LA NUIT QUI NE FINIT PAS

En voyant son expression heureuse, je murmurai :

— Je souhaiterais… mais je me détournai, gêné.

— Que souhaiteriez-vous, Mike ?

— Eh bien… je souhaiterais que vous ne dépendiez pas tant de Greta. À mon avis, il est mauvais de se laisser trop influencer par une étrangère.

— Mike… vous ne l’aimez pas !

— Si, si ! Mais, en dehors du fait que je la connais à peine, je souffre un peu de vous voir aussi attachées l’une à l’autre.

— Ne lui en veuillez pas. Elle est la seule personne qui a été bonne pour moi… avant que je vous rencontre.

— Mais à présent, je suis là et nous allons vivre heureux à tout jamais.

Je venais d’employer la phrase qui avait hanté mes rêves d’adolescent.

CHAPITRE XIII

J’essaie de vous brosser un portrait aussi exact que possible des personnes qui entrèrent dans notre vie – je devrais dire plutôt, dans ma vie, car elle occupaient déjà une place importante dans celle d’Ellie. Nous eûmes la candeur de croire qu’elles en sortiraient bien vite. Hélas ! Nous ne mîmes pas longtemps à déchanter, car elles réapparurent bientôt.

Après le départ du clan Van Stuyvesant et compagnie, nous reçûmes un télégramme de Santonix nous annonçant que notre maison était terminée. Ravis, nous avons plié bagages et pris la route le lendemain matin, pour arriver au « Champ du Gitan » avant le coucher du soleil. À la vue de notre « chez nous » je fus en proie à une vive émotion, si vive qu’elle me paralysait. Ma maison… Enfin, je la possédais !

— Ça vous plaît ? s’enquit Santonix en apparaissant sur le seuil.

— C’est… définitif ! lançai-je. Une remarque ridicule, mais il me comprit.

— J’admets que je me suis surpassé. Les frais aussi ont dépassé la marge que je vous avais fixée, mais je crois que le résultat en valait la peine. Allez Mike, prenez votre épouse dans vos bras et passez le seuil pour vous conformer à la tradition.

Rougissant, je soulevai Ellie et m’engageai sous le porche. Ce faisant, je trébuchai. Santonix fronça les sourcils, mais ne dit rien. À l’intérieur, il me confia :

— Soyez bon pour votre femme, Mike, et veillez bien sur elle. Elle se croit assez forte pour affronter seule la vie, et elle se trompe. Elle a besoin de vous.

Surprise, Ellie questionna :

— Que pourrait-il donc m’arriver ?

— Le monde est méchant et je sais que votre entourage est composé de personnes animées de sentiments hostiles. Pardonnez-moi ma franchise. Je crois les avoir bien jugés lorsqu’ils sont venus fouiner par ici.

— Ils ne nous tourmenteront plus. Ils sont tous repartis pour les États-Unis.

— L’avion rend les plus grandes distances bien courtes. Santonix entoura les épaules de ma femme et je remarquai à quel point ses mains étaient amaigries. Si je le pouvais, je veillerais moi-même sur vous. Malheureusement, mes jours sont comptés. Il vous faudra dépendre entièrement de Mike.

— Cessez de nous faire la morale et invitez-nous à visiter la maison, mon vieux !

— D’accord, Mike. Allons-y.

Passant d’une pièce à l’autre, nous constatâmes que tous les objets, meubles et rideaux rapportés de nos voyages, se trouvaient en place.

Ellie s’exclama :

— Nous n’avons pas encore baptisé la maison ! Nous ne pourrons pas l’appeler « Les Tours », ce serait ridicule, maintenant. Quel est l’autre nom que lui a donné la Bohémienne ?

— Le « Champ du Gitan ». C’est un nom dont je ne veux pas.

Santonix intervint :

— Pourtant, c’est ainsi qu’on l’appelle dans la région.

Ayant pris place sur la terrasse, les yeux tournés vers le soleil couchant, nous cherchâmes un nom digne du chef-d’œuvre créé par Santonix. Au début, nous avons fait preuve de sérieux, et puis nous nous sommes amusés à lancer des appellations dignes des cartes postales en couleurs : Terminus, Enchantement, Vue sur Mer, Belle Rive, les Pins, etc. L’air qui s’était rafraîchi nous obligea à battre en retraite et, installés au salon, nous fermâmes les portes-fenêtres tout en laissant les rideaux ouverts. Les domestiques ne devant arriver que le lendemain, nous vidâmes un panier de victuailles. Ellie remarqua :

— Les gens que nous avons pris à notre service ne se plairont peut-être pas ici. L’endroit est bien isolé.

Santonix répondit :

— Dans ce cas, vous doublerez leurs gages et ils seront contents.

— Vous croyez donc que tout le monde peut être acheté !

— Et comment !

Nous bavardâmes gaiement tout en mangeant des crevettes, un pâté en croûte et du fromage. Santonix paraissait très heureux.

Brusquement, un carreau se brisa sous le choc d’une pierre. Quelques débris de verre volèrent dans la pièce dont un se planta dans la joue d’Ellie. Nous fûmes, un instant, paralysés par la stupeur puis je me précipitai sur la terrasse et sondai, en vain, la nuit. Perplexe, je retournai auprès de ma femme dont j’essuyai la joue ensanglantée. Je tentai de la rassurer, mais mon regard inquiet croisa celui de Santonix qui était furieux.

D’une voix mal assurée, Ellie murmura :

— Pourquoi… pourquoi nous a-t-on fait ça ?

— Il doit s’agir de jeunes voyous, chérie. Ils auront vu la lumière et se seront bêtement amusés à nous effrayer. Je dois dire qu’il est heureux qu’ils se soient contentés de lancer une pierre. Ils auraient très bien pu se servir d’un fusil.

— Mais dans quelle intention ?

— Je ne sais pas. Le simple plaisir de détruire, j’imagine.

Elle se leva :

— J’ai peur, Mike, j’ai peur !

— Calmez-vous, chérie ! J’irai me renseigner au village, demain matin. Nous ne savons encore rien de nos voisins.

— Ont-ils agi ainsi parce que je suis riche et qu’ils sont pauvres ? — Elle s’adressait à Santonix, comme si lui seul pouvait deviner la raison de cet acte de vandalisme.

D’une voix grave, il répondit :

— Non… je ne pense pas que ce soit-là le motif.

— Vous croyez qu’ils nous haïssent, Mike et moi ?

Ellie reprit :

— Non… c’est autre chose. Une raison que nous ignorons. Le « Champ du Gitan »… Tous ceux qui vivent ici sont détestés, persécutés. Peut-être bien qu’ils finiront par nous en chasser, nous aussi.

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