LA NUIT QUI NE FINIT PAS

— Passerez-vous bientôt à table, Mr. Rogers ? Nous avons beaucoup de monde aujourd’hui et je dois faire patienter plusieurs clients faute de place.

— Ma femme va arriver d’une minute à l’autre.

Mentalement, je l’imaginais peut-être sur la route, avec un pneu crevé.

Me tournant vers Phillpot, je déclarai :

— Venez, nous allons commencer sans elle. Elle a sans doute quitté la maison avec du retard.

— Les femmes ne nous font-elles pas toujours attendre ?

Nous commandâmes un « steak and kidney pie » que nous attaquâmes de bon appétit.

— Ce n’est pas bien de la part d’Ellie de nous laisser poireauter ainsi. Il est vrai que c’est habituellement Greta qui se charge de lui rappeler ses rendez-vous et de la mettre en route. Aujourd’hui, Greta est à Londres.

— Votre femme dépend-elle beaucoup de Miss Andersen ?

— Pour ces détails, oui.

Ayant terminé notre plat, nous passâmes à une tarte aux pommes, recouverte d’une bonne couche de crème fouettée.

Une idée me traversa brusquement l’esprit.

— Croyez-vous qu’elle aurait pu oublier de venir ?

— Vous feriez bien de téléphoner chez vous pour vous en assurer.

J’appelai donc la maison, où la cuisinière me répondit :

— Oh ! c’est vous, Mr. Rogers. Mrs. Rogers n’est pas encore rentrée.

— Que voulez-vous dire, pas encore rentrée ?

— Elle n’est pas revenue de sa promenade à cheval.

— Mais, elle est partie après le petit déjeuner. Elle n’a pu chevaucher toute la matinée.

— Elle ne m’a pas avertie qu’elle se rendrait autre part.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas téléphoné plus tôt pour me prévenir ?

— Je n’aurais pas su où vous joindre, Monsieur.

Je lui donnai le numéro du « George et le Dragon » en la priant de m’y demander dès que sa maîtresse rentrerait. Je retournai ensuite auprès de Phillpot qui comprit à mon expression que quelque chose n’allait pas.

— Ellie n’est pas encore rentrée. Elle est allée faire du cheval comme d’habitude et aurait dû regagner la maison à onze heures, au plus tard.

— Ne vous affolez pas avant de savoir, mon garçon. Vous vivez à l’écart du village. Peut-être que son cheval s’est mis à boiter, l’obligeant à revenir à pied. La lande est déserte, il lui aura donc été impossible de dépêcher quelqu’un chez vous.

— Si elle avait décidé d’aller ailleurs, elle m’aurait laissé un message.

— Venez. Nous finirons bien par la retrouver.

Alors que nous sortions dans la cour du « pub », une voiture passa près de nous, conduite par l’homme qui m’avait intrigué plus tôt. Soudain, je me souvins… Stanford Lloyd – à moins qu’il ne s’agisse de quelqu’un qui lui ressemble beaucoup. À ses côtés, une femme en qui je crus reconnaître Claudia Hardcastle. Je la croyais pourtant à Londres avec Greta. Pour quelles raisons Lloyd se trouvait-il dans les parages ? Aurait-il eu l’intention de venir nous rendre visite ? Dans ce cas, pourquoi ne pas nous en avoir informés à l’avance ? Toutes ces questions me déroutaient…

Tandis que nous roulions, je sentis le regard inquisiteur de Phillpot posé sur moi, ce qui me poussa à observer :

— Il semblerait que votre croyance écossaise soit vraisemblable, après tout.

— N’y pensez pas encore. Votre femme a pu se fouler la cheville. Elle est bonne cavalière et je suis certain qu’aucun accident grave ne lui est arrivé.

— Les accidents arrivent si vite.

Aux abords de notre propriété, nous roulâmes lentement pour inspecter les bas-côtés de la route escarpée. De temps à autre, nous arrêtions le véhicule pour questionner quelques passants. Un vieil homme qui déterrait des pommes de terre fut le premier à pouvoir nous indiquer une piste.

— J’ai aperçu un cheval sans cavalier, il y a environ deux heures. J’ai bien essayé de l’arrêter mais il s’est enfui au galop. Depuis, je n’ai vu passer personne.

— Allons chez vous, Mike – proposa le major. — Nous y aurons peut-être de ses nouvelles.

À la maison, cependant, les domestiques attendaient toujours le retour de leur maîtresse. Je dépêchai le valet vers la lande et Phillpot, de son côté, téléphona au village pour envoyer un homme dans la même direction. Ensuite, nous partîmes tous deux à pied, empruntant le sentier qu’Ellie avait pour habitude de parcourir à cheval.

En arrivant à un croisement… nous la découvrîmes. Son cheval était revenu près d’elle et flairait les vêtements qui la recouvraient. Je me mis à courir, Phillpot sur les talons.

Elle était recroquevillée sur elle-même, le visage tourné vers le ciel.

— Je ne puis… Je tournai la tête.

Phillpot se pencha sur elle, pour se redresser presque aussitôt.

— Nous allons faire appel à Shaw. Il est le plus près, mais… je ne crois pas qu’il soit de la moindre utilité.

— Vous voulez dire… qu’elle est morte ?

— Inutile de vous mentir, Mike, elle est morte, en effet.

— C’est impossible… Pas Ellie !

— Buvez ceci.

Il me tendit son flacon de cognac et je bus une forte rasade d’alcool.

Le valet arriva à cet instant et le major l’envoya quérir le docteur Shaw.

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