Nouvelles et Contes – Tome II

IX

Je m’envolai là-dessus, toujourspleurant ; et le vent, qui est le hasard des oiseaux, merapporta sur une branche de Mortefontaine. Pour cette fois, onétait couché. « Quel mariage ! me disais-je, quelleéquipée ! C’est certainement à bonne intention que cettepauvre enfant s’est mis du blanc ; mais je n’en suis pas moinsà plaindre, ni elle moins rousse. » Le rossignol chantaitencore. Seul, au fond de la nuit, il jouissait à plein cœur dubienfait de Dieu qui le rend si supérieur aux poètes, et donnaitlibrement sa pensée au silence qui l’entourait. Je ne pus résisterà la tentation d’aller à lui et de lui parler.

« Que vous êtesheureux ! lui dis-je : non seulement vous chantez tantque vous voulez, et très bien, et tout le monde écoute ; maisvous avez une femme et des enfants, votre nid, vos amis, un bonoreiller de mousse, la pleine lune et pas de journaux. Rubini etRossini ne sont rien auprès de vous : vous valez l’un, et vousdevinez l’autre. J’ai chanté aussi, monsieur, et c’est pitoyable.J’ai rangé des mots en bataille comme des soldats prussiens, etj’ai coordonné des fadaises pendant que vous étiez dans les bois.Votre secret peut-il s’apprendre ? – Oui, me répondit lerossignol, mais ce n’est pas ce que vous croyez. Ma femme m’ennuie,je ne l’aime point ; je suis amoureux de la rose : Sadi,le Persan, en a parlé. Je m’égosille toute la nuit pour elle, maiselle dort et ne m’entend pas. Son calice est fermé à l’heure qu’ilest : elle y berce un vieux scarabée, – et demain matin, quandje regagnerai mon lit, épuisé de souffrance et de fatigue, c’estalors qu’elle s’épanouira, pour qu’une abeille lui mange lecœur ! »

FIN DE L’HISTOIRE D’UN MERLE BLANC.

Il n’y a pas une seule page de ce contequi ne renferme, sous la forme d’une piquante allégorie, quelquepeinture de mœurs d’une vérité frappante, ou quelque trait decritique littéraire plein de raison et de verve gauloise. Lessouffrances, les déceptions, les chagrins des poètes en général, etceux de l’auteur en particulier, y sont présentés gaiement sous desallusions si transparentes que nous ne ferons pas au lecteurl’injure de lui en donner l’explication.

L’Histoire d’un merle blanc aparu pour la première fois dans les Scènes de la vie privée desanimaux, ouvrage publié par livraisons et illustré par lecrayon de Grandville.

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