LA NUIT QUI NE FINIT PAS

Ellie admettait avec lucidité :

— Je me doute bien que le jour où il faudra payer arrivera bientôt. Ils nous tomberont dessus comme une volée de vautours. Autant nous soûler de liberté avant leur assaut.

— Qu’arrivera-t-il à Greta quand ils apprendront la vérité ?

— Je ne sais pas mais je lui fais confiance, elle saura se défendre.

— Ne l’empêcheront-ils pas de trouver un nouvel emploi ?

— Pourquoi irait-elle travailler, puisqu’elle pourrait venir vivre avec nous ?

— Ah ! non, Ellie ! Nous n’avons besoin de personne.

— Greta ne nous gênerait pas. Elle est très compétente, vous savez. Franchement, je ne sais pas ce que je deviendrais sans elle. Elle organise et dirige tout à merveille.

— Je ne pense pas que cela me plairait. Notre maison doit être pour nous et pour nous seulement. Je ne veux pas de femme – même très compétente – dans notre entourage !

— Ce serait cruel de laisser tomber la pauvre fille après tout ce qu’elle a fait pour nous. Sans elle, nous aurions été séparés depuis longtemps.

— Je suis sûr que nous serions venus à bout de l’hostilité de votre famille. Je ne supporterai pas que cette fille s’interpose dans notre ménage.

— Comment pouvez-vous la juger aussi mal, vous ne la connaissez même pas ?

— Je suis sûr qu’elle me taperait sur les nerfs. Je veux que nous restions seuls, Ellie, seuls dans notre maison de rêve.

— Mike, chéri…

Nous en restâmes là pour cette fois.

De passage dans un petit port de pêche grec, nous eûmes la surprise d’y découvrir Santonix. Il avait tellement changé depuis notre dernière rencontre que j’eus du mal à lui cacher mon étonnement. Il se montra heureux de nous revoir.

— Ainsi, vous voilà mariés !

Ellie répondit :

— Oui, et à présent vous allez nous construire notre maison, n’est-ce pas ?

— Les dessins et les plans sont prêts. Mike… votre femme vous a-t-elle dit comment elle était venue me tirer de ma torpeur, en m’écrasant de commandes ?

— Voyons, Mr. Santonix…

— Je vous remercie pour les nombreuses photos que vous m’avez envoyées, ma chère, de ce site idéal.

— Il faudra cependant que vous veniez sur place vous rendre compte par vous-même. Après tout, il se peut que l’endroit ne vous plaise pas.

— Rassurez-vous, il me plaît.

— Comment pouvez-vous en être sûr, si vous…

— Je m’y suis rendu par avion, la semaine dernière et j’y ai même rencontré votre notaire anglais, Ellie. L’homme au visage en lame de couteau.

— Mr. Crawford ?

— C’est cela. J’ai déjà tout mis en route. Le terrain doit être déblayé, à présent, les ruines enlevées, les fondations et canalisations posées. À votre retour, vous me trouverez sur place.

Il alla quérir ses plans et nous nous penchâmes sur ce qui serait bientôt notre royaume. L’artiste avait peint un petit tableau pour nous donner un aperçu plus vrai de la future réalité.

— Vous plaît-elle, Mike ?

Je laissai échapper un profond soupir.

— Vous m’en aviez assez parlé, Mike. Parfois même, il m’arrivait de penser que ce bout de terrain vous avait ensorcelé. Vous avez été tout de suite envahi par un rêve qui pouvait ne se réaliser jamais.

Inquiète, Ellie hasarda :

— Mais vous consentez à le matérialiser.

— Si Dieu ou le diable le veut.

Embarrassé, je questionnai :

— Votre santé s’améliore il me semble ?

— Faites donc entrer dans votre tête de mule que je ne serai jamais bien et que mon mal ira toujours en empirant. Je n’en ai plus pour longtemps.

— Quelle bêtise ! La médecine découvre chaque jour des armes nouvelles. Et même, lorsqu’elle condamne un malade, ce dernier, s’il se rit d’elle, peut vivre encore vingt ans !

— J’admire votre optimisme, Mike. Malheureusement, ma maladie n’est pas aussi simple que cela. De temps à autre, on m’emmène à l’hôpital pour me transfuser une dose de sang nouveau et vigoureux dans les veines afin de me soutenir pour quelque temps. À chaque transfusion, néanmoins, je m’affaiblis un peu plus, et personne n’y peut rien.

— Vous êtes très courageux, Mr. Santonix.

— Il n’y a aucun courage à accepter une situation sans espoir, mon enfant. Tout ce que je puis faire, est de trouver un dérivatif qui atténue l’angoisse de l’attente.

— En construisant des maisons ?

— Non, car cela demande un trop gros effort qu’il m’est de plus en plus pénible de fournir. Je faisais allusion à d’autres consolations, assez insolites d’ailleurs.

— Quoi donc ?

— Je ne sais si vous comprendrez… Dans un corps qui s’affaiblit, la vitalité s’amenuise tandis que le cerveau se révolte. Le jour vient où l’on conçoit que puisque l’on doit bientôt mourir, toute tentative déraisonnable est possible. Je m’amuse à rêver toutes sortes de folies ! Par exemple, que je traverse les rues d’Athènes en tuant à bout portant tous les passants dont la tête ne me revient pas.

— Dans la réalité, la police ne mettrait pas longtemps à vous arrêter.

— Et après ? Qu’importe la mort, puisque je suis déjà condamné par une force plus puissante que toutes les lois. Impossible de m’emprisonner pour trente ans. Je n’en verrais jamais la fin. Je dois cependant avouer que cette extraordinaire force, que je me suis octroyée, ne me procure qu’un plaisir relatif, aucun acte criminel ne me tentant vraiment.

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