Nouvelles et Contes – Tome II

II

Malgré toutes les questions, toutes lesinstances que put faire Armand, Tristan ne voulut donner à sonfrère aucune explication des étranges paroles qu’il avaitprononcées en rentrant. Le lendemain, il annonça à sa mère que sesaffaires le forçaient d’aller à Paris pour quelques jours, et donnases ordres en conséquence ; il avait le dessein de partir lesoir même.

« Il faut convenir, disait Armand, que tuen agis avec moi d’une façon un peu cavalière. Tu me fais la moitiéd’une confidence, et tu t’en vas d’un jour à l’autre avec le restede ton secret. Que veux-tu que je pense de ce départimpromptu ?

– Ce qu’il te plaira, répondit Tristanavec une indifférence si tranquille qu’elle semblait n’avoir riend’emprunté, tu ne feras qu’y perdre ta peine. J’ai eu un mouvementde colère, il est vrai, pour une bagatelle, une querelled’amour-propre, une bouderie, comme tu voudras l’appeler. LaBretonnière m’a ennuyé ; la marquise était de mauvaisehumeur ; l’orage m’a contrarié ; je suis revenu je nesais pourquoi, et je t’ai parlé sans savoir ce que je disais. Jeconviendrai bien, si tu veux, qu’il y a un peu de froid entre lamarquise et moi ; mais, à la première occasion, tu nous verrasamis comme devant.

– Tout cela est bel et bon, répliquaitArmand, mais tu ne parlais pas hier par énigme, quand tu m’asdit : « C’est la dernière des femmes. » Il n’ya là mauvaise humeur qui tienne. Quelque chose est arrivé que tucaches. – Et que veux-tu qu’il me soit arrivé ? »demandait Tristan.

À cette question, Armand baissait latête, et restait muet ; car en pareille circonstance, dumoment que son frère se taisait, toute supposition, même faite enplaisantant, pouvait être aisément blessante.

Vers le milieu de la journée, unecalèche découverte entra dans la cour des Clignets. Un petit hommed’assez mauvaise tournure, à l’air gauche et endimanché, descenditaussitôt de la voiture, baissa lui-même le marchepied et présentala main à une grande et belle femme, mise simplement et avec goût.C’était madame de Vernage et la Bretonnière qui venaient fairevisite à la baronne. Tandis qu’ils montaient le perron, où madamede Berville vint les recevoir, Armand observa le visage de sonfrère avec un peu de surprise et beaucoup d’attention. Mais Tristanle regarda en souriant, comme pour lui dire : « Tuvois qu’il n’y a rien de nouveau. » À la tournure aisée queprit la conversation, aux politesses froides, mais sans nullecontrainte, qu’échangèrent Tristan et la marquise, il ne semblaitpas, en effet, que rien d’extraordinaire se fût passé la veille. Lamarquise apportait à madame de Berville, qui aimait les oiseaux, unnid de rouges-gorges ; la Bretonnière l’avait dans sonchapeau. On descendit dans le jardin et on alla voir la volière. LaBretonnière, bien entendu, donna le bras à la baronne ; lesdeux jeunes gens restèrent près de madame de Vernage. Elleparaissait plus gaie que de coutume ; elle marchait au hasardde côté et d’autre sans respect pour les buis de la baronne, ettout en se faisant un bouquet au passage.

« Eh bien ! messieurs,dit-elle, quand chassons-nous ? » Armand attendait cettequestion pour entendre Tristan annoncer son départ. Il l’annonçaeffectivement du ton le plus calme ; mais, en même temps, ilfixa sur la marquise un regard pénétrant, presque dur et offensif.Elle ne parut y faire aucune attention, et ne lui demanda même pasquand il comptait revenir.

« En ce cas-là, reprit-elle,monsieur Armand, vous serez le seul représentant des Berville quenous verrons à Renonval ; car je suppose que nous vous aurons.La Bretonnière dit qu’il a découvert, avec les lunettes de mongarde, une espèce de cochon sauvage à qui la barbe vient comme auxoiseaux les plumes…

– Point du tout, dit laBretonnière, c’est une sorte de truie chinoise, de couleur noire,appelée tonkin. Lorsque ces animaux quittent la basse-cour ets’habituent à vivre dans les bois…

– Oui, dit la marquise, ilsdeviennent farouches, et, à force de manger du gland, les défensesleur poussent au bout du museau.

– C’est de toute vérité, réponditla Bretonnière, non pas, il est vrai, à la première, ni même à laseconde génération ; mais il suffit que le fait existe,ajouta-t-il d’un air satisfait.

– Sans doute, reprit madame deVernage, et si un homme s’avisait de faire comme mesdames lestonkines, de s’installer dans une forêt, il en résulterait que sespetits-enfants auraient des cornes sur la tête. Et c’est ce quiprouve, continua-t-elle en frappant de son bouquet sur la main deTristan, qu’on a grand tort de faire le sauvage : cela neréussit à personne.

– Cela est encore vrai, dit laBretonnière ; la sauvagerie est un grand défaut.

– Elle vaut pourtant mieux,répondit Tristan, qu’une certaine espèce dedomesticité. »

La Bretonnière ouvrait de grands yeux,ne sachant trop s’il devait se fâcher.

« Oui, dit madame de Berville à lamarquise, vous avez bien raison. Grondez-moi ce méchant garçon, quiest toujours sur les grands chemins, et qui veut encore nousquitter ce soir pour aller à Paris. Défendez-lui donc departir. »

Madame de Vernage, qui, tout à l’heure,n’avait pas dit un mot pour essayer de retenir Tristan, se voyantainsi priée de le faire, y mit aussitôt toute l’insistance et toutela bonne grâce dont elle était capable. Elle prit son plus douxregard et son plus doux sourire pour dire à Tristan qu’il semoquait, qu’il n’avait point d’affaires à Paris, que la curiositéd’une chasse au tonkin devait l’emporter sur tout au monde ;qu’enfin elle le priait officiellement de venir déjeuner lelendemain à Renonval. Tristan répondait à chacun de ses complimentspar un de ces petits saluts insignifiants qu’ont inventés les gensqui ne savent quoi dire : il était clair que sa patience étaitmise à une cruelle épreuve. Madame de Vernage n’attendit pas unrefus qu’elle prévoyait, et, dès qu’elle eut cessé de parler, ellese retourna et s’occupa d’autre chose, exactement comme si elle eûtrépété une comédie et que son rôle eût été fini.

« Que signifie tout cela ? sedisait toujours Armand. Quel est celui qui en veut à l’autre ?Est-ce mon frère ? est-ce la Bretonnière ? Que vientfaire ici la marquise ? »

La façon d’être de madame de Vernageétait, en effet, difficile à comprendre. Tantôt elle témoignait àTristan une froideur et une indifférence marquées ; tantôtelle paraissait le traiter avec plus de familiarité et decoquetterie qu’à l’ordinaire. « Cassez-moi donc cettebranche-là, lui disait-elle ; cherchez-moi du muguet. J’ai dumonde ce soir, je veux être toute en fleurs ; je compte mettreune robe botanique, et avoir un jardin sur latête. »

Tristan obéissait : il le fallaitbien. La marquise se trouva bientôt avoir une véritable botte defleurs, mais aucune ne lui plaisait. « Vous n’êtes pasconnaisseur, disait-elle, vous êtes un mauvais jardinier ;vous brisez tout, et vous croyez bien faire parce que vous vouspiquez les doigts ; mais ce n’est pas cela, vous ne savez paschoisir. »

En parlant ainsi, elle effeuillait lesbranches, puis les laissait tomber à terre, et les repoussait dupied en marchant, avec ce dédain sans souci qui fait quelquefoistant de mal le plus innocemment du monde.

Il y avait au milieu du parc une petiterivière avec un pont de bois qui était brisé, mais dont il restaitencore quelques planches. La Bretonnière, selon sa manie, déclaraqu’il y avait danger à s’y hasarder, et qu’il fallait revenir parun autre chemin. La marquise voulut passer, et commençait à prendreles devants, quand la baronne lui représenta qu’en effet ce pontétait vermoulu, et qu’elle courait le risque d’une chute assezgrave.

« Bah ! dit madame de Vernage.Vous calomniez vos planches pour faire les honneurs de laprofondeur de votre rivière ; et si je faisais comme Condé,qu’est-ce qu’il arriverait donc ? »

Devant monter à cheval, au retour, elleavait à la main une cravache. Elle la jeta de l’autre côté del’eau, dans une petite île : « Maintenant, messieurs,reprit-elle, voilà mon bâton jeté à l’ennemi. Qui de vous ira lechercher ?

– C’est fort imprudent, dit laBretonnière ; cette cravache est fort jolie, la pomme en esttrès bien ciselée.

– Y aura-t-il du moins unerécompense honnête ? demanda Armand.

– Fi donc ! s’écria lamarquise. Vous marchandez avec la gloire ! Et vous, monsieurle hussard, ajouta-t-elle en se tournant vers Tristan, qu’est-ceque vous dites ? passerez-vous ? »

Tristan semblait hésiter, non parcrainte du danger ni du ridicule, mais par un sentiment derépugnance à se voir ainsi provoqué pour une semblable bagatelle.Il fronça le sourcil et répondit froidement :

« Non, madame.– Hélas ! dit madame de Vernage en soupirant, si monpauvre Phanor était là, il m’aurait déjà rendu macravache. »

La Bretonnière, tâtant le pont avec sacanne, le contemplait d’un air de réflexion profonde ; appuyéenonchalamment sur la poutre brisée qui servait de rampe, lamarquise s’amusait à faire plier les planches en se balançantau-dessus de l’eau : elle s’élança tout à coup, traversa lepont avec une vivacité et une légèreté charmantes, et se mit àcourir dans l’île. Armand avait voulu la prévenir, mais son frèrelui prit le bras, et, se mettant à marcher à grands pas, l’entraînaà l’écart dans une allée ; là, dès que les deux jeunes gensfurent seuls :

« La patience m’échappe, ditTristan. J’espère que tu ne me crois pas assez sot pour me fâcherd’une plaisanterie ; mais cette plaisanterie a un motif.Sais-tu ce qu’elle vient chercher ici ? Elle vient me braver,jouer avec ma colère, et voir jusqu’à quel point j’endurerai sonaudace ; elle sait ce que signifie son froid persiflage.Misérable cœur ! méprisable femme, qui, au lieu de respectermon silence et de me laisser m’éloigner d’elle en paix, vientpromener ici sa petite vanité, et se faire une sorte de triomphed’une discrétion qu’on ne lui doit pas !

– Explique-toi, dit Armand ;qu’y a-t-il ?

– Tu sauras tout, car, aussi bien,tu y es intéressé, puisque tu es mon frère. Hier au soir, pendantque nous causions sur la route, et que tu me disais tant de mal decette femme, je suis descendu de cheval au carrefour des Roches. Ily avait à terre une branche de saule, que tu ne m’as pas vuramasser ; cette branche de saule, c’était madame de Vernagequi l’avait enfoncée dans le sable, en se promenant le matin. Elleriait tout à l’heure en m’en faisant casser d’autres auxarbres ; mais celle-là avait un sens : elle voulait direque la gouvernante et les enfants de la marquise étaient allés chezson oncle à Beaumont, que la Bretonnière ne viendrait pas dîner, etque, si je craignais d’éveiller les gens en sortant de Renonval unpeu plus tard, je pouvais laisser mon cheval chez le bonhomme duHéloy.

– Peste ! dit Armand, toutcela dans un brin de saule !

– Oui, et plût à Dieu que j’eusserepoussé du pied ce brin de saule comme elle vient de le faire pournos fleurs ! Mais, je te l’ai dit et tu l’as vu toi-même, jel’aimais, j’étais sous le charme. Quelle bizarrerie !Oui ! hier encore je l’adorais ; j’étais tout amour,j’aurais donné mon sang pour elle, et aujourd’hui…

– Eh bien,aujourd’hui ?

– Écoute ; il faut, pour quetu me comprennes, que tu saches d’abord une petite aventure quim’est arrivée l’an passé. Tu sauras donc qu’au bal de l’Opéra j’airencontré une espèce de grisette, de modiste, je ne sais quoi. Jesuis venu à faire sa connaissance par un hasard assez singulier.Elle était assise à côté de moi, et je ne faisais nulle attention àelle, lorsque Saint-Aubin, que tu connais, vint me dire bonsoir. Aumême instant, ma voisine, comme effrayée, cacha sa tête derrièremon épaule ; elle me dit à l’oreille qu’elle me suppliait dela tirer d’embarras, de lui donner le bras pour faire un tour defoyer ; je ne pouvais guère m’y refuser. Je me levai avecelle, et je quittai Saint-Aubin. Elle me conta là-dessus qu’ilétait son amant, qu’elle avait peur de lui, qu’il était jaloux,enfin, qu’elle le fuyait. Je me trouvais ainsi tout à coup jouer,aux yeux de Saint-Aubin, le rôle d’un rival heureux ; car ilavait reconnu sa grisette, et nous suivait d’un air mécontent. Quete dirai-je ? Il me parut plaisant de prendre à peu près ausérieux ce rôle que l’occasion m’offrait. J’emmenai souper lapetite fille. Saint-Aubin, le lendemain, vint me trouver et voulutse fâcher. Je lui ris au nez, et je n’eus pas de peine à lui faireentendre raison. Il convint de bonne grâce qu’il n’était guèrepossible de se couper la gorge pour une demoiselle qui se réfugiaitau bal masqué pour fuir la jalousie de son amant. Tout se passa enplaisanterie, et l’affaire fut oubliée ; tu vois que le maln’est pas grand.

– Non, certes ; il n’y a làrien de bien grave.

– Voici maintenant ce quiarrive : Saint-Aubin, comme tu sais, voit quelquefois madamede Vernage. Il est venu ici et à Renonval. Or, cette nuit, aumoment même où la marquise, assise près de moi, écoutait de songrand air de reine toutes les folies qui me passaient par la tête,et essayait, en souriant, cette bague qui, grâce au ciel, estencore à mon doigt, sais-tu ce qu’elle imagine de me dire ?Que cette histoire de bal lui a été contée, qu’elle la sait debonne source, que Saint-Aubin adorait cette grisette, qu’il a étéau désespoir de l’avoir perdue, qu’il a voulu se venger, qu’il m’ademandé raison, que j’ai reculé, et qu’alors… »

Tristan ne put achever. Pendant quelquesminutes les deux frères marchèrent en silence.

« Qu’as-tu répondu ? dit enfinArmand.

– Je lui ai répondu une chose trèssimple. Je lui ai dit tout bonnement : Madame la marquise, unhomme qui souffre qu’un autre homme lève la main sur lui impunéments’appelle un lâche, vous le savez très bien. Mais la femme qui,sachant cela, ou le croyant, devient la maîtresse de ce lâche,s’appelle aussi d’un certain nom qu’il est inutile de vousdire. » Là-dessus, j’ai pris mon chapeau.

« Et elle ne t’a pasretenu ? – Si fait, elle a d’abord voulu prendre leschoses en riant, et me dire que je me fâchais pour un propos enl’air. Ensuite, elle m’a demandé pardon de m’avoir offensé sansdessein ; je ne sais même pas si elle n’a pas essayé depleurer. À tout cela, je n’ai rien répliqué, sinon que jen’attachais aucune importance à une indignité qui ne pouvaitm’atteindre, qu’elle était libre de croire et de penser tout ce quebon lui semblerait, et que je ne me donnerais pas la moindre peinepour lui ôter son opinion. « Je suis, lui ai-je dit,soldat depuis dix ans, mes camarades qui me connaissent auraientquelque peine à admettre votre conte, et par conséquent je ne m’ensoucie qu’autant qu’il faut pour le mépriser. » – Est-celà réellement ta pensée ?

– Y songes-tu ? Si je pouvaishésiter à savoir ce que j’ai à faire, c’est précisément parce queje suis soldat que je n’aurais pas deux partis à prendre. Veux-tuque je laisse une femme sans cœur plaisanter avec mon honneur, etrépéter demain sa misérable histoire à une coquette de son bord, ouà quelqu’un de ces petits garçons à qui tu prétends qu’elle tournela tête ? Supposes-tu que mon nom, le tien, celui de notremère, puisse devenir un objet de risée ? Seigneur Dieu !cela fait frémir !

– Oui, dit Armand, et voilàcependant les petits badinages pleins de grâce qu’inventent cesdames pour se désennuyer. Faire d’une niaiserie un roman bien noir,bien scandaleux, voilà le bon plaisir de leur cervelle creuse. Maisque comptes-tu faire maintenant ?

– Je compte aller ce soir à Paris.Saint-Aubin est aussi un soldat ; c’est un brave ; jesuis loin de croire, Dieu m’en préserve ! qu’un mot de sa partait jamais pu donner l’idée de cette fable fabriquée par quelquefemme de chambre ; mais, à coup sûr, je le ramènerai ici, etil ne lui sera pas plus difficile de dire tout haut la vérité,qu’il ne me le sera, à moi, de l’entendre. C’est une démarchefâcheuse, pénible, que je ferai là, sans nul doute ; c’est unetriste chose que d’aller trouver un camarade, et de lui dire :« On m’accuse d’avoir manqué de cœur. » Maisn’importe, en pareille circonstance, tout est juste et doit êtrepermis. Je te le répète, c’est notre nom que je défends, et s’il nedevait pas sortir de là pur comme de l’or, je m’arracheraismoi-même la croix que je porte. Il faut que la marquise entendeSaint-Aubin lui dire, en ma présence, qu’on lui a répété un sotconte, et que ceux qui l’ont forgé en ont menti. Mais, une foiscette explication faite, il faut que la marquise m’entende aussi àmon tour ; il faut que je lui donne bien discrètement, entermes bien polis, en tête-à-tête, une leçon qu’elle n’oubliejamais ; je veux avoir le petit plaisir de lui exprimernettement ce que je pense de son orgueil et de sa ridiculepruderie. Je ne prétends pas faire comme Bussy d’Amboise, qui,après avoir exposé sa vie pour aller chercher le bouquet de samaîtresse, le lui jeta à la figure : je m’y prendrai pluscivilement ; mais quand une bonne parole produit son effet, ilimporte peu comment elle est dite, et je te réponds que d’ici àquelque temps, du moins, la marquise sera moins fière, moinscoquette et moins hypocrite. – Allons rejoindre la compagnie,dit Armand, et ce soir j’irai avec toi. Je te laisserai faire toutseul, cela va sans dire ; mais, si tu le permets, je seraidans la coulisse. »

La marquise se disposait à retournerchez elle lorsque les deux frères reparurent. Elle se doutaitvraisemblablement qu’elle avait été pour quelque chose dans leurconversation, mais son visage n’en exprimait rien ; jamais, aucontraire, elle n’avait semblé plus calme et plus contented’elle-même. Ainsi qu’il a été dit, elle s’en allait à cheval.Tristan, faisant les honneurs de la maison, s’approcha pour luiprendre le pied et la mettre en selle. Comme elle avait marché surle sable mouillé, son brodequin était humide, en sorte quel’empreinte en resta marquée sur le gant de Tristan. Dès que madamede Vernage fut partie, Tristan ôta ce gant et le jeta àterre.

« Hier, je l’aurais baisé, »dit-il à son frère.

Le soir venu, les deux jeunes gensprirent la poste ensemble, et allèrent coucher à Paris. Madame deBerville, toujours inquiète et toujours indulgente, comme une vraiemère qu’elle était, fit semblant de croire aux raisons qu’ilsprétendirent avoir pour partir. Dès le lendemain matin, comme on lepense bien, leur premier soin fut d’aller demanderM. de Saint-Aubin, capitaine de dragons, rueNeuve-Saint-Augustin, à l’hôtel garni où il logeait habituellementquand il était en congé.

« Dieu veuille que nous letrouvions ! disait Armand. Il est peut-être en garnison bienloin.

– Quand il serait à Alger,répondait Tristan, il faut qu’il parle, ou du moins qu’ilécrive ; j’y mettrai six mois, s’il le faut, mais je letrouverai, ou il dira pourquoi. »

Le garçon de l’hôtel était un Anglais,chose fort commode peut-être pour les sujets de la reine Victoriacurieux de visiter Paris, mais assez gênante pour les Parisiens. Àla première parole de Tristan, il répondit par l’exclamation laplus britannique :

« Oh !

– Voilà qui est bien, dit Armand,plus impatient encore que son frère ; maisM. de Saint-Aubin est-il ici ?

– Oh ! no.

– N’est-ce pas dans cette maisonqu’il demeure ?

– Oh ! yes.

– Il est doncsorti ?

– Oh ! no.

– Expliquez-vous. Peut-on luiparler ?

– No, sir, impossible.

– Pourquoi,impossible ?

– Parce qu’il est… Commentdites-vous ?

– Il est malade.

– Oh ! no, il estmort. »

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