LA NUIT QUI NE FINIT PAS

Elle fit quelques allusions à son séjour en France, en compagnie de sa famille, puis lança à brûle-pourpoint :

— J’ai vu cette maison, dont vous me parliez. Celle que votre ami architecte a construite.

— Santonix ?

— Oui. Nous y avons déjeuné, un jour.

— Votre belle-mère connaît-elle Mr. Constantine ?

— Pas exactement, mais… Greta s’est débrouillée pour que nous le rencontrions.

— Greta, toujours Greta.

— Elle a un don certain pour arranger les choses.

— Ainsi, elle a fait en sorte que votre belle-mère et vous…

— Et oncle Franck.

— Une vraie réunion de famille. Greta était présente, j’imagine ?

— Non. Cora, ma belle-mère, ne l’aurait pas permis.

— Pardon. J’oubliais que Greta joue le rôle de la parente pauvre. Elle doit probablement en souffrir ?

— Pas du tout. Elle est une sorte de compagne pour moi.

— Votre chaperon, peut-être ?

— Oh ! Taisez-vous ! Je veux vous parler de quelque chose d’important. J’ai enfin compris ce que vous me disiez au sujet de votre ami Santonix. Cette maison est formidable, totalement différente de n’importe quelle autre. Je crois que ce serait magnifique s’il pouvait en construire une pour nous.

Elle avait dit « nous » sans y penser et je compris brusquement qu’elle avait accepté de se rendre sur la Côte d’Azur avec sa famille dans le seul dessein d’aller examiner la maison que je lui avais décrite.

— Je suis heureux qu’elle vous plaise.

— Qu’avez-vous fait durant mon absence ?

— J’ai poursuivi mon travail dénué d’intérêt. Je me suis aussi rendu aux courses où j’ai placé tout mon argent sur un « outsider » qui a gagné à trente contre un.

— Bravo !

Elle avait répondu sans le moindre enthousiasme, car jouer toute sa fortune sur un cheval, ne signifiait rien dans le monde d’Ellie.

— J’ai aussi rendu visite à ma mère.

— Vous ne me parlez jamais d’elle.

— Trouvez-vous cela étrange ?

— Vous ne l’aimez pas ?

— Ma foi, je ne saurais le dire. Parfois, je me persuade qu’elle m’est indifférente. Après tout, on grandit et l’on se détache des parents.

— Je pense, au contraire, que vous lui êtes très attaché, sinon vous ne seriez pas aussi incertain lorsque vous parlez d’elle.

— Elle m’effraie un peu. Elle me connaît très bien et décèle, sans effort, le mauvais côté de ma nature.

— Il faut bien que quelqu’un le connaisse.

— Qu’entendez-vous par là ?

— Je crois que c’est un grand écrivain qui a dit « Aucun homme n’est un héros pour son valet ». Tout le monde devrait peut-être avoir un domestique. Il me semble impossible de s’efforcer sans cesse de donner le change.

— Vous êtes très perspicace, Ellie. Et moi, me connaissez-vous à fond ?

D’un ton posé, elle répliqua :

— Je pense que oui.

— Pourtant, je ne vous ai jamais beaucoup parlé de moi ?

— Dites plutôt que vous ne m’avez jamais parlé de vous. Et malgré cela, je devine assez bien quel genre de garçon vous êtes.

— Je me le demande. Vous allez peut-être me juger ridicule si je vous déclare que je vous aime ? Vous en étiez persuadée depuis notre rencontre, n’est-ce pas ?

— Oui. Et de votre côté, vous n’ignorez pas que je vous aime aussi.

— Qu’allons-nous décider, Ellie ? Vous êtes au courant de l’existence que j’ai toujours menée. Ma mère vit dans une petite rue austère qui ne correspond en rien à l’univers où vous évoluez. Je doute que nos deux mondes puissent jamais se rencontrer.

— Présentez-moi à votre mère, Mike.

— J’aime mieux pas. Vous pensez sans doute que c’est cruel de ma part, mais il faut comprendre qu’ensemble nous mènerons une existence assez bizarre. Une sorte d’intermédiaire entre nos passés respectifs. Une vie nouvelle où nous créerons un terrain d’entente qui aplanira ma pauvreté et votre richesse, mon ignorance et votre culture, vos usages mondains. Mes amis penseraient que vous êtes une mijaurée et les vôtres me trouveraient grossier. Que faire, Ellie ?

— Je vais vous répondre : Nous irons vivre au « Champ du Gitan » dans une maison… une maison de rêve… que construira pour nous votre ami Santonix. Voilà. Et tout d’abord, nous allons nous marier. C’est bien ce que vous souhaitiez ?

— Oui, si de votre côté vous êtes sûre de vos sentiments pour moi.

— Eh bien ! nous nous marierons la semaine prochaine. À présent, je suis en âge d’épouser qui me plaît ! Quant à nos familles, je crois que vous avez raison. Nous les mettrons devant le fait accompli. À ce moment-là, elles pourront dire ce qu’elles voudront, rien n’aura d’importance.

— Ellie chérie, c’est merveilleux ! Mais il y a une chose que j’ai le chagrin de vous annoncer. Nous ne pourrons habiter le « Champ du Gitan »… La propriété a été vendue. Il nous faudra choisir un autre…

— Le « Champ du Gitan » ? Je le sais bien, grand bêta ! Mike, c’est moi qui l’ai acheté !

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