Contes merveilleux – Tome II

Chapitre 7Les Lutins

I

C’était un cordonnier qui était devenu sipauvre, sans qu’il y eût de sa faute, qu’à la fin, il ne lui resteà plus de cuir que pour une seule et unique paire de chaussures. Lesoir, donc, il le découpa, comptant se remettre au travail lelendemain matin et finir cette paire de chaussures ; et quandson cuir fût taillé, il alla se coucher, l’âme en paix et laconscience en repos ; il se recommanda au bon Dieu ets’endormit.

Au lieu du cuir le lendemain matin, aprèsavoir fait sa prière, il voulait se remettre au travail quand ilvit, sur son établi, les souliers tout faits et complètement finis.Il en fut tellement étonné qu’il ne savait plus que dire. Il pritles chaussures en main et les examina de près : le travailétait impeccable et si finement fait qu’on eût dit unchef-d’œuvre : pas le moindre point qui ne fut parfait. Unacheteur arriva peu après, trouva les souliers fort à son goût etles paya plus cher que le prix habituel. Avec l’argent, lecordonnier put acheter assez de cuir pour faire deux paires dechaussures, qu’il tailla le soir même, pensant les achever lelendemain en s’y mettant de bonne heure. Mais le matin, quand ilarriva au travail, les deux paires de souliers étaient faites,posées sur son établi, sans qu’il se fût donné la moindrepeine ; au surplus, les acheteurs ne lui manquèrent point nonplus : et c’étaient de vrais connaisseurs, car il luilaissèrent assez d’argent pour qu’il pût acheter de quoi fairequatre paires de chaussures. Et ces quatre paires-là aussi, il lestrouva finies le matin quand il venait, plein de courage, pour semettre au travail. Et comme par la suite, il en alla toujours demême et que ce qu’il avait coupé le soir se trouvait fait lelendemain matin, le cordonnier se trouva non seulement tiré de lamisère, mais bientôt dans une confortable aisance qui touchaitpresque à la richesse.

Peu de temps avant la Noël, un soir, aprèsavoir taillé et découpé son cuir, le cordonnier dit à sa femme aumoment d’aller au lit :

– Dis donc, si nous restions éveilléscette nuit pour voir qui nous apporte ainsi son assistancegénéreuse ?

L’épouse en fut heureuse et alluma unechandelle neuve, puis ils allèrent se cacher, tous les deux,derrière les vêtements de la penderie et où ils restèrent àguetter. À minuit, arrivèrent deux mignons petits nains tout nusqui s’installèrent à l’établi et qui, tirant à eux les coupes decuir, se mirent de leurs agiles petits doigts à monter et piquer,coudre et clouer les chaussures avec des gestes d’une prestesse etd’une perfection telles qu’on n’arrivait pas à les suivre, ni mêmeà comprendre comment c’était possible. Ils ne s’arrêtèrent pas dansleur travail avant d’avoir tout achevé et aligné les chaussures surl’établi ; puis ils disparurent tout aussi prestement.

Le lendemain matin, l’épouse dit aucordonnier :

– Ces petits hommes nous ont apporté larichesse, nous devrions leur montrer notre reconnaissance :ils sont tout nus et il doivent avoir froid à courir ainsi. Sais-tuquoi ? Je vais leur coudre de petits caleçons et de petiteschemises, de petites culottes et de petites vestes et je tricoteraipour eux de petites chaussettes ; toi, tu leur feras à chacunune petite paire de souliers pour aller avec.

– Cela, dit le mari, je le ferai avecplaisir !

Et le soir, quand ils eurent tout fini, ilsdéposèrent leurs cadeaux sur l’établi, à la place du cuir découpéqui s’y entassait d’habitude, et ils allèrent se cacher de nouveauxpour voir comment ils recevraient leur présent. À minuit, leslutins arrivèrent en sautillant pour se mettre au travail ;quand ils trouvèrent sur l’établi, au lieu du cuir, les petitsvêtements préparés pour eux, ils marquèrent de l’étonnementd’abord, puis une grande joie à voir les jolies petites choses,dont ils ne tardèrent pas à s’habiller des pieds à la tête en unclin d’œil, pour se mettre aussitôt à chanter :

– Maintenant nous voilà comme de vraisdandys !

Pourquoi jouer encor les cordonniersici ?

Joyeux et bondissants, ils se mirent à danserdans l’atelier, à gambader comme de petits fous, sautant par-dessuschaises et bancs, pour gagner finalement la porte et s’en aller,toujours dansants. Depuis lors, on ne les a plus revus ; maispour le cordonnier tout alla bien jusqu’à son dernier jour, et toutlui réussit dans ses activités comme dans ses entreprises.

II

Il y avait une fois une pauvre servante quiétait travailleuse et propre, qui balayait soigneusement chaquejour la maison et portait les ordures sur un grand tas devant laporte. Un matin, de bonne heure, comme elle arrivait déjà pour semettre au travail, elle y trouva une lettre ; mais comme ellene savait pas lire, elle laissa son balai dans un coin, cematin-là, et alla montrer la lettre à ses maîtres. C’était uneinvitation des lutins qui demandaient à la servante de servir demarraine à l’un de leurs enfants. Elle n’était pas décidée et nesavait que faire, mais à la fin, après beaucoup de paroles, sesmaîtres réussirent à la convaincre qu’on ne pouvait pas refuser uneinvitation de cette sorte, et elle l’admit. Trois lutins vinrent lachercher pour la conduire dans une montagne creuse où vivaient lespetits hommes. Tout y était petit, mais si délicat, si exquis qu’onne peut pas le dire. L’accouchée reposait dans un lit noir d’ébènepoli, à rosaces de perles, avec des couvertures brodées d’or ;le minuscule berceau était d’ivoire et la baignoire d’ormassif.

La servante tint l’enfant sur les fontsbaptismaux, puis voulut s’en retourner chez ses maîtres, mais leslutins la prièrent instamment de demeurer trois jours avec eux.Elle accepta et demeura ces trois jours, qu’elle passa en plaisirest en joie, car les petits hommes la comblèrent de tous ce qu’elleaimait. Quand enfin elle voulut prendre le chemin du retour, ilslui bourrèrent les poches d’or et l’accompagnèrent gentiment au basde la montagne. Arrivée à la maison, comme elle pensait avoir perduassez de temps, elle s’en alla tout droit chercher le balai quiétait toujours dans son coin. Elle commençait à balayer, quand desgens qu’elle n’avait jamais vus descendirent et virent lui demanderqui elle était et ce qu’elle désirait. Parce que ce n’étaient pastrois jours, mais bien sept ans qu’elle avait passés chez lespetits hommes de la montagne ; et ses anciens patrons étaientmorts dans l’intervalle.

III

Une mère avait eu son enfant enlevé du berceaupar les lutins qui avaient mis à sa place un petit monstre à grossetête avec le regard fixe, occupé seulement de boire et de manger.Dans sa détresse, elle alla demander conseil à sa voisine, qui luidit de porter le petit monstre à la cuisine, de l’installer devantla cheminée et d’allumer le feu pour faire bouillir de l’eau dansdeux coquilles d’œuf :

– Le monstre ne pourra pas s’empêcher derire, lui dit-elle, et dès l’instant qu’il rit, c’en est fini delui.

La femme fit tout ce que sa voisine lui avaitdit de faire, et Grosse-Tête, en la voyant mettre l’eau à bouillirdans des coquilles d’œufs, parla :

– Moi qui suis vieux pourtant

Comme les bois de Prusse,

Je n’avais jamais vu cuisiner et dans unœuf !

Et le voilà qui éclate de rire, et il riaitencore quand déjà surgissait toute une foule de lutins quirapportèrent le véritable enfant, l’installèrent devant le feu etemportèrent avec eux le monstre à grosse tête.

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