Nouvelles et Contes – Tome II

VI

Je cherchai d’abord mes parents dans tous lesjardins d’alentour, mais ce fut peine perdue ; ils s’étaientsans doute réfugiés dans quelque quartier éloigné, et je ne pusjamais savoir de leurs nouvelles.

Pénétré d’une tristesse affreuse, j’allai mepercher sur la gouttière où la colère de mon père m’avait d’abordexilé. J’y passais les jours et les nuits à déplorer ma tristeexistence. Je ne dormais plus, je mangeais à peine : j’étaisprès de mourir de douleur.

Un jour que je me lamentais comme àl’ordinaire :

« Ainsi donc, me disais-je tout haut, jene suis ni un merle, puisque mon père me plumait ; ni unpigeon, puisque je suis tombé en route quand j’ai voulu aller enBelgique ; ni une pie russe, puisque la petite marquise s’estbouché les oreilles dès que j’ai ouvert le bec ; ni unetourterelle, puisque Gourouli, la bonne Gourouli elle-même,ronflait comme un moine quand je chantais ; ni un perroquet,puisque Kacatogan n’a pas daigné m’écouter ; ni un oiseauquelconque, enfin, puisque, à Mortefontaine, on m’a laissé couchertout seul. Et cependant j’ai des plumes sur le corps ; voilàdes pattes et voilà des ailes. Je ne suis point un monstre, témoinGourouli, et cette petite marquise elle-même, qui me trouvaientassez à leur gré. Par quel mystère inexplicable ces plumes, cesailes et ces pattes ne sauraient-elles former un ensemble auquel onpuisse donner un nom ? Ne serais-je pas parhasard ?… »

J’allais poursuivre mes doléances, lorsque jefus interrompu par deux portières qui se disputaient dans larue.

« Ah, parbleu ! dit l’une d’elles àl’autre, si tu en viens jamais à bout, je te fais cadeau d’un merleblanc !

– Dieu juste ! m’écriai-je, voilàmon affaire. Ô Providence ! je suis fils d’un merle, et jesuis blanc : je suis un merle blanc ! »

Cette découverte, il faut l’avouer, modifiabeaucoup mes idées. Au lieu de continuer à me plaindre, jecommençai à me rengorger et à marcher fièrement le long de lagouttière, en regardant l’espace d’un air victorieux.

« C’est quelque chose, me dis-je, qued’être un merle blanc : cela ne se trouve point dans le pasd’un âne. J’étais bien bon de m’affliger de ne pas rencontrer monsemblable : c’est le sort du génie, c’est le mien ! Jevoulais fuir le monde, je veux l’étonner ! Puisque je suis cetoiseau sans pareil dont le vulgaire nie l’existence, je dois etprétends me comporter comme tel, ni plus ni moins que le phénix, etmépriser le reste des volatiles. Il faut que j’achète les Mémoiresd’Alfieri et les poèmes de lord Byron ; cette nourrituresubstantielle m’inspirera un noble orgueil, sans compter celui queDieu m’a donné. Oui, je veux ajouter, s’il se peut, au prestige dema naissance. La nature m’a fait rare, je me ferai mystérieux. Cesera une faveur, une gloire de me voir. – Et, au fait, ajoutai-jeplus bas, si je me montrais tout bonnement pour del’argent ?

« Fi donc ! quelle indignepensée ! Je veux faire un poème comme Kacatogan, non pas en unchant, mais en vingt-quatre, comme tous les grands hommes ; cen’est pas assez, il y en aura quarante-huit, avec des notes et unappendice ! Il faut que l’univers apprenne que j’existe. Je nemanquerai pas, dans mes vers, de déplorer mon isolement ; maisce sera de telle sorte, que les plus heureux me porteront envie.Puisque le ciel m’a refusé une femelle, je dirai un mal affreux decelles des autres. Je prouverai que tout est trop vert, hormis lesraisins que je mange. Les rossignols n’ont qu’à se bientenir ; je démontrerai, comme deux et deux font quatre, queleurs complaintes font mal au cœur, et que leur marchandise ne vautrien. Il faut que j’aille trouver Charpentier. Je veux me créertout d’abord une puissante position littéraire. J’entends avoirautour de moi une cour composée, non pas seulement de journalistes,mais d’auteurs véritables et même de femmes de lettres. J’écriraiun rôle pour mademoiselle Rachel, et, si elle refuse de le jouer,je publierai à son de trompe que son talent est bien inférieur àcelui d’une vieille actrice de province. J’irai à Venise, et jelouerai, sur les bords du grand canal, au milieu de cette citéféerique, le beau palais Mocenigo, qui coûte quatre livres dix souspar jour ; là, je m’inspirerai de tous les souvenirs quel’auteur de Lara doit y avoir laissés. Du fond de ma solitude,j’inonderai le monde d’un déluge de rimes croisées, calquées sur lastrophe de Spencer, où je soulagerai ma grande âme ; je feraisoupirer toutes les mésanges, roucouler toutes les tourterelles,fondre en larmes toutes les bécasses, et hurler toutes les vieilleschouettes. Mais, pour ce qui regarde ma personne, je me montreraiinexorable et inaccessible à l’amour. En vain me pressera-t-on, mesuppliera-t-on d’avoir pitié des infortunées qu’auront séduites meschants sublimes ; à tout cela, je répondrai :

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