Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 12Les Musiciens de Brême

Un meunier possédait un âne qui, durant delongues années, avait inlassablement porté des sacs au moulin, maisdont les forces commençaient à décliner. Il devenait de plus enplus inapte au travail. Son maître songea à s’en débarrasser. L’ânese rendit compte qu’un vent défavorable commençait à souffler pourlui et il s’enfuit. Il prit la route de Brême. Il pensait qu’ilpourrait y devenir musicien au service de la municipalité. Sur sonchemin, il rencontra un chien de chasse qui s’était couché là. Ilgémissait comme quelqu’un qui a tant couru, que la mort leguette.

– Alors, Taïaut, pourquoi jappes-tu commeça ? demanda l’âne.

– Ah ! dit le chien, parce que jesuis vieux, parce que je m’alourdis chaque jour un peu plus, parceque je ne peux plus chasser, mon maître veut me tuer. Je me suisenfui. Mais comment gagner mon pain maintenant ?

– Sais-tu, dit l’âne, je vais à Brêmepour y devenir musicien ; viens avec moi et fais-toi engagerdans l’orchestre municipal. Je jouerai du luth et toi de latimbale.

Le chien accepta avec joie et ils repartirentde compagnie. Bientôt, ils virent un chat sur la route, qui étaittriste… comme trois jours de pluie.

– Eh bien ! qu’est-ce qui va detravers, vieux Raminagrobis ? demanda l’âne.

– Comment être joyeux quand il y va de savie ? répondit le chat. Parce que je deviens vieux, que mesdents s’usent et que je me tiens plus souvent à rêver derrière lepoêle qu’à courir après les souris, ma maîtresse a voulu me noyer.J’ai bien réussi à me sauver, mais je ne sais que faire. Oùaller ?

– Viens à Brême avec nous. Tu connais lamusique, tu deviendras musicien.

Le chat accepta et les accompagna.

Les trois fugitifs arrivèrent à une ferme. Lecoq de la maison était perché en haut du portail et criait detoutes ses forces.

– Tu cries à nous casser les oreilles,dit l’âne. Que t’arrive-t-il donc ?

– J’ai annoncé le beau temps, répondit lecoq, parce que c’est le jour où la Sainte Vierge lave la chemise deL’Enfant Jésus et va la faire sécher. Mais, comme pour demaindimanche il doit venir des invités, la fermière a été sans pitié.Elle a dit à la cuisinière qu’elle voulait me manger demain etc’est ce soir qu’on doit me couper le cou. Alors, je crie à pleingosier pendant que je puis le faire encore.

– Eh ! quoi, Chanteclair, dit l’âne,viens donc avec nous. Nous allons à Brême ; tu trouverasn’importe où quelque chose de préférable à ta mort. Tu as une bonnevoix et si nous faisons de la musique ensemble, ce seramagnifique.

Le coq accepta ce conseil et tous quatre seremirent en chemin.

Mais il ne leur était pas possible d’atteindrela ville de Brême en une seule journée. Le soir, ils arrivèrentprès d’une forêt où ils se décidèrent à passer la nuit. l’âne et lechien se couchèrent au pied d’un gros arbre, le chat et le coqs’installèrent dans les branches. Le coq monta jusqu’à la cime. Ilpensait s’y trouver en sécurité. Avant de s’endormir, il jeta uncoup d’œil aux quatre coins de l’horizon. Il vit briller une petitelumière dans le lointain. Il appela ses compagnons et leur ditqu’il devait se trouver quelque maison par là, on y voyait de lalumière. L’âne dit :

– Levons-nous et allons-y ; ici, legîte et le couvert ne sont pas bons.

Le chien songea que quelques os avec de laviande autour lui feraient du bien. Ils se mirent donc en route endirection de la lumière et la virent grandir au fur et à mesurequ’ils avançaient. Finalement, ils arrivèrent devant une maisonbrillamment éclairée, qui était le repaire d’une bande devoleurs.

L’âne, qui était le plus grand, s’approcha dela fenêtre et regarda à l’intérieur.

– Que vois-tu, Grison ? demanda lecoq.

– Ce que je vois ? réponditl’âne : une table servie avec mets et boissons de bonneallure. Des voleurs y sont assis et sont en train de serégaler.

– Voilà ce qu’il nous faudrait, repartitle coq.

– Eh ! oui, dit l’âne, si seulementnous y étions !

Les quatre compagnons délibérèrent pour savoircomment ils s’y prendraient pour chasser les voleurs. Finalement,ils découvrirent le moyen : l’âne appuierait ses pattes dedevant sur le bord de la fenêtre, le chien sauterait sur son dos etle chat par-dessus. Le coq se percherait sur la tête du chat. Quandils se furent ainsi installés, à un signal donné, ils commencèrentleur musique. L’âne brayait, le chien aboyait, le chat miaulait etle coq chantait. Sur quoi, ils bondirent par la fenêtre en faisanttrembler les vitres. À ce concert inhabituel, les voleurs avaientsursauté. Ils crurent qu’un fantôme entrait dans la pièce et, prisde panique, ils s’enfuirent dans la forêt. Nos quatre compagnons semirent à table, se servirent de ce qui restait et mangèrent commes’ils allaient connaître un mois de famine. Quand les quatremusiciens eurent terminé, ils éteignirent la lumière et chacun sechoisit un endroit à sa convenance et du meilleur confort pourdormir. L’âne se coucha sur le fumier, le chien derrière la porte,le chat près du poêle et le coq se percha au poulailler. Et commeils étaient fatigués de leur long trajet, ils s’endormirentaussitôt.

Quand minuit fut passé, les voleurs virent deloin que la lumière avait été éteinte dans la maison et que tout yparaissait tranquille. Leur capitaine dit :

– Nous n’aurions pas dû nous laissermettre à la porte comme ça.

Il ordonna à l’un de ses hommes d’allerinspecter la maison. L’éclaireur vit que tout étaitsilencieux ; il entra à la cuisine pour allumer une lumière.Voyant les yeux du chat brillants comme des braises, il en approchaune allumette et voulut l’enflammer. Le chat ne comprit pas laplaisanterie et, crachant et griffant, lui sauta au visage. L’hommefut saisi de terreur. Il se sauva et voulut sortir par la porte dederrière. Le chien, qui était allongé là, bondit et lui mordit lesjambes. Et quand le voleur se mit à courir à travers la cour,passant par-dessus le tas de fumier, l’âne lui expédia un magistralcoup de sabot. Le coq, que ce vacarme avait réveillé et mis enalerte, cria du haut de son perchoir :

– Cocorico !

Le voleur s’enfuit aussi vite qu’il le pouvaitvers ses camarades, et dit au capitaine :

– Il y a dans la maison une affreusesorcière qui a soufflé sur moi et m’a griffé le visage de ses longsdoigts. Devant la porte, il y avait un homme avec un couteau :il m’a blessé aux jambes. Dans la cour, il y a un monstrenoir : il m’a frappé avec une massue de bois. Et sur le toit,il y avait un juge de paix qui criait : « Qu’on m’amènele coquin ! » J’ai fait ce que j’ai pu pour m’enfuir.

À partir de ce moment-là, les voleursn’osèrent plus retourner à la maison. Quant aux quatre musiciens deBrême, ils s’y plurent tant qu’ils y restèrent. Le dernier qui mel’a raconté en fait encore des gorges chaudes.

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