces hommes, seul, le capitainedes gardes, en personne, Vitry, le poing sur la hanche. Cetescadron formidable paraissait barrer la route. Et le pis est queVitry et ses hommes semblaient être postés là pour eux, car, dèsque le capitaine les eût aperçus, il lança un commandement bref. Età ce commandement, toutes les épées, avec un ensemble et uneprécision remarquables, jaillirent des fourreaux et, sous le clairsoleil, étincelèrent de mille feux.

Tel était le spectacle qui venait de clouer sur place Pardaillanet Valvert. Pardaillan fit entendre un long sifflement par quoi setraduisait son admiration. Et raillant :

– Une demi-compagnie de gardes, Vitry en personne, pournous arrêter ! Peste, nous ne pouvons pas dire que Concini nenous traite pas avec honneur !

– Que faisons-nous, monsieur ? demanda Valvert de sonair tranquille. Je vous préviens que la main me démangefurieusement.

– Minute, donc ! Vous êtes bien pressé de vous faireétriper !

– Avant de me faire étriper, j’espère bien en découdrequelques-uns !

Pardaillan réprima un sourire de contentement. Et, se hérissanttout à coup, de sa voix claironnante, il interpella :

– Holà ! monsieur de Vitry, nous arrêtons donc nosamis ? Vitry n’entendit pas. À cet instant précis, il tournaitla tête vers ses hommes et, de sa voix de commandement,lançait :

– Présentez les armes !

– Et, tandis que Vitry mettait le chapeau à la main et secourbait sur l’encolure de son cheval, les gardes saluaient del’épée, comme d’autres gardes là-haut, dans la salle du trône,avaient salué de leurs piques.

Ces honneurs militaires qu’on leur rendait, au moment même oùils s’attendaient à être arrêtés, leur causèrent un telsaisissement qu’ils furent un instant avant de se remettre, n’enpouvant croire leurs yeux. Ils se remirent vite pourtant et, sedécouvrant tous les deux dans un même geste large, ils rendirentleur politesse au capitaine et à ses soldats.

Son chapeau à la main, Vitry fit faire deux pas à son cheval ets’approcha de Pardaillan qui, le regard pétillant, le regardaitvenir. Et s’inclinant, la bouche fendue jusqu’aux oreilles par unlarge sourire, de son air le plus gracieux :

– Monsieur de Pardaillan, dit-il, le roi m’a donné l’ordrede vous faire rendre les honneurs et de vous escorter, vous etvotre compagnie, jusqu’à votre logis. Je me mets donc à vosordres.

– Monsieur de Vitry, répondit Pardaillan en rendant salutpour salut, sourire pour sourire, vous voudrez bien, je l’espère,dire à Sa Majesté combien je la remercie, et de tout mon cœur, del’insigne honneur qu’elle veut bien me faire.

– Je n’y manquerai pas, monsieur, promit Vitry.

– Je vous rends mille grâces de votre obligeance, remerciasérieusement Pardaillan.

Et avec son sourire railleur :

– Quant au reste, vous pouvez considérer votre missioncomme terminée : ma compagnie et moi, nous sommes de troppetits personnages pour avoir l’outrecuidance d’accepter l’escorteroyale que vous voulez bien nous offrir.

– Ce n’est pas moi qui vous offre cette escorte royale,mais bien le roi. Ce qui n’est pas du tout la même chose. Moi,j’obéis en soldat, à un ordre reçu. C’est tout. Or, le roi m’aordonné de vous escorter jusqu’à votre logis. Je dois obéir.

Il avait l’air de ne pas vouloir en démordre, le dignecapitaine. Cette insistance ramena dans l’esprit de Pardaillan lessoupçons qui venaient de s’envoler. Et il gronda :

– Dites donc plutôt que vous êtes chargé de m’arrêter.Vitry vit qu’il se fâchait. Tout ahuri, il protesta :

– Sur mon honneur, monsieur, il n’est pas questiond’arrestation. Pardaillan le vit très sincère. Il s’apaisasur-le-champ. Et, de son air froid :

– Eh bien, monsieur, puisque vous êtes à mes ordres… Carvous avez bien dit, n’est-ce pas, que vous vous mettiez à mesordres ?

– Je l’ai dit et je le répète.

– Eh bien donc, voici l’ordre que je vous donne.

– Ah ! monsieur, interrompit vivement Vitry, quidevinait bien ce qu’il allait dire, voici un ordre que vous nedonnerez certainement pas.

– Et pourquoi donc, monsieur ? fit Pardaillan denouveau hérissé.

– Pour deux raisons que je vais vous donner, et qui nemanqueront pas de vous convaincre : premièrement, parce quevous réfléchirez que ce serait faire injure au roi, qui a vouluvous faire honneur comme si vous étiez un autre roi vous-même. Etje sais, monsieur de Pardaillan, que vous n’êtes pas homme àrépondre à une politesse par une inconvenance.

– Diable ! Voilà, en effet, une raison qui me paraîtsi péremptoire que je crois bien que vous pouvez vous dispenser deme sortir votre deuxième raison, monsieur de Vitry.

– Parbleu ! j’en étais bien sûr, s’écria Vitry. Et, enriant :

– Mais je ne vous tiens pas quitte. Il faut absolument queje vous la sorte, ma deuxième raison, sans quoi je sens qu’elle vam’étouffer.

– Sortez-la, monsieur, sortez-la, répliqua Pardaillan, enriant lui aussi, je serais vraiment fâché d’avoir votre mort à mereprocher. Voyons donc votre secondement.

– Mon secondement est que vous me priveriez du plaisird’accomplir une mission, que je tiens pour une des plus honorablesque j’aie accomplies de ma vie de soldat.

En faisant ce compliment, Vitry saluait galamment. Ce quevoyant, Pardaillan rendit le salut d’abord et complimenta à sontour :

– Monsieur de Vitry, il y a beau temps que j’ai eul’occasion de constater et de vous dire que vous êtes un galanthomme. Je me contente donc, pour l’instant, de vous dire que nousnous tenons pour très honorés d’aller en votre compagnie.

Vitry fit un signe. Deux de ses hommes mirent pied à terre etamenèrent leurs montures à Pardaillan et à Valvert, qui sautèrenten selle. Alors seulement, Pardaillan présenta son jeune compagnon.Valvert et Vitry échangèrent les compliments d’usage, ensuite dequoi les deux compagnons se placèrent aux côtés du capitaine et,prenant la tête de la troupe, partirent au pas de leurs montures,dans la direction de la rue Saint-Honoré.

Sans être liés d’amitié, Pardaillan et Vitry se connaissaient delongue date. Laissant de côté le ton cérémonieux qu’ils avaientgardé jusque-là, ils s’entretinrent familièrement, comme devieilles connaissances, pendant que Valvert, repris par cettepuérile timidité qui, chez lui, ne disparaissait que dans l’actionviolente, se contentait, le plus souvent, d’écouter.

Mais, tout en s’entretenant avec Vitry, Pardaillan se retournaitfréquemment, se dressait sur les étriers et, passant par-dessus latête des hommes de l’escorte, son regard perçant fouillait la ruederrière lui. Ce fut ainsi qu’il découvrit, à une distancerespectueuse, plusieurs groupes espacés, dont les allures louchesqui perçaient, malgré les airs de flâneurs qu’ils s’efforçaient dese donner, amenèrent un sourire railleur sur ses lèvres. C’étaientStocco et ses vingt chenapans qui suivaient ainsi les gardes.

Stocco, de loin, avait vu sortir Pardaillan et Valvert. Il lesavait vus s’entretenir avec Vitry, monter à cheval et partir à latête de cette imposante escorte. Ceci n’avait pas été sans luicauser une fâcheuse impression. La présence des gardes qu’il neparvenait pas s’expliquer ne laissait pas que de l’inquiéter et dele déconcerter. Néanmoins, obéissant passivement aux ordres reçus,il suivait, comme si de rien n’était, sachant très bien qu’iltrouverait, au bout de la rue, Concini qui donnerait sesordres.

– Que dites-vous de ces honnêtes flâneurs qui suiventlà-bas ? demanda Pardaillan à Valvert.

Il demandait cela de son air détaché. Mais sa voix avait desvibrations que Valvert connaissait bien et qui attirèrent aussitôtson attention. Il se retourna à son tour et, après avoir considéréles groupes d’un coup d’œil qui paraissait avoir hérité de larapidité et de la sûreté de celui de Pardaillan, ilsourit :

– Je dis, monsieur, qu’ils sentent furieusement la corde etla potence, que c’est à nous qu’ils en veulent et que notre suiteparaît les offusquer outrageusement.

– Si je ne me trompe, répliqua Pardaillan en approuvant dela tête, nous allons en trouver d’autres, au coin de la rueSaint-Honoré, que notre suite offusquera plus outrageusementencore. Concini, qui est déjà averti, n’en doutez pas, doit êtrefou de rage, à l’idée de voir avorter piteusement un guet-apens sibien préparé.

– Le fait est qu’il joue de malheur avec nous.

Pardaillan ne se trompait pas : Concini savait déjà que soncoup était manqué. Roquetaille et Louvignac avaient suiviPardaillan et Valvert jusque dans la rue, ils avaient entendu lesparoles échangées entre le chevalier et le capitaine des gardes et,profitant de l’instant où Valvert et Vitry, que Pardaillan venaitde présenter l’un à l’autre, échangeaient force salutations etcompliments, ils avaient pris leurs jambes à leur cou et étaientaccourus l’avertir de ce qui se passait.

En apprenant cette nouvelle, Concini, qui était déjà dans unétat de fureur indicible, avait failli en étrangler de rage. S’ils’était agi d’une escorte ordinaire, nul doute que, se sentant enforce, il n’eût pas hésité à tenter l’aventure quand même. Mais lesgardes du roi, c’était une autre affaire ! Eussent-ils été dixfois moins nombreux que, tout grand favori et tout-puissant qu’ilétait, il ne pouvait, par une violence pareille, bafouer ainsi,publiquement, l’autorité royale. S’il s’était agi d’une missionordinaire, il aurait encore pu, abusant de ses titres et de safaveur, essayer d’intimider le commandant de l’escorte, lui imposerson autorité, se substituer à lui et lui faire faire ce qu’ilvoulait.

Cette manœuvre audacieuse, en l’occurrence, ne pouvait avoiraucune chance de succès : Vitry exécutait un ordre donné parle roi lui-même, il était clair que nulle pression n’aurait deprise sur lui, que ni prières, ni menaces ne l’empêcheraientd’accomplir jusqu’au bout sa mission. Or, sa mission étaitd’escorter Pardaillan et Valvert jusqu’à leur logis, et de ne lesquitter qu’à la porte de ce logis et après s’être assuré qu’ils yétaient entrés sains et saufs.

Dans un éclair de lucidité, Concini comprit cela. Et il eutassez d’empire sur lui-même pour renoncer à un coup de folie qui,même pour lui, pouvait avoir des suites très graves. Et il fitsigne à ses hommes de se tenir cois, de s’écarter, de laisserpasser les gardes et ceux qu’ils escortaient, lesquels n’étaientplus qu’à quelques pas.

Pardaillan et Valvert passèrent, sans être inquiétés, au milieudes estafiers qui avaient été apostés là pour les meurtrir et qui,refoulant la fureur que leur causait cette cruelle déception,rongeant leur honte, durent s’effacer le long des maisons, céder lehaut du pavé aux gens du roi. Ils passèrent devant Concini, dont lemasque convulsé par la haine et la rage de l’impuissance étaiteffrayant à voir.

Pourtant il n’émut pas Pardaillan, ce masque effrayant. Et de savoix railleuse, en passant, il lui décocha en guise deconsolation :

– Bah ! vous en serez quitte pour organiser un autreguet-apens, et peut-être serez-vous plus heureux cette fois.

Et, quelques pas plus loin, s’adressant à Valvert :

– Décidément, c’est une mauvaise bête que ceConcini !

– À qui le dites-vous, monsieur ! soupira le jeunehomme. Et, avec une naïve franchise :

– Quel dommage que je sois obligé de le respecter !J’avoue que j’éprouverais un plaisir tout particulier à lui faireavaler six pouces de mon fer !

– Oui, mais comme il est le père de votre bien-aimée, ilvous faut renoncer à ce plaisir, tout particulier qu’il soit,observa Pardaillan de son air de pince-sans-rire.

Bien qu’il eût entendu, Vitry ne dit pas un mot. Mais le coupd’œil qu’il avait lancé, en passant, à Concini, et à sesordinaires, et le sourire railleur qui, en ce moment, errait soussa moustache, indiquaient qu’il avait parfaitement compris. Ausurplus, peut-être en savait-il plus long qu’il ne voulait bien ledire.

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