Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 34Les Trois enfants gâtés de la fortune

Un père appela un jour ses trois fils. Aupremier il donna un coq, au deuxième une faux et au troisième unchat.

– Je me fais vieux, dit-il, le momentapproche et avant de mourir je voudrais bien m’occuper de votreavenir. Je n’ai pas d’argent et ce que je vous donne là n’a, àpremière vue, qu’une faible valeur. Mais parfois on ne doit pas sefier aux apparences. Ce qui est important est la manière dont voussaurez vous en servir. Trouvez un pays où l’on ne connaît pasencore ces serviteurs et vous serez heureux.

Après la mort du père, l’aîné prit le coq ets’en alla dans le monde, mais partout où il allait les gensconnaissaient les coqs. D’ailleurs, dans les villes, il les voyaitde loin sur la pointe des clochers, tournant au vent. Et dans lesvillages, il en entendit chanter un grand nombre. Personne nes’extasiait devant son coq et rien ne faisait penser qu’il puisselui porter bonheur. Un jour, néanmoins, il finit par trouver surune île des gens qui n’avaient jamais vu de coq de leur vie. Ilsn’avaient aucune notion du temps et ne savaient pas le compter. Ilsdistinguaient le matin du soir, mais la nuit tombée, s’ils nedormaient pas, aucun d’eux ne savait dans combien de temps le jourallait se lever.

Le garçon se mit à les interpeller :

– Approchez, approchez ! Regardezcet animal fier ! Il a une couronne de rubis sur la tête etdes éperons comme un chevalier. Trois fois dans la nuit il vousannoncera la progression du temps, et quand il appellera pour latroisième fois, le soleil se lèvera aussitôt. S’il chante dans lajournée, vous pourrez être sûrs et certains que le temps va changeret vous pourrez prendre vos précautions.

Les gens étaient en extase devant lecoq ; ils restèrent éveillés toute la nuit pour écouter avecravissement, à deux heures, puis à quatre heures et enfin à sixheures le coq chanter à tue-tête pour leur annoncer l’heure. Lelendemain matin, ils demandèrent au garçon de leur vendre le coq etde leur dire son prix.

– Autant d’or qu’un âne puisse porter,répondit-il.

– Si peu ? Pour un tel animal ?crièrent les habitants de l’île plus fort les uns que les autres.Et ils lui donnèrent volontiers ce qu’il avait demandé.

Le garçon rentra à la maison avec l’âne ettoute sa richesse et ses frères en furent époustouflés. Le deuxièmedécida :

– J’irai, moi aussi, dans le monde !On verra si j’ai autant de chance.

Il marcha et marcha, et rien n’indiquait qu’ilaurait autant de réussite avec sa faux ; partout ilrencontrait des paysans avec une faux sur l’épaule. Un jour, enfin,le destin le dirigea sur une île dont les habitants n’avaientjamais vu de faux de leur vie. Lorsque le seigle était mûr, lesvillageois amenaient des canons sur les champs et tiraient sur leblé. C’était, tout compte fait, pur hasard : un coup ilstiraient trop haut, un coup ils touchaient les épis à la place destiges, et beaucoup de graines étaient ainsi perdues sans parler dufracas pendant la moisson. Insoutenable !

Le garçon s’en alla dans le champ et commençaà faucher. Il fauchait sans faire de bruit et si vite que les gensle regardaient bouche bée, retenant leur souffle. Ilss’empressèrent de lui donner ce qu’il voulait en échange de la fauxet lui amenèrent un cheval avec un chargement d’or aussi lourdqu’il pouvait porter.

Le troisième frère décida de tenter sa chanceavec son chat. Tant qu’il restait sur la terre ferme, il n’avaitpas plus de succès que ses frères ; il ne trouvait pas sonbonheur. Mais un jour il arriva en bateau sur une île, et la chancelui sourit enfin. Les habitants n’avaient jamais vu de chatauparavant, alors que les souris sur l’île ne manquaient pas. Ellesdansaient sur les tables et les bancs, régnant en maîtres partout,en dehors comme au-dedans. Les habitants de l’île s’en plaignaienténormément, le roi lui-même était impuissant devant ce fléau.

Quelle aubaine pour le chat ! Il se mit àchasser les souris et bientôt il en débarrassa plusieurs salles dupalais. Les sujets de tout le royaume prièrent le roi d’acheter cetanimal extraordinaire et le roi donna volontiers au garçon ce qu’ilen demandait : un mulet chargé d’or. C’est ainsi que le plusjeune des trois frères rentra à la maison très riche et devint unhomme très opulent.

Et dans le palais royal, le chat s’en donnaità cœur joie. Il se régala d’un nombre incalculable de souris. Ilchassa tant et si bien qu’il finit par avoir chaud et soif. Ils’arrêta, renversa la tête en arrière et miaula :

– Miaou, miaou !

Quand le roi et ses sujets entendirent ce criétrange, ils prirent peur, et les yeux exorbités, ils s’enfuirentdu palais. Dehors, le roi appela ses conseillers pour décider de lamarche à suivre. Que faire de ce chat ? Finalement, ilsenvoyèrent un messager pour qu’il lui propose un marché : soitil quittait le palais de lui-même, soit on l’expulsait deforce.

L’un des pages partit avec le message etdemanda au chat de quitter le palais de son plein gré. Mais lechat, terriblement assoiffé, miaula de plus belle :

– Miaou, miaou,miaou-miaou-miaou !

Le page comprit : Non, non, pasquestion ! et alla transmettre la réponse au roi.

– Eh bien, décidèrent les conseillers,nous le chasserons par la force.

On fit venir un canon devant le palais, et lessoldats le tirèrent jusqu’à ce qu’il s’enflammât. Lorsque le feu sepropagea jusqu’à la salle où le chat était assis, le vaillantchasseur sauta par la fenêtre et se sauva. Mais l’armée continuason siège tant que le palais ne fut pas entièrement rasé.

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