LA NUIT QUI NE FINIT PAS

— Écoutez-moi, Lippincott : Greta a été très bonne pour Ellie et a veillé sur elle comme une sœur, après son entorse… Je… je lui en suis extrêmement reconnaissant. Je voudrais que vous compreniez à quel point sa présence m’a réconforté après la mort de ma femme.

— Miss Andersen est une personne très efficace.

Avant de le quitter, je lui exprimai ma gratitude, mais il m’interrompit :

— Vous n’avez aucune raison de me remercier, Michaël. À propos, je vous ai écrit un mot que j’ai adressé au « Champ du Gitan ». Vous le trouverez à votre arrivée. Je vous souhaite une bonne traversée.

Un télégramme m’attendait à mon hôtel m’annonçant qu’un de mes amis, Rudolph Santonix, qui se mourait dans un hôpital de Californie, demandait à me voir. Je changeai la date de mon départ et m’envolai pour San Francisco. Santonix n’était pas encore mort. Toutefois, les médecins m’apprirent qu’il était inconscient et s’affaiblissait d’heure en heure. J’allai m’asseoir à son chevet et contemplai l’ombre de l’homme que j’avais connu. Le temps passa. Je demeurai là à me répéter « Pourvu qu’il reprenne conscience, qu’il me dise quelque chose avant de mourir ». Je me sentais très seul. Je venais d’échapper à des ennemis sournois et retrouvais un ami – mon unique ami – qui allait bientôt m’abandonner lui aussi. Il était le seul à me connaître à fond, à part Mummy. Je préférais ne pas penser à Mummy.

Je me levais parfois pour demander aux infirmières si elles ne pouvaient pas faire quelque chose pour lui, mais elles répondaient toujours :

— Nous ne savons pas s’il reprendra conscience.

Au bout d’une attente interminable, Santonix s’agita et soupira. L’infirmière de garde le souleva doucement. Il ouvrit les yeux et me regarda comme s’il ne me voyait pas. Soudain, une lueur brilla au fond de ses prunelles et il chuchota des bribes de phrases. Je me penchai vers lui pour mieux entendre et, tout à coup, il se renversa en arrière en criant :

— Espèce d’idiot !… Pourquoi n’avez-vous pas suivi l’autre chemin ?

Il eut un hoquet et expira.

Je ne sais s’il avait vraiment repris conscience lorsqu’il lança cette question à laquelle je ne comprenais rien, mais qui m’intriguait. J’aurais voulu parler à Santonix, lui exprimer ma gratitude pour la merveilleuse maison qu’il m’avait construite et qui était ce que j’aimais le plus au monde. Curieux qu’une maison puisse prendre une telle importance. J’imagine qu’elle avait toujours été pour moi un symbole. Santonix l’avait compris et il sut concrétiser mon rêve… À présent, je retournais vers mon royaume !

Je ne pensais à rien d’autre en posant le pied sur le navire. Je me sentais extrêmement las. Bientôt, cependant, une vague de bonheur me souleva. Je revenais chez moi !… Je revenais chez moi.

« Le marin est de retour, il revient de la mer

« Et le chasseur revient de la colline…

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