Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 11La Mort marraine

Il était une fois un homme pauvre qui avaitdouze enfants. Pour les nourrir, il lui fallait travailler jour etnuit. Quand le treizième vint au monde, ne sachant plus commentfaire, il partit sur la grand-route dans l’intention de demander aupremier venu d’en être le parrain. Le premier qu’il rencontra futle Bon Dieu. Celui-ci savait déjà ce que l’homme avait sur le cœuret il lui dit :

– Brave homme, j’ai pitié de toi ;je tiendrai ton fils sur les fonts baptismaux, m’occuperai de luiet le rendrai heureux durant sa vie terrestre.

L’homme demanda :

– Qui es-tu ?

– Je suis le Bon Dieu.

– Dans ce cas, je ne te demande pasd’être parrain de mon enfant, dit l’homme. Tu donnes aux riches ettu laisses les pauvres mourir de faim. (L’homme disait cela parcequ’il ne savait pas comment Dieu partage richesse et pauvreté.)

Il prit donc congé du Seigneur et poursuivitsa route. Le Diable vint à sa rencontre et dit :

– Que cherches-tu ? Si tu me prendspour parrain de ton fils, je lui donnerai de l’or en abondance ettous les plaisirs de la terre par-dessus le marché.

L’homme demanda :

– Qui es-tu ?

– Je suis le Diable.

– Alors, je ne te veux pas pour parrain.Tu trompes les hommes et tu les emportes.

Il continua son chemin. Le Grand Faucheur auxossements desséchés venait vers lui et l’apostropha en cestermes :

– Prends-moi pour parrain.

L’homme demanda :

– Qui es-tu ?

– Je suis la Mort qui rend les uns égauxaux autres.

Alors l’homme dit :

– Tu es ce qu’il me faut. Sans faire dedifférence, tu prends le riche comme le pauvre. Tu seras leparrain.

Le Grand Faucheur répondit :

– Je ferai de ton fils un homme riche etillustre, car qui m’a pour ami ne peut manquer de rien.

L’homme ajouta :

– Le baptême aura lieu dimancheprochain ; sois à l’heure.

Le Grand Faucheur vint comme il avait promiset fut parrain.

Quand son filleul eut grandi, il appela unjour et lui demanda de le suivre. Il le conduisit dans la forêt etlui montra une herbe qui poussait en disant :

– Je vais maintenant te faire ton cadeaude baptême. Je vais faire de toi un médecin célèbre. Quand tu terendras auprès d’un malade, je t’apparaîtrai. Si tu me vois du côtéde sa tête, tu pourras dire sans hésiter que tu le guériras. Tu luidonneras de cette herbe et il retrouvera la santé. Mais si je suisdu côté de ses pieds, c’est qu’il m’appartient ; tu dirasqu’il n’y a rien à faire, qu’aucun médecin au monde ne pourra lesauver. Et garde-toi de donner l’herbe contre ma volonté, il t’encuirait !

Il ne fallut pas longtemps pour que le jeunehomme devint le médecin le plus illustre de la terre.

– Il lui suffit de regarder un maladepour savoir ce qu’il en est, s’il guérira ou s’il mourra, disait-onde lui.

On venait le chercher de loin pour le conduireauprès de malades et on lui donnait tant d’or qu’il devint bientôttrès riche. Il arriva un jour que le roi tomba malade. On appela lemédecin et on lui demanda si la guérison était possible. Quand ilfut auprès du lit, la Mort se tenait aux pieds du malade, si bienque l’herbe ne pouvait plus rien pour lui.

– Et quand même, ne pourrais-je pas unjour gruger la Mort ? Elle le prendra certainement mal, maiscomme je suis son filleul, elle ne manquera pas de fermer les yeux.Je vais essayer.

Il saisit le malade à bras le corps, et leretourna de façon que maintenant, la Mort se trouvait à sa tête. Illui donna alors de son herbe, le roi guérit et retrouva toute sasanté. La Mort vint trouver le médecin et lui fit sombrefigure ; elle le menaça du doigt et dit :

– Tu m’as trompée ! Pour cette fois,je ne t’en tiendrai pas rigueur parce que tu es mon filleul, maissi tu recommences, il t’en cuira et c’est toi quej’emporterai !

Peu de temps après, la fille du roi tombagravement malade. Elle était le seul enfant du souverain etcelui-ci pleurait jour et nuit, à en devenir aveugle. Il fit savoirque celui qui la sauverait deviendrait son époux et hériterait dela couronne. Quand le médecin arriva auprès de la patiente, il vitque la Mort était à ses pieds. Il aurait dû se souvenir del’avertissement de son parrain, mais la grande beauté de laprincesse et l’espoir de devenir son époux l’égarèrent tellementqu’il perdit toute raison. Il ne vit pas que la Mort le regardaitavec des yeux pleins de colère et le menaçait de son poingsquelettique. Il souleva la malade et lui mit la tête, où elleavait les pieds. Puis il lui fit avaler l’herbe et, aussitôt, elleretrouva ses couleurs et en même temps la vie.

Quand la Mort vit que, pour la seconde fois,on l’avait privée de son bien, elle marcha à grandes enjambées versle médecin et lui dit :

– C’en est fini de toi ! Ton tourest venu !

Elle le saisit de sa main, froide comme de laglace, si fort qu’il ne put lui résister, et le conduisit dans unegrotte souterraine. Il y vit, à l’infini, des milliers et desmilliers de cierges qui brûlaient, les uns longs, les autresconsumés à demi, les derniers tout petits. À chaque instant, ils’en éteignait et s’en rallumait, si bien que les petites flammessemblaient bondir de-ci de- là, en un perpétuel mouvement.

– Tu vois, dit la Mort, ce sont lescierges de la vie humaine. Les grands appartiennent auxenfants ; les moyens aux adultes dans leurs meilleures années,les troisièmes aux vieillards. Mais, souvent, des enfants et desjeunes gens n’ont également que de petits cierges.

– Montre-moi mon cierge, dit le médecin,s’imaginant qu’il était encore bien long.

La Mort lui indiqua un petit bout de bougiequi menaçait de s’éteindre et dit :

– Regarde, le voici !

– Ah ! Cher parrain, dit le médecineffrayé, allume-m’en un nouveau, fais-le par amour pour moi, pourque je puisse profiter de la vie, devenir roi et épouser la jolieprincesse.

– Je ne le puis, répondit la Mort. Ilfaut d’abord qu’il s’en éteigne un pour que je puisse en allumer unnouveau.

– Dans ce cas, place mon vieux cierge surun nouveau de sorte qu’il s’allume aussitôt, lorsque le premiers’arrêtera de brûler, supplia le médecin.

Le Grand Faucheur fit comme s’il voulaitexaucer son vœu. Il prit un grand cierge, se méprit volontairementen procédant à l’installation demandée et le petit bout de bougietomba et s’éteignit. Au même moment, le médecin s’effondra sur lesol et la Mort l’emporta.

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