Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 33Les Trois cheveux d’or du Diable

Il était une fois une pauvre femme qui mit aumonde un fils, et, comme il était coiffé quand il naquit, on luiprédit que dans sa quatorzième année, il épouserait la fille duroi.

Sur ces entrefaites, le roi passa par levillage, sans que personne le reconnût ; et comme il demandaitce qu’il y avait de nouveau, on lui répondit qu’il venait de naîtreun enfant coiffé, que tout ce qu’il entreprendrait lui réussirait,et qu’on lui avait prédit que, lorsqu’il aurait quatorze ans, ilépouserait la fille du roi.

Le roi avait un mauvais cœur et cetteprédiction le fâcha. Il alla trouver les parents du nouveau-né, etleur dit d’un air tout amical : « Vous êtes de pauvresgens, donnez-moi votre enfant, j’en aurai bien soin. » Ilsrefusèrent d’abord ; mais l’étranger leur offrit de l’or, etils se dirent : « Puisque l’enfant est né coiffé, ce quiarrive est pour son bien. » Ils finirent par consentir et parlivrer leur fils.

Le roi le mit dans une boîte, et chevauchaavec ce fardeau jusqu’au bord d’une rivière profonde où il le jeta,en pensant qu’il délivrait sa fille d’un galant sur lequel elle necomptait guère. Mais la boîte, loin de couler à fond, se mit àflotter comme un petit batelet, sans qu’il entrât dedans une seulegoutte d’eau ; elle alla ainsi à la dérive jusqu’à deux lieuesde la capitale, et s’arrêta contre l’écluse d’un moulin.

Un garçon meunier qui se trouvait là parbonheur l’aperçut et l’attira avec un croc ; il s’attendait enl’ouvrant à y trouver de grands trésors : mais c’était un jolipetit garçon, frais et éveillé. Il le porta au moulin ; lemeunier et sa femme, qui n’avaient pas d’enfants, reçurent celui-làcomme Si Dieu le leur eût envoyé. Ils traitèrent de leur mieux lepetit orphelin, qui grandit chez eux en forces et en bonnesqualités.

Un jour le roi, surpris par la pluie, entradans le moulin et demanda au meunier Si ce grand jeune homme étaitson fils. « Non, sire », répondit-il, « c’estun enfant trouvé qui est venu dans une boîte échouer contre notreécluse, il y a quatorze ans ; notre garçon meunier l’a tiré del’eau. »

Le roi reconnut alors que c’était l’enfant nécoiffé qu’il avait jeté à la rivière. « Bonnesgens », dit-il, « ce jeune homme ne pourrait-il pasporter une lettre de ma part à la reine ? Je lui donneraisdeux pièces d’or pour sa peine. »

« Comme Votre Majesté l’ordonnera »,répondirent- ils ; et ils dirent au jeune homme de se tenirprêt. Le roi écrivit à la reine une lettre où il lui mandait de sesaisir du messager, de le mettre à mort et de l’enterrer, de’ façonà ce qu’il trouvât la chose faite à son retour.

Le garçon se mit en route avec la lettre, maisil s’égara et arriva le soir dans une grande forêt. Au milieu desténèbres il aperçut de loin une faible lumière, et se dirigeant dece côté il atteignit une petite maisonnette, où il trouva unevieille femme assise prês du feu. Elle parut toute surprise de voirle jeune homme et lui dit : « D’ou viens-tu et queveux-tu ? »

« Je viens du moulin », répondit-il,« je porte une lettre à la reine ; j ‘ai perdu mon cheminet je voudrais passer la nuit ici. »

« Malheureux enfant », répliqua lafemme, « tu es tombé dans une maison de voleurs, et, s’ils tetrouvent ici, c’en est fait de toi. »

« À la grâce de Dieu », dit le jeunehomme, « je n ai pas peur ; et d’ailleurs, je suis sifatigué qu’il m’est impossible d’aller plus loin. »

Il se coucha sur un banc et s’endormit. Lesvoleurs rentrèrent bientôt après, et ils demandèrent avec colèrepourquoi cet étranger était là. « Ah ! » dit lavieille, « c’est un pauvre enfant qui s’est égaré dans lebois ; je l’ai reçu par compassion. Il porte une lettre à lareine. »

Les voleurs prirent la lettre pour la lire, etvirent qu’elle enjoignait de mettre à mort le messager. Malgré ladureté de leur cœur, ils eurent pitié du pauvre diable ; leurcapitaine déchira la lettre, et en mit une autre à la place, quienjoignait qu’aussitôt que le jeune homme arriverait on lui fitimmédiatement épouser la fille du roi. Puis les voleurs lelaissèrent dormir sur son banc jusqu’au matin, et, quand il futéveillé, ils lui remirent la lettre et lui montrèrent sonchemin.

La reine, ayant reçu la lettre, exécuta çequ’elle contenait ; on fit des noces splendides ; lafille du roi épousa l’enfant né coiffé, et comme il était beau etaimable, elle fut enchantée de vivre avec lui.

Quelques temps après, le roi revint dans sonpalais, et trouva que la prédiction était accomplie, et quel’enfant né coiffé avait épousé sa fille. « Comment celas’est-il fait ? » dit-il, « j’avais donné dans malettre un ordre tout différent. » La reine lui montra lalettre, et lui dit qu’il pouvait voir ce qu’elle contenait. Il lalut et vit bien qu’on avait changé la sienne.

Il demanda au jeune homme ce qu’était devenuela lettre qu’il lui avait confiée, et pourquoi il en avait remisune autre. « Je n’en sais rien », répliqua celui-ci,« il faut qu’on l’ait changée la nuit, quand j’ai couché dansla forêt. »

Le roi en colère lui dit : « Cela nese passera pas ainsi. Celui qui prétend à ma fille doit merapporter de l’enfer trois cheveux d’or de la tête du diable.Rapporte-les moi, et ma fille t’appartiendra. » Le roiespérait bien qu’il ne reviendrait jamais d’une tellecommission.

Le jeune homme répondit : « Lediable ne me fait pas peur ; j’irai chercher les trois cheveuxd’or. » Et il prit congé du roi et se mit en route.

Il arriva devant une grande ville. À la porte,la sentinelle lui demanda quel était son état et ce qu’ilsavait.

« Tout », répondit-il.

« Alors », dit la sentinelle,« rends-nous le service de nous apprendre pourquoi la fontainede notre marché, qui nous donnait toujours du vin, s’est desséchéeet ne fournit même plus d’eau. »

« Attendez », répondit-il, « jevous le dirai à mon retour. »

Plus loin il arriva devant une autre ville. Lasentinelle de la porte lui demanda son état et ce qu’il savait.

« Tout », répondit-il.

« Rends-nous alors le service de nousapprendre pourquoi le grand arbre de notre ville, qui nousrapportait des pommes d’or, n’a plus de feuilles »

« Attendez », répondit-il, « jevous le dirai à mon retour. »

Plus loin encore il arriva devant une granderivière qu’il s’agissait de passer. Le passeur lui demanda son étatet ce qu’il savait.

« Tout », répondit-il.

« Alors », dit le passeur« rends-moi le service de m’apprendre Si je dois toujoursrester à ce poste, sans jamais être relevé. »

« Attends », répondit-il, « jete le dirai à mon retour. »

De l’autre côté de l’eau il trouva la bouchede l’enfer. Elle était noire et enfumée. Le diable n ‘était paschez lui ; il n’y avait que son hôtesse, assise dans un largefauteuil. « Que demandes-tu ? » lui dit-elled’un ton assez doux.

« Il me faut trois cheveux d’or de latête du diable, sans quoi je n’obtiendrai pas ma femme. »

« C’est beaucoup demander »dit-elle, « et, Si le diable t’aperçoit quand il rentrera, tupasseras un mauvais quart d’heure. Cependant tu m’intéresses, et jevais tâcher de te venir en aide. »

Elle le changea en fourmi et lui dit :« Monte dans les plis de ma robe ; là tu seras ensûreté. »

« Merci », répondit-il, « voilàqui va bien ; mais j’aurais besoin en outre de savoir troischoses : pourquoi une fontaine qui versait toujours du vin nefournit plus même d’eau ; pourquoi un arbre qui portait despommes d’or n’a plus même de feuilles ; et Si un certainpasseur doit toujours rester à son poste sans jamais êtrerelevé. »

« Ce sont trois questionsdifficiles », dit-elle, « mais tiens-toi bien tranquille,et sois attentif à ce que le Diable dira quand je lui arracherailes trois cheveux d’or. »

Quand le soir arriva, le diable rentra chezlui. À peine était-il entré qu’il remarqua une odeurextraordinaire. « Je sens, je sens, la chairhumaine ». Et il alla fureter dans tous les coins, mais sansrien trouver. L’hôtesse lui chercha querelle : « Je viensde balayer et de ranger », dit-elle, « et tu vas toutbouleverser ici ; tu crois toujours sentir la chair humaine.Assieds-toi et mange ton souper. »

Quand il eut soupé, il était fatigué ; ilposa sa tête sur les genoux de son hôtesse, et lui dit de luichercher un peu les poux ; mais il ne tarda pas à s’endormiret à ronfler. La vieille saisit un cheveu d’or, l’arracha et le mitde côté. « Hé ! » s’écria le diable,« qu’as-tu donc fait ? »

« J’ai eu un mauvais rêve », ditl’hôtesse. « et je t ai pris par les cheveux. »

« Qu ‘as-tu donc rêvé ? »demanda le diable.

« J ‘ai rêvé que la fontaine d’un marché,qui versait toujours du vin, s’était arrêtée et qu’elle ne donnaitplus même d’eau : quelle en peut être lacause ? »

« Ah, Si on le savait ! »répliqua le diable, « il y a un crapaud sous une pierre dansla fontaine ; on n’aurait qu’à le tuer, le vin recommenceraità couler. »

L’hôtesse se remit à lui chercher lespoux ; il se rendormit et ronfla de façon à ébranler lesvitres.

Alors elle lui arracha le secondcheveu. « Heu, que fais-tu ? » s’écria lediable en colère.

« Ne t’inquiète pas »,répondit-elle, « c’est un rêve que j’ai fait. »

« Qu’as-tu rêvé encore ? »demanda-t-il.

« J’ai rêvé que dans un pays il y a unarbre qui portait toujours des pommes d’or, et qui n’a plus même defeuilles : quelle en pourrait être la cause ? »

« Ah, Si on le savait ! »répliqua le diable, « il y a une souris qui ronge laracine ; on n’aurait qu’à la tuer, il reviendrait des pommesd’or sur l’arbre ; mais si elle continue à le ronger, l’arbremourra tout à fait. Maintenant laisse-moi en repos avec tes rêves.Si tu me réveilles encore, je te donnerai un soufflet. »

L’hôtesse l’apaisa et se remit à lui chercherses poux jusqu’à ce qu’il fût rendormi et ronfla. Alors elle saisitle troisième cheveu d’or et l’arracha. Le diable se leva en criantet voulait la battre ; elle le radoucit encore endisant : « Qui peut se garder d’un mauvaisrêve ? »

« Qu’as-tu donc rêvé encore ? »demanda-t-il avec curiosité.

« J’ai rêvé d’un passeur qui se plaignaitde toujours passer l’eau avec sa barque, sans que personne leremplaçât Jamais. »

« Hé, le sot ! », répondit lediable, « le premier qui viendra pour passer la rivière, iln’a qu’à lui mettre sa rame à la main, il sera libre et l’autresera obligé de faire le passeur à son tour. »

Comme l’hôtesse lui avait arraché les troischeveux d’or, et qu’elle avait tiré de lui les trois réponses, ellele laissa en repos, et il dormit jusqu’au matin.

Quand le diable eut quitté la maison, lavieille prit la fourmi dans les plis de sa robe et rendit au jeunehomme sa figure humaine. « Voilà les troischeveux », lui dit-elle, « mais as-tu bien entendu lesréponses du diable à tes questions ? »

« Très bien », répondit-il « etje m’en souviendrai. »

« Te voilà donc hors d’embarras »,dit-elle, « et tu peux reprendre ta route. »

Il remercia la vieille qui l’avait si bienaidé, et sortit de l’enfer, fort joyeux d’avoir si heureusementréussi.

Quand il arriva au passeur, avant de luidonner la réponse promise, il se fit d’abord passer de l’autrecôté, et alors il lui fit part du conseil donné par lediable : « Le premier qui viendra pour passer la rivière,tu n’as qu’à lui mettre ta rame à la main. »

Plus loin il retrouva la ville à l’arbrestérile ; la sentinelle attendait aussi sa réponse :« Tuez la souris qui ronge les racines », dit-il,« et les pommes d’or reviendront. » La sentinelle, pourle remercier, lui donna deux ânes chargés d’or.

Enfin il parvint à la ville dont la fontaineétait à sec. Il dit à la sentinelle : « Il y a un crapaudsous une pierre dans la fontaine ; cherchez-le et tuez-le, etle vin recommencera à couler en abondance. » La sentinelle leremercia et lui donna encore deux ânes chargés d’or.

Enfin l’enfant né coiffé revint près de safemme, qui se réjouit dans son cœur en le voyant de retour et enapprenant que tout s’était bien passé. Il remit au roi les troischeveux d’or du diable. Celui-ci, en apercevant les quatre âneschargés d’or, fut grandement satisfait et lui dit :« Maintenant toutes les conditions sont remplies et ma filleest à toi. Mais, mon cher gendre, dis-moi d’où te vient tantd’or ? car c’est un trésor énorme que tu rapportes. »

« Je l’ai pris », dit-il, « del’autre côté d une rivière que j’ai traversée ; c’est le sabledu rivage. »

« Pourrais-je m’en procurerautant ? » lui demanda le roi, qui était un avare.

« Tant que vous voudrez »,répondit-il, « vous trouverez un passeur, adressez-vous à luipour passer l’eau, et vous pourrez remplir vos sacs. »

L’avide monarque se mit aussitôt en route, et,arrivé au bord de l’eau, il fit signe au passeur de lui amener sabarque. Le passeur le fit entrer, et, quand ils furent sur l’autrebord, il lui mit la rame à la main et sauta dehors. Le roi devintainsi passeur en punition de ses péchés.

« L’est-il encore ? »

« Eh ! sans doute, puisque personnene lui a repris la rame. »

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer