Nouvelles et Contes – Tome II

VII

« Mademoiselle est allée à lamesse, répondit la portière aux deux étudiants, lorsqu’ils furentarrivés chez mademoiselle Pinson. – À la messe ! ditEugène surpris.

– À la messe ! répéta Marcel.C’est impossible, elle n’est pas sortie. Laissez-nous entrer ;nous sommes de vieux amis.

– Je vous assure, monsieur,répondit la portière, qu’elle est sortie pour aller à la messe, ily a environ trois quarts d’heure.

– Et à quelle église est-elleallée ?

– À Saint-Sulpice, comme decoutume ; elle n’y manque pas un matin.

– Oui, oui, je sais qu’elle prie lebon Dieu ; mais cela me semble bizarre qu’elle soit dehorsaujourd’hui.

– La voici qui rentre,monsieur ; elle tourne la rue ; vous la voyezvous-même. »

Mademoiselle Pinson, sortant del’église, revenait chez elle, en effet. Marcel ne l’eut pas plustôt aperçue, qu’il courut à elle, impatient de voir de près satoilette. Elle avait, en guise de robe, un jupon d’indienne foncée,à demi caché sous un rideau de serge verte dont elle s’était fait,tant bien que mal, un châle. De cet accoutrement singulier, maisqui, du reste, n’attirait pas les regards, à cause de sa couleursombre, sortaient sa tête gracieuse coiffée de son bonnet blanc, etses petits pieds chaussés de brodequins. Elle s’était enveloppéedans son rideau avec tant d’art et de précaution, qu’il ressemblaitvraiment à un vieux châle et qu’on ne voyait presque pas labordure. En un mot, elle trouvait moyen de plaire encore dans cettefriperie, et de prouver, une fois de plus sur terre, qu’une joliefemme est toujours jolie.

« Comment metrouvez-vous ? dit-elle aux deux jeunes gens en écartant unpeu son rideau, et en laissant voir sa fine taille serrée dans soncorset. C’est un déshabillé du matin que Palmyre vient dem’apporter. – Vous êtes charmante, dit Marcel. Ma foi, jen’aurais jamais cru qu’on pût avoir si bonne mine avec le châled’une fenêtre.

– En vérité ? repritmademoiselle Pinson ; j’ai pourtant l’air un peupaquet.

– Paquet de roses, répondit Marcel.J’ai presque regret maintenant de vous avoir rapporté votrerobe.

– Ma robe ? Où l’avez-voustrouvée ?

– Où elle était,apparemment.

– Et vous l’avez tirée del’esclavage ?

– Eh, mon Dieu ! oui, j’aipayé sa rançon. M’en voulez-vous de cette audace ?

– Non pas ! à charge derevanche. Je suis bien aise de revoir ma robe ; car, à vousdire vrai, voilà déjà longtemps que nous vivons toutes les deuxensemble, et je m’y suis attachée insensiblement. »

En parlant ainsi, mademoiselle Pinsonmontait lestement les cinq étages qui conduisaient à sa chambrette,où les deux amis entrèrent avec elle.

« Je ne puis pourtant, repritMarcel, vous rendre cette robe qu’à une condition. – Fidonc ! dit la grisette. Quelque sottise ! Desconditions ? je n’en veux pas.

– J’ai fait un pari, ditMarcel ; il faut que vous nous disiez franchement pourquoicette robe était en gage.

– Laissez-moi donc d’abord laremettre, répondit mademoiselle Pinson ; je vous dirai ensuitemon pourquoi. Mais je vous préviens que, si vous ne voulez pasfaire antichambre dans mon armoire ou sur la gouttière, il faut,pendant que je vais m’habiller, que vous vous voiliez la face commeAgamemnon.

– Qu’à cela ne tienne, ditMarcel ; nous sommes plus honnêtes qu’on ne pense, et je nehasarderai pas même un œil.

– Attendez, reprit mademoisellePinson ; je suis pleine de confiance, mais la sagesse desnations nous dit que deux précautions valent mieuxqu’une.

En même temps elle se débarrassa de sonrideau, et l’étendit délicatement sur la tête des deux amis, demanière à les rendre complètement aveugles.

– Ne bougez pas, leurdit-elle ; c’est l’affaire d’un instant.

– Prenez garde à vous, dit Marcel.S’il y a un trou au rideau, je ne réponds de rien. Vous ne voulezpas vous contenter de notre parole, par conséquent elle estdégagée.

– Heureusement ma robe l’est aussi,dit mademoiselle Pinson ; et ma taille aussi, ajouta-t-elle enriant et en jetant le rideau par terre. Pauvre petite robe !il me semble qu’elle est toute neuve. J’ai un plaisir à me sentirdedans !

– Et votre secret ? nous ledirez-vous maintenant ? Voyons, soyez sincère, nous ne sommespas bavards. Pourquoi et comment une jeune personne comme vous,sage, rangée, vertueuse et modeste, a-t-elle pu accrocher ainsi,d’un seul coup, toute sa garde-robe à un clou ?

– Pourquoi ?… pourquoi ?…répondit mademoiselle Pinson, paraissant hésiter. Puis elle pritles deux jeunes gens chacun par un bras, et leur dit en lespoussant vers la porte : « Venez avec moi, vous leverrez. » Comme Marcel s’y attendait, elle les conduisit ruede l’Éperon.

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