Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 14L’Oie d’or

Il était une fois un homme qui avait troisfils. Le plus jeune avait été surnommé le Bêta et était la risée detout le monde. Ses frères le prenaient de haut et se moquaient delui à chaque occasion. Un jour, le fils aîné s’apprêta à aller dansla forêt pour abattre des arbres. Avant qu’il ne parte, sa mère luiprépara une délicieuse galette aux œufs et ajouta une bouteille devin pour qu’il ne souffre ni de faim ni de soif. Lorsqu’il arrivadans la forêt, il y rencontra un vieux gnome gris. Celui-ci lesalua, lui souhaita une bonne journée et dit :

– Donne-moi un morceau de gâteau etdonne-moi à boire de ton vin.

Mais le fils, qui était malin, luirépondit :

– Si je te donne de mon gâteau et telaisse boire de mon vin, il ne me restera plus rien. Passe tonchemin.

Il laissa le bonhomme là où il était, et ils’en alla. Il choisit un arbre et commença à couper ses branches,mais très vite il s’entailla le bras avec la hache. Il se dépêchade rentrer à la maison pour se faire soigner. Ce qui était arrivén’était pas le fait du hasard, c’était l’œuvre du petit homme.

Un autre jour, le deuxième fils partit dans laforêt. Lui aussi avait reçu de sa mère une galette et une bouteillede vin. Lui aussi rencontra le petit homme gris qui lui demanda unmorceau de gâteau et une gorgée de vin. Mais le deuxième filsrépondit d’une manière aussi désinvolte que son frèreaîné :

– Si je t’en donne, j’en aurai moins.Passe ton chemin.

Il planta le petit homme là et s’en alla. Lapunition ne se fit pas attendre. Il brandit sa hache trois ouquatre fois et son tranchant le blessa à la jambe.

Peu de temps après, le Bêta dit :

– Papa, laisse-moi aller dans la forêt.Moi aussi je voudrais abattre des arbres.

– Pas question, répondit le père.Maladroit comme tu es, tu n’iras nulle part.

Mais le Bêta insista et son père finit parcéder :

– Vas-y, mais s’il t’arrive quelquechose, tu recevras une belle correction.

Sa mère lui donna une galette faite d’une pâtepréparée à l’eau et cuite dans les cendres et une bouteille debière aigre. Le Bêta arriva dans la forêt et y rencontra le gnomevieux et gris, qui le salua et dit :

– Donne-moi un morceau de ton gâteau etlaisse-moi boire de ton vin. J’ai faim et soif.

– Je n’ai qu’une galette sèche et de labière aigre, répondit le Bêta, mais si cela te suffit,asseyons-nous et mangeons.

Ils s’assirent et le Bêta sortit sa galettequi soudain se transforma en un somptueux gâteau et trouva du bonvin à la place de la bière aigre. Ils mangèrent et burent, puis levieux bonhomme dit :

– Tu as bon cœur et tu aimes partageravec les autres, c’est pourquoi je vais te faire un cadeau. Regardele vieil arbre, là-bas. Si tu l’abats, tu trouveras quelque chosedans ses racines.

Le gnome le salua et disparut.

Le Bêta s’approcha de l’arbre et l’abattit.L’arbre tomba et le Bêta aperçut entre ses racines une oie auxplumes d’or. Il la sortit, la prit et alla dans une auberge pour ypasser la nuit.

L’aubergiste avait trois filles. Celles-ci, enapercevant l’oie, furent intriguées par cet oiseau étrange. Ellesauraient bien voulu avoir une des plumes d’or. « Jetrouverai bien une occasion de lui en arracher une », pensa lafille aînée. Et lorsque le Bêta sortit, elle attrapa l’oie par uneaile. Mais sa main resta collée à l’aile et il lui fut impossiblede la détacher. La deuxième fille arriva, car elle aussi voulaitavoir une plume d’or, mais dès qu’elle eut touché sa sœur, elleresta collée à elle. La troisième fille arriva avec la même idée entête.

– Ne viens pas ici, que Dieu t’engarde ! Arrête-toi ! crièrent ses sœurs.

Mais la benjamine ne comprenait pas pourquoielle ne devrait pas approcher, et elle se dit : « Sielles ont pu s’en approcher, pourquoi je ne pourrais pas en faireautant ? » Elle s’avança, et dès qu’elle eut touché sasœur, elle resta collée à elle. Toutes les trois furent doncobligées de passer la nuit en compagnie de l’oie.

Le lendemain matin, le Bêta prit son oie dansles bras et s’en alla, sans se soucier des trois filles qui yétaient collées. Elles furent bien obligées de courir derrière lui,de gauche à droite, et de droite à gauche, partout où il luiplaisait d’aller. Ils rencontrèrent un curé dans les champs qui,voyant ce défilé étrange, se mit à crier :

– Vous n’avez pas honte, impudentes, decourir ainsi derrière un garçon dans les champs ? Croyez-vousque c’est convenable ?

Et il attrapa la benjamine par la main voulantla séparer des autres, mais dès qu’il la toucha il se colla à sontour et fut obligé de galoper derrière les autres.

Peu de temps après, ils rencontrèrent lesacristain. Celui-ci fut surpris de voir le curé courir derrièreles filles, et cria :

– Dites donc, Monsieur le curé, oùcourez-vous ainsi ? Nous avons encore un baptême aujourd’hui,ne l’oubliez pas !

Il s’approcha de lui et le prit par la mancheet il ne put plus se détacher.

Tous les cinq couraient ainsi, les unsderrière les autres, lorsqu’ils rencontrèrent deux paysans avec desbêches qui rentraient des champs. Le curé les appela au secours,leur demandant de les détacher, lui et le sacristain. Mais à peineeurent-ils touché le sacristain, que les deux paysans furent collésà leur tour. Ils étaient maintenant sept à courir derrière le Bêtaavec son oie dans les bras.

Ils arrivèrent dans une ville où régnait unroi qui avait une fille si triste que personne n’avait jamaisréussi à lui arracher un sourire. Le roi proclama donc qu’ildonnerait sa fille à celui qui réussirait à la faire rire. Le Bêtal’apprit et aussitôt il se dirigea au palais, avec son oie et toutesa suite. Dès que la princesse aperçut ce défilé étrange, les unscourant derrière les autres, elle se mit à rire très fort.

Le Bêta réclama aussitôt le mariage, mais leroi n’avait pas envie d’un tel gendre. Il tergiversait et faisaitdes manières, pour déclarer finalement que le Bêta devait d’abordtrouver un homme qui serait capable de boire une cave pleine devin. Le Bêta pensa que le petit bonhomme gris serait certainementde bon conseil et consentirait peut-être à l’aider, et il partitdans la forêt. À l’endroit précis où se trouvait l’arbre abattu parle Bêta était assis un homme au visage triste. Le Bêta lui demandace qu’il avait.

– J’ai grand-soif, répondit l’homme, etje n’arrive pas à l’étancher. Je ne supporte pas l’eau. J’ai bu, ilest vrai, un fût entier de vin, mais c’est comme si on faisaittomber une goutte sur une pierre chauffée à blanc.

– Je peux t’aider, dit le Bêta. Viensavec moi, tu verras, tu auras de quoi boire.

Il le conduisit dans la cave du roi. L’hommecommença à boire le vin et il but et but jusqu’à en avoir mal auventre. À la fin de la journée, il avait tout bu.

Le Bêta réclama de nouveau le mariage, mais leroi biaisait encore : un tel simplet, un tel dadais -commed’ailleurs même son nom l’indiquait – pourrait-il devenir le gendred’un roi ? Il inventa donc une nouvelle épreuve : le Bêtadevrait d’abord lui amener un homme capable de manger une montagnede pain. Le Bêta n’hésita pas une seconde et partit dans la forêt.À l’endroit habituel était assis un homme, qui serrait sa ceintureavec un air très contrarié :

– J’ai mangé une charrette de pain, maisà quoi bon quand on a faim comme moi ? Mon estomac esttoujours vide et je dois toujours serrer ma ceinture.

Le Bêta fut très heureux de l’apprendre et luidit gaiement :

– Lève-toi et suis-moi ! Tu verras,tu mangeras à satiété.

Il emmena l’affamé dans la cour royale.Entre-temps, le roi fit apporter toute la farine du royaume etordonna d’en faire une montagne de pain. L’homme de la forêt s’enapprocha et se mit à manger. À la fin de la journée, il avait toutenglouti. Et le Bêta, pour la troisième fois, demanda la main de laprincesse. Mais le roi se déroba encore en demandant à son futurgendre de trouver un bateau qui saurait aussi bien se déplacer surl’eau que sur la terre.

– Dès que tu me l’amèneras, le mariageaura lieu.

Le Bêta repartit dans la forêt et, là étaitassis le vieux gnome gris qui dit :

– J’ai bu pour toi, j’ai mangé pour toi.Et maintenant je vais te procurer ce bateau ; tout cela parceque tu as été charitable avec moi.

Et, en effet, il lui donna ce bateau quinaviguait aussi bien sur l’eau que sur la terre et le roi ne putplus lui refuser la main de sa fille.

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