Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 28Le Serpent blanc

Il y a maintenant fort longtemps que vivait unroi dont la sagesse était connue dans tout son royaume. On nepouvait rien lui cacher, il semblait capter dans les airs desnouvelles sur les choses les plus secrètes. Ce roi avait uneétrange habitude : tous les midis, alors que la grande tableétait desservie et qu’il n’y avait plus personne dans la salle, sonserviteur fidèle lui apportait un certain plat. Or, ce plat étaitrecouvert, et le valet lui-même ignorait ce qu’il contenait ;personne d’ailleurs ne le savait, car le roi ne soulevait lecouvercle et ne commençait à manger que lorsqu’il était seul.Pendant longtemps cela se passa ainsi. Mais un jour, le valet, nesachant plus résister à sa curiosité, emporta le plat dans sachambrette et referma soigneusement la porte derrière lui. Ilsouleva le couvercle et vit un serpent blanc au fond du plat. Celasentait bon et il eut envie d’y goûter. N’y tenant plus, il encoupa un morceau et le porta à sa bouche. Mais à peine sentit-il lemorceau sur sa langue qu’il entendit gazouiller sous la fenêtre. Ils’approcha, écouta et se rendit compte qu’il s’agissait de moineauxqui se racontaient ce qu’ils avaient vu dans les champs et dans lesforêts. Le fait d’avoir goûté au serpent lui avait donné la facultéde comprendre le langage des animaux.

Ce jour-là, justement, la reine perdit sa plusbelle bague, et les soupçons se portèrent sur le valet qui avait laconfiance du roi et avait donc accès partout. Le roi le fitappeler, le rudoya et menaça de le condamner s’il ne démasquait pasle coupable avant le lendemain matin. Le jeune homme jura qu’ilétait innocent mais le roi ne voulut rien entendre et lerenvoya.

Le valet, effrayé et inquiet, descendit dansla cour où il commença à se demander comment il pourrait bien fairepour s’en tirer. Il y avait là, sur le bord du ruisseau, descanards qui se reposaient en discutant à voix basse tout en lissantleurs plumes avec leur bec. Le valet s’arrêta pour écouter. Lescanards se racontaient où ils avaient pataugé ce matin-là etquelles bonnes choses ils avaient trouvées à manger puis l’un d’euxse plaignit :

– J’ai l’estomac lourd car j’ai avalé parmégarde une bague qui était sous la fenêtre de la reine.

Le valet l’attrapa aussitôt, le porta dans lacuisine et dit au cuisinier :

– Saigne ce canard, il est déjà bienassez gras.

– D’accord, répondit le cuisinier en lesoupesant. Il n’a pas été fainéant et il s’est bien nourri ;il devait depuis longtemps s’attendre à ce qu’on le mette dans lefour.

Il le saigna et trouva, en le vidant, la baguede la reine.

Le valet put ainsi facilement prouver soninnocence au roi. Celui-ci se rendit compte qu’il avait blessé sonvalet fidèle et voulut réparer son injustice ; il promit doncau jeune homme de lui accorder une faveur et la plus haute fonctionhonorifique à la cour, que le valet choisirait.

Le valet refusa tout et demanda seulement uncheval et de l’argent pour la route, car il avait envie de partir àla découverte du monde. Aussi se mit-il en route dès qu’il eut reçuce qu’il avait demandé.

Un jour, il passa près d’un étang où troispoissons, qui s’étaient pris dans les roseaux, étaient en train desuffoquer. On dit que les poissons sont muets, et pourtant le valetentendit leur complainte qui disait qu’ils ne voulaient pas mourirsi misérablement. Le jeune homme eut pitié d’eux ; ildescendit de son cheval et rejeta les trois poissons prisonniersdans l’eau. Ceux-ci recommencèrent à frétiller gaiement, puis ilssortirent la tête de l’eau et crièrent :

– Nous n’oublierons pas que tu nous assauvés et te revaudrons cela un jour.

Le valet continua à galoper et eut soudainl’impression d’entendre une voix venant du sable foulé par soncheval. Il tendit l’oreille et entendit le roi des fourmis selamenter :

– Oh, si les gens voulaient faire un peuplus attention et tenaient leurs animaux maladroits àl’écart ! Ce cheval stupide piétine avec ses lourds sabots mespauvres serviteurs !

Le jeune homme s’écarta aussitôt et le roi desfourmis cria :

– Nous n’oublierons pas et te revaudronscela un jour !

Le chemin mena le valet dans la forêt où ilvit un père corbeau et une mère corbeau en train de jeter tousleurs petits du nid.

– Allez-vous-en, sacripants,croassèrent-ils, nous n’arrivons plus à vous nourrir vous êtes déjàassez grands pour vous trouver à manger tout seuls !

Les pauvres petits, qui s’agitaient par terreen battant des ailes, piaillèrent :

– Comment pourrions-nous, pauvres petitsque nous sommes, subvenir à nos besoins alors que nous ne savonsmême pas voler ! Nous allons mourir de faim !

Le jeune homme descendit aussitôt de soncheval, le transperça de son épée et l’abandonna aux jeunescorbeaux pour qu’ils aient de quoi se nourrir. Les petitss’approchèrent et, après s’être rassasiés, crièrent :

– Nous ne t’oublierons pas et terevaudrons cela un jour !

Le valet fut désormais obligé de continuer saroute à pied. Il marcha et marcha et, après une longue marche, ilarriva dans une grande ville dont les rues étaient très peuplées ettrès animées. Soudain, un homme arriva à cheval et annonça que l’oncherchait un époux pour la princesse royale, mais que celui quivoudrait l’épouser devrait passer une épreuve difficile et, s’iléchouait, il devrait payer de sa vie. De nombreux prétendants s’yétaient déjà essayés et tous y avaient péri.

Mais le jeune homme, lorsqu’il eut l’occasionde voir la princesse, fut si ébloui de sa beauté qu’il en oubliatous les dangers. Il se présenta donc comme prétendant devant leroi.

On l’emmena immédiatement au bord de la mer eton jeta sous ses yeux un anneau d’or dans les vagues. Puis, le roilui ordonna de ramener l’anneau du fond de la mer, etajouta :

– Si tu émerges de l’eau sans l’anneau,les vagues te rejetteront sans cesse jusqu’à ce que tupérisses.

Tous plaignirent le jeune homme et s’enallèrent. Seul, debout sur la plage, le valet se demanda ce qu’ilallait bien pouvoir faire, lorsqu’il vit soudain trois poissonss’approcher de lui. C’étaient les poissons auxquels il avait sauvéla vie. Le poisson du milieu portait dans sa gueule un coquillagequ’il déposa aux pieds du jeune homme. Celui-ci le prit, l’ouvritet y trouva l’anneau d’or.

Heureux, il le porta au roi, se réjouissantd’avance de la récompense. Or, la fille du roi était trèsorgueilleuse et, dès qu’elle eut appris que son prétendant n’étaitpas de son rang, elle le méprisa et exigea qu’il subît une nouvelleépreuve. Elle descendit dans le jardin et, de ses propres mains,elle répandit dans l’herbe dix sacs de millet.

– Tu devras ramasser ce millet !ordonna-t-elle. Que ces sacs soient remplis avant le lever dusoleil ! Et pas un seul grain ne doit manquer !

Le jeune homme s’assit dans l’herbe et sedemanda comment il allait pouvoir s’acquitter de cette nouvelletâche. Ne trouvant pas de solution, il resta assis en attendanttristement l’aube et la mort.

Or, dès que les premiers rayons de soleiléclairèrent le jardin, il vit devant lui les dix sacs de milletremplis à ras. Ils étaient rangés les uns à côté des autres et pasun grain ne manquait. Le roi des fourmis était venu la nuit avecdes milliers de ses serviteurs et les fourmis reconnaissantesavaient rassemblé tout le millet avec infiniment de soin et enavaient rempli les sacs.

La princesse descendit elle-même dans lejardin et constata avec stupéfaction que son prétendant avaitrempli sa tâche. Ne sachant pourtant toujours pas maîtriser soncœur plein d’orgueil, elle déclara :

– Il a su passer les deux épreuves, maisje ne serai pas sa femme tant qu’il ne m’aura pas apporté une pommede l’Arbre de Vie.

Le jeune homme ignorait où poussait un telarbre, mais il décida de marcher là où ses jambes voudraient bienle porter, sans trop d’espoir de trouver l’arbre en question. Iltraversa trois royaumes et il arriva un soir dans une forêt. Ils’assit au pied d’un arbre pour se reposer un peu lorsqu’ilentendit un bruissement dans les branches au-dessus de sa tête etune pomme d’or tomba dans sa main. Au même moment, trois corbeauxse posèrent sur ses genoux et dirent :

– Nous sommes les trois jeunes corbeauxque tu as sauvés de la famine. Nous avons appris que tu étais enquête de la pomme d’or et c’est pourquoi nous avons traversé la meret sommes allés jusqu’au bout du monde où se trouve l’Arbre de Viepour t’apporter cette pomme.

Le jeune homme, le cœur joyeux, prit le chemindu retour et remit la pomme d’or à la belle princesse qui nepouvait plus se dérober. Ils coupèrent la pomme de Vie en deux, lamangèrent ensemble et, à cet instant, le cœur de la princesses’enflamma d’amour pour le jeune homme. Ils s’aimèrent et vécurentheureux jusqu’à un âge très avancé.

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