LA NUIT QUI NE FINIT PAS

CHAPITRE XX

Résolu à éclaircir le mystère de la présence de la bohémienne à proximité du bois où Ellie était morte, je me rendis le lendemain chez le major Phillpot.

Confortablement installé dans un de ses vieux fauteuils, j’attaquai :

— Vous qui connaissez Mrs. Lee, la croyez-vous capable de causer un accident dans une intention criminelle ?

— Non. Esther est incapable d’agir de la sorte. À ma connaissance, elle n’a jamais nourri d’intention malveillante envers quiconque.

— Je ne m’explique cependant pas pourquoi, guettant son passage, elle surgissait toujours devant Ellie. Cette attitude curieuse m’incline à croire qu’elle en voulait à ma femme, mais de quoi ?… Avant notre arrivée dans ce village, ni Ellie ni moi…

— Qu’y a-t-il, Mike ?

— Je… je viens de tout revoir. Savez-vous où j’ai rencontré Ellie pour la première fois ? Non, bien sûr, vous ne pouvez deviner. J’étais de passage à Market Chadwell, le jour où la propriété se trouvait à vendre et, ayant lu l’affiche annonçant la vente aux enchères, je me suis rendu sur la propriété. C’est là qu’Ellie m’est apparue… debout, contre un grand sapin… Ma présence l’a fait sursauter et… ma foi, c’est ainsi que nous en sommes venus à construire notre home sur ce terrain maudit !

— Quand avez-vous commencé à juger ce terrain maudit ?

— Je me suis toujours refusé à l’admettre, mais je crois bien qu’Ellie ne s’est jamais sentie en sécurité ici. J’ai le sentiment que quelqu’un a cherché, dès le début, à l’effrayer.

— Qui aurait nourri ce projet bizarre ?

— La bohémienne, sans aucun doute. Elle avertissait Ellie que, si elle restait sur le « Champ du Gitan », un grand malheur s’abattrait sur elle.

— Si seulement j’avais été au courant ! J’aurais pu aller trouver Esther, la raisonner, lui faire comprendre que ses radotages devenaient inquiétants.

— À votre avis, quelle raison la poussait à se conduire de cette façon envers Ellie et moi-même ?

— Le désir de se donner de l’importance, sans doute. Elle voulait se persuader qu’elle avait le pouvoir de connaître l’avenir.

— Et si quelqu’un l’avait payée pour se conduire ainsi ? J’ai entendu raconter qu’elle aimait beaucoup l’argent.

— C’est vrai… mais qui vous a dit cela ?

— Le brigadier Keene. Je n’y aurais jamais pensé.

— Tout de même, je me refuse à croire Esther capable d’effrayer votre femme, dans le but de provoquer un accident mortel.

— Elle ne le souhaitait sûrement pas. Peut-être a-t-elle poussé un cri qui a effarouché le cheval ?

— C’est en effet, plausible.

— Notre propriété a-t-elle jamais appartenu à Mrs. Lee ?

— Oh, non ! Il est possible que quelques campements de nomades en aient été chassés plusieurs fois, mais de là à croire que l’un d’eux en ait gardé une rancune vengeresse, me paraît bien improbable.

— Si nous revenons à l’hypothèse d’un inconnu employant Mrs. Lee pour nous éloigner de chez nous, à quoi arrivons-nous ? Nous ignorons quel pouvait être son mobile. Mrs. Lee a essayé de m’effrayer mais en vain alors elle a tourné son attention sur Ellie qui était plus facilement impressionnable que moi. En rendant l’existence impossible à l’un de nous, les complices étaient certains que nous abandonnerions les lieux. Il doit y avoir une raison qui pousse quelqu’un à vouloir notre propriété.

— Oui… mais laquelle ?

— Le sol de la propriété renferme peut-être une mine de charbon ?

— J’en doute fort.

— Ou un trésor caché, le butin d’un hold-up ? À moins qu’Ellie n’ait eu réellement un ennemi acharné.

— Dans ce cas, vous ne voyez pas qui ce pourrait-être ?

— Elle n’avait, à ma connaissance, aucune relation dans la région. — Je me levai. — Pardonnez-moi de vous ennuyer avec mes soucis.

— Je regrette de n’avoir pu vous être utile, Mike.

Sur le point de sortir, je me rappelai un détail qui me fit dire :

— J’aimerais vous montrer quelque chose que j’ai l’intention de porter au commissariat.

Je sortis de ma poche une pierre enveloppée d’un chiffon de papier.

— On a lancé ceci par la fenêtre de ma salle à manger, ce matin. Le même incident s’était produit le soir de notre installation. Il doit s’agir de la même personne.

Phillpot prit le papier sur lequel s’étalait en caractères malhabiles : « C’est une femme qui a tué votre épouse ».

Le major haussa les sourcils.

— Extraordinaire ! Le premier message portait-il la même écriture ?

— Je ne m’en souviens plus, mais il nous conseillait de quitter le « Champ du Gitan ». Nous avons pensé qu’un voyou s’amusait à nos dépens, mais cette fois, l’affaire me paraît plus sérieuse.

— Vous avez parfaitement raison de vouloir confier ce papier à Keene. Il saura, mieux que nous, en rechercher l’auteur.

Le policier auquel je rendis visite aussitôt se montra, en effet, intéressé :

— Il se passe des choses étranges dans ce village, depuis quelque temps, me dit-il.

— À votre avis, que signifie ce message, brigadier ?

— Difficile à préciser. Une accusation indirecte… Comment savoir si elle repose sur quelque chose ?

— Pensez-vous qu’elle désigne Mrs. Lee ?

— Je ne le crois pas, car l’auteur du billet n’aurait pas hésité à la nommer. À mon avis, le dénonciateur s’est trouvé à proximité du lieu de l’accident et a vu ou entendu quelque chose, alors qu’une silhouette disparaissait dans les bois. Je dois dire que tout le monde est enclin à accuser la bohémienne, sans la moindre preuve.

— Avez-vous réussi à retrouver Mrs. Lee ?

— Pas encore. Nous avons enquêté dans un campement de nomades où elle se rend parfois. Personne ne l’a vue ces temps derniers. Il est vrai que ces gens-là refusent instinctivement d’aider la police dans ses recherches. Pour ma part, je ne pense pas qu’elle soit allée si loin.

— Vraiment ?

— Cette femme a peur. Elle a menacé plusieurs fois votre épouse et est peut-être cause de l’accident. Elle se doute que la police désire l’interroger et elle se cache, et pour cela il lui faut éviter les transports publics où elle serait facilement repérée.

— Vous la retrouverez sûrement, car elle ne passe pas inaperçue.

— Bien sûr, mais cela prendra du temps. Il y a une autre hypothèse… Je me suis toujours demandé si quelqu’un ne la payait pas pour tenter de vous chasser de chez vous.

— Dans ce cas, elle aurait une raison de ne pas disparaître.

— Oui, mais ce quelqu’un doit vouloir mettre la main sur elle.

— Supposons qu’il s’agisse bien d’une femme, comme l’indique le message…

— Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme, la personne qui désirait que vous quittiez la région, ne souhaitait pas forcément la mort de Mrs. Rogers.

— Je suis d’accord avec vous, brigadier.

— Et maintenant, qui est traqué ?… Mrs Lee, responsable de l’accident dont elle doit rendre compte à celle ou à celui qui la payait. Affolée, elle désire sûrement se disculper et venir nous confier le nom de celui qui a tout manigancé et qui, lui de son côté, doit chercher, par tous les moyens, à la faire taire.

— Vous pensez donc qu’elle est peut-être morte à l’heure qu’il est ?

— C’est possible. Il se tut un moment avant d’ajouter : « Vous connaissez cette « Folie » qui se trouve au milieu de vos bois, Mr. Rogers ? »

— Oui. Ma femme et moi l’avons découverte un jour et l’avons aménagée. Nous nous y rendions quelquefois. Pourquoi cette question ?

— En procédant à notre enquête, nous l’avons inspectée. Elle n’était pas fermée à clé…

— Nous ne la verrouillions pas, car elle ne renferme rien de précieux.

— Nous espérions y trouver des traces du passage de Mrs. Lee, or tout ce que nous y avons découvert est ceci.

Il sortit de son tiroir un petit briquet en or, délicatement ciselé et orné d’un C serti de diamants.

— Appartenait-il à votre femme, Mr. Rogers ?

— Je ne l’ai jamais remarqué parmi ses affaires. L’initiale ne correspond pas à son prénom. Quant à Miss Andersen, elle s’appelle Greta.

— C’est un briquet de grande valeur.

— La seule personne portant l’initiale C’est la belle-mère de ma femme, Cora Van Stuyvesant, mais je ne l’imagine pas se hasardant dans un sentier couvert de ronces pour aller méditer seule dans un pavillon isolé. De plus, elle nous a rendu une visite très brève, il y a quelques semaines. Depuis, nous aurions remarqué ce briquet, car l’endroit est très peu meublé. Où l’avez-vous trouvé exactement ?

— Au pied du divan. Naturellement, n’importe qui aurait pu pénétrer dans ce pavillon puisque vous ne le fermez jamais à clé, mais je doute que nos villageoises soient assez riches pour pouvoir s’offrir un tel joujou.

— À présent, j’y pense. Miss Claudia Hardcastle aurait pu se rendre là-bas, car ma femme et moi n’aurions élevé aucune objection à ce qu’elle visitât la « Folie », mais je ne la crois pas intéressée par des objets aussi raffinés.

— Miss Hardcastle était une amie de votre femme ?

— Oui et la seule amie que mon épouse fréquentait dans la région. Dites, vous n’imaginez pas que Claudia aurait pu détester ma femme au point de…

— Elle n’aurait, je l’admets, aucune raison apparente de nourrir un tel sentiment envers Mrs. Rogers, mais on ne sait jamais avec les femmes.

— Je crois savoir que Claudia avait épousé un Américain du nom de Lloyd et bien que les États-Unis doivent compter des centaines de citoyens portant ce nom, je me demande s’il ne s’agirait pas du Lloyd qui s’occupe des affaires financières de ma femme.

— Possible. Où voulez-vous en venir ?

— Eh bien ! Le jour de l’accident, il me semble avoir aperçu cet homme au « George » à Bartington.

— Il n’est pas venu vous rendre visite ?

— Non, il était accompagné d’une personne qui ressemblait assez à Claudia Hardcastle. Mais j’ai probablement fait erreur. C’est le frère de Miss Hardcastle qui a construit notre maison.

— Ah ? Votre maison lui plaît-elle ?

— Je crois qu’elle ne prise pas beaucoup l’architecture moderne.

Ne voyant plus rien à ajouter, je me levai pour prendre congé.

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