LA NUIT QUI NE FINIT PAS

— C’est donc vous, Mike.

— Oui… c’est moi.

Elle se recula un peu pour me laisser entrer.

Je passai devant la porte du salon et allai droit dans la cuisine. Elle m’y suivit et resta debout, indécise.

— Il y a longtemps que je ne vous ai vu. Qu’avez-vous fait durant tout ce temps ?

Je haussai les épaules.

— Pas grand-chose.

— Rien de changé dans vos habitudes, alors ?

— Rien de changé.

— Combien de métiers nouveaux avez-vous ajoutés à votre palmarès ?

— Cinq, je crois.

— Quand deviendrez-vous un homme, Mike ?

— Je suis un homme et je mène l’existence que j’ai choisie. Et vous, mère, comment allez-vous ?

— Aucun changement de mon côté, non plus.

— Pas d’ennuis avec votre santé ?

— Je n’ai pas le temps d’être malade. Pourquoi êtes-vous venu, Mike ?

— Devrais-je avoir une raison ?

— C’est généralement le cas.

— Je ne comprends pas pourquoi vous désapprouvez mon ambition de découvrir le monde.

— Appelez-vous découvrir le monde, conduire des voitures de luxe à travers le continent ?

— Pourquoi pas ?

— Vous n’irez pas loin si vous persistez ainsi. Surtout si vous laissez tomber vos employeurs en leur donnant congé sans crier gare, et si vous abandonnez vos clients dans une ville païenne.

— Qui vous a mise au courant ?

— Votre firme m’a téléphoné pensant que je saurais où vous joindre.

— Que voulaient-ils ?

— Vous rengager, je suppose, bien que je ne puisse imaginer pourquoi !

— Pour la bonne raison que je suis un chauffeur compétent, apprécié par ses clients. Ce n’est quand même pas ma faute si je suis tombé malade, hein ?

— Je ne sais pas.

Ce qui signifiait, bien entendu, qu’elle ne croyait pas à ma maladie. D’ailleurs, elle insista :

— Pourquoi ne vous êtes-vous pas présenté à votre employeur, dès votre retour d’Allemagne ?

— J’avais d’autres chiens à fouetter.

Elle haussa les sourcils, faussement surprise.

— De nouveaux caprices, de nouvelles idées extravagantes ? Dans quels emplois vous êtes-vous spécialisé, depuis ?

— Pompe à essence, mécano, bureaucrate temporaire, plongeur dans un cabaret.

Elle eut un rire sardonique.

— En somme, vous dégringolez l’échelle.

— Pas du tout. Cela relève de mon plan.

— Voulez-vous du thé ou du café ?

J’optai pour le café, car le thé commençait à me dégoûter. Ma mère sortit un « cake », préparé par elle, et nous goûtâmes en silence.

— Vous avez changé, Mike.

— Comment cela ?

— Je ne sais pas, mais je le sens. Que vous est-il arrivé ?

— Pourquoi quelque chose m’arriverait-il ?

— Vous semblez excité.

— Je suis en route pour dévaliser une banque.

— Cela m’étonnerait.

— Pourtant c’est, paraît-il, un moyen facile de s’enrichir à l’heure actuelle.

— Mais qui nécessite une longue préparation et plus d’effort intellectuel que vous n’en êtes capable.

— Vous vous figurez que vous me connaissez à fond, n’est-ce pas ?

— Pas du tout. Je ne sais rien de vous car nous sommes aussi différents l’un de l’autre que le jour et la nuit. Mais je devine quand vous mijotez quelque chose. Qu’est-ce que c’est, cette fois ? Une fille ?

— Qu’est-ce qui vous porte à le croire ?

— J’ai toujours pensé que ça arriverait tôt ou tard.

— Vous n’ignorez pas que j’ai commencé à fréquenter les filles il y a belle lurette.

— Celles-là ne servaient qu’à distraire un garçon désœuvré. Vous avez toujours couru à droite et à gauche, mais jusqu’à présent, vous ne vous êtes attaché à aucune d’elles.

— Et vous pensez que maintenant, c’est différent ?

— Est-ce que je me trompe, Mike ?

Évitant de rencontrer son regard, j’admis :

— Dans un sens, non.

— Quel genre de personne est-elle ?

— Le genre qui me convient.

— Me la présenterez-vous ?

— Non.

— C’est donc cela.

— Vous faites fausse route. Je ne veux pas vous peiner, mais…

— Je ne suis pas peinée. Vous ne voulez pas que je la voie, tout simplement parce que je pourrais la juger.

— Votre opinion ne changerait pas mon choix.

— Mais cela vous porterait un coup, car vous tenez toujours compte de mes réactions. Je suis la seule personne au monde à posséder le pouvoir de détruire votre confiance en vous-même. Est-ce que la fille qui vous a mis le grappin dessus est une propre à rien ?

Je ne pus m’empêcher de rire.

— Propre à rien ? Si seulement vous la voyiez.

— Qu’attendez-vous de moi ? Vous venez toujours avec une arrière-pensée.

— De l’argent.

— Est-ce pour le dépenser avec cette fille ?

— Non. J’ai besoin d’un complet ultra-chic pour mon mariage.

— Vous l’épousez donc ?

— Si elle veut bien de moi.

Du coup, elle changea de ton.

— Vous ne vous confiez jamais, Mike. Je constate que vous tenez à elle. Je peux dire que j’ai toujours craint que vous ne tombiez sur une bonne à rien.

Furieux, je criai :

— Allez au diable.

Et je sortis en claquant la porte.

CHAPITRE VII

En rentrant chez moi, je trouvai un télégramme expédié d’Antibes. Je l’ouvris fébrilement et lus :

« Rendez-vous demain, 4 h 30, au même endroit. Ellie. »

Je retrouvai donc Ellie dans Regent’s Park et tout de suite, je notai qu’elle paraissait embarrassée. Comme, de mon côté, je m’apprêtais à lui demander de devenir ma femme, je ne me sentais pas non plus très à l’aise. L’idée qu’elle se préparait à me donner mon congé me traversa un moment l’esprit, mais je dois dire que je ne m’y arrêtai pas longtemps, car je fondais mon avenir sur la certitude qu’Ellie m’aimait. Cependant, son petit air indépendant et assuré me déconcertait. Je ne pouvais croire qu’il tînt au nouvel anniversaire qu’elle venait de célébrer.

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