LA NUIT QUI NE FINIT PAS

Tout marcha très bien. Le moment le plus difficile fut l’arrivée de ma complice après mon mariage. Je devais sans cesse surveiller mes gestes, pour ne pas trahir mes sentiments. C’est pour cela que j’avais choisi de ne pas regarder Greta en face et de la prendre apparemment en grippe. Parfois, j’ai craint qu’Ellie ne m’eût démasqué, mais elle ne s’est doutée de rien. Du moins, je le pense sans pouvoir l’affirmer, car je n’ai jamais bien compris Ellie.

Jouer la comédie du soupirant auprès de ma femme ne me fut pas difficile, tant elle s’était montrée affectueuse et confiante. Pourtant, elle me causa bien des soucis avec ses initiatives prises sans me consulter et tous les petits détails découverts sur mon compte. Toutefois, elle m’a aimé et moi-même… je crois bien que je l’ai aimée aussi, quoique mon sentiment pour elle ne ressemblât en rien à celui que je nourrissais pour Greta. Greta possède un sex-appeal qui m’affole. Ellie, ce fut différent. Je comprends seulement aujourd’hui que sa compagnie me rendait cependant très heureux.

Telles étaient les pensées qui m’habitaient alors que je m’acheminais dans l’obscurité vers ce qui me semblait le sommet du monde, ce monde qui me revenait après tous les risques courus et le meurtre que nous avions admirablement perpétré, un meurtre que personne n’aurait pu soupçonner, tant notre méthode avait été bien mise au point.

Je gravissais la route escarpée que j’avais empruntée un jour, après avoir assisté à la vente manquée du « Champ du Gitan » et tout là-haut, passé le dernier tournant…

C’est alors que je la vis… Elle se tenait à la même place, debout contre le même sapin. Je fermai un moment les yeux, espérant que la vision disparaîtrait, mais en les rouvrant je constatai qu’elle n’avait pas bougé. Elle me regardait comme si elle ne me voyait pas, et cela me glaça de terreur. Pourtant, Ellie était morte, son corps reposait dans un cimetière américain… N’empêche qu’elle se trouvait là, à me fixer comme si c’était moi qui n’existait pas. Son visage reflétait une grande douceur : la même expression qu’elle eut un soir, alors qu’elle grattait les cordes de sa guitare en fredonnant une vieille ballade. Je me souvins qu’elle m’avait dit : « Pourquoi me regardez-vous ainsi, Mike ? À quoi pensez-vous ? » et que je répondis : « Pourquoi cette question ? ». « Vous me regardez comme si vous m’aimiez ! » et je dis bêtement : « Bien sûr que je vous aime ».

Je restai paralysé au milieu de la route plongée dans l’obscurité et le silence. Finalement, je me hasardai à l’appeler mais elle ne bougea pas. Elle restait là, à regarder… Ses yeux me fixaient sans me voir et c’est ce qui m’effrayait le plus, car je savais que si je réfléchissais, je comprendrais tout de suite pourquoi Ellie ne pouvait pas me voir. Alors, je me suis mis à courir tel un lâche, et ne m’arrêtai pour reprendre haleine qu’en apercevant les lumières de ma maison scintiller à travers les arbres. Je touchais au but… J’étais le chasseur qui, revenant de la colline, rentrait chez lui où l’attendait la femme merveilleuse qu’il allait enfin pouvoir aimer au grand jour.

La porte s’ouvrit sous ma poussée, j’essuyai mes pieds sur le paillasson et me dirigeai vers la bibliothèque. Greta se tenait près de la fenêtre, souriante. La plus belle fille que j’aie jamais vue ! Je me jetai dans ses bras et goûtai l’un des moments les plus merveilleux de ma vie.

Nous redescendîmes bientôt sur terre. Je m’assis et Greta poussa vers moi une pile de lettres. Je choisis automatiquement celle qui portait un timbre américain, me demandant ce que Lippincott pouvait bien me vouloir et pourquoi il avait préféré m’écrire pour me confier sa pensée alors que nous avions été ensemble de longues heures ?

— Enfin – soupira Greta – nous avons réussi.

— La victoire est à nous !

Nous fûmes pris d’un fou-rire. J’ouvris la bouteille de champagne qui se trouvait sur la table et nous bûmes à notre amour.

— Cet endroit est merveilleux – fis-je – encore plus merveilleux que je ne me le rappelais. Santonix… Mais vous ne savez pas : Santonix est mort.

— Quel dommage ! Il était donc vraiment malade ?

— Naturellement. Je me suis simplement toujours refusé à l’admettre. Je suis allé le voir alors qu’il se mourait.

Elle frissonna.

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